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Histoire de l'art > La peinture
L'histoire de la peinture
La peinture italienne à la Renaissance
Le Cinquecento
Aperçu
Le Moyen Âge
La Renaissance : (I) la formation des écoles
(II) le Cinquecento Le XVIIe siècle Le XVIIIe siècle Le XIXe siècle
Au XVe siècle (Quatrocento), Masaccio, qui méprisait les types conventionnels de la forme humaine et étudiait directement la nature avait initié l'époque la grande époque de la peinture italienne qui s'est épanouie au XVIe siècle , le Cinquecento. Cette époque, où les conceptions plastiques de Masaccio se combinent avec une composition plus vigoureuse et plus dramatique, et des notions plus nettes de la couleur locale et du clair-obscur, commence avec Léonard de Vinci, maître accompli dans un grand nombre d'arts. Elle se continue bientôt avec Michel-Ange et Raphaël, qui portent l'art de la Renaissance à son apogée.

Léonard de Vinci.
Léonard de Vinci (1452-1519), après avoir étudié à Florence sous Verrochio, alla porter à l'école milanaise une vie nouvelle et féconde : peintre, sculpteur, musicien, ingénieur, versé dans les sciences naturelles, habile aux exercices du corps, il est sans conteste la plus complète personnification de la Renaissance aucun artiste ne réalisa si complètement l'idée qu'on se fait de la peinture antique, science de la perspective et de la lumière, étude minutieuse de la forme, art du modelé, largeur du dessin, profondeur de l'expression; il ne lui a manqué que le génie créateur de Michel-Ange ou de Raphaël pour être le plus grand peintre des temps modernes.

Outre la fameuse Cène de Milan, fresque aujourd'hui fort altérée, on peut citer les toiles de Léonard que possède le Musée du Louvre, La Vierge aux rochers, la Vierge, l'Enfant Jésus et Sainte Anne, Saint Jean-Baptiste, et, bien sûr, La Joconde.

La Cène de Sainte-Marie-des-Grâces (Milan, 1497) est une des grandes oeuvres de la peinture de tous les temps par le rythme de la composition, le caractère dramatique des têtes, des attitudes des mains, par la majesté mystérieuse et recueillie de l'ensemble.

La Vierge aux rochers peut être donnée comme un exemple de sa première manière : paysage de méandres, où des pics dentellent le ciel, grâce aristocratique et raffinée des visages et des gestes, modelés merveilleusement veloutes et fondus. 
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Vinci : la Vierge aux Rochers.
La Vierge aux Rochers, par Léonard de Vinci.

La Sainte Anne, etc., tableau inachevé dont le carton est à Londres, marque une nouvelle étape : l'expression est plus pénétrante que dans la Vierge aux rochers, les formes sont plus larges, et déjà sur les visages s'esquisse cet indéfinissable sourire qui prendra, dans la Joconde, son caractère définitif. 

Le Saint Jean-Baptiste est de la dernière manière de Vinci : le paysage fait place à un fond obscur, le dessin est plus mou, le sourire et même les traits du visage produisent une impression énigmatique et équivoque.

Quant à la Joconde, elle a été peinte, selon les expressions de Vasari, «-de manière à faire trembler tout artiste robuste. »

Michel-Ange.
Michel-Ange se fraya une voie indépendante. D'abord sculpteur, et également architecte, iI n'a guère laissé que les dessins de ses études et la décoration de chapelle Sixtine, à Rome, qui ne le cède en rien à ses oeuvres de sculpture : ces tableaux bibliques, où revit toute la sublime énergie de la Genèse, ces sibylles, ces prophètes, ces puissants et gracieux adolescents qui les encadrent, sont peut-être l'oeuvre capitale de la peinture de tous les temps et de tous les pays. Quant au Jugement dernier, même si l'on trouve impitoyable le geste du Christ, impuissante et froide l'attitude de Marie, si l'on peut regretter aussi l'exagération des musculatures, quel artiste, pourtant, a jamais ordonné un tel ensemble de figures colossales, de groupes à la fois fourmillants et équilibrés, ces chutes de damnés et ces ascensions d'élus, le tout suspendu à la main foudroyante du juge implacable et tout-puissant qui donne l'unité à cette scène terrifiante?  Sa chaleur de composition, sa connaissance profonde de l'anatomie, la hardiesse de ses contours et de ses raccourcis, lui donnent, comme dans l'architecture et la sculpture, une originalité puissante, qui devint de l'exagération dans ses imitateurs. 

Raphaël.
On a peine à croire que Raphaël a été le contemporain de Michel-Ange, tant son oeuvre reflète le calme et la quiétude. Heureux et fêté de tous pendant une vie aussi courte que féconde, il représente la Renaissance dans ce qu'elle a de plus noble et de plus brillant. Né à Urbino en 1483, et fils de peintre, il étudie à Pérouse chez le Pérugin. Il passe ensuite à Florence, s'initie à l'art de Vinci, de Michel-Ange, et peint ses premières Vierges, celle du Grand duc, celle de Tempi, la Vierge au chardonneret, la Belle Jardinière, où l'expression, les lignes, la couleur sont d'une pureté inconnue avant lui et qui ne sera jamais égalée; mais dans la Mise au tombeau (1507), on sent la peine et le travail plus que l'émotion; c'est Rome qui lui révélera ce qui lui manque jusqu'alors : le sentiment de la grandeur et de la force. 

Appelé au Vatican par Jules Il, il est chargé de la décoration des chambres (Stanze) du palais pontifical. Les Loges furent exécutées de 1513 à 1519 sous sa direction et d'après ses dessins inférieur à Michel-Ange dans la Création et le Déluge, il retrouve toute sa maîtrise dans les scènes calmes et gracieuses : Moïse sauvé des eaux, les Trois anges visitant Abraham, l'Entrevue de Jacob et de Rachel. Sur l'invitation de Léon X, il dessine les cartons des Actes des Apôtres, qui doivent être reproduits en tapisserie dans les ateliers de Bruxelles. Raphaël trouve même du temps pour des travaux de chevalet. 
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Raphael : Madone à l'enfant.
 Madone à l'enfant, par Raphaël (ca. 1505).

Ce sont d'abord d'admirables portraits, comme le Jules II, le Balthazar de Castiglione, la Jeanne d'Aragon et la Fornarina; puis la seconde série de ses Madones : la Madone Aldobrandini, la Vierge au voile, la Vierge à la chaise (palais Pitti), celle de Saint-Sixite (Dresde), la plus belle de toutes par la gravité et la profondeur d'expression de la Mère et de l'Enfant, la Vierge de Foligno, la Madone de Sixte-Quint. On citera encore : les Sibylles, le Triomphe de Galathée, les Noces de Psyché, la Bataille de Constantin,  la Sainte Famille du Louvre. Il travaillait à son tableau de la Transfiguration quand il mourut, âgé de trente-sept ans, en 1520. Il est unique dans l'histoire de l'art par la ravissante et noble pureté de ses Madones, par la force calme et harmonieuse (les grandes fresques des Stanze (Dispute du Saint-Sacrement, l'École d'Athènes).

Le déclin des écoles.
Après Léonard de Vinci, l'école milanaisefut représentée par Beltraffio, Gaudenzio, Ferrari Beccafumi, Melzi, Salaïno, Marco d'Oggione, Cesare da Cesto, etc. Mais les principaux continuateurs de Léonard sont : Bernardino Luini, qui a décoré de ses douces et larges fresques les églises de Côme, Lugano, Saronno; Andrea Solario, avec sa délicieuse Vierge au coussin vert (Louvre), Bazzi, dit le Sodoma, qui renouvela les traditions de l'école siennoise dans l'Évanouissement de sainte Catherine, à l'église Saint-Dominique de Sienne.

Les suivants de Michel-Ange, plus nombreux, de tempérament moins homogène. Si l'on excepte Daniel de Volterre et Sébastien dal Piombo, trop éminents pour reproduire les défauts du maître, il n'y a plus, après lui, que des peintres qui tombent dans le faux et l'enflure en cherchant l'effet, Vasari, Rossi, Naldini, les Zuccari, Vanni, le chevalier d'Arpino, Fontana, Cesi, Semini, Cambiaso, etc. Dans la peinture de portrait, Angello Allori dit Bronzino et son neveu Alessandro appartiennent à la même école. II faut faire exception pour André del Sarto, dont la peinture se rattache à l'école naturaliste, mais tempérée par une grande naïveté et une grande finesse de dessin et d'expression, et qui eut pour élèves Franciabigio, le Pontormo, le Rosso. Vers la fin du XVIe siècle, Ludovico Cigoli et Gregorio Pagani revinrent à la nature et à un goût meilleur dans l'emploi du clair-obscur
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Sarto : L'Annonciation.
L'Annonciation, par Andrea del Sarto (ca. 1525).

Les meilleurs maîtres de l'école romaine après Raphaël ont été Jules Romain, le Primatice, Niccolo dell' Abbate, François Penni dit « le Fattore-», Perino del Vaga, Polydore de Caravage, André Sabbatini, Pellegrino, Benvenuto Tisi dit il Garofalo, Giacomone de Faenza, Timoteo Viti, les Campi, etc. 

Trois noms importants doivent être cités immédiatement après ceux de Léonard, de Michel-Ange et de Raphael. Ce sont ceux du Corrège, Giorgione et de Titien :

Le Corrège.
Le Corrège (Antonio Allegri), né à Correggio dans le Modenais en 1494, mort en 1534, peut aussi être considéré à sa façon comme un successeur de Raphaël. Ne dit-on pas quee sa vocation se révéla à la vue d'un tableau de Raphaël et qu'ill s'écria aussitôt : «-Et moi aussi, je suis peintre » ? Quoi qu'il en soit, il est sinon le fondateur fondateur, du moins à l'origine du renouveau de l'école lombarde; il est le premier qui ait osé peindre des figures dans les airs, et il est celui qui a le mieux entendu l'art des raccourcis et du clair-obscur; son genre est toujours suave et gracieux. Deux de ses plus beaux tableaux, un Saint Jérome de 2 m de hauteur, peint sur bois, et un Christ détaché de la croix, sont au Louvre

Giorgione.
Giorgio Barbarelli, dit le Giorgione appartient à la seconde période de l'école vénitienne. Il exécuta à Venise un grand nombre de peintures à fresque que le temps a détruites. On a conservé plusieurs de ses tableaux à l'huile. Ils sont reconnaissablees à la fermeté de la touche, à la vivacité des couleurs, à l'énergie des reliefs, à la bizarrerie des draperies. Ses oeuvres produisaient de loin un effet plus heureux que de près. Le Louvre possède : Salomé recevant la tête de Saint Jean Baptiste, Jésus assis sur les genoux de sa mère, Concert champêtre, Gaston de Foix, duc de Nemours. On admire encore son Christ mort, à Trévise, et le Moïse sauvé des eaux, dans le palais archiépiscopal de Milan.

Titien.
Tiziano Vecellio, né en 1477 à Pieve de Cadore, et plus connu sous  le nom de Titien, est le plus grand peintre de l'école de Venise. Il eut pour maître à Venise le mosaïste Zuccato et Giovanni Bellini, et il agrandit son style en imitant le Giorgione, d'abord son condisciple, puis son rival. Il succéda à Giovanni Bellini. Quand il mourut de la peste à Venise, âgé de 99 ans en 1576, il laissait une grande quantité d'oeuvres qui attestent la supériorité de son pinceau. Un célèbre critique l'a proclamé le premier paysagiste, en disant qu'il a mieux vu et mieux reproduit la nature qu'aucun autre peintre. Il n'a pas été surpassé dans l'art des portraits, et Lanzi, qui le regarderait comme le premier peintre du monde s'il eût été plus savant dessinateur, juge que son coloris n'a pas été égalé. Titien a excellé à peindre les Vénus, et l'école vénitienne a un caractère sensuel. Son chef-d'oeuvre dans un genre plus digne de la haute mission de l'art, est son Assomption, que possède Venise. On admire de lui au Louvre le Couronnement d'épines, les Pèlerins d'Emmaüs, Saint Jérômne dans le désert, etc. Quoiqu'il n'ait pas été aussi bon maître que bon peintre, il a eu de nombreux élèves italiens et flamands, parmi lesquels il compta son fils Horace, et son neveu Marc Vecellio. Son frère François fut aussi un peintre habile.
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Titien : Enlèvement d'Europe.
L'Enlèvement d'Europe, par Titien (ca. 1525).

En attendant le Tintoret et Véronèse.
Après le Corrège, le Giorgione et Titien  allaient encore venir Palma le Vieux, Bonifacio, Lorenzo Lotto, Schiavone, Paris Bordone, Pordenone, Moroni, Romanino-Maganza, Brusasorci, Antonio Moro, Morelle, Farinata, Campagnola, Zelotti, Savoldo, enfin le Tintoret et Paul Véronèse, ce dernier, maître à son tour de Cagliari, de Palma le Jeune et des Bassan. Mais, pour l'essentiel, les grandes écoles de peinture de l'Italie centrale s'éteignent dans l'imitation servile et inanimée des maîtres. 

La décoration du palais Doria, à Gênes, par Perino del Vaga, est un dernier souvenir de la Farnésine, déjà alourdi et compliqué. Daniele da Volterre doit aux conseils directs de Michel-Ange les quelques figures noblement dessinées de sa Descente de Croix, à la Trinità de'Monti. Le Parmesan change la grâce langoureuse du Corrège en une affectation puérile; près de lui Federigo Barrocci, tout en conservant encore la science de la composition et la clarté du coloris, arrive, à force d'arrondir le visage de ses Vierges, d'allonger leurs paupières et de rapetisser leur bouche, à leur donner un type presque chinois. Seul, le dernier des peintres de la grande école lombarde, Bernardino Lanini (mort en 1578) peut encore imiter, sans la profaner, la douceur grave de Luini et de Ferrari. Les copies des maîtres ne deviennent intéressantes que par le prix de la technique sur les majoliques dans des fabriques célèbres se sont constituées dès le début du XVIe siècle à Pesaro, à Urbin, à Castel Durante, à Gubbio. L'exemple du Jugement dernier, achevé en 1541, précipita la ruine de la peinture, en inspirant aux papes, aux fabriques, aux seigneurs qui commandaient des décorations aussi bien qu'aux artistes qui les exécutaient, des ambitions démesurées. Pendant plus de cinquante ans des fresques de grandes dimensions, remplies d'une foule d'énormes corps tordus dans des mouvements monstrueux, couvrirent les murs des palais et les coupoles des églises. Des artistes, capables de trouver le dessin exact et la couleur harmonieuse, forcent leur talent pour arriver à bout de ces entreprises, et cherchent la grandeur dans l'exagération des proportions et la pompe théâtrale des attitudes. Aussi, malgré la beauté de quelques détails, n'y a-t-il rien de plus froid que le Christ aux Limbes d'Angiolo Bronzino (1501-1572), aux Uffizi, que les Batailles et les Allégories de la Sala Regia au Vatican, par Vasari et les frères Zucchero, de Rome, ni surtout que les groupes lourds et déclamatoires que peignirent sur la coupole de Brunellesco ces mêmes Zucchero, si célèbres en leur temps. La déformation de l'esprit italien par les habitudes espagnoles et l'abus de l'emphase et de la préciosité achevèrent la perte de toute sincérité et de toute chaleur, en répandant l'emploi des allégories les plus artificielles et les plus compliquées, comme celles de Francesco Salviati au Palazzo Vecchio. Enfin, l'imitation d'un peintre sculpteur comme Michel-Ange ruina la technique même de la peinture, en habituant les artistes à se contenter d'un modelé de nu en teinte neutre et de draperies colorées d'un ton plat et glacé. Les peintres ne retrouvèrent leurs qualités de vision et d'exécution que lorsqu'ils se mirent en face de la nature vivante, dans les portraits: les plus énergiques sont ceux de Bronzino, qui connut certainement les modèles vénitiens.
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Vasari : Le Prophète Eliezer.
Le Prophète Eliezer, par Giorgio Vasari (ca. 1566).

Venise, dont le commerce et la prospérité étaient depuis plus d'un demi-siècle battus en brèche par la concurrence commerciale des Espagnols et des Portugais, et par les succès militaires des Turcs, retrouvait dans la seconde moitié du XVIe siècle un éclat factice, mais éblouissant; sa flotte magnifique remportait à Lépante (Le Siècle de Soliman) une victoire qui faisait oublier toutes les défaites, et, tandis que Palladio faisait revivre pour la noble cité la tradition de Bramante abandonnée même à Rome, une nouvelle génération de peintres, aussi jeune, aussi vivante, aussi triomphante, succéda à celle de Titien. Venise fut sauvée de l'universel déclin, parce que la tradition établie de maître en maître y consistait non pas à copier le plus grand et le plus dominateur, mais à regarder comme lui la nature et à l'embellir d'une poésie qui n'était pas dans un idéal accessible à quelques élus, mais dans la force même des sensations et des jouissances de tout Vénitien. On peut même dire que ce fut dans les deux derniers de ses grands peintres qu'elle trouva, à la veille de la brusque déchéance et de la longue nuit, son image la plus radieuse. Le premier est Jacopo Robusti, dit il Tintoretto (1512-1594). Il fut hanté longtemps par le souvenir de Michel-Ange; il lui prit les ombres noires et funèbres dont il se servit trop souvent pour exagérer le modelé et l'effet de ses figures, et opposa au Jugement dernier un Paradis de 200 m² (grande salle du Palais ducal). 

Tintoret.
Mais, malgré ces emprunts dangereux, malgré la rudesse et la trivialité de nature qu'il trahit lorsqu'il cherche à s'élever aux grandes scènes et aux figures surnaturelles, malgré la hâte avec laquelle il brossa tant d'oeuvres grossières, Tintoret fut plus qu'un improvisateur habile. Nul, pas même Titien, n'a peint des doges plus majestueux dans leur robe de brocart et modelé plus hardiment un beau corps en pleine lumière; nul, si ce n'est Pâris Bordone, dans son tableau du Pêcheur apportant au doge l'anneau légendaire de saint Marc (académie de Venise), n'a répandu dans une vaste toile l'air transparent et le soleil doré, comme Tintoret l'a fait dans le tableau fameux où il a représenté Saint Marc tombant du ciel pour délier un esclave; nul enfin, s'il faut tout dire, n'a personnifié plus naïvement et presque plus cyniquement la Venise voluptueuse que lui, dans sa manière de découvrir un dos de femme et de pencher des épaules grasses et blondes vers le spectateur : les fresques de la
Scuola di San Rocco, ces 56 tableaux gigantesques auxquels il a travaillé dans sa verte vieillesse, sont frappants par le choix du motif principal étalé en premier plan, qui, dans ces scènes bibliques et évangéliques, est toujours un peu de nudité. 

Véronèse.
Paolo Cagliari de Vérone, le grand Véronèse (1528-1588), fut moins inégal et plus grave. Ses tableaux de sainteté, où des personnages dignes et respectueux, vêtus comme des rois d'Orient, fléchissent le genou devant la Madone, sont aussi majestueux par les lignes de la composition et l'ordonnance du fond d'architecture que magnifiques par l'éclat des étoffes et le feu des pierreries. Plus sage que Tintoret, il évite les mouvements violents et les scènes dramatiques. Il réserve la science impeccable de son dessin pour la construction des figures plafonnantes, où il dépasse Corrège, son modèle, par son habileté à mettre en valeur les motifs intéressants; d'ailleurs, il se joue superbement de la vraisemblance et fait surplomber sur le vide des hommes d'armes pesants et des chevaux massifs. Son coloris le distingue de tous les autres peintres de Venise par sa clarté joyeuse et sa finesse argentée : à lui seul, sans l'allure aristocratique et le costume splendide (les personnages, ce coloris donnerait l'impression de plénitude heureuse et de fête perpétuelle que Véronèse a traduite surtout dans ces immenses tableaux de banquets, ou, autour du Christ perdu à la place d'honneur, s'épanouit le plaisir calme de vivre. 
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Veronese : Noli me tangere.
Noli me tangere, par Paul Veronèse.

Tintoret a peint Venise dans son ardeur et sa volupté, le Véronèse dans sa joie et sa majesté. Tous deux furent réunis, avec des maîtres dont les seuls illustres furent Palma le Jeune et Leandro Bassano, pour exécuter cette décoration du Palais ducal consacrée tout entière à des allégories glorieuses et à des tableaux de victoires, où Venise chargeait ceux qui avaient le mieux compris son charme et sa beauté, de célébrer son triomphe. Dans cet ensemble unique au monde, vertigineux pour la pensée, éblouissant pour les yeux, c'est le Véronèse qui domine, jetant un chant plus clair et plus sonore que tous, du haut de ce plafond de la salle du Grand Conseil où trône dans son manteau d'or la blonde reine de l'Adriatique. Après lui, l'art vénitien s'assombrit aussitôt. Palma le Jeune (1544-1628) improvise plus lourdement que Tintoret; son coloris s'empâte, et la salle du Scrutin, au Palais ducal, qu'il a peinte presque entièrement, est sans vie et sans lumière. Les Bassano, Jacopo (1510-1592) et ses fils Leandro et Francesco, abandonnent brusquement la tradition de noblesse dans la composition et de clarté dans le coloris ; ils se plaisent à placer leurs scènes religieuses au milieu de paysans et de troupeaux, devant des chaumières décrépites, dans des paysages sombres et mystérieux où le soir est tombé. Par leur étude de la vie vulgaire et leur couleur noircie, ils annoncent l'école réaliste qui va se former à Naples.

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