| L'époque gallo-romaine Il est difficile de dire ce que fut la peinture dans les Gaules, toute trace ayant disparu des oeuvres de ce genre. On sait qu'un certain nombre d'églises sous les rois mérovingiens furent ornées de fresques; Grégoire de Tours fit peindre entièrement les églises de Saint-Martin et de Sainte-Perpétue. Charlemagne fit également exécuter des travaux de ce genre. Nous ne pouvons les apprécier; mais il est un ordre de documents que leur nature même a préservés de la destruction, et qui nous laissent entrevoir ce que pouvait être la peinture de ce temps : ce sont les enluminures des manuscrits. Dès le IVe siècle, saint Jérôme recommandait la copie des manuscrits comme une des occupations les plus convenables à la vie monastique. Les moines qui travaillaient soit à tisser de la toile, soit à faire des corbeilles, se mirent à transcrire des livres et à teindre en pourpre des parchemins. Ce fut le travail principal des cénobites. Sous l'impulsion puissante de Charlemage, on vit les couvents exécuter ces missels, ces évangéliaires, dont le merveilleux éclat projette sur les débuts de la période carolingienne une lueur artistique si brillante. Les écoles de Saint-Gall (en Suisse), de Metz, de Reims, d'Orléans, nous ont laissé des oeuvres remarquables en ce genre. L'abbaye de Moissac, la métropole de l'ordre de Cluny en Languedoc, ne furent pas moins fécondes. Le souci de la belle écriture devait naturellement conduire à la décoration des pages par des ornements (La Miniature). Après avoir commencé à semer l'or, l'argent, les couleurs vives sur les lettres des manuscrits, à les allumer (de là le mot illuminare = enluminer), les artistes composent de véritables tableaux où l'on voit tour à tour s'affirmer, avec les alternatives des différentes influences que subit l'art à travers les premiers siècles, toute la grâce naïve, toute la fraîcheur d'imagination des peintres chrétiens. Au début de l'époque barbare, les enluminures se bornent aux ornements calligraphiques. Peu à peu un art nouveau se greffe sur les débris de l'ancien. Au VIIe siècle les lettres sont formées non plus avec des traits de fantaisie, mais avec des lignes qui rappellent tantôt des corps d'animaux, tantôt des noeuds, des enlacements, des entrelacs qui imitent ces belles boucles de ceintures, des baudriers, que portaient alors les Francs, et que les sépultures qui ont été mises au jour nous font voir également dans leurs fibules, leurs bagues, leurs bracelets. A l'époque de Charlemagne, les ateliers monastiques du centre de la France exécutaient des enluminures qui ont un caractère d'originalité absolue, d'une hardiesse d'invention marquant une véritable indépendance de talent. Cet art va grandir encore avec l'époque romane. L'époque romane. Que beaucoup des églises des XIe et XIIe siècles aient été décorées de peintures, le fait n'est pas douteux. Malheureusement, les oeuuvres de ce genre sont trop soumises à l'action destructive du temps pour avoir subsisté. Si l'on excepte les fresques encore bien conservées de la riche abbaye poitevine de Saint-Savin, certains vestiges de celle d'une chapelle du Liget, et de l'église de Rivière dans l'Indre-et-Loire, ou de Montoire, dans le Loir-et-Cher, il ne reste rien d'assez complet pour qu'on puisse se faire une idée suffisante de l'état de cet art a l'époque dont il est ici question. Néanmoins les documents que l'on possède autorisent à penser que la peinture romane fut, comme la sculpture, avant tout en harmonie avec le monument qu'elle décorait. La subordination à l'architecture est la règle première à laquelle elle se soumet. Les figures sont ordinairement sans lien entre elles; le geste est sobre, mais net; point de détails inutiles dans les draperies; absence totale de plans; les tons sont mats, sans parti pris de lumière et d'effet, réduits à un très petit nombre. Il y a dans cette méthode de décoration, en dépit de l'aspect rudimentaire des figures représentées, une observation si rigoureuse des lois de la peinture monumentale que quelques archéologues ont exprimé l'avis que peut-être des peintres nomades venus de Byzance ou imbus des doctrines antiques sont les auteurs de ces oeuvres si bien appropriées. C'est là une simple hypothèse. La peinture des manuscrits (La Miniature), sans prendre encore le grand développement qu'elle aura à l'époque suivante, continue sa route ascendante. On ne se contenta plus au XIe siècle d'illustrer la Bible et les ouvrages des pères de l'Eglise; on fit participer aux mêmes honneurs les canonistes et les commentateurs. Le dessin s'améliora. Les formes de l'architecture nouvelle, les rosaces, le feuillage conventionnel des chapiteaux se glissent dans les méandres envahissants des initiales filigranées qui remplissent les pages, et où apparaissent aussi parfois des animaux non plus seulement symboliques, mais réels, des ours, des paons, des singes, des renards. L'élément fantastique domine encore; mais la représentation de l'humain s'unit, au XIIe siècle, aux ornements linéaires, et de-ci de-là on reconnaît à certains détails de costumes, à certaines scènes familières, le sentiment naturaliste qui se fait jour. En même temps, la gamme des couleurs s'étend, cherche à mieux rendre les carnations et à varier les nuances de l'or bruni ressortant sur les fonds sombres.- La Mariage de la Vierge, miniature des Grandes Heures du duc de Berry (commencement du XVe siècle). L'art de la peinture sur verre (Le Vitrail) art essentiellement françaisà cette époque, produit au XIIe siècle ses premières oeuvres, et, sans tâtonnement, sans indécision, se conforme aux rationnels principes décoratifs qui ont inspiré avec un remarquable ensemble tous les architectes romans. Depuis longtemps on s'était servi pour la fermeture des fenêtres de verres colorés; mais le procédé qui consiste à peindre sur le verre au moyen d'émaux que la fusion fixe définitivement en les vitrifiant ne se répandit qu'à partir du XIe siècle. Le moine Théophile, par les détails qu'il fournit, dans sa Schedula diversarum artium, sur la technique des verriers de son temps, ne laisse aucun doute sur les ressources dont ceux-ci étaient déjà maîtres. Les plus anciennes verrières que l'on connaisse, celles de la cathédrale de Châlons-en-Champagne, du Mans, de l'église Saint-Remi, à Reims, de Chartres et de Poitiers, de Bourges, d'Angers, etc., montrent avec quelle dextérité les praticiens savaient établir les chaudes colorations, choisir les valeurs relatives des tons, et enchâsser les découpures des verres dans les filets de plomb savamment disposés. Même dans les verrières incolores des édifices cisterciens, où l'on proscrivait le luxe de l'imagerie, comme l'avait recommandé saint Bernard, rien que le jeu de ces plombs arrangés en entrelacs et en fleurons forme une ornementation peine de caractère, ainsi qu'on le voit dans les églises de Bonlieu (Creuse), d'Aubazine (Corrèze) ou de Pontigny (Yonne). Quant aux verrières à personnages, on ne saurait trop signaler l'intelligence d'exécution de ces figures qui se détachent en clair sur des fonds puissants et dont les draperies sont faites de tons neutres pour éviter la décomposition des formes par des taches colorées. La peinture et à l'époque gothique. Le peu de surface qui, dans l'architecture ogivale, restait libre pour la décoration dans l'intérieur des édifices, ne pouvait être favorable au développement de la peinture monumentale. Celle-ci dut sans doute être limitée à quelques anciennes églises à coupoles, ainsi qu'autorise à le penser la découverte faite en 1890 d'une composition fort intéressante de la cathédrale de Cahors. Il y a là les figures de huit prophètes de dimension colossale, et une frise formant un ciel étoilé au milieu duquel est représentée l'apothéose de saint Etienne. Les peintures dénotent, selon Corroyer, «-une phase de l'évolution vers le naturalisme ». A la vérité, on retrouve bien dans les archives les noms de quelques peintres qui furent chargés de divers travaux. Au XIVe siècle, Girard d'Orléans et Jean Coste décorèrent notamment le château de Vaudreuil pour Charles V. Mais ce ne sont là que des oeuvres isolées, dont il ne reste guère de vestiges et qui ne sauraient nous éclairer sur la situation d'un art à peu près complètement délaissé. Saint Georges à la cathédrale de Chartres (XVe siècle). | L'Incrédulité de saint Thomas à la cathédrale d'Auch (1513) | C'est vers le vitrail que se reporta le travail des peintres. Du XIIIe au XVe siècle on exécuta en France une quantité de verrières magnifiques; on peut dire que ce fut l'âge d'or de cet art qui arriva à son apogée. Les larges ouvertures des cathédrales gothiques, les roses gigantesques sont enrichies d'une véritable mosaïque translucide qui, dans des armatures de fer de plus en plus compliquées et d'une riche élégance, projette au sein des édifices des éclats de pierrerie, réservant pour les sanctuaires les colorations chaudes, profondes, mystérieuses, et versant sous les hautes voûtes des nefs la lumière douce des pâles grisailles. A la Sainte-Chapelle, les vitraux occupent une telle place que l'on disait, en parlant des murs de l'édifice, qu'ils semblaient construits avec de la lumière. Au XIIIe siècle, c.-à-d. à leur plus belle époque, les vitraux ont un aspect morcelé; ils sont composés de petits fragments étincelants qui semblent disperser des miroitements d'escarboucles. Rarement ils offrent des scènes de quelque dimension, comme à Poitiers, ou de grandes figures, comme à Chartres. Ce ne sont plus les colorations sourdes et rompues par juxtaposition des verrières romanes, simplement coupées de traverses ou de montants. Des tons fermes, vifs, le bleu, le rouge, le vert, associés au blanc, font vibrer la gamme aiguë de leur fanfare. Au XIVe siècle, l'ambition vient aux peintres-verriers de représenter des groupes, des épisodes de l'histoire religieuse, des portraits de donateurs. Ces compositions sont accompagnées d'une architecture de remplissage, en grisaille, clochetons, filets, dais pyramidaux, qui a l'inconvénient de viser trop aux reliefs des saillies et de faire ressembler le vitrail à un tableau, ce qui n'est plus son rôle. Cette tendance s'accentue au siècle suivant et concorde précisément avec le développement de la technique qui pousse les artistes aux tours de force. « Grâce à l'emploi de verres plaqués travaillés à la meule et de jaunes obtenus par applications de sulfure d'argent, dit Lechevallier-Chevignard, le peintre exécute déjà des damassés de fonds, des joyaux, des ornements, des détails d'armoiries d'une rare richesse. » Le goût du public, qui s'émerveillait de ces habiletés, acheva de pousser l'art du vitrail hors de sa voie : c'est d'après ces données qu'étaient conçues les verrières des oratoires dans les demeures privées; celles des chapelles de Charles V, au Louvre, et de l'hôtel Saint-Paul, étaient, d'après ce que raconte Sauval, très chargées de scènes diverses et fort hautes en couleur. La fantaisie s'introduisit dès lors dans les vitraux qui cessèrent de respecter cette grande loi de subordination à l'architecture, d'où ils tirèrent à l'origine le principe auquel ils durent leur perfection. La peinture des manuscrits (La Miniature) fut également le triomphe de la période gothique. Le pinceau remplace généralement la plume; la gouache se substitue à l'aquarelle. L'enluminure s'étend à tous les livres, même aux profanes. Il n'y eut plus de psautier qui ne fût enrichi sur les marges de quelque composition peinte et précédé d'un calendrier illustré par des scènes reproduisant les travaux des douze mois de l'année. Ce ne sont plus simplement les lettrines qui lancent dans tous les sens, comme des feux d'artifice, leurs filigranes d'azur et d'or; presque chaque page fait l'effet d'une robe diamantée ou plutôt d'un champ de blé émaillé de bluets, de coquelicots et d'épis mûrs. Parfois les lettres initiales se chargent d'un véritable tableau d'histoire. Ce qui caractérisa particulièrement l'art de la miniature au XIIIe siècle, c'est l'apparition des portraits. « Il suffit, a dit Lecoy de La Marche, de jeter les yeux sur les oeuvres de nos grands miniateurs pour se convaincre que, dès lors, la majorité de leurs figures sont dessinées d'après le modèle [...]. La finesse de touche de leurs portraits, le degré d'expression auquel ils sont arrivés nous garantissent que ce ne sont pas là des images de fantaisie, sorties de l'imagination ou du souvenir. Et cette perfection est d'autant plus étonnante qu'il s'agit, en général, de figures extrêmement réduites occupant à peine la moitié ou le quart d'un feuillet de parchemin. » Et avec quelle rapidité les progrès se réalisent! Que l'on compare le portrait de saint Louis, raide et gauche, qui se trouve sur le registre des ordonnances de l'Hôtel royal avec ceux de Charles V, au nombre de cinq ou six. Le règne de ce lettré fut au surplus extrêmement favorable à l'art de la miniature. Son frère, le duc de Berry, se distingue entre tous par la façon dont il sut l'encourager. Plusieurs des livres de prières qu'il fit exécuter contiennent des tableaux admirables; il faut citer entre autres : celui qui est à Bruxelles et qui renferme vingt grandes peintures de Jacquemard d'Adin ou de Hesdin et d'André Beauneveu, « le plus habile de nos artistes » disait Jean Froissart; celui de la famille d'Ailly, et dans lequel on n'admire pas moins de cent soixante-douze sujets; enfin le livre d'heures conservé à Chantilly, où l'on voit maintes compositions dues à Paul de Limbourg et à ses frères, dans lesquelles le savant Léopold Delisle déclareait hautement reconnaître «-le chef-d'oeuvre de la peinture du Moyen âge ». Ce n'est pas seulement le portrait, l'histoire, les scènes de genre que les miniateurs excellent à peindre, mais encore le paysage. Dans les Heures du duc d'Anjou, de Louis II, cousin germain de Charles VI, de René, l'artiste universel, amateur passionné de la belle nature, qui lui-même peignit d'exquises miniatures, on en trouve d'un charme pénétrant. Mais le maître qui résume au plus rare degré les qualités de cet art délicieux, c'est Jean Fouquet (ou Jehan Foucquet), dont le marquis de La Borde a dit-: « Avant que le Pérugin et Léonard de Vinci fussent venus au monde, Foucquet peignait comme l'Italie ne se doutait pas qu'on pût peindre. » Le grand artiste fut appelé à Rome pour faire des portraits, et notamment celui du pape Eugène IV. Il était originaire de la Touraine et travailla longtemps auprès de Louis XI, avant que Charles VIII le prit à son tour sous sa protection. Les célèbres Heures qu'il exécuta pour Etienne Chevalier donnent la mesure de son talent extraordinaire. | |