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Histoire de l'art > La peinture
L'histoire de la peinture
La peinture gothique en Allemagne
XVe siècle
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L'Allemagne du XVe siècle fut, comme la France, tributaire des Flandres. Seule, sur les bords du Rhin, l'école de Cologne maintint son indépendance. Le réalisme flamand, Parfois si brutal dans les expressions, si confus dans l'ordonnance, fut encore outré par les artistes allemands. Bien peu réussirent à s'affranchir de formules rapidement devenues conventionnelles et il entrevoit, par-dessus toutes les laideurs et toutes les misères, un idéal supérieur de beauté. Néanmoins les écoles allemandes du XVe siècle ont déployé une vitalité et une verve merveilleuses bien faites pour piquer la curiosité, parfois même pour exciter l'admiration de tous les amis de l'art. Elles ont préparé le splendide essor de l'art allemand au siècle suivant pendant la Renaissance.

L'école de Cologne.
Un phénomène réconfortant autant qu'inattendu, c'est l'apparition, sur les bords du Rhin, de l'Ecole dite de Cologne. Longtemps on a cru qu'elle était tributaire de l'école de Bruges et des van Eyck, mais les dates s'y opposent. En effet, dès 1380, il est question de maître Guillaume (Wilhelm) de Cologne comme d'un peintre hors ligne. Ce Guillaume est-il l'auteur de la série de Vierges conservées au musée de sa ville natale, ainsi qu'à Munich et à Berlin? Ce qui est certain, c'est que les Vierges en question, d'une grande fraîcheur d'inspiration, d'un grand charme de coloris, quoique d'une facture molle et d'un modelé estompé, forment un groupe à part, sans nulle trace d'influence flamande. On les reconnaît à leur tête ronde, à leur bouche mignonne, à leurs yeux noyés de langueur, à leur chevelure d'un blond de miel. Rien de plus flou, rien de moins écrit.

Le prince des peintres colonais, maître Stéphan (Étienne) Lochner ou Lothner (mort en 1451), est le Fra Angelico des bords du Rhin. Son chef-d'œuvre est le « Dombild » ou retable de la cathédrale, peint à l'huile, entre 1430 et 1440 (l'Annonciation, l'Adoration des mages, des saints). Les figures y sont a la fois solennelles et souriantes; elles dégagent un délicieux parfum de jeunesse et de candeur, qui nous transporte dans des régions enchantées; le sol est parsemé des plus jolies fleurs. Une autre page célèbre de maître Stéphan, la Vierge au buisson de roses (musée de Cologne), véritable symphonie en bleu, s'impose à l'admiration par une sorte de grâce irrégulière et nonchalante qui n'exclut pas l'intensité du sentiment mystique. Tout autre est la Vierge à la violette, du musée archiépiscopal de la même ville  : rien n'égale la limpidité et la fraîcheur de cette gamme rouge, relevée de rose et de blanc de neige (seule, la robe bleue de la Vierge fait contraste). C'est un véritable feu d'artifice, une explosion de lyrisme, et cependant elle est pleine de recueillement intérieur.
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Lochner : l'Adoration des mages.
L'Adoration des Mages (détail du Dombild de Cologne), par Stephan Lochner.

Entre ces têtes, aux traits soit atrophiés, soit estompés, et les têtes de Fra Angelico, on constate toute la différence qui sépare les traditions artistiques de l'Allemagne et de l'Italie. Mais l'inspiration est la même l'âme se dégage à travers l'enveloppe terrestre; dans ce monde idéal, fait de poésie et de piété, il n'y a place que pour les sentiments purs et nobles. Inférieur à son émule italien pour l'élégance des figures, la noblesse ou la vigueur de la composition, maître Stéphan l'emporte sur lui par son sentiment des beautés de la nature végétale. Rien de plus frais que les paysages qui encadrent ses Vierges : gazon émaillé de jolies fleurs, haies vives, rosiers. Chez les uns d'ailleurs comme chez les autres la couleur est conventionnelle encore; de même que chez les peintres du XIVe siècle l'or forme la note dominante.

Le côté faible des peintures colonaises, c'est l'anatomie : ni maître Guillaume, ni maître Stéphan ne semblent avoir la moindre notion de la structure du corps humain. Nous avons affaire à des coloristes, non à des dessinateurs, tels que l'étaient les Florentins.

L'École de Cologne ne survécut guère à maître Stéphan. Elle se laissa gagner à la longue par l'influence flamande et finit par imiter les types réalistes créés par les frères van Eyck, ainsi que leurs fonds de paysages. Les tableaux de style légendaire, l'Histoire de saint Georges, l'Histoire de saint Hippolyte, ou encore la Crucifixion, conservés au musée de Cologne, n'ont plus rien à envier aux maîtres de Bruges et de Bruxelles. Aussi bien cette école, purement lyrique, faite pour vivre d'idéal, n'avait plus de raison d'être du jour où la curiosité envahissait les esprits.
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Lochner : Vierge au buisson de roses.
Schongauer : Vierge au buisson de roses.
La Vierge au buisson de roses, de Lochner et, à droite, de Schongauer.

L'école du Haut-Rhin.
L'École du haut Rhin se montre plus vite accessible au réalisme, plus appliquée à l'étude et au rendu fidèle de la nature. A Strasbourg, nous rencontrons les noms de Hans Hirz (mort avant 1466), qui paraît avoir eu de son temps une grande renommée, et de Hans Tieffental de Schlestadt (Séléstat). A Bâle fleurit à ce moment maître Lawlin; à Tiefenbronn, Lucas Moser exécute, en 1431, un autel qu'on admire encore dans l'église de cette localité et qui montre l'influence de Cologne, mais avec un sens de la nature plus développé. L'influence flamande, à son tour, se fait jour dans une oeuvre anonyme, à la galerie de Donaueschingen, les Saints Ermites Paul et Antoine, datée de 1445. Un autre artiste de ces pays, Juste d'Allemagne, importera cette influence en Italie dans son Annonciation, peinte à Gênes, au couvent de Santa Maria di Castello (1451).

Mais c'est Colmar qui devient le vrai centre de l'École du Haut-Rhin avec Gaspard Isemnann (mort en 1466), auteur, en 1462, du maître-autel de Saint-Martin de Colmar (fragments au musée de cette ville): nous y voyons un artiste tout à fait réaliste, parfois même rude, burlesque et tout imprégné de la technique l'amande.

Martin Schongauer, dit aussi Martin Schoen (mort en 1491), l'élève du précédent, est le peintre le plus célèbre de l'école. Ses ouvrages - la Vierge au buisson de roses (1473), à l'église Saint-Martin de Colmar, le retable d'Isenheim (au musée de Colmar) sont plus ou moins inspirés de Rogier van der Weyden; ils respirent la grâce et le recueillement. Aussi a-t-on appelé Schongauer le Pérugin allemand. Sa richesse d'imagination, sa puissance d'expression se manifestèrent aussi dans quantité de gravures sur cuivre.

L'école de Souabe.
L'Ecole de la Souabe a trois centres : Ulm, Augsbourg et Nordlingen

Ulm.
A Ulm, nous avons à compter avec Hans Schüchlin (vers 1440-1505). C'est un artiste de tempérament moyen, qui, ayant connu les Flamands et les Colonais, se montre influencé surtout par Stéphan Lochner et Thierry Bouts; ses tableaux (dont le principal est le retable de Tiefenbronn, imité, ce semble, par Schongauer) dénotent une connaissance remarquable de la perspective.
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Zeitblom : la Vierge et sainte Marguerite.
La Vierge et sainte Marguerite
par B. Zeitblom (munster d'Ulm)..

Son élève favori, qui devint son gendre, Barthélemy Zeitblom (de 1450 à 1517 environ), avec lequel il peignit à Munster, près d'Augsbourg, les volets d'un autel (aujourd'hui conservé à la galerie de Budapest), fut non seulement le meilleur artiste de l'école, mais encore un des maîtres les plus caractéristiques et les plus grands de l'art allemand du XVe siècle, par son respect de la vérité, la noblesse et la beauté de ses figures, le soin et la sûreté de son dessin, la beauté de son coloris, vigoureux et lumineux; mais il manque de chaleur et de passion. Ses principales oeuvres sont l'autel d'Eschbach (musée de Stuttgart; la prédelle représentant la Sainte Face est au musée de Berlin), le retable de Blaubeuren, les scènes de la Légende de saint Valentinien (musée d'Augsbourg, et surtout les autels de Herberg (musées de Stuttgart et de Sigmaringen).

Citons encore un moine de Rothenbourg, Martin Schwarz, dont les oeuvres se distinguent par une pureté, une douceur et une grâce délicieuses (Scènes de la vie de la Vierge, au musée de Nuremberg).

Augsbourg.
L'École d'Augsbourg, qui devait nécessairement se ressentir de la prospérité de cette ville commerçante, surpassa celle d'Ulm. Son peintre le plus fameux est Hans Holbein le Vieux (né vers 1460, mort entre 1517 et 1524). On possède de lui quatre panneaux (à la cathédrale d'Augsbourg) illustrant la Vie de la Vierge (1493); puis une Madone avec l'Enfant (1495); musée  de Nuremberg, des Scènes de la Passion (galerie de Donaueschingen), et l'autel de Saint-Sébastien (pinacothèque de Munich), d'une tonalité douce, claire et chaude, où les figures de sainte Barbe et de sainte Elisabeth, sur les volets, dénotent l'influence de l'Italie, qu'il avait dû visiter vers 1510. Toutes ces oeuvres se distinguent par une observation attentive, une exécution large et vive; mais, quoique Holbein soit plus dramatique que Zeitblom, elles manquent de puissance. Le style de l'ensemble est un art intermédiaire entre le réalisme terre à terre du XVe siècle et la conception plus libre, plus élégante, du XVIe Holbein le Vieux fut, en outre, un portraitiste excellent, à l'exécution large et, sous ce rapport, il annonce son fils immortel.
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Détail de l'autel de Kaisheim, par Hans Holbein, l'Ancien.

Nordlingen.
A Nordlingen fleurit Frédéric Herlin de Rothenbourg (mort en 1499 ou en 1500). Son maître-autel de l'église Saint-Georges de Nordlingen, conservé en partie au musée de cette ville, et l'autel de l'église Saint-Jacques de Rothenbourg offrent une exécution minutieuse des détails et un coloris vigureux, qui décèlent l'influence de Rogier van der Weyden, mais manquent de liberté et de largeur de facture. Sa meilleure oeuvre est un autel conservé au musée de Nordlingen (1488), dont la partie centrale représente Marie sur un trône avec l'Enfant Jésus. Ici, la liberté est plus grande, le rendu d'une extrême vérité, le coloris très beau. Aucun artiste n'a subi, comme Herlin, les influences du dehors; extrêmement instruit et habile dans tout ce qui concerne la pratique de son art, le côté technique l'emporte chez lui sur le sentiment artistique.

L'école de Franconie.
L'école de la Franconie se partage entre Bamberg et Nuremberg. Les premières oeuvres nurembergeoises (l'autel Deichsler, au musée de Berlin, vers 1410; l'autel Imhotf, à Saint-Laurent de Nuremberg, vers 1420; les volets peints de l'autel de Saint-Déocar, 1430-1440) se montrent touchées par l'idéalisme de Cologne, enveloppées de recueillement pieux, de mystique pureté.

Mais bientôt, entre 1440 et 1450, un deuxième groupe, dont l'autel Tucher, à l'église Note-Dame de Nuremberg, est le type, montre une préoccupation extraordinaire de l'expression individuelle et une passion qui va jusqu'au tragique.

Fin 1450, enfin, une révolution s'opère avec l'introduction, par Hans Pleydenwurff (1472), le maître de Wolgemut et le plus génial des peintes nurembergeois du XVe siècle, de la technique flamande et du style des van Eyck et de Rogier van der Weyden (Crucifixions, à la pinacothèque de Munich et au musée  de Nuremberg; Portrait du chanoine Schoenborn, dans ce même musée). Michel Wolgemut (1434-1519) ne fit guère que mettre en oeuvre l'apport de ses prédécesseurs, mais il le fit avec infiniment d'habileté, et son atelier, d'où sortit Albrecht Dürer, devint rapidement célèbre.
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Pleydenwurff : portrait de Lowenstein.
Portrait du chanoine G. von Löwenstein,
par Hans Pleydenwurff.

Parmi les nombreuses œuvres qu'on lui attribue avec plus ou moins de vraisemblance, citons l'autel de Hof (à Munich) et le maître-autel de l'église de Heersbruck. Un de ses élèves, Willelm Pleydenwurff (mort en 1494), fils de Hans, intéresse par la grâce lumineuse de son coloris, la pureté de son modelé et aussi par une certaine expression étrange, inquiétante, dans les physionomies de ses personnages (autel Peringsdorffer, au musée de Nuremberg).

L'école bavaroise et les autres écoles.
La Bavière, à son tour, avec des centres tels que Landshut, Ratisbonne, Munich, produit une série de maîtres habiles, qu'il serait trop long d'énumérer ici. Il en est de même de l'Autriche, avec Salzbourg, Gratz, Vienne. Le Tyrol compte Hans Mueltscher d'Innsbruck et Michel Pacher, qui était aussi sculpteur. Les créations de ce dernier se distinguent par la grandeur et la magnificence de la composition, la recherche du caractère et de la noblesse dans les figures, une facture savante, d'un réalisme vigoureux (musées de Munich et d'Augsbourg).

Il reste à mentionner les Ecoles de Silésie, de Pologne, de Bohème, de Saxe et du nord de l'Allemagne; mais on y rencontre peu d'oeuvres caractéristiques. A Breslau (Wroclaw) et à Cracovie, c'est l'influence de Nuremberg qui domine. La Bohème, à la suite des déchirements causés par la guerre des Hussites, offre un terrain peu favorable au développement des arts, et les quelques oeuvres qu'elle produit témoignent aussi de l'influence de Nuremberg.

En Saxe, il n'y a guère à citer que le maître-autel de la cathédrale de Meissen, où se voit l'influence flamande, notamment celle de Hugo van der Goes. Le Brandebourg et la Prusse enfin n'offrent que très tard des oeuvres locales, et elles sont peu typiques.

En guise de bilan...
Telle est la peinture allemande du XVesiècle. Moins fine et moins chaude que la peinture flamande contemporaine, elle a pour elle les plus sérieuses qualités techniques, en même temps que la candeur, l'invention, la verve, la variété. Si l'idéalisme triomphe chez les coloristes, chez Martin Schongauer, parfois aussi chez Holbein le Vieux ou chez Zeitblom, l'ensemble de la production garde une saveur réaliste qui dégénère trop souvent en prosaïsme ou en trivialité. L'anachronisme est la règle générale, toutes les fois qu'il s'agit de représenter des scènes de l'Ancien ou du Nouveau Testament; sous prétexte d'évocations historiques, les Herlin, les Wolgemut, les Pleydenwurff créent de vrais tableaux de genre. Il ne faut rien moins que le sérieux de leurs convictions et la limpidité de leur coloris, pour nous intéresser à leurs compositions, toujours un peu heurtées, mais riches en détails naïfs. (A. Marguillier et E. del Monte).

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