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Mode, n. m. - Ordonnance des sons de la gamme diatonique. Les modes répondent à la théorie grecque des 7 espèces d'octaves. Ils sont formés par la réunion de 2 tétracordes et se distinguent par l'ordre de succession des 5 tons et 2 demi-tons qui les composent. Leur nombre, leur classement et leurs dénominations ont varié selon les époques, et ceux des noms antiques qui ont été conservés ont passé à des échelles différentes. Le chant liturgique romain a retenu 8 modes, surnommés d'après cet usage « modes ecclésiastiques » et divisés en 4 modes authentes ou authentiques et 4 modes plagaux, ou dérivés. Ces 8 modes, inexactement appelés tons, sont désignés par des numéros d'ordre, par des noms grecs de nombre déguisés en latin, par des titres empruntés aux auteurs de l'Antiquité et changés de destination, enfin, plus simplement, par le nom de leur note finale. La concordance de ces dénominations opposées se résume dans le tableau ci-dessous: -
L'usage de désigner les octaves modales par le nom de leur ton ou degré initial de transposition est déjà signalé par des auteurs de l'Antiquité. Il prévalut dans la seconde partie du Moyen âge, mais sous l'ancienne dénomination de « ton » (« ton » dorien ou Ier ton, de ré, etc.), et, à partir du XVIe s., mais surtout dans l'école allemande, sous le nom de « mode » (« mode » dorien, expression impropre en ce sens). On connaît l'andante justement goûté du Quatuor de Beethoven, intitulé in modo lidico, en réalité du mode de fa sans accident. C'est par la note finale que se fait reconnaître le mode. Les mélodies liturgiques à finale authente embrassent souvent l'octave, celles des modes plagaux ne dépassent pas ordinairement le tétracorde. Les théoriciens latins n'admettent pas le mode de ré aigu pour tetrardus plagal, à cause de la rareté des chants qui lui appartiennent et ils donnent de préférence ce nom à la position au grave du mode de sol. L'exécution du chant liturgique exige une transposition de presque tous les modes, qui les fasse correspondre à l'ambitus moyen des voix; cette transposition s'effectue en prenant les finales dans l'ordre contraire à celui de la notation et en donnant à la note ou ton sur lequel on termine le même nom qu'au mode transposé : Finale notée, ton d'exécution du mode-
Pour les modes en hypo, on prend leurs dominantes sur le ton de la dominante du mode authente correspondant : Dorien, finale mi, dominante si = transposé ré, finale ré, dominante la.Mais sur quelque degré de l'échelle qu'un mode puisse être transposé, il conserve le nom qui définit sa constitution : Mode de Ré (ton dorien; Mode phrygien et éolien transposé; protus, authente; 1er ton ecclésiastique).Le nombre de 8 modes, admis dans la pratique du chant liturgique, n'épuisait pas les combinaisons produites par l'interversion des tétracordes dans la double division, harmonique et arithmétique, de l'octave. A plusieurs reprises, les théoriciens et les compositeurs essayèrent donc d'augmenter le nombre des modes. Glaréan écrivit dans ce but son grand traité latin, intitulé d'un mot grec, Dodecachordon (1547). Il y expose la formation de 14 modes, dont deux sont rejetés et laissent le nombre fixé à 12. Notés dans le sens descendant, ces modes sont : Dorien, Ré-la-ré et hypodorien, La-ré-la; Phrygien, Mi-si-mi et hypo-phrygien, Si-mi-si; Lydien, Fa-ut-fa, et hypolydien, Ut-fa-ut; Mixolydien, Sol-ré-sol, et hypermixolydien, Ré-sol-ré; Éolien, La-mi-la, et hypoéolien, Mi-la-mi; Hyperéolien, Si-fa-si (rejeté), et hyperphrygien, Fa-si-fa (rejeté); Ionien, Ut-sol-ut, et hypoionien, Sol-ut-sol.C'est pour mettre en pratique cette théorie, exposée, après Glaréan, par Zarlino (1558) et par Salinas (1577), que Claude Le Jeune composa son recueil de psaumes huguenots, à plusieurs voix, publié sous le titre de Dodécacorde (1598) et G. Guillet, un livre de 24 fantaisies instrumentales à 4 parties disposées selon l'ordre des 12 modes (1610). Mais en même temps, une autre classification, partant de la gamme majeure, s'était fait jour, et divers auteurs de cette même époque, tout en gardant la division en authentes et en plagaux, comptaient comme 1er mode, celui de ut; 2e, ré, sans accidents; 3e, mi; 4e, fa, etc. En 1678, Giovanni Maria Bononcini fit paraître, pour servir d'exemple et de complément à son traité Il musico prattico, une suite de 13 madrigaux à 5 voix dont les 12 premiers étaient disposés dans l'ordre des 12 modes et le 13e, dans un « mélange de tous les modes ». Pierre Maillart, en 1610, publia son Traité des tons pour soutenir le choix des 8 tons ecclésiastiques et repousser les conclusions de Glaréan. Fidèles aux traditions littéraires de l'Antiquité et du Moyen âge, les auteurs du XVIe s. attribuaient un sens expressif à chaque mode, voulant qu'un texte « louable et modeste » fût mis en musique dans le 1er et le 8e mode, un texte « aspre et dur », dans le 3e ou le 7e, et qu'enfin, à des paroles « pitoyables ou lamentables », il fallût une mélodie du 4e ou du 6e mode. Ces caractères pouvaient se faire jour dans une musique homophone, où toutes les propriétés de relation successive des tons étaient mises entièrement en valeur; à mesure que l'art harmonique progressait, d'autres éléments expressifs entrèrent en ligne de compte et les nuances particulières à chaque mode tendirent à s'effacer parmi les superpositions de dessins contrepointiques se résolvant en accords. Les essais de chromatisme achevèrent d'entraîner la musique vers un système nouveau de modalité, réduit à un mode unique, dit mode majeur, avec un mode subordonné, le mode mineur, susceptibles tous deux de transposition sur chacun des degrés de l'échelle et d'échanges mutuels. Le mode majeur, ayant les demi-tons placés à l'aigu de ses deux tétracordes, entre le 3e et le 4e et entre le 7e et le 8e degrés, n'est autre que le mode de ut, 5e et 6e modes ecclésiastiques; il a pour tonique le ut, qui était la finale du mode, et en conserve la dominante, sol. La forme du mode majeur est rendue sensible à l'oeil par une échelle à barreaux mobiles. L'octave diatonique étant composée de 5 tons et 2 demi-tons, le placement des demi-tons sera représenté à l'oeil par le rapprochement de deux barreaux. Soit pour le mode majeur, où les demi-tons se trouvent entre le 3e et le 4e et entre le 7e et le 8e degrés : L'expression : « échelle », est de ce fait souvent employée à la place de mode. La suprématie ou plus exactement la domination unique du mode majeur sur tout le système musical moderne résulte du caractère normal de ce mode, qui forme la base du langage sonore et dont les éléments se reconnaissent dans les formes mélodiques des peuples anciens ou exotiques, si bien que l'on est fondé à le regarder comme naturel. La dépendance du mode mineur est soulignée par le titre de relatif qui lui est accolé, et par la similitude, d'armure, dans la notation. Son incertitude, qui en marque la nature artificielle, s'exprime dans les trois formes que revêt sa gamme, dont une seule comporte la même disposition dans les deux sens, ascendant et descendant. L'armure étant celle du ton majeur dont le mineur est relatif, celui-ci, en montant, abaissera d'un demi-ton chromatique la tierce et la sixte, et placera par conséquent le demi-ton entre les 2e et 3e et les 7e et 8e degrés; en descendant, tous les degrés seront naturels. Une seconde forme du mineur, dérivée du mode phrygien (ou ton dorien), avec l'adjonction d'une sensible, a donné : De même qu'au XVIIe s. le système du mode majeur fut adopté comme une réaction contre la pluralité des modes, incompatible avec les développements de l'art harmonique, de même, aux époques ultérieurs, se dessine une réaction contre l'autocratie du mode majeur, dont les combinaisons paraissent épuisées. Déjà quelques musiciens du XVIIIe s. s'inquiétaient de l'étroitesse des limites fixées. Blainville, en 1751, proposa l'essai d'un « mode mixte », ou « 3e mode », ajouté aux modes majeur et mineur, qui était le mode de mi, dit mode phrygien, du système modal ecclésiastique; il repoussait d'ailleurs l'idée d'établir d'autres modes sur chaque degré de la gamme diatonique, ce qui eût été simplement un retour aux traditions antiques et médiévales abandonnées. A partir du XXe s, les tentatives de création de modes nouveaux ou d'adoption de modes empruntés au folklore ou aux musiques exotiques, ont été nombreuses. Les modes antiques ont connu aussi des formes chromatiques et enharmoniques, n'ayant d'ailleurs rien de commun avec ce que la théorie en usage depuis quatre siècles nomme ainsi. N'ayant laissé que très peu de traces dans le chant ecclésiastique occidental, d'où l'enharmonisme a disparu depuis le XIe s., ces formes se sont perpétuées et amplifiées dans la musique byzantine et dans les arts voisins, ou dérivés, des Perses, des Arméniens, des Arabes et des Turcs. La base du chromatisme antique consiste dans la modification du 3e ton d'un tétracorde; l'enharmonisme consistait à diviser le demi-ton en deux quarts de ton, en excluant, à l'époque archaïque, la tierce : Il est hors de propos de parler ici des diverses variétés de ces genres, qui n'ont pas laissé de trace dans notre musique classique. | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Au Moyen âge, XIIIe et XIVe s., les modes, ou modus, plur. modi, appelés aussi maneries, sont des formules rythmiques formant 2 groupes principaux, les modes à 2 et les modes à 3 éléments, qu'on aurait tort d'assimiler aux principes binaire et ternaire-: leur classification et leur construction, qui repose sur les souvenirs de la métrique ancienne, a varié selon l'époque et selon les auteurs, de telle sorte qu'il est essentiel, pour tenter l'interprétation d'un document noté, d'en observer, la date et la provenance. Dans les oeuvres des troubadours et des trouvères, Beck distingue deux sortes de modes à 2 éléments, tous deux ternaires et formés de la succession d'une longue de deux temps et d'une brève de un temps : dans le 1er mode, la longue précède la brève, ce qui répond. au pied trochaïque des anciens | | | | dans le 2e mode, la brève précède la longue (pied iambique) | | | |. Le 3e mode à 3 éléments, est formé d'une longue parfaite de 3 temps, une brève de 1 temps et une « brevis altera » de 2 temps, le tout s'exprimant par une mesure, à 6/4 de la notation moderne, ainsi disposée : | . | . | etc. Mais les théoriciens des XIIIe-XIVe s., hantés par les doctrines littéraires de l'Antiquité, ne comptent pas moins de 6 modes, sur le classement et la composition desquels ils sont loin de s'accorder, et qu'ils s'efforcent de conformer aux anciennes formes métriques, trochée (1er mode), ïambe (2e mode), dactyle cyclique (3e mode), anapeste, molosse, etc. Les modes rythmiques disparurent de l'usage et de la théorie musicale lorsque les signes de la notation proportionnelle se trouvèrent assez nombreux et assez précis pour exprimer à l'oeil les diverses valeurs de durée des sons. (Michel Brenet). |
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