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Gamme, n.
f. - Succession des sons choisis dans l'échelle
générale des sons perceptibles, ordonnés en séries
régulières et employés dans la composition
musicale. Étant donné que l'unisson et l'octave,
quel que soit le mode de production du son, restent invariablement situés
dans la proportion 1 : 2, la constitution d'une gamme sera complète
dans l'intervalle d'une octave.
Le nom de gamme vient de la lettre grecque
G, qui représentait un son placé au-dessous du premier degré
de l'échelle modale et appelé gamma. Les notes de
la gamme composant les modes du plain-chant
étaient figurées par des lettres : A, B, C, D,
E, F, G, a, b, c, d, e, f, g. Gui d'Arezzo
passe pour avoir créé les dénominations actuelles
: ut (do), ré, mi, fa, sol, la, si, en les empruntant aux
premières syllabes commençant les vers de l'hymne
de saint Jean.
Ut
queant Iaxis
Resonare
fibris
Mira Restorum
Famuli tuorum
Solve polluti
Labii reatum
Sancte Iohannes.
Ces noms devinrent presque universellement
employés, les Allemands
seuls sont revenus aux désignations grégoriennes : A,
B, C, etc. En même temps, ils créaient pour les notes
altérées des monosyllabes: es pour les notes bémolisées
et is pour les notes diésées. Exemple : ges
(sol bémol), gis (sol dièse)
(Solmisation).
On distingue dans la tradition musicale
européenne trois sortes de gammes : la gamme diatonique composée
des sept sons diatoniques, la gamme chromatique, composée
de douze sons chromatiques et la gamme enharmonique,
composée de dix-huit sons enharmoniques
non tempérés. S'y ajoutent les gammes dites exotiques
ou dissidentes.
Gamme diatonique.
La Gamme diatonique, composée
de 5 tons et 2 demi-tons, est le fondement de l'art européen. Elle
se déduit de l'enchaînement dès quintes
justes ascendantes fa-ut-sol-ré-la-mi-si, ramenées
par transposition à l'état le plus rapproché, qui
forme la succession diatonique naturelle, ut,
ré, mi, fa, sol, la, si. La détermination des rapports
créés par cette transposition entre les intervalles donne
lieu à des divergences qui s'expriment dans 3 formules dites Gamme
de Pythagore, Gamme de Zarlino et Gamme tempérée.
Gamme
de Pythagore.
La Gamme de Pythagore, appelée
quelquefois Gamme des physiciens, fut pratiquée tant que
l'art musical demeura purement mélodique et ne fut mélangé
que de quelques consonances isolées. Les expériences de Cornu
et Mercadier ont démontré en effet l'excellence de cette
gamme au point de vue mélodique, en même temps que sa défectuosité
quant à la composition harmonique. On ne peut, en s'y conformant,
produire aucun accord parfait sans battements;
mais les chanteurs et les violonistes
s'en rapprochent parfois instinctivement dans le solo, parce qu'ils y trouvent
une netteté, un peu dure, d'intonation, qui semble favorable à
l'exécution.
Gamme
de Zarlino.
La Gamme de Zarlino, réglée
au XVIe s. par le théoricien et
compositeur italien de ce nom, servit les intérêts nouveaux
de la musique, où triomphait alors le style polyphonique vocal;
elle permettait d'obtenir, sans battements, les accords consonants en sons
simultanés. Comparée à la gamme de Pythagore,
la gamme de Zarlino présente pour la contenance, ou l'ambitus,
de la tierce, de la sixte et de la septième, une différence
d'un comma, petit intervalle exprimé par
la fraction 81/80, presque identique à l'unisson,
placé à la limite de la perception auditive et appréciable
seulement dans le solo ou dans l'exécution d'accords
très simples et soutenus. Les musiciens accoutumés à
se tenir exclusivement sur le terrain pratique ont quelque peine à
comprendre que d'aussi faibles divergences aient suscité d'âpres
discussions.
Gamme
tempérée.
Mais plus vives encore furent celles qu'engendra,
aux XVIIe et XVIIIe
s., l'établissement de la Gamme tempérée, sorte
de compromis rendu nécessaire par les progrès de la musique
instrumentale la construction des instruments à sons fixes, la tendance
à la modulation et au chromatisme. Jean-Sébastien
Bach en consacra l'adoption par son recueil de 48 préludes et
fugues intitulé Le Clavecin bien
tempéré. En faussant systématiquement les rapports
des intervalles, la gamme tempérée divise l'octave en 12
demi-tons égaux, que traduit la division théorique
de l'octave en 301 savarts et 12 demi-tons de chacun 25 savarts, ou celle
du physicien anglais Ellis en 1200 cents et 12 demi-tons de chacun 100
cents.
On résume clairement la formation
des 3 gammes en un tableau ainsi disposé :
-
- |
Unisson |
Seconde |
Tierce |
Quarte |
Quinte |
Sixte |
Septième |
Octave |
Gamme
de Pythagore |
1
|
32/23
|
34/26
|
4/3
|
3/2
|
33/24
|
35/27
|
2
|
Gamme
de Zarlino |
1
|
9/8
|
5/4
|
4/3
|
3/2
|
5/3
|
15/8
|
2
|
Gamme
tempérée |
1
|
2.(2/12)
|
2.(4/12)
|
2.(5/12)
|
2.(7/12)
|
2.(9/12)
|
2.(11/12)
|
2
|
-
|
ut
(do)
|
ré
|
mi
|
fa
|
sol
|
la
|
si
|
ut
|
Gamme
diatonique et modes.
De quelque manière qu'on en règle
la formation arithmétique et quelle que soit la contenance en plus
ou en moins des intervalles qui s'y succèdent, la Gamme diatonique,
composée de cinq tons et deux demi-tons, donne naissance aux Modes
de l'antiquité gréco-romaine et du chant
liturgique, différenciés entre eux par l'ordre de succession
des intervalles et dont un seul, ayant pour gamme-type la série
des sons naturels ut, ré, mi, fa, sol, la, si, préside
depuis quatre siècles, sous le nom de mode majeur, aux destinées
de la musique moderne.
Les transpositions, ou tons, indiquées
à l'armure de la clef
par les altérations constitutives, n'en
modifient pas la structure, mais seulement l'emplacement dans l'échelle
générale des sons.
La gamme du mode mineur n'a pas cette fixité.
Elle se caractérise. par l'abaissement de la tierce et par la variabilité
dans la position du 6e ou du 7e
degré. Maintenus dans la sujétion du mode majeur, ses tons
s'inscrivent sous l'armure du ton majeur dont ils sont relatifs, selon
3 formules différentes qui, énoncées dans le ton de
la mineur, ton relatif d'ut majeur et noté comme celui-ci sans aucun
signe d'altération à la clef, se présentent ainsi
:
Gammes chromatique
et enharmonique.
La Gamme chromatique se forme par
l'intercalation, entre les 7 degrés de la gamme diatonique, de 5
demi-tons chromatiques, obtenus par l'emploi des altérations accidentelles.
Elle comprend donc la totalité des 12 sons de la gamme tempérée;
mais les variantes de sa rédaction y font reconnaître un extrait
de la Gamme enharmonique, qui, par la distinction du bémol
et du dièse, se compose théoriquement de 17 sons, ut,
ré bémol, ut dièse, ré, mi bémol,
ré dièse, mi, fa, sol bémol, fa dièse, sol,
la bémol, sol dièse, la, si, bémol, la dièse,
si. Le dièse et le bémol,
différenciés dans la gamme pythagoricienne, ou chroma-commatique,
par l'intervalle d'un comma, soit 81/80, s'y
« recouvrent »
pour ainsi dire et chevauchent l'un sur l'autre, le ré bémol
descendant d'un comma au-dessous de l'ut (do) dièse, et réciproquement,
l'ut dièse montant d'un comma au-dessus du ré bémol.
Leur assimilation dans la gamme tempérée
annule, sous le rapport auditif, une distinction que d'autre part la voix
humaine est incapable de réaliser exactement, dans le cas où
les deux sons enharmoniques se succèdent sans intermédiaire,
mais qui reste obligatoire dans l'écriture ou plus précisément
dans l'orthographe musicale.
Les gammes exotiques
ou dissidentes.
L'étude des Gammes dissidentes
achève d'élargir notre conception de la valeur respective
des diverses manières pratiquées pour la division de l'octave.
Gamme
pentaphonique.
La Gamme pentaphonique ou gamme
de cinq sons, qui se construit selon 4 modes différents dans la
musique chinoise, a existé à une époque reculée
dans l'Europe occidentale et subsiste au moins partiellement dans quelques
chants populaires traditionnels de Grande-Bretagne (Écosse, Pays
de Galles et Angleterre); la succession qu'elle y présente, ut,
ré, fa, sol, si bémol, se compose de 3 tons et 2 intervalles
de chacun un ton et demi.
Gamme
par tons entiers.
La Gamme de six sons, ou Gamme
par tons entiers, dont Claude Debussy et
d'autres ont tiré des effets mélodiques très neufs
et des combinaisons harmoniques très hardies, est privée
de note sensible; elle s'écrit et sonne à l'oreille ut,
ré, mi, fa dièse, sol dièse, la dièse;
on en explique la formation; selon la doctrine antique des tétracordes,
par la jonction enharmonique de 2 tétracordes, ut, ré,
mi, fa dièse, - sol bémol, la bémol, si bémol,
ut. Elle est d'ailleurs transposée et notée diversement
par les maîtres qui en font usage, sans sortir des limites de la
gamme tempérée. Il ne suffit aucunement à celle-ci
de dire que la gamme chromatique ascendante, partant de la tonique ut,
se forme par l'addition de 5 dièses à la série des
7 notes naturelles, et que la gamme chromatique descendante se forme pareillement
par l'intercalation de 5 bémols. Ces deux formules représentent
seulement le premier et le dernier des six types déterminés
par Gevaert pour la constitution de la gamme
chromatique dans chacun des tons, ou transpositions, du mode majeur diatonique,
et qui correspondent aux exigences diverses de la construction mélodique
ou harmonique.
Gamme
orientale.
La Gamme orientale, sur laquelle Auguste
Chapuis a composé une Suite pour le piano, est formée
d'un ton, 4 demi-tons et 2 intervalles de un ton et demi, que l'auteur
note ré, mi, fa, sol dièse, la, si bémol, ut dièse,
ré (soit avec ut pour tonique, ut, ré, mi bémol,
fa dièse, sol, sol dièse, si, ut).
Gamme
énigmatique.
La Gamme énigmatique énoncée
par Verdi comme thème d'un Ave Maria
à 4 voix (1901) et formée de 2 tons, 2 demi-tons et 2 intervalles
de un ton et demi, ut, ré bémol, mi, fa dièse,
sol dièse, la dièse, si, ut, est une succession arbitraire,
née de la fantaisie de l'artiste et qui amenait d'assez grandes
difficultés d'exécution pour faire reculer l'Académie
Sainte-Cécile, de Rome, lorsqu'elle entreprit
de faire entendre le morceau.
Exécution
des gammes.
L'exécution des gammes diatoniques
et chromatiques, montantes et descendantes, est un des principaux exercices
de mécanisme vocal et instrumental imposés aux élèves,
pour l'acquisition d'un chant ou d'un jeu coulant,
souple et agile; aussi ne compte-t-on plus les recueils de gammes dans
tous les tons et toutes les positions qui ont été publiés
depuis deux siècle pour la voix ou pour chaque instrument. L'exécution
brillante et nuancée de « roulades » embrassant
toutes les meilleures notes de leur voix procurait
aux grands chanteurs italiens des succès assurés; les gammes
en staccato ou en octaves, et jusqu'à celles qu'on obtenait déjà
au XVIIIe s. sur le clavecin
et la harpe par le procédé empirique
du glissando, ne manquaient pas davantage leur
effet. En dehors de cette utilisation matérielle pour l'enseignement
ou la virtuosité, les gammes entières ou par fragments offrent
en composition des ressources qui les ont fait employer de tout temps dans
le travail thématique comme élément mélodique,
agent de modulation, formule ornementale
ou épisodique, moyen de variation
et d'enrichissement dans la texture des parties.
Plusieurs musiciens des anciennes écoles
ont pris la gamme par hexacordes, ut, ré,
mi, fa, sol, la, pour thème de grandes compositions contrepointiques
: c'est le « sujet » d'une messe
de Josquin Després (mort en 1521), d'une Fantaisie instrumentale
à 5 parties, de du Caurroy (1600), d'une Fantaisie, pour
la virginale, de J. Bull, d'un caprice de Frescobaldi
(1624). A l'époque classique, les maîtres ont usé des
gammes montantes et descendantes comme d'un dessin mélodique, les
disposant en réponses entre diffé rents groupes d'instruments
(Symphonie Jupiter, de Mozart; Symphonie
en la, de Beethoven), en «
rentrées » véhémentes ou gracieuses (Symphonie
héroïque, de Beethoven, scherzo
du Songe d'une nuit d'été, de Mendelssohn),
en dessins accessoires servant de liaison entre deux fragments thématiques,
etc. Mais c'est surtout dans le style descriptif
que le mouvement ascendant ou descendant
d'une gamme rapide ou solennelle vient faire image et souligner clairement
une intention précise. L'Invocation à la nature de
La Damnation de Faustde
Berlioz (1848) est déclamée parmi
la rumeur magnifique de gammes qui se précipitent vers les profondeurs
de l'échelle sonore la lecture d'un seul des drames de Wagner,
et notamment du 2e acte de La Walkyrie,
montre l'usage qu'a fait constamment ce maître des séries
empruntées aux gammes diatoniques ou chromatiques pour la constitution
de ses leit-motive et leurs rattachements. (Michel
Brenet). |
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