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Doigté,
n. m. et adj. 2 g. - Manière de placer les doigts dans le jeu des
instruments. Indication écrite
de l'ordre le meilleur pour employer les doigts dans l'exécution
d'un morceau. Qualificatif d'une édition munie de chiffres appropriés
au placement des doigts.
Le doigté de la main gauche sur
le manche des instruments à cordes se marque ordinairement par les
chiffres 1 pour l'index, 2 pour le médius, 3 pour l'annulaire et
4 pour le petit doigt. Le zéro représente la corde à
vide. Le jeu de violoncelle comporte
l'emploi du pouce, posé transversalement sur le manche pour servir
de sillet mobile et faciliter l'obtention d'intervalles autrement inabordables.
L. Capet se sert des chiffres 1 à 5 pour indiquer la place des cinq
doigts dç la main droite tenant l'archet du violon.
Le doigté des instruments à
clavier est celui qui a subi le plus de transformations. Chez l'organiste
Ammerbach (XVIe s.), le pouce est indiqué
par le zéro, les doigts suivants, par les chiffres 1 à 4,
mais le dernier n'est presque jamais employé; la gamme montante
se joue à la main droite sans l'usage du pouce ni du petit doigt,
par 1, 2, 1, 2, 1, 2, 3, et à la main, gauche par 3, 2, 1, 0, 3,
2, 1, 0; l'accord de tierce est frappé par l'index et l'annulaire,
les quarte, quinte,
sixte, par l'index et l'auricu laire, la 7e
et l'octave par le pouce et le petit doigt.
Les organistes espagnols, Bermudo (1555),
Santa-Maria (1565), H. de Cabezon (1578), usent d'un doigté complet
avec les cinq doigts, mais Cabezon, qui publie les oeuvres de son père,
déclare que le doigté habituel n'y pourra pas toujours être
suivi et consent que chacun agisse à sa guise. Praetorius
(1619) attache peu d'importance au doigté, « pourvu que l'exécution
soit claire, correcte et agréable ». Diruta, rédigeant
les leçons de Merulo (1593), distingue les « bons doigts »,
qui sont l'index et l'annulaire, des « mauvais doigts », pouce,
médius et auriculaire, qu'il faut réserver aux notes
faibles; il marque le doigté de 1 à 5 et prescrit pour la
gamme ascendante, à la main droite, 2, 3, 4, 3, 4, 3, 4, 5 et, à
la main gauche, 3, 2, 3, 2, 3, 2, 3, 2. Saint-Lambert (1702) remplace,
au clavecin, ces formules, par 1, 2, 3, 4, 3, 4, 3, 4, à la main
droite, en montant, et 5, 4, 3, 2, 3, 2, 3, 2 en descendant; à l'égard
des accords, il écrit :
«
Il n'y a rien de plus libre dans le jeu du clavecin que la position des
doigts; chacun ne recherche en cela que sa commodité et sa grâce
».
Couperin (1717)
est au contraire persuadé que « la façon de doigter
sert beaucoup pour bien jouer » il s'occupe de fixer, entre autres,
le doigté des suites de tierces, qu'on marquait avant lui 42,
42 et, qu'il fait jouer, à la main
droite, en montant, 42,53,42,53,
et inversement en descendant; il exécute le trille,
à la main droite, par 3, 4, ou 4, 5, à la main gauche par
1, 2, ou 2, 3. Il se sert du doigté de substitution (voy. plus loin).
Rameau, en traitant
de « la Mechanique des doigts sur le clavecin », exclut le
pouce de tous les accords et frappe l'accord parfait des trois doigts du
milieu; il formule cependant pour premier exercice les cinq notes do, ré,
mi, fa, sol, fa, mi, ré, do, à jouer « à main
posée », selon l'ordre naturel des cinq doigts. A cette époque,
la théorie du doigté paraissant enseignée une fois
pour toutes par les ouvrages didactiques, les compositeurs s'abstenaient
de poser sur la musique elle-même des chiffres indicateurs.
C'est par exception que J.-S.
Bach a donné de rares notions de son doigté, que les
exécutants modernes s'étonnent de trouver tortueux et, en
apparence incompatible avec les traits rapides dont ses oeuvres sont remplies.
Mais on conclut, d'autres indices,, que son doigté était
en réalité varié et qu'il pratiquait le passage du
pouce et son placement sur deux degrés dans l'étendue de
l'octave. La sécheresse du clavecin, dont les cordes pincées
ne fournissaient pas de sons soutenus, rendait d'ailleurs inutile le doigté
lié, auquel on arriva dès que le mécanisme des marteaux
eut transformé la sonorité de l'instrument. Le doigté
nouveau de Clementi, en partie inspiré de celui d'Emmanuel Bach,
supprimait les chevauchements du médius par-dessus l'index et appelait
le pouce à un rôle actif, tout en maintenant sa prohibition
sur les touches noires.
Le doigté du piano,
depuis cette époque, devint la grande affaire des pédagogues,
Cramer, Hummel, Czerny, etc. Les maîtres, au contraire, et Beethoven
tout le premier, s'en préoccupaient peu; ils posaient dans leurs
oeuvres des problèmes que les exécutants résolvent
à leur gré et dont les professeurs proposent des solutions
diverses dans la multitude des « éditions doigtées
». Les chiffres comparés d'éditions publiées
à un demi-siècle de distance montrent les changements que
le temps apporte dans cette partie de la technique instrumentale. L'accroissement
de la virtuosité exige une latitude plus grande dans le choix des
procédés. En même temps, le règne du chromatisme
oblige à rejeter toutes les précautions anciennes visant
à empêcher le placement de certains doigts sur les touches
noires. L'indication des doigtés est inutile au delà des
études préparatoires.
En s'en abstenant dans ses Douze études
(1915), Debussy a fait valoir, en termes aussi
sensés que narquois, qu' « imposer un doigté ne peut
logiquement s'adapter aux différentes, conformations de la main
», que « douter de l'ingéniosité des virtuoses
modernes serait malséant » et que « l'absence de doigté
est un excellent exercice ». |
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