|
Dissonance,
n. f. - Intervalle qui ne satisfait pas à l'idée de repos
et doit, pour y atteindre, être suivi de sa résolution sur
une consonance. Cette définition
classique entraîne la répartition des intervalles entre ces
deux catégories. Mais cette répartition ne peut avoir rien
de fixe. Elle a varié à chaque époque et continue
de varier sous nos yeux en doctrine et en pratique. Le jugement de l'oreille
ne suffit pas à l'opérer, et la proposition d'un critérium
basé sur les rapports simples échoue, faute de pouvoir elle-même
s'énoncer incontestablement.
Dans l'Antiquité
et le haut Moyen âge, seuls étaient
considérés comme formant consonance les intervalles de quinte,
de quarte, son complément (ou son renversement),
et d'octave; les autres intervalles étaient
donc tenus pour dissonants. L'emploi des uns et des autres différenciaient
certains genres. L'incertitude commence, historiquement, dès l'aurore
de la composition harmonique. Presque à la même date, Francon
de Cologne et l'anonyme français de Coussemaker (XIIIe
s.) comptent chacun six dissonances, qui sont, chez l'un, les deux secondes,
le triton, la sixte mineure et les deux septièmes chez l'autre les
deux secondes, les deux quartes et les deux septièmes. La quarte
surtout embarrasse les théoriciens.
Francon la déclare consonante par
elle-même, dissonante par son usage; un peu plus tard, on en fait
une consonance mixte, ou neutre. On enseignera plus tard que «
tout ce qui n'est pas consonance est dissonance » (Durand), ce qui
n'explique rien, puisque toutes les secondes, septièmes, neuvièmes
et tous les intervalles augmentés ou diminués sont des dissonances.
Ensuite on divise celles-ci en dissonances diatoniques
et chromatiques, les premières étant
formées de deux sons appartenant à la même gamme, les
autres ne pouvant exister sans le secours d'une altération chromatique.
A cela s'ajoute la distinction des cas, qui engendre de nouvelles catégories.
La dissonance artificielle résulte d'un retard ou d'une prolongation.
En recherchant dans les oeuvres des maîtres l'application de ces
principes, on arrive à reconnaître que « le classement
des intervalles en consonances et dissonances est arbitraire ». Aussi
a-t-il disparu du Traité d'harmonie de Gevaert
(1907).
En dehors des trois accords parfaits majeur
et mineur et de quinte diminuée, Vinée (1909) conteste qu'il
puisse exister des accords consonants, ce qui l'amène à proposer
les dénominations d'accords bidissonant, tridissonant,
etc., dictées par le nombre et la nature des composantes de l'accord.
La propriété expressive de la dissonance a été
reconnue depuis les origines de l'art harmonique; c'est à ce titre
qu'elle s'est largement acclimatée chez les madrigalistes
italiens du XVIe s. et chez les premiers
auteurs d'opéras, en entraînant
une révolution dans la tonalité. Tant soit peu réprimée
pendant la période classique, elle triomphe à la fin du XIXe
s. chez les compositeurs dramatiques et les musiciens descriptifs, qui
en font un usage intensif dans la traduction des sentiments ou la
peinture des faits extérieurs.
Des dissonances et des accords naguère
défendus se rencontrent aussi en des oeuvres de musiciens «
conservateurs ». Lenormand a relevé chez Saint-Saëns
des « appogiatures en accords
de quinte diminuée » destinés à représenter
les souffrances d'Hercule sous la tunique de
Nessus. Wagner, beaucoup
moins révolutionnaire en harmonie
que dans toutes les autres directions de la pensée musicale, a poursuivi
la recherche de l'expression dans le choix des intervalles et des accords,
comme dans celui des tonalités et des timbres. Dans les études
qui ont été faites de son vocabulaire technique, il a été
démontré que l'intervalle de seconde majeure se trouve, en
des cas notoires, associé à l'idée d'attente ou d'inquiétude,
celui de seconde mineure, à l'expression de la haine, la quarte
augmentée, à l'angoisse et à la peur, l'accord de
neuvième, au désir, celui de neuvième diminuée,
à la douleur.
L'effet de la dissonance sur la sensibilité
auditive se modifie d'ailleurs profondément par les nuances d'intensité
et les conditions de mélange ou d'isolement. Certains intervalles
qui paraissent rudes dans le forte ou quand on les met en évidence,
acquièrent une douceur pénétrante dans la demi-teinte
ou lorsqu'ils s'incorporent à une agrégation de sons plus
nourrie.
L'impression de dissonance s'accentue à
mesure que le contact se rapproche. Là seconde, beaucoup plus âpre
que son renversement, la septième, passe avec raison pour être
l'intervalle le plus dissonant; cependant on la voit procurer aussi bien
des couleurs atténuées que des éclats de violence;
en la maintenant dans le pianissimo, Debussy
lui fait évoquer l'écho mystérieux de quelque guitare
lointaine, comme dans la sérénade
de son Children's Corner, et Ravel, l'insaisissable frôlement
d'un vol d'oiseaux de nuit ou d'êtres fantastiques (Miroirs, Oiseaux
tristes).
Dukas, pour rendre le cri sauvage et triomphal
de la foule qui vient de maîtriser Barbe-bleue, fait tenir pendant
3 mesures, en pleine force, l'accord ut dièse, sol, la, ut dièse,
ré, la, où se juxtaposent la quinte diminuée ut dièse-sol,
les deux secondes sol-la et ut dièse-ré, et les deux quartes
sol-ut dièse (triton) et la-ré. Les oeuvres des Russes Scriabine
et Stravinsky et de l'Autrichien Schönberg marquent un mouvement de
plus en plus prononcé vers l'égalité théorique
de la consonance et de la dissonance. Les modernes, dit Lenormand, «
emploient, des accords n'ayant aucune signification tonale, écrits
uniquement pour leur sonorité et le rapport qu'ils ont avec les
paroles ». (M. Brenet). |
|