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Les Catacombes de Paris

Catacombes de Paris (XIVe 'arrondissement). - On a donné le nom de Catacombes, en référence aux catacombes de l'Antiquité, au grand ossuaire installé à la fin du XVIIIe siècle dans les anciennes carrières creusées sous Paris.

Dans des circonstances géologiques favorables, c.-à-d. quand les gisements de matériaux sont à proximité, l'ouverture des carrières coïncide avec l'origine des cités; et, réciproquement, l'abondance et la variété des matières influent sur le développement des centres de population. La ville de Paris, la remarque en a été faite bien des fois, vérifie cette observation générale. On croit que Paris naissant et limité à l'île de la Cité, exigeait déjà la mise à contribution des gisements les plus rapprochés, qui se rencontraient sur les pentes de la montagne Sainte-Geneviève et de la vallée de la Bièvre. Débordant toujours de ses limites antérieures, la ville envahissait incessamment de nouveaux territoires, d'abord étrangers à son domaine. Ce phénomène, commun à toutes les villes qui se développent, a été des plus intenses pour Paris qui s'est agrandi à la fois dans toutes les directions et de la façon prodigieuse qu'on sait. 

Aussi les exploitations auxquelles se prêtait la nature variée du sol se sont-elles retirées devant l'extension continue de la population, s'éloignant ainsi toujours plus du reste de la cité. Mais, pendant un grand nombre de siècles, les exploitations furent abandonnées à elles-mêmes, soumises à aucune espèce de surveillance, entreprises sans autorisation, portées çà et là sans distinction et sans connaissance des limites des propriétés, enfin uniquement livrées à l'aveugle routine et à la plus ou moins grande activité des extensions. Il est facile de concevoir et de présumer tous les abus qui doivent résulter d'un mode d'exploitation aussi vicieux. D'après cela, on s'explique qu'une grande proportion du sol de Paris ait été sous-minée et qu'après un temps assez long l'existence des vides souterrains ait été perdue de vue, à ce point qu'on n'avait de connaissances précises que pour les seules carrières restées accessibles, c.-à-d. pour la moindre partie des anciennes exploitations. Parmi ces dernières se comptaient assurément les carrières en cavages, exploitées par piliers tournés, et dont les excavations demeurent vides, après l'abandon des chantiers.

Dans la description qu'il a faite des catacombes de Paris, Héricart de Thury, inspecteur général des carrières de la Seine, en 1815, se livre à des recherches intéressantes sur l'historique des carrières dont il est ici question. Il estime que les premières extractions furent faites à découvert et par tranchées ouvertes dans les flancs des collines qui entouraient l'antique Lutèce. On a retrouvé des vestiges de ces anciennes extractions au bas de la montagne Sainte-Geneviève, sur les rives de l'ancien lit de la Bièvre, dans l'emplacement de l'abbaye Saint-Victor, celui du Jardin des Plantes et le faubourg Saint-Marcel. Depuis cette époque reculée jusqu'au XIIe siècle, les pierres de construction furent fournies à la cité parisienne par les carrières qui furent exploitées vers les endroits que l'on appelle aujourd'hui boulevard Saint-Michel, place de l'Odéon, anciennes barrières d'Enfer et Saint-Jacques, vers lesquelles sont établies les catacombes. Les agrandissements successifs et les besoins sans cesse renaissants de la ville eurent pour conséquence naturelle une grande extension donnée aux vides et excavations pratiqués dans les carrières que nous venons de désigner. Lorsque les déblais nécessaires et l'épaisseur du recouvrement de la masse de pierre rendirent l'exploitation à découvert trop pénible ou trop dispendieuse, les travaux se firent par galeries souterraines communiquant dans de grandes excavations dont les plafonds étaient soutenus par des piliers de pierre isolés et ménagés dans la masse. Dans la suite, on eut recours aux puits, et cela sans doute, lorsque la pierre commença à s'épuiser sur le flanc des collines.

Antérieurement à 1774, on paraît n'avoir pas eu sujet de s'inquiéter des inconvénients graves que présentent les excavations souterraines pour la stabilité des habitations et la sécurité des voies publiques. Il fallut qu'un grand effondrement survint dans le cours de cette année 1774, près de la barrière d'Enfer, pour fixer, sur le danger et sur la convenance d'y remédier, toute l'attention de l'administration. 

« Une visite générale et la levée des plans de toutes les excavations ayant été ordonnée en 1776, on acquit la certitude, ainsi que l'affirmait la tradition, que les temples, les palais et la plupart des voies publiques des quartiers méridionaux de Paris étaient près de s'abîmer dans des gouffres immenses; que le péril était d'autant plus redoutable qu'il se présentait sur tous les points, enfin qu'il était nécessaire de se porter simultanément sur chacun d'eux, et malheureusement on n'avait encore aucune donnée sur la conduite à tenir pour remédier au mal le plus effrayant ou même pour en arrêter les progrès. » (Héricart de Thury ).
Cette situation ayant été constatée, une commission spéciale fut nommée par le conseil d'État avec mission d'ordonner et de faire exécuter tous les travaux reconnus nécessaires. C'est à cette époque et sur la proposition de ladite commission que fut créée l'Inspection générale des carrières. Le jour où, par arrêt du conseil d'État, on nommait le premier inspecteur général, le 4 avril 1777, une maison située rue d'Enfer était engloutie dans un terrible effondrement, témoignant en quelque sorte de la nécessité et de l'urgence de la nouvelle création. Les anciennes carrières de gypse furent bouleversées et comblées par le foudroyage à la poudre de leurs piliers de soutènement. Voici à quelle occasion cette pratique s'introduisit dans les règlements. A la suite d'un brusque effondrement, ou sept personnes furent englouties, survenu à Ménilmontant le 27 juillet 1778, une déclaration du roi, en date du 29 janvier 1779, interdit l'exploitation des carrières de gypse par travaux souterrains et ordonna de combler les vides existants en faisant écrouler leurs piliers de soutènement à la poudre. La mesure avait pour but d'empêcher le retour des accidents résultant des fontis, particulièrement graves dans les plâtrières à cause de la grandeur des excavations. L'opération de foudroyage devait être appliquée dans certains cas qu'il appartenait au service d'inspection d'apprécier. Malheureusement, elle n'avait pas pour effet de rendre au sol une stabilité suffisante et qui permit d'y asseoir des constructions de quelque importance sans des travaux spéciaux de substruction. Ces travaux devaient même devenir difficiles et coûteux, en raison de la dislocation des terrains de recouvrement. Il faut bien le reconnaître, la défense d'exploiter le plâtre en carrières souterraines avait été dictée par un sentiment d'effroi exagéré; aussi la destruction des anciennes exploitations n'eut pas lieu d'une façon générale. L'autorité publique fit exécuter de nombreux travaux de consolidation; les galeries qui menaçaient ruine furent comblées ou étayées par des massifs en maçonnerie. On ne laissa ouvertes que celles correspondant à des rues.

Ces travaux étaient à peu près terminés en 1780 et le lieutenant général de police, Lenoir, proposa d'y transporter les ossements qui encombraient les cimetières intérieurs de Paris. Nous nous étendrons un peu sur la description de ces catacombes dont la topographie complète n'a été connue que depuis la publication de l'ouvrage de Dunkel : Topographie et consolidation des carrières sous Paris (1885). La création de l'ossuaire municipal a été le résultat d'une grande mesure d'hygiène publique : la suppression et l'évacuation du cimetière des Innocents. Ce cimetière, après avoir, pendant plus de dix siècles, reçu les dépouilles des générations qui, successivement, s'étaient éteintes dans vingt paroisses de la ville, était devenu un foyer d'infection extrêmement préjudiciable à la santé publique. Dès le milieu du XVIe siècle, les inconvénients de son voisinage se faisaient assez sentir pour avoir provoqué de vives réclamations. Il n'avait pu être donné satisfaction aux plaignants, des conflits s'étant élevés entre les pouvoirs auxquels ressortissaient les décisions à prendre. Cette situation se prolongea, malgré ce qu'elle avait de fâcheux, et ne cessa qu'après plus de deux siècles d'attente, pendant lesquels, les inhumations continuant à se faire, les inconvénients s'aggravèrent au delà de toute mesure. 

Ce ne fut que le 9 novembre 1785, à la suite d'accidents graves survenus dans les caves avoisinant le cimetière, et sous la pression de l'opinion publique effrayée, que le conseil d'État rendit enfin un arrêt qui ordonnait la suppression du cimetière et la transformation de son emplacement en place publique propre à l'établissement d'un marché. L'évacuation du cimetière des Innocents donna lieu à de grandes difficultés. Pour atténuer autant que possible les dangers inhérents au maniement d'énormes quantités de matières cadavériques, il fallait, en effet, mettre une grande célérité dans l'exécution des travaux. Cela était d'autant plus nécessaire que la chimie n'avait pas encore suggéré les moyens de désinfection qui furent découverts plus tard. Mais le cimetière et les choses mortuaires étaient l'objet d'une vénération générale, auprès de laquelle le respect et l'attachement modernes sont des sentiments modérés. Il était donc à craindre que des incidents presque inévitables n'occasionnassent quelque émotion populaire, susceptible d'entraver les travaux commencés, quoique toutes les précautions eussent été prises pour ménager les sentiments d'une multitude aussi impressionnable. 

Nonobstant des circonstances aussi délicates et périlleuses, dit un rapport du temps, grâce à l'extrême activité déployée et à la bonne organisation des détails, on parvint, en prévenant tout scandale, à fouiller et rechercher successivement toutes les fosses, et, en même temps, conserver les antiquités curieuses et les monuments intéressants dont le terrain était couvert; enfin, transporter, d'une part, dans les cimetières en activité les corps non décomposés ou ensevelis récemment, tandis que, d'autre part, on recueillait successivement toutes les dépouilles sèches ou les ossements qui, depuis tant de siècles, extraits et retirés de ce gouffre pour en céder la place à de nouvelles générations déjà éteintes à leur tour, s'entassaient successivement sous les portiques, les arcades, les caveaux, les charniers et même les combles ou terrasses et autres monuments funéraires. Il ne fallut pas moins de quinze mois pour transporter les ossements du cimetière et du grand charnier des Innocents dans les anciennes carrières souterraines de la plaine de Montsouris, devenue par la suite le quartier du Petit-Montrouge. Celles-ci avaient été préparées pour recevoir les débris, et la consécration religieuse avait eu lieu le 7 avril 1786. Dès lors, commença la translation régulière des ossements. De longues suites de chariots funéraires, escortés de prêtres en surplis qui chantaient l'office des morts, s'acheminaient lentement, au déclin du jour, vers le lieu de destination.

Le succès de la translation des corps et des ossements du cimetière des Innocents, détermina l'administration à étendre la mesure aux autres cimetières de Paris. De 1792 à 1814, seize cimetières parisiens furent ainsi supprimés. Tous les ossements furent dirigés sur l'ossuaire et là, rangés systématiquement avec l'indication de leur provenance. Quant aux cercueils contenant des corps non encore décomposés complètement, ils furent de nouveau inhumés dans les cimetières maintenus en activité. La destination spéciale et exclusive de l'Ossuaire a toujours été ce qu'elle est encore actuellement, de ne recevoir que les débris osseux et humains extraits du sol parisien. La destruction de ces débris exige parfois un temps si considérable qu'on en retrouve dans les lieux que la tradition ne désigne plus comme ayant été anciennement affectés à des sépultures. Cependant de nombreuses inhumations ont été faites dans l'Ossuaire à la suite des combats et des émeutes de la période révolutionnaire. Ce furent là des faits particuliers à l'époque dont il s'agit, et qui ne se reproduisirent pas depuis, même dans des circonstances analogues. Les anciennes carrières à piliers tournés, dont les vides constituent l'Ossuaire, sont séparées des carrières avoisinantes par des murs épais en maçonnerie reliant des piliers de masse laissés par les exploitants. 

On pénètre aujourd'hui dans les catacombes par de grands escaliers établis l'un à Denfert-Rochereau, dans un des pavillons de l'ancienne barrière d'Enfer, l'autre près de Montsouris, à l'endroit appelé la Tombe-Issoire; le troisième au lieu appelé la Fosse-aux-Lions, parce qu'il était jadis occupé par un cirque où l'on faisait combattre les bêtes féroces. Moins connues peut-être des Parisiens que des étrangers, les catacombes de Paris et particulièrement l'ossuaire, possèdent le privilège d'exciter vivement la curiosité des touristes, sans doute en raison de l'intérêt lugubre qui s'y rattache.

Les portes sont disposées, ainsi que les vestibules, de manière à produire un certain effet architectural dans le genre funéraire. De nombreux piliers et des murs supportent les ciels des carrières et découpent l'espace en de nombreux méandres dont le développement atteint 800 m. Les ossements sont empilés entre les piliers et contre les murs de manière à présenter des parements ou surfaces visibles, verticales et planes, sur lesquelles se détachent en saillie des cordons horizontaux de têtes juxtaposées, des os longs croisés en sautoir et d'autres dispositions ornementales compatibles avec le caractère du lieu. On évalue à plus de trois millions la totalité des individus dont les restes ont été recueillis. Des inscriptions françaises et latines, quelques-unes grecques, italiennes et suédoises, sont gravées sur les piliers. Les unes indiquent l'origine et la date de la translation des ossements qu'elles concernent; le plus grand nombre, empruntées aux littératures sacrée et profane, expriment des sentiments religieux et philosophiques, conformes à ceux qu'inspirent l'aspect sépulcral et la tristesse du lieu. On chemine d'ordinaire assez lentement le long des galeries, quand on prend part à une visite des catacombes, à cause des particularités qui attirent à chaque instant l'attention, puis parce que la sécurité des visiteurs exige qu'il ne se fasse pas de longues solutions de continuité dans la suite des curieux qui s'allonge quelquefois sur plus de 200 m. Il résulte de cette circonstance que le temps qui s'écoule entre l'entrée et la sortie est assez long. Cependant le trajet tout entier est compris entre la place Denfert-Rochereau, où a lieu la descente, et un point de la rue Dareau, situé entre l'avenue du Général Leclerc (ancienne av. d'Orléans) et l'avenue René Coty (ancienne av. de Montsouris), à la Tombe-Issoire. L'idée assez générale que le Panthéon repose sur d'anciennes carrières, est complètement erronée. La hauteur des vides parcourus dans les catacombes est médiocre, d'environ 2,30 m, peu favorable à l'effet monumental.

Les puits reliant le sous-sol à la surface sont en assez grand nombre, dans la région de l'ossuaire, pour assurer une ventilation convenable. A moins de circonstances particulières, capables de produire des courants d'air actifs, la température est sensiblement invariable et voisine de 11°C. Une des curiosités de la visite se rencontre sous la rue Dareau; ce sont deux cloches de fontis dont les parois ont été enduites d'une forte couche de ciment qui en assure la stabilité et la conservation. Des zones diversement colorées figurent la tranche des couches dans lesquelles ces cloches pénètrent. Les hauteurs de ces cavités, curieux et intéressants spécimens d'un accident fréquent dans le sol parisien sous-miné, sont respectivement de 11 m et 11,30 m. La procession des visiteurs, s'offre aussi à elle-même un spectacle pittoresque, lorsque, serpentant dans les circonvolutions de l'Ossuaire, ses tronçons sont en situation de s'apercevoir réciproquement. Les galeries pleines d'ombre apparaissent tout à coup populeuses et vivement éclairées.

Les catacombes ou les carrières de pierres à bâtir situées sous les voies et sous les édifices publics ont été  l'objet de travaux consistant dans la recherche et le comblement des fontis et des vides nuisibles, dans l'établissement de piliers et de murs en maçonnerie. Pour accomplir cette oeuvre, la Ville a dépensé chaque année, depuis 1777, des sommes importantes qui se sont accrues après l'annexion en 1860 des XIIIe, XIVe, XVe et XVIe arrondissements : ces arrondissements présentaient de vastes étendues sous-minées compromettantes pour la sécurité publique. Au début du XXe siècle, grâce à la persévérance avec laquelle les travaux ont été poursuivis pendant plus d'un siècle, le sol des rues, généralement consolidé, n'était plus exposé à s'effondrer sous les véhicules ou sous les passants, et les travaux d'art égouts, conduites de gaz ou d'eau, etc., étaient assurés contre les avaries qui pouvaient auparavant résulter de l'écroulement de vides souterrains. Des tournées fréquentes furent également organisées vers cette époque dans le but de prévenir, autant que possible, des accidents semblables à celui survenu, en 1879, dans le passage Gourdon, accident dans lequel trois maisons furent compromises de la manière la plus grave, et à celui d'avril 1880, qui faillit engloutir plusieurs maisons du boulevard Saint-Michel, en face de l'École des Mines. Ces maisons n'avaient été préservées que grâce au dévouement du chef d'atelier et des ouvriers de l'inspection des carrières qui réussirent à restaurer les piliers de soutènement à moitié minés. (L. Knab).

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Dictionnaire Villes et monuments
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