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La Bastille
Aperçu Des origines à la Révolution Le 14 juillet 1789
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Des origines à la Révolution

De même que l'histoire de la Bastille se termine par un très grand événement de la Révolution française, de même elle s'ouvre par un fait considérable de l'histoire de France. C'est devant ses murs que, le. 31 juillet 1358, Étienne Marcel, prévôt des marchands de la ville de Paris, fut assassiné par Jean Maillart et les partisans du dauphin Charles (Charles V). A cette époque, la Bastille n'était encore qu'une porte de Paris, la bastide Saint Antoine, et les récits qui nous sont parvenus du drame où périt Marcel ne disent pas que cette porte fût mieux fortifiée et d'un accès plus difficile que les autres entrées de Paris. Marcel, au contraire, ne l'avait pas choisie tout d'abord et il ne s'y rendit qu'après avoir échoué dans la même tentative à la bastide Saint-Denis. Plus tard seulement, quand Charles V fit terminer l'enceinte septentrionale de la ville, construite trop à la hâte après le désastre de Poitiers, la porte Saint-Antoine devint le point stratégique le plus important de la fortification parisienne, et l'ensemble de ses tours constitua un véritable château-fort que les chroniqueurs des XIVe et XVe siècles appellent plus fréquemment encore chastel Saint-Antoine que Bastille : ce dernier nom est surtout en usage à partir du XVIe siècle.

II est certain que la première pierre du nouvel édifice fut posée par Hugues Aubriot, prévôt de Paris, un 22 avril; mais on n'est pas d'accord sur l'année où eut lieu cette solennité. Les historiens hésitent entre les années 1367-1371. Nous nous arrêtons à la date du 22 avril 1369, qui est adoptée par le plus grand nombre. On est mieux fixé sur l'époque ou fut terminée la construction : tout était achevé en 1382, et l'édifice du XIVe siècle était encore le même, sauf quelques modifications de détail, en 1789. Disons tout de suite qu'en 1553, lorsque l'enceinte de Paris fut réparée sur certains points, on creusa un large fossé autour de la Bastille et que la porte Saint-Antoine, donnant accès du faubourg dans la ville, fut alors rebâtie avec un certain luxe de décoration, au Nord-Est de la forteresse, à peu près vers l'endroit où la rue de Charenton débouche actuellement sur la place de la Bastille. Cette porte était ornée de sculptures de Jean Goujon; elle fut de nouveau remaniée et embellie par l'architecte Blondel à l'occasion de l'entrée triomphale de Louis XIV, après son mariage en 1660. Elle fut démolie peu d'années avant 1789.

Dès le règne de Charles VI, la Bastille est mentionnée fréquemment par les chroniqueurs et son histoire devient importante. C'est, toutefois, une erreur de croire qu'Hugues Aubriot, qui l'avait fondée, y fut le premier enfermé. Le prévôt de Paris, fort peu aimé du clergé à cause de soit impiété, fut accusé d'hérésie par l'évêque, et, de ce fait, condamné par le tribunal ecclésiastique à une prison perpétuelle qu'il devait subir au Fort-l'Evêque. C'est là que le peuple vint lui rendre la liberté deux ans après, lors de l'insurrection des Maillotins. D'ailleurs, certains passages de la chronique de Charles VI, rédigée par un religieux de Saint-Denis, ne permettent pas de douter que la Bastille ne fut déjà une prison. C'était aussi un château royal, et le même chroniqueur lui donne cette appellation lorsqu'il rapporte que, pendant la maladie du roi, on y installa deux sorciers fort habiles en médecine, mandés de Guyenne pour guérir sa folie. 

L'abri en était sûr, car, après la prise de Paris par les Bourguignons, le prévôt Tanneguy du Châtel y emporta dans ses bras le jeune dauphin, et le peuple ne put réussir à en forcer les portes. Dix-huit ans après, l'armée de ce même dauphin, devenu Charles VII, reconquérait Paris sur les Anglais. Commandée par le célèbre connétable de Richemont, elle pénétra dans la ville sans rencontrer de résistance; seule, la Bastille parut vouloir soutenir un siège. Les derniers chefs du parti anglais s'y étaient réfugiés et auraient pu tenir bon pendant quelques jours; le blocus fut aussitôt organisé autour de la forteresse; mais, dès le lendemain, les assiégés offraient de capituler à condition d'avoir la vie sauve et leurs biens respectés, ce que Richemont accepta (15 avril 1436).

Dans l'histoire rapide que nous retraçons des événements dont la Bastille a été le théâtre, nous ne nous arrêtons qu'aux principaux. C'est sous Louis XI, semble-t-il, qu'elle commença d'acquérir sa réputation de lieu de torture. Jacques d'Armagnac, duc de Nemours, y fut enfermé en 1476; il était convaincu d'avoir tramé un complot contre la vie du roi. Le prisonnier fut traité avec la dernière rigueur, enchaîné dans une cage de fer d'où on ne le tirait que pour lui arracher dans les supplices de la question les secrets de sa conspiration. Finalement il en sortit, le 4 août 1477, pour être décapité aux Halles

La Bastille au XVIe siècle.
La Bastille au XVIe siècle, d'après un dessin d'Androuet du Cerceau.

Au XVIe siècle, la Bastille faisait l'admiration des étrangers. Voici comment en parle un poète italien, Antoine d'Asti :

« J'admire ce château, aussi remarquable par sa forme que par sa solidité. On l'appelle communément la Bastille Saint-Antoine. Le roi peut secrètement par là ou bien entrer en ville ou bien en sortir, de jour et de nuit, et se rendre où il veut » (Paris et ses Historiens au XVe siècle, par Leroux de Liney et Tisserand, p. 535).
Les canons de la Bastille tonnèrent lors de l'entrée de Charles-Quint à Paris, en 1540, et, si l'on en croit la relation fournie par les registres de la Ville, il y eut bien alors huit cents coups de canon tirés. La possession de la Bastille fut jugée très importante pendant la Ligue, comme pendant toutes les guerres civiles; aussi le gouvernement des Seize prit-il grand soin de la tenir à sa discrétion. Pour ce faire, il en donna le commandement, à un personnage réputé pour sa violence et son audace, Bussy-Leclerc. On vit alors un curieux spectacle : le 16 janvier 1589, le nouveau gouverneur, accompagné, dit L'Estoile, de vingt-cinq ou trente coquins tous comme lui, fit irruption au Parlement et enjoignit aux magistrats qui y étaient assemblés de le suivre à la Bastille. Ils s'y rendirent, en effet, 
« tout au travers des rues pleines de peuple qui, espandu par icelles, les armes au poing et les boutiques fermées pour les voir passer, les lardoient de mille brocards et vilanies ».
C'est le même Bussy-Leclerc qui, pendant le siège de Paris par Henri IV, toujours dévoué à la cause de la Ligue, fut bloqué dans la forteresse même par les troupes du duc de Mayenne et dut se rendre à condition de quitter le royaume pour toujours (novembre 1591).

Sous Henri IV, Sully fut pendant quelque temps gouverneur de la Bastille; il reçut en cette qualité, nous dit-il dans ses Mémoires, une somme de quinze millions huit cent soixante et dix mille livres que le roi avait en réserve pour exécuter ce qu'on a appelé le grand projet, et qui fut enfermée dans l'une des tours du château, appelée depuis et pour cette raison tour du Trésor. C'est à ce fait que Régnier semble faire allusion dans la satire fameuse où Macette donne aux filles ces conseils :

Prenez moi ces abbez, ces fils de financiers
Dont, depuis cinquante ans, les pères usuriers
Volans a toutes mains, ont mis en leur famille
Plus d'argent que le roy n'en a dans la Bastille.
On sait quel fut le rôle de la Bastille en 1652, pendant les guerres de la Fronde. L'armée royale, campée vers Charonne et Bagnolet, venait d'engager le combat contre celle de Condé, à l'extrémité du faubourg Saint-Antoine; la porte Saint-Antoine avait été fermée, sur l'ordre formel de Louis XIV, et le prince, écrasé par le nombre, allait se trouver acculé contre les murailles de la ville, ayant l'ennemi devant lui. Mlle de Montpensier éprouvait pour le vainqueur de Rocroi un sentiment où la passion le disputait à l'admiration; elle le témoigna en faisant ouvrir à Condé la porte Saint-Antoine et en ordonnant de retourner contre l'armée royale les canons de la Bastille, toujours pointés sur Paris. La grande Mademoiselle sauvait les frondeurs, mais ce canon de la Bastille venait de tuer son mari, comme on le dit alors en faisant allusion à son mariage possible avec Louis XIV.

La Bastille au XVIIe siècle.
La Bastille du côté de la rue Saint-Antoine, au XVIIe siècle
d'après un dessin Silvestre (Musée Carnavalet).

Sous le règne de Louis XIV, la Bastille ne chôma pas, et c'est certainement alors qu'elle reçut et garda en même temps le plus grand nombre de prisonniers. Parmi eux, Fouquet mérite une mention particulière. Outre que son arrestation causa le plus vif émoi, on n'ignore pas qu'il a longtemps été pris pour le célèbre Homme au masque de fer que les geôliers de la Bastille entouraient d'un si impénétrable mystère. Il importe d'en dire ici quelques mots.

Arrêté à Nantes, le 5 septembre 1861, Fouquet fut d'abord enfermé au château d'Angers, puis amené à Vincennes et de là à la Bastille où il fut détenu pendant l'instruction de son procès. L'arrêt qui le condamnait à l'exil, le 20 décembre 1664, fut commué, et non adouci, par Louis XIV en une détention perpétuelle que le prisonnier subit à Pignerol. Il est prouvé qu'il y mourut le 23 mars 1680. Ce ne peut donc être l'énigmatique personnage masqué qui, transféré d'abord aux îles Sainte-Marguerite a l'époque où Saint-Mars, gouverneur de Pignerol, fut nommé gouverneur de ces îles, suivit ce même Saint-Mars dans son nouveau gouvernement de la Bastille, le 18 septembre 1698...
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La vérité sur le Masque de fer?

Deux opinions sont longtemps restées en présence : la première veut que l'homme au masque de fer soit un certain Mattioli qui avait trahi Louis XIV en 1679 au cours d'une négociation secrète relative à l'acquisition du duché de Mantoue. Selon la seconde opinion, produite pour la première fois par Voltaire, dans son Siècle de Louis XlV et ses Questions sur l'Encyclopédie, et semble l'avoir imaginé, de propos délibéré, il s'agissait d'un secret de bien plus haute importance. L'homme masqué n'aurait été autre qu'un fils illégitime d'Anne d'Autriche, et l'honneur de la maison royale eût dès lors imposé à Louis XIV ces précautions extrêmes de ne jamais laisser soupçonner qu'il avait un frère bâtard, pouvant, en outre, faire valoir des prétentions à la couronne. Cette dernière hypothèse demeure bien sûr la préférée des amateurs de romanesque...

Quoi qu'il en soit, on lit, à la date du 18 septembre 1698, sur le journal tenu par Du Junca, lieutenant de roi à la Bastille :

« Du jeudi, 18e de septembre, à trois heures après midi, M. de Saint-Mars, gouverneur du château de la Bastille, est arrivé pour sa première entrée, venant de son gouvernement des îles Sainte-Marguerite-Honorat [îles de Lérins], ayant mené avec lui, dans sa litière, un ancien prisonnier qu'il avait avec lui à Pignerol, lequel il fait tenir toujours masqué, dont le nom ne se dit pas, et l'ayant fait mettre en descendant de la litière dans la première chambre de la tour de la Basinnière, en attendant la nuit, pour le mettre et mener moi-même, à neuf heures du soir, avec M. de Rosarges, un des sergents que M. le gouverneur a menés, dans la troisième chambre, seul de la tour de la Bretaudière, que j'avais fait meubler de toutes choses, quelques jours avant son arrivée, en avant reçu l'ordre de M. de Saint-Mars, lequel prisonnier sera servi et soigné par M. de Rosarges que M. le gouverneur nourrira.-»
Sur un second journal, où Du Junca consignait les détails concernant la mise en liberté ou les décès des prisonniers, on lit, à la date du 19 novembre 1703 :
« Du même jour, lundi, 19e de novembre 1703, le prisonnier inconnu, toujours masqué d'un masque de velours noir, que M. de Saint-Mars, gouverneur, a mené avec lui, en venant des îles Sainte-Marguerite, qu'il gardait depuis longtemps, lequel s'étant trouvé hier un peu mal en sortant de la messe, il est mort ce jourd'huy, sur les dix heures du soir, sans avoir eu une grande maladie, il ne se peut pas moins; M. Giraut, notre aumônier, le confessa, bien surpris de sa mort; il n'a point reçu les sacrements, et notre aumônier l'a exhorté un moment avant que de mourir, et ce prisonnier inconnu, gardé depuis si longtemps, a été enterré le mardi, à quatre heures de l'après-midi, 20e de novembre, dans le cimetière Saint-Paul, notre paroisse; sur le registre mortuel, on a donné un nom aussi inconnu, que M. de Rosarges, major, et Arreil, chirurgien, qui ont signé sur le registre. »
Et en marge : 
« J'appris du depuis qu'on l'avait nommé sur le registre M. de Marchiel [ou Marchialy?], qu'on a paié 40 livres. d'enterrement ».
Telles sont les lignes qui devaient fournir matière à tant de légendes. Elles suffisaient cependant à la découverte de la vérité. On voit tout d'abord que le mystérieux prisonnier avait le visage couvert, non d'un masque de fer, mais d'un masque de velours noir. Ce n'était autre que le comte Antoine-Hercule Mattioli, secrétaire d'État de Charles IV de Gonzague, duc de Mantoue. Mattioli avait trahi et son maître le duc de Mantoue, et le roi de France, auprès des cours de Vienne, de Turin et de Madrid, au cours de négociations secrètes relatives à l'acquisition par le roi de France de la place forte de Casal. Catinat, sur l'ordre de Louis XIV, s'empara de Mattioli en pleine paix, dans un véritable guet-apens dressé par les soins de l'abbé d'Estrades, ambassadeur de France auprès de la république vénitienne; le 2 mai 1679, Mattioli était écroué à Pignerol; au commencement de l'année 1694, il fut transféré aux îles Sainte-Marguerite; le 18 septembre 1698, il entrait à la Bastille. Le baron Heiss est le premier qui, dans une lettre datée de Phalsbourg, du 28 juin 1770, et insérée dans le Journal encyclopédique, ait identifié le prisonnier masqué avec Mattioli; après lui Dutens, le baron de Chambrier, Roux-Fazillac, Reth, Delort, Marius Topin ont développé la même thèse avec des arguments qui ont été réunis et complétés dans la Revue historique de septembre-décembre 1894. Les conclusions de cet article ont été généralement admises par la critique. La controverse séculaire paraît close. (Frantz Funck-Brentano).

Quelques années avant cette mystérieuse affaire, la Bastille avait reçu un grand nombre d'individus infiniment moins intéressants et tout à fait dignes des rigueurs de la détention. Ce qu'on a appelé l'affaire des poisons dura de 1678 à 1682, et, pendant ces quatre années, les coupables remplirent incessamment le château. Les femmes surtout y furent nombreuses (la plus célèbre est la marquise de Brinvilliers), car cette sinistre frénésie d'empoisonnements s'exerça surtout sur les maris. Des poisons si subtils qu'ils échappaient à l'analyse étaient fournis aux épouses criminelles par de soi-disant sorcières; puis, des cérémonies burlesques ou obscènes étaient célébrées où la religion prêta souvent son concours; cela fait, le crime pouvait s'accomplir : au bout de peu de jours, l'homme le plus robuste succombait à l'intoxication qui partout l'entourait, pénétrant en lui par son linge, ses vêtements, ses aliments et jusqu'à l'air qu'il respirait. On trouvera à ce sujet les plus circonstanciés détails dans les dossiers des détenus, qu'a publiés Ravaisson et qui occupent quatre volumes de ses Archives de la Bastille.

Après Louis XIV, et pendant tout le XVIIIe siècle, la Bastille fut surtout employée à réprimer, sans pouvoir l'entraver, ce généreux et grandiose mouvement vers les idées d'émancipation et d'affranchissement; c'est l'époque où les philosophes, les publicistes, les pamphlétaires, les libraires eux-mêmes y sont détenus en grand nombre. Voltaire y vint deux fois : en 1717, à la suite d'une satire contre la duchesse de Berry, puis en 1726, après le lâche attentat du chevalier de Rohan. De même on y conduisit le Beaumelle, l'abbé Morellet, Marmontel et Linguet, pour ne citer que les plus célèbres, pendant que Diderot, Mirabeau et tant d'autres étaient enfermés au donjon de Vincennes. Les livres mêmes furent jugés dignes de la réclusion à la Bastille : Mercier déclare que le Dictionnaire Encyclopédique « y pourrissait encore » lorsqu'il écrivit son célèbre Tableau de Paris. La Bastille reçut aussi d'autres prisonniers : le malheureux Lally-Tollendal n'en sortit, en 1766, après quatre ans de prison, que pour subir le supplice le plus cruel et le moins mérité. La Révolution y aurait délivré Latude sans l'incomparable et surprenant génie qu'il sut déployer dans l'art de l'évasion. (Fernand Bournon).

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Dictionnaire Villes et monuments
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