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Bien
qu'on appelle la méthode des sciences physiques et naturelles,
méthode d'observation, expérimentale, a posteriori,
elle serait mieux qualifiée par le nom de méthode
inductive, parce que c'est autour de l'induction
que se groupent les divers procédés que ces sciences emploient.
L'observation et l'expérimentation ne font que préparer l'induction
l'hypothèse, formule présumée
de la loi, n'est qu'une induction provisoire pour
diriger l'expérimentation; l'analogie
est une déduction fondée sur
une induction; la classification et la définition résument
des inductions antérieures.
Les sciences physiques étudient les faits; nous venons de voir de quelle façon elles appliquent la méthode expérimentale. Les sciences naturelles étudient les êtres; reste à examiner la manière dont elles se servent de la même méthode. Ces deux groupes de sciences, en s'appropriant les procédés de la méthode inductive, aboutissent à des idées générales de rapports. Les sciences physiques s'élèvent à des lois de causalité, qui expriment des rapports de succession constante entre les faits; les sciences naturelles s'élèvent à des lois de coexistence, qui expriment des rapports de simultanéité de caractères entre les êtres. L'opération, qui consiste à dégager le général du particulier, s'appelle induction s'il s'agit des faits, et généralisation, s'il s'agit des êtres. Méthode des sciences physiquesLes phases de la méthode inductiveSi l'on suit l'analyse de Claude Bernard (Introduction à l'étude de la médecine expérimentale, texte en ligne), on distingue quatre moments dans la méthode expérimentale :I. - L'observation (à laquelle on doit joindre la mesure), qui recueille et étudie les faits.Si l'on suit ce schéma, le chercheur commence en effet par observer les faits ; - cette observation lui suggère une hypothèse : il suppose que le phénomène B a pour cause le phénomène A ; il imagine entre l'antécédent A et le conséquent B un rapport causal; - ensuite il expérimente, il emploie certaines méthodes pour voir si l'expérience vérifiera ou contredira son hypothèse; c'est l'interprétation des faits; si l'expérience la confirme, il a trouvé la cause cherchée du phénomène; - il n'a plus qu'à induire, à généraliser ce rapport causal qu'il a découvert et à l'ériger ainsi en loi. Constater, supposer, vérifier, généraliser, telle est, ordinairement, la suite des opérations de la méthode dans les sciences physiques. Dans la pratique, aucun chercheur n'arrive le matin dans son laboratoire en se disant que s'il suit la méthode, il repartira le soir avec une nouvelle découverte à son actif. Le mot méthode (du grec : meta = vers; hodos = chemin) est trompeur. La méthode scientifique ne décrit pas le cheminement suivi dans le processus de découverte. Elle en est au mieux une réécriture faite a posteriori. Ce que l'on appelle méthode scientifique est donc l'exposé selon un plan logique des différents élements qui interviennent dans le processus de découverte scientifique. On pourrait dire qu'elle est à la découverte ce que la diététique est à la cuisine. La diététique parle des glucides , des lipides, des sels minéraux, etc. que contiennent les aliments, mais ne donne pas la recette du pot-au-feu. De même la méthode scientifique parle de l'hypothèse, de l'observation, de l'expérimentation, etc., de la manière dont ces éléments interviennent dans le processus de découverte scientifique, mais ne donne pas la marche à suivre pour faire la moindre découverte. Sciences d'observation
et sciences expérimentales.
Sciences
d'observation.
Sciences
expérimentales.
« Le but d'une science d'observation est de découvrir les lois des phénomènes naturels afin de les prévoir ; mais elle ne saurait les modifier ni les maîtriser à son gré [...] Le but d'une science expérimentale est de découvrir les lois des phénomènes naturels, non seulement pour les prévoir, mais dans le but de les régler à son gré et de s'en rendre maître. » (Cl. Bernard).En étant schématique, on pourrait dire que dans les sciences physiques, l'expérimentation apparaît comme une méthode dominante, et celle-ci donne lieu à une formalisation (à une mise en équations); alors que dans les sciences naturelles, c'est l'observation qui domine, et celle-ci donne lieu à des classifications. Il ne faut pas outrer ces distinctions, car s'il est vrai que les sciences, même les plus concrètes, sont abstraites à quelque degré, puisqu'elles n'envisagent jamais que certains aspects de la réalité. C'est pourquoi Chevreul disait : « Tout fait est une abstraction ». Cette formule n'est paradoxale qu'en apparence, car ce que le chercheur appelle un fait a dû être isolé d'une multitude d'autres faits connexes et enchevêtrés. Il faut reconnaître aussi que les sciences, même les plus abstraites, ont eu pour point de départ l'observation. L'observation.
On distingue deux sortes d'observations : l'observation interne ou psychologique, subjective, et l'observation externe ou physique, objective. C'est de cette dernière qu'il est question dans les sciences de la nature. Nous ne pouvons atteindre les phénomènes du monde extérieur qu'au moyen des sensations, qui sont conditionnées par les organes des sens. L'observateur, au lieu de rester inerte devant les phénomènes, déploie une certaine activité intellectuelle pour les bien connaître. Tous nos sens sont mis à contribution dans l'observation. Le goût reconnaît certaines substances chimiques; l'odorat nous avertit de la présence des gaz; l'ouïe sert à apprécier les sons musicaux; le toucher nous fait connaître la température, la grandeur, la forme, la résistance des objets. Mais de tous nos sens le plus utile pour les observations scientifiques, c'est la vue, parce que c'est le sens le plus riche en perceptions acquises. Conditions physiques ou moyens de l'observation : A) Intégrité et subtilité des organes des sens.L'hypothèse. Une hypothèse (du grec hypothesis, supposition) est, à proprement parler, une affirmation sans preuves suffisantes, et d'où l'on déduit un certain nombre de conséquences vraies ou fausses. Les hypothèses sont perpétuellement nécessaires dans une théorie-scientifique, car ce n'est point assez pour notre esprit d'observer et de connaître les phénomènes, il veut encore découvrir leurs lois, remonter à leurs causes, et les voir en quelque façon dans le principe même d'où ils sortent. Plusieurs auteurs distinguent les hypothèses en hypothèses de loi et hypothèses de cause. « La première espèce d'hypothèse, dit Pellissier, consiste à admettre comme réels des faits non observés, afin d'expliquer la production de quelques phénomènes observés. Par exemple, Newton supposait, pour expliquer certains faits de réfraction de la lumière, que l'eau devait renfermer un corps combustible; et Laplace, pour expliquer la formation des planètes, supposait qu'elles résultent de la condensation de l'atmosphère. La deuxième espèce d'hypothèse consiste à admettre des forces ou agents à l'action desquels ont rapport les phénomènes observés. Tels sont, en astronomie, la gravitation, qui sert à expliquer les mouvements des corps célestes; en physique et en chimie, les fluides ou éthers, auxquels sont attribués les faits de chaleur, de lumière, d'électricité, de magnétisme, etc. »D'autres auteurs se bornent à distinguer les hypothèses en hypothèses vérifiables et en hypothèses invérifiables. Les hypothèses vérifiables sont celles que l'on prend dans un domaine où l'expérience, l'observation, l'induction pourront parvenir et s'assurer si l'hypothèse proposée est réelle ou fausse, et si elle doit être éliminée, ou bien passer de l'état de conjecture à l'état de fait. Ainsi c'est en se posant, au sujet du mouvement des planètes, une série d'hypothèses vérifiables, que Kepler arriva à la découverte des lois qui portent son nom. Ayant lui-même vérifié successivement par l'observation et par le calcul chacune de ces hypothèses, il les élimina l'une après l'autre, et trouva enfin que l'hypothèse de l'ellipticité des orbes planétaires était la seule qui fût conforme aux faits observés et aux lois de la mécanique. Les hypothèses invérifiables sont celles qui appartiennent à un domaine où ne peuvent pénétrer ni l'observation ni l'expérience. Cette distinction des hypothèses vérifiables et invérifiables est de la plus haute importance en logique et dans toute recherche scientifique; celle des hypothèses de loi et de cause, au contraire, nous semble de peu d'utilité pratique. On peut dire cependant que la plupart des hypothèses de cause sont invérifiables, tandis que le contraire a lieu pour les hypothèses de loi. Lorsque l'hypothèse est susceptible de vérification, elle offre par elle-même peu de dangers; en effet, l'observation et l'expérience ne tardent pas à la réduire à sa juste valeur. Une hypothèse de ce genre n'est le plus souvent que le résultat d'une induction prématurée, car ordinairement elle est fondée sur un certain nombre de faits ou sur des analogies plus ou moins probables. S'il faut, en général, un grand nombre d'observations et d'expériences pour vérifier définitivement une lui naturelle, un fort petit nombre de faits, un seul même suffit parfois pour la fonder. Or, c'est précisément cette sorte de divination qui caractérise les grandes découvertes. « II n'est pas inutile, disait Bacon, de tenter l'interprétation de la nature par une ébauche ou conclusion provisoire. »Les hypothèses invérifiables n'ont pas la même fécondité que les hypothèses vérifiables. Néanmoins la science ne peut s'en passer, car elles servent à établir dans certaines séries de faits une unité provisoire, elles facilitent l'intelligence et la démonstration même des phénomènes en les coordonnant et en permettant de saisir d'un coup d'oeil leur ensemble. Le caractère invérifiable de ces hypothèses provient de ce qu'elles sont relatives à la nature intime des choses, nature qu'il ne sera jamais donné à l'humain de connaître. Parmi ces hypothèses, les unes tombent d'elles-mêmes, parce qu'elles ne cadrent plus avec les connaissances acquises, avec le résultat des recherches nouvelles; la théorie de l'émission de la lumière de Newton nous offre un exemple d'hypothèse abandonnée, parce qu'elle ne suffisait plus à l'explication des faits. D'autres durent et se fortifient, parce qu'elles sont de plus en plus d'accord avec les faits et la manière de les envisager, sans pour cela, et il importe de ne pas l'oublier, prendre davantage de réalité-objective. « Aux hypothèses invérifiables de ce dernier genre, dit Littré, il vaudrait mieux conserver le nom d'artifice logique, afin de n'être pas exposé à se méprendre et à croire que des conceptions qui ne cessent jamais d'être du simples vues de l'esprit, répondent à quelque chose de connu objectivement. »II n'y a pas d'exagération à dire que l'astronomie, la physique et la chimie modernes, doivent tout autant à l'hypothèse qu'à l'observation et à l'expérience, tandis que, chez les Anciens, si fertiles cependant en hypothèses, ces sciences n'avaient pu sortir de d'enfance. Les brillantes hypothèses des philosophes grecs sont restées infécondes non seulement parce que la plupart d'entre elles étaient invérifiables; mais surtout parce que les faits eux-mêmes n'étaient ni observés, ni connus. Au lieu d'étudier ceux-ci en eux-mêmes, on faisait des hypothèses sur leur nature, de telle sorte que les systèmes prétendus scientifiques des Anciens n'étaient que des hypothèses édifiées sur d'autres hypothèses. Celles des modernes n'ont été fécondes que parce que déjà elles partaient de faits connus, et faisaient immédiatement appel à l'observation, à l'expérience et au calcul. En résumé, une hypothèse pour être admissible, doit remplir certaines conditions. 1° Elle doit rendre compte d'un certain nombre de faits bien observés, celle qui en explique le plus grand nombre étant naturellement la plus probable.L'expérimentation. L'expérimentation est l'activité qui consiste à faire des expériences, c'est-à-dire à mesurer l'évolution conjointe des paramètres qui définissent l'état d'un système physique quelconque. Les résultats d'une expérience sont toujours interprétés en fonction d'une théorie. On peut décrire l'expérimentation, comme une partie de la méthode expérimentale, différente de la simple observation, en ce qu'au lieu d'attendre que les phénomènes se montrent, on les produit artificiellement à l'aide des agents dont on dispose. Bacon a fortement insisté sur les avantages de l'expérimentation et sur son efficacité pour mettre en évidence les vérités cachées. « la nature, écrivait-il laisse plus aisément échapper son secret lorsqu'elle est tourmentée et comme torturée par l'art, que a quand on l'abandonne à son cours ».Les expériences, lors même qu'elles ne font que reproduire la nature, ont l'avantage de multiplier les occasions de l'observer. Lorsqu'elles changent les conditions ordinaires des phénomènes, elles facilitent pour l'investigateur la tâche de discerner des faits accidentels les circonstances essentielles et les caractères invariables dont il devra tenir compte quand il s'agira de formuler une loi. Aussi dit-on que toutes les règles de l'expérimentation, minutieusement exposées dans la partie de l'oeuvre de Bacon qui traite de l'Expérience guidée ou Chasse de Pan (expression figurée, synonyme d'investigation de la nature; De Augm. scient., I. VI, ch. 11,Grande Restauration des sciences), se réduisent à produire, varier et exclure; produire les phénomènes, varier les conditions de l'expérience, exclure comme n'appartenant pas essentiellement au phénomène tout ce qui ne se reproduit pas dans chaque expérience d'une manière immuable et constante. Il va sans dire que le plus ou moins de facilité de l'expérimentation dépend beaucoup de la nature du sujet que l'on traite, et que les expériences, d'ordinaire très faciles en chimie, par exemple, deviennent tout à fait impossibles en astronomie, où l'on ne dispose en aucune façon des phénomènes, ni des forces qui les produisent. (B-E.). L'induction proprement
dite.
1. L'induction socratique est ce procédé de généralisation par lequel on s'élève de l'individu au genre. 2. L'induction aristotélicienne consiste à affirmer de la collection entière ce qu'on a reconnu convenir à chaque individu de cette collection. Voici l'exemple cité par Aristote dans ses Analytiques : « L'homme, le cheval, le mulet vivent longtemps;Ce qui caractérise cette induction, c'est que, - quoi qu'il en soit de l'exemple cité, - supposant l'énumération complète de tous les cas compris dans la conclusion, elle n'est applicable.qu'à une collection, c'est-à-dire à un nombre déterminé d'individus. Elle est donc impuissante à passer de l'individu au genre, du fait à la loi; aussi n'est-elle d'aucun usage dans les sciences. On peut même dire que ce procédé ne constitue pas un raisonnement proprement dit, mais une simple addition; qu'il n'est inductif que dans la forme, puisque en réalité il va du même au même, la somme des parties étant égale au tout. L'induction baconienne, la seule qui doive nous occuper ici, est ce procédé qui consiste à généraliser un rapport de causalité; entre deux phénomènes, ne l'eût-on constaté qu'un nombre de fois relativement restreint, et à conclure du rapport causal à la loi. On l'appelle baconienne, non que Bacon l'ait inventée - on n'invente pas les procédés naturels de l'esprit humain - mais parce qu'il en a, le premier, fait ressortir la portée scientifique, formulé les règles, et vulgarisé l'emploi dans les sciences. Valeur
et légitimité de l'induction.
Port-Royal l'a contesté : « L'induction seule n'est jamais, un moyen certain d'obtenir une science parfaite » (Logique, III, ch. 19); Arnauld prétend que, sous peine de tomber dans le sophisme du dénombrement imparfait, toute induction sérieuse suppose l'énumération complète des parties. John Locke et Thomas Reid n'y voient, eux aussi, qu'un calcul de probabilités. Et cependant, qui oserait contester la certitude de certaines propositions induites; par exemple, que tout corps abandonné à lui-même tombe, que le feu brûle? Comment légitimer un pareil procédé? D'où nous vient le droit de faire ce bond immense, qui consiste à conclure de quelques faits observés à une loi valable pour tous les temps et tous les lieux; et qui nous assure, après tout, que l'avenir ressemblera certainement au passé? Explications
diverses.
• Hume, Stuart Mill et les positivistes ne veulent voir dans l'induction qu'une attente machinale, résultant d'une association constante. « L'induction, dit Hume, qui nous fait attendre que la même cause soit suivie du même effet, est une simple habitude produite par la répétition constante de la même expérience, laquelle nous porte à croire naturellement, et sans le secours d'aucun principe, que l'avenir ressemblera au passé. »Cette explication peut se réfuter au point de vue psychologique. Au point de vue logique, ses inconvénients sont : a) D'enlever à l'induction tout caractère scientifique pour la réduire à un pur instinct.Une autre solution du problème. • L'expérience et l'habitude, qui n'est elle-même que le résultat de plusieurs expériences, étant radicalement impuissantes à justifier l'induction, il faut nécessairement recourir à quelque principe rationnel qui donne aux vérités induites ce caractère de nécessité et de généralité qui les rend indépendantes du temps et du lieu. - Ce principe n'est autre que le principe des lois. Il se formule de diverses manières . La nature est régie par des lois. - Les causes agissent d'une manière uniforme. - Les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets. Tout rapport de causalité est constant. • Comment le principe des lois fonde-t-il l'induction? - La nécessité du principe des lois découle immédiatement de celle du principe de raison suffisante: si une cause naturelle (non libre) placée dans telles circonstances produit tel effet, partout où cette même cause se retrouvera dans les mêmes circonstances, le même effet sera produit. Ce principe ne peut s'appliquer que si nous avons affaire à la cause réelle ou métaphysique et non à la cause simplement phénoménale seule, en effet, la cause réelle est fondée sur une nature fixe et implique en dernière analyse un être substantiel, doué d'une activité spécifique propre; d'où suit que cette cause est reliée par un lien nécessaire à son effet dont elle est l'unique raison suffisante. Par ce principe, nous affirmons, non seulement que tout phénomène suppose une cause, mais encore une cause proportionnée à sa nature. En d'autres termes, nous affirmons que toute cause n'est pas capable de produire n'importe quel effet, comme le prétend Hume, niais que chaque cause possède une nature spéciale, une puissance déterminée, qui limite son action à tel ordre déterminé d'effets et de phénomènes. Et voilà pourquoi nous pouvons conclure, mon seulement d'un effet a une cause, mais encore de tel effet à telle cause, et affirmer que, partout où agira cette cause, se produira cet effet; ce qui revient à dire que, placées dans les mêmes circonstances, les mêmes causes produiront toujours les mêmes effets; qu'il y a des lois dans la nature, et que le cours des choses n'est pas abandonné au hasard. S'il en était autrement, la différence de l'effet ne correspondant pas à une différence dans la cause, resterait absolument inintelligible, comme contraire au principe de raison suftisante. Sans doute, nous avons induit bien avant de connaître ce principe, et ceux mêmes qui le connaissent ne le formulent pas expressément à chaque induction; il n'en est pas moins vrai que, théoriquement, l'induction ne se raisonne et ne se justifie qu'au moyen de ce principe, et que l'application spontanée que nous en avons faite avant de le connaître, n'est que la manifestation d'une raison encore latente.Dès lors, pourvu que l'observation et l'expérience m'aient amené à découvrir, par l'emploi des méthodes de Stuart Mill, non un antécédent quelconque de l'événement dont je cherche la loi, mais sa vraie cause naturelle, le principe des lois me permet de généraliser immédiatement ce cas particulier, de passer de la cause à la loi. • Il s'ensuit que le raisonnement inductif peut s'exprimer sous forme de syllogisme, le principe des lois jouant le rôle de majeure. Ex : Les rapports de causalité sont constants; or j'ai constaté un rapport causal entre la chaleur et la dilatation; donc ce rapport est constant : toujours et partout la chaleur dilate les corps. Ce n'est donc pas du nombre nécessairement restreint des faits observés que j'infère la généralité et la constance du rapport, ainsi qu'on l'objecte quelquefois, mais du principe formulé dans la majeure, qui veut que, si tous les rapports de causalité sont constants, celui que je viens de découvrir le soit également. « Je ne crois pas, dit Claude Bernard, que l'induction et la déduction constituent réellement deux formes de raisonnement essentiellement distinctes. L'esprit de l'homme a par nature le sentiment ou l'idée d'un principe qui régit les cas particuliers. il procède toujours instinctivement d'un principe qu'il a acquis ou qu'il invente par hypothèse, mais il ne peut jamais raisonner autrement que par syllogisme, c'est-à-dire en procédant du général au particulier. » (Introduction à la médecine expérimentale).Sur les rapports de l'induction et de la déduction, voir plus bas. Règles
de l'induction.
• Première règle. - La première règle sera de s'assurer que le rapport qu'on prétend généraliser est vraiment essentiel, c'est-à-dire qu'il est un rapport causal, s'il s'agit de faits, ou un rapport de coexistence nécessaire entre deux formes, s'il s'agit d'êtres. Ainsi le rapport qui unit la chaleur à la dilatation, et d'autre part, le rapport qui unit l'existence des canines à l'existence d'un seul estomac, étant des rapports de dépendance nécessaire, on a le droit de les généraliser et d'induire cette loi, que tout corps se dilate à la chaleur, et cette autre, que tout mammifère doué de canines aura aussi l'estomac simple. Mais tel n'est évidemment pas le rapport qui unit la couleur, par exemple, à tel ou tel type animal; aussi est-ce à tort qu'on a cru longtemps que les cygnes étaient tous blancs : erreur que la découverte des cygnes noirs d'Australie a permis de corriger. • Seconde règle. - Il est nécessaire que les faits auxquels on étend le rapport soient vraiment identiques aux faits observés, et notamment, que la cause soit prise au sens total et complet. En effet, bien que les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets; bien que leur action soit toujours et partout uniforme, il peut arriver que le résultat de cette action, lequel constitue proprement l'effet, varie suivant la matière qui lui est soumise. Ainsi la pesanteur qui produit la chute des corps graves, produit aussi l'ascension des ballons et l'équilibre des liquides; et la chaleur qui fond les graisses, coagule aussi les albumines. C'est qu'en réalité, la pesanteur et la chaleur ne sont pas ici les causes complètes du phénomène. La cause totale et complète, c'est la pesanteur ou la chaleur agissant sur telle matière, laquelle, à son tour réagit de telle manière. La loi est donc le rapport constant non seulement entre A et B, mais entre Aa et Bb. • Remarque. - Il peut arriver aussi que l'élément quantitatif soit essentiel à la loi : on doit alors le faire figurer dans sa formule. Il serait inexact, par exemple, de dire simplement : l'arsenic tue, et la quinine guérit la fièvre. Ce qui est vrai c'est qu'une certaine quantité d'arsenic fait mourir, et qu'une certaine quantité de quinine fait tomber la fièvre. Valeur
logique de l'induction.
L'induction purement formelle ou aristotélicienne, qui procède per enumerationem simplicem, et se contente d'affirmer d'un tout logique ce qu'elle a déjà affirmé expliciteraient de chacune de ses parties, est une opération légitime sans doute, mais, se bornant à aller du même au même, et n'impliquant aucune extension de connaissance, elle n'a rien de commun avec l'induction proprement dite, qui conclut de quelque à tous. Quant à l'induction vraiment scientifique, qui repose sur une expérimentation régulière et procède per exclusiones et rejectiones debitas, elle est théoriquement inattaquable; car, s'il est prouvé que le rapport constaté est réellement un rapport essentiel, il s'ensuit par là même qu'il est, nécessairement constant. Mais en fait et pratiquement, il reste toujours quelque doute, si petit qu'on le suppose, sur la valeur de l'expérimentation. En effet, la complexité des faits ne permettant jamais de réaliser effectivement la coïncidence solitaire qui serait décisive, on est réduit à éliminer successivement les antécédents connus, afin de déterminer celui qui est vraiment cause. Or on peut toujours se demander s'il n'est pas resté quelque antécédent inconnu dont on n'a pas tenu compte, et qui cependant concourt pour sa part à la production du phénomène. Et voilà pourquoi, en fait, le procédé inductif ne conduit pas d'ordinaire à une certitude vraiment absolue, égale à celle des sciences mathématiques. L'induction
est-elle réductible à la déduction?
• Dans le raisonnement communément appelé induction, et qui conclut des faits aux lois, du particulier au général, l'élément inductif consiste dans la découverte de l'idée directrice, qui fournit le moyen terme de l'argument expérimental et qui, elle, n'est pas le fruit de la déduction; vient alors l'élément déductif qui montre par un procédé régressif que cette idée était bonne : on peut dire que l'idée directrice n'obtient sa valeur que lorsqu'elle est ainsi vérifiée et démontrée valable par la déduction. • De même, dans le raisonnement appelé déduction, le moyen terme ne s'obtient pas par la déduction, mais par une démarche divinatoire et synthétique. Cependant ce moyen terme de la déduction est, lui aussi, légitimé par son succès, c'est-à-dire par son efficacité pour établir, par l'application du principe de convenance, les rapports voulus entre l'attribut et le sujet de la conclusion. De telle sorte que la double opération essentielle à la déduction est la découverte du moyen terme et la certitude acquise de la valeur de ce moyen terme. Tout comme l'idée directrice de l'induction, le moyen terme de la déduction n'est donc pas découvert par voie déductive, mais par une démarche inductive de l'esprit; d'autre part, il n'est trouvé valable que par un procédé déductif. Les deux formes du raisonnement se ramènent donc à une seule qui doit son efficacité pour étendre la connaissance à l'induction et sa sécurité à la déduction. • Nous conclurons, d'accord avec Taine, Fonsegrive et Mercier, que la déduction et l'induction ne se ramènent pas, à proprement parler, l'une à l'autre, mais toutes deux se ramènent à une forme unique qui est le raisonnement même, en ce qu'il a de plus essentiel. Il ne doit donc y avoir qu'une définition essentielle du raisonnement. Ce pourrait être celle-ci : Le raisonnement est un jugement médiat dans lequel l'attribution du prédicat au sujet a pour raison suffisante la découverte de leur convenance, obtenue par la comparaison de tous les deux au même moyen terme.Que maintenant ce procédé conduise des faits à la loi ou de la loi aux faits, du particulier au général ou du général au particulier, et que, de ce point de vue, on l'appelle induction ou déduction, ce ne sera pas à cause de sa nature intime, mais de sa matière ou de ses applications.
Nature des systèmesLois et systèmes.Si l'hypothèse est confirmée par l'expérience, elle passe au rang de loi scientifiquement démontrée ou du moins reçue, acceptée; si elle est contredite par les faits, elle est impitoyablement rejetée comme nulle et sans valeur. Il est un troisième cas, assez fréquent dans l'histoire des sciences, c'est celui où l'expérimentation ne réussit pleinement, ni à contredire l'hypothèse, ni à la confirmer. Que faire alors, et que deviennent ces hypothèses restées indécises? Les sciences respectent leur plus ou moins grande probabilité, et les conservent à titre provisoire. Un ensemble de lois particulières plus ou moins certaines, reliées par une explication commune, prend le nom de système ou de théorie. Par exemple, le système de Laplace, la théorie de l'évolution. Portée
des systèmes ou théories.
Elles sont aussi des classifications des phénomènes de la nature et elles groupent ces phénomènes en conformité avec leurs liaisons réelles; à ce titre, elles forment tout au moins une ébauche de classification naturelle et elles ont une certaine valeur objective. Est-ce à dire que toutes les théories puissent prétendre expliquer la nature même des phénomènes et de leurs lois? - Ici faut distinguer : a) Les unes atteignent ce but; telle par exemple la théorie qui explique la nature et la cause du son par le mouvement vibratoire de l'air. Ce sont les théories explicatives.Ces dernières théories ne se présentent donc pas comme la véritable explication du comment et du pourquoi des faits dont elles rendent compte. Tout ce qu'elles nous disent, c'est que, dans tel ensemble de phénomènes, tout se passe comme si l'explication fournie par elles était vraie. Telle, par exemple, la théorie qui rendait compte de la lumière par des mouvements vibratoires de l'éther, analogues à ceux de l'air par lesquels on explique le phénomène du son. Ces théories essentiellement provisoires et réformables sont justement appelées représentatives ou symboliques. Utilité
et danger des systèmes. - L'esprit de système.
Utilité
des systèmes.
1. En groupant un grand nombre de faits qui, sans eux, demeureraient épars; en leur assignant une cause et une loi probables, ils donnent satisfaction provisoire à ce besoin d'unité qui nous tourmente, et qui nous porte comme d'instinct à coordonner les faits sous des lois, et à ranger ces lois elles-mêmes sous des lois de plus en plus générales.Ils ont donc tort ceux qui prétendent que « ce qu'on appelle la science, se compose exclusivement de vérités démontrées et définitives ». Danger
des systèmes.
1. On peut oublier qu'ils ne sont, après tout, que des hypothèses, pour leur attribuer une valeur et une autorité qu'ils n'ont pas. Dans ces conditions, loin de favoriser les progrès de la science, ils ne peuvent que les retarder, et nuire à l'indépendance et à l'impartialité du savant, en lui faisant perdre de vue que l'hypothèse est, non la fin, mais le moyen de la science, et que le système le plus ingénieux est un édifice fragile qu'un seul fait dûment constaté suffit à renverser.Le scientifique vraiment digne de ce nom sait résister à cette illusion; il ne croit à ses théories que « sous bénéfice d'inventaire expérimental », pour parler avec Cl. Bernard. Sur toutes choses il a le respect des faits; aussi les accepte-t-il tels qu'ils lui sont fournis par l'observation, sans jamais leur faire violence, ni les « solliciter » pour les incliner dans le sens de ses idées. Il ne se lasse point d'observer, d'expérimenter. Il est lent à se construire un système, et ce système, quelque ingénieux qu'il lui paraisse, quelque peine qu'il lui ait coûtée, il ne s'en exagère pas la valeur; il n'y voit qu'un lieu de passage et non un lieu de repos : aussi est-il prêt à y renoncer à la première sommation de l'expérience et des faits. Delà cette souplesse, cette liberté d'esprit et aussi cette modestie qui caractérisent le vrai savant, tandis que celui qui est inféodé à un système est toujours plus ou moins orgueilleux, intolérant, impatient de la contradiction. L'idée et les faits dans les sciences de la natureIl y a trois moments essentiels dans la méthode expérimentale : l'observation, la suggestion, la vérification. Comme dit Cl. Bernard : le fait suggère l'idée, l'idée dirige l'expérience, et l'expérience juge l'idée.Impossible de formuler plus nettement le rôle de l'idée et des faits dans la science, et de marquer plus clairement que, si la première donne aux faits leur signification, ceux-ci, à leur tour, fournissent à l'idée son contrôle et décident de sa valeur. C'est ce qui n'a pas toujours été compris. Tantôt les scientifiques ont attribué à l'idée une valeur propre et indépendante de l'expérience, et tantôt, ils ont prétendu s'affranchir de l'idée pour ne tenir compte que des faits. De là deux méthodes bâtardes qui ont grandement retardé le progrès des sciences de la nature : la méthode hypothétique, caractérisée par l'oubli des faits et l'abus de l'hypothèse, et la méthode empirique, caractérisée par le rejet de toute hypothèse, et le souci exclusif des faits. Importance des
faits. - Réfutation de la méthode hypothétique.
C'est en ce sens que Newton se défendait de faire des hypothèses : hypotheses non fingo, et qu'il répétait souvent : Ô physique, méfie-toi de la métaphysique! Non pas assurément qu'il méconnût le rôle de l'idée dans la science et qu'il condamnât l'hypothèse, lui qui en a conçu de si grandioses, mais pour bien marquer qu'il ne lui reconnaissait d'autre valeur que celle qui lui vient de l'expérience et des faits. Et en effet, l'expérience a toujours le dernier mot. Que les faits donnent raison à une hypothèse ou qu'ils lui donnent le démenti, dans l'un et l'autre cas, il n'est pour l'esprit qu'une seule attitude légitime : la soumission. En réalité, les faits et les observations sont toujours la partie la plus solide de la science, et survivent souvent aux théories et aux hypothèses les plus ingénieuses. Comme Antée, la science humaine, même dans ses plus sublimes conceptions, n'acquiert de force et de valeur qu'en prenant contact avec le terrain solide des faits. Jenner, l'inventeur de la vaccine, étudiait à Londres l'anatomie sous John Hunter. Un jour qu'il communiquait à son maître ses vues, ses hypothèses: « Je pense... », l'illustre anatomiste l'interrompit : « Ne pensez pas, essayez, surtout soyez patient et exact ». Jenner suivit le conseil; il observa, il expérimenta vingt ans, et arriva au résultat que l'on sait. 2. Voilà ce que ne comprend pas la méthode hypothétique. Son grand défaut est de substituer la divination à l'observation patiente, à l'expérimentation méthodique. Le fait à peine constaté, elle invoque pour l'expliquer une hypothèse plus ou moins ingénieuse, et, sans prendre la peine de la soumettre au contrôle des faits, elle l'érige prématurément en loi indiscutable, pour en déduire très logiquement des conséquences aussi fragiles qu'elle. C'est cette méthode fantaisiste qui nous a valu : en chimie, la théorie des quatre éléments, celles du chaud et du froid, du sec et de l'humide, destinées à expliquer tous les corps et leurs transformations: en physique, l'horreur du vide; en astronomie, le système de Ptolémée avec ses cieux solides et incorruptibles, sans parler des extravagances de l'alchimie et de l'astrologie judiciaire. Il est si facile d'imaginer, et si difficile de savoir! 3. Au reste, cet abus de l'hypothèse n'est pas exclusivement propre à l'antiquité, ni surtout au Moyen âge. comme on le lui reproche souvent. Les tourbillons, les animaux-machines de Descartes, et, plus tard la théorie de l'éther pour expliquer la propagation des ondes électromagnétiques ne sont, en somme, que des conceptions de l'esprit érigées prématurément en vérités démontrées. Non, la nature ne se laisse pas ainsi deviner, et les fails, après avoir suggéré l'hypothèse, doivent encore la juger en dernier ressort. Sans doute, I'épreuve peut rester indécise : mais alors la prudence s'impose, et, s'il est permis de conserver une hypothèse à titre provisoire, rien n'autorise à s'en exagérer lavaleur au point de condamner d'avance tout ce qui paraît y contredire. Comme le dit pompeusement Buffon, « tout édifice bâti sur des idées abstraites est un temple élevé à l'erreur ». Nécessité
de l'idée. - Réfutation de la méthode empirique.
1. Pour saisir le vice d'une pareille méthode, rappelons-nous que le fait n'est rien par lui-même; qu'il ne vaut que par l'idée qui s'y rattache ou par la preuve qu'il fournit. « Quand on qualifie un fait de découverte, dit CIaude Bernard. ce n'est pas le fait lui-même qui constitue la découverte, mais l'idée nouvelle qui en dérive. »Si Papin s'était contenté de découvrir que l'eau qui bout dans une marmite en fait sauter le couvercle, il n'eût pas rendu un grand service à l'humanité; c'est l'idée générale de la force expansive de la vapeur qui a été féconde. Les sciences ne se proposent pas uniquement de voir et de constater, mais encore et surtout de comprendre et d'expliquer. Les faits sont pour elles des signes qu'il s'agit d'interpréter, et cette interprétation ne peut se faire qui à la lumière de l'idée. Voilà pourquoi, si l'hypothèse n'a de valeur que par l'expérimentation. celle-ci, à son tour, n'a de puissance et d'efficacité que par l'hypothèse. C'est l'hypothèse qui formule le problème que l'expérimentation devra résoudre; c'est elle qui pose la question à laquelle la nature devra répondre; c'est elle qui dirige l'expérience de telle sorte que la nature soit mise eu demeure de se prononcer; c'est elle enfin qui permet de comprendre la réponse de la nature et des faits; car, dit encore Claude Bernard, celui qui ne sait pas ce qu'il cherche ne comprend pas ce qu'il trouve. 2. En effet, sans hypothèse qui la guide et l'éclaire, l'expérimentation n'est. qu'un pur tâtonnement; les expériences ont beau s'accumuler, si elles ne se rattachent à aucune idée qu'elles aient à confirmer ou à réfuter, elles demeureut insignifiantes et stériles. Bien plus, leurs résultats si divers, et en apparence contradictoires, déconcertent et déroutent l'esprit au lieu de l'instruire. Vaga experientia mera palpatio est, et homines potius stupefacit quam informat (Bacon). On le voit, les faits ne sont pas la science, mais seulement les matériaux et les moyens de la science. Une accumulation de faits n'est pas plus une science qu'un tas de pierres n'est une maison; il y faut de plus l'idee directrice, l'élément rationnel qui en relie toutes les parties, et mette l'ordre dans celle confusion. Empirisme
et méthode expérimentale.
I. - Empirisme. Ce mot sert à signifier tantôt : • Comparaison.A) Une doctrine : être empiriste, en psychologie, c'est prétendre que l'expérience est l'unique source de nos connaissances. C'est l'opinion de Locke, de Condillac, de Stuart Mill, de Spencer.Il. - Expérience : de même, le mot expérience signifie tantôt L'empirisme et la méthode expérimentale diffèrent par leurs : I. - Buts : l'empirisme se contente de constater les faits, s'arrête à ce qui est accidentel et particulier. - La méthode expérimentale vise à la connaissance des causes et des lois, recherche ce qui est essentiel et général.La méthode expérimentale aboutit à des conclusions robustes, qui permettent de prévoir et d'agir en conséquence. Conclusion: dans l'Empirisme l'esprit devient l'esclave de la nature ; dans la méthode expérimentale, il la maîtrise et l'assujetit aux lois de la raison. C'est le cas de répéter le mot d'Auguste Comte : « L'empirisme pur est stérile. » Union de l'idée
et des faits. - Méthode expérimentale.
I. Avec la première, elle admet l'idée : mais elle n'y voit qu'un point de départ, une supposition qui attend sa sanction définitive de l'expérience: avec la seconde, elle comprend l'importance capitale des faits, mais elle comprend aussi qu'ils doivent être interprétés par l'hypothèse et mis en valeur par le raisonnement expérimental; de la sorte, elle échappe à la fois aux extravagances de l'une et à l'insuffisance de l'autre. Méthode des sciences naturellesLa généralisationDouble aspect de la généralisation.La généralisation a pour terme des idées générales de rapports; elle y arrive par la définition et la classification. Ces deux procédés de la généralisation correspondent aux deux propriétés de toute notion générale : la compréhension (ensemble des caractères qu'elle renferme) et l'extension (ensemble des êtres auxquels elle s'applique, en raison de cette ressemblance commune). La compréhension et l'extension sont deux aspects de l'idée générale : au point de vue compréhensif, l'idée générale représente un type, une essence, ce qu'Aristote appelle la forme de l'être; au point de vue extensif, elle représente un genre, une classe. Ainsi l'idée de vertébré représente à la fois un certain type d'organisation et un certain groupe d'animaux. De même la définition et la classification sont deux formes de la même opération, la généralisation : définir, c'est dégager les caractères essentiels des êtres et déterminer leurs types; classer, c'est coordonner les êtres d'après leurs ressemblances essentielles. Ces deux aspects de la généralisation sont pratiquement inséparables : on ne peut définir sans classer au moins virtuellement, car toute définition est applicable à une certaine catégorie d'êtres; on ne peut non plus classer sans définir, parce que toute classification naturelle a pour fondement un ensemble de caractères essentiels qui constitue tel type d'êtres. C'est pourquoi le système d'idées générales, dont se compose une science, peut être disposé en une série de définitions et de classifications alternatives, parce que la définition et la classification sont corrélatives comme la compréhension et l'extension. Priorité
de la définition.
« Sans doute en définissant par le type générique, on fait, par cela même, entrer l'espèce définie dans le groupe où ce type se réalise. Mais ce n'est là qu'une conséquence, car ce classement suppose un motif et ce motif ne peut être que la participation à l'essence commune du groupe. Comment savoir que tel animal est au nombre des vertébrés, si, avant tout, nous ne savons ce que c'est qu'être vertébré? Le type, qui définit le groupe, doit donc être visé tout d'abord. » (Rabier, Logique, ch. XI).Les naturalistes le reconnaissent eux-mêmes, implicitement, quand ils disent que la classification a pour fondement la subordination des caractères essentiels. Ordre à
suivre.
A. - Définition, qui énumère les caractères essentiels des êtres. La définition empiriqueMéthode à suivre.La définition empirique, dont le but est de déterminer la compréhension des êtres, leurs éléments constitutifs, implique trois opérations principales : 1° le dénombrement complet des caractères des êtres à classer; - 2° l'élimination des caractères accidentels; - 3° la hiérarchisation des caractères essentiels ou constitutifs qui restent. Dénombrement
complet des caractères.
Élimination
des caractères accidentels.
A) Indices de l'accidentel et de l'essentiel. Le critérium de l'accident c'est le manque de liaison et d'influence; l'accident c'est ce qui n'est pas nécessairement lié avec l'ensemble de l'être où il apparaît. - Le critérium du caractère essentiel c'est la liaison et l'influence : le caractère constitutif est celui dont la présence ou l'absence entraîne la présence ou l'absence au moins d'une partie notable de l'ensemble auquel il appartient.Hiérarchisation des caractères essentiels. Jusqu'ici tous les caractères constitutifs sont sur le même plan; reste à déterminer leur ordre hiérarchique, c'est-à-dire leurs rapports mutuels. A) Principe de hiérarchisation : pour distinguer l'essentiel de l'accidentel, l'indice c'est l'existence ou le manque d'influence et de liaison. Mais les caractères essentiels, qui restent après exclusion des accidentels, n'ont pas tous la même importance. Pour déterminer la valeur de leurs rapports, l'indice sera le mode spécial d'influence et de liaison. A la lumière de ce critérium, on peut distinguer entre les caractères essentiels des rapports de coordination et de subordination : 1° Caractères coordonnés, connexes, corrélatifs, c'est-à-dire de même ordre : ce sont des caractères qui sont toujours liés à d'autres caractères, de telle sorte que, les uns disparaissant, les autres disparaissent aussi ex. : la présence des canines entraîne un seul estomac; « la forme de la dent entraîne la forme du condyle, celle de l'omoplate, celle des ongles, tout comme l'équation d'une courbe entraîne toutes ses propriétés ». (Cuvier, Discours sur les révolutions de la surface du globe)B) Résultat : une fois qu'on a établi les rapports de coordination et de subordination des caractères essentiels, on a non seulement les éléments de la définition, mais leur ordre hiérarchique. L'ensemble des caractères dominateurs constitue le genre; la réunion des caractères subordonnés forme la différence spécifique ; ex. : on définit l'oiseau : un Vertébré (genre prochain), ovipare, à circulation double (différence spécifique). Conclusion : chacune des opérations employées a son rôle particulier. Le dénombrement complet des caractères tant accidentels qu'essentiels rend la notion des êtres à définir aussi adéquate qu'elle peut l'être; - l'élimination des accidents la rend propre à telle classe d'êtres; - la hiérarchisation des caractères essentiels, distingués d'une part en dominateurs ou génériques et de l'autre en subordonnés ou spécifiques, la rend systématique. La définition ainsi obtenue est une classification en miniature et le premier échelon d'une classification générale. Définitions
mathématiques et définitions empiriques.
I.
- Origine.
II.
- Procédé.
III.
-Valeur.
IV.
- Rôle et place.
La classificationToutes les sciences font usage de la classification : le chimiste classe les différents corps; le philologue classe les diverses langues; le sociologue classe les différents types d'organisation sociale, etc. Toutefois, ce procédé étant caractéristique des sciences de la nature, c'est à elles que les autres sciences en empruntent les principes généraux.En général, classer, c'est ranger les êtres, d'après leurs ressemblances et leurs différences, en un certain nombre de groupes méthodiquement distribués. Classification artificielle et classification naturelle. Les classifications peuvent être envisagées sous deux points de vue : soit comme un procédé commode, mais arbitraire et artificiel, qui nous permet de coordonner, d'éclaircir et de communiquer aux autres nos connaissances; soit comme l'expression de ce que nous croyons être les rapports essentiels et invariables des choses. De là deux sortes de classifications : les classifications artificielles et les classifications dites naturelles. Classification
artificielle.
On peut en distinguer de deux sortes, suivant que leur but est exclusivement pratique, ou qu'il est théorique et scientifique. 1. Au premier groupe appartiennent certaines classifications usuelles, qui ne sont parfois que de simples classements. Ainsi l'agriculteur classe les animaux en utiles et en nuisibles; l'horticulteur classe les plantes en annuelles, bisannuelles et vivaces; l'herboriste, en vénéneuses et officinales, etc.On leur donne le nom de systèmes, pour les distinguer des classifications naturelles appelées de préférence méthodes. Telle est la classification des plantes proposée par Tournefort, qui est fondée sur la présence ou l'absence de corolle; celle de Linné, déjà plus savante, qui prend pour base la fleur, d'où la division des plantes en phanérogames, c'est-à-dire douées de leurs apparentes (étamines et pistil), et en cryptogames, sans fleurs apparentes. L'utilité de ces classifications est évidente. Elles permettent de trouver dans les livres spéciaux le nom scientifique d'une plante ou d'un animal, leurs rapports de ressemblance ou de différence avec les espèces voisines, et par là, elles facilitent grandement l'étude comparée des différents êtres de la nature. Elles soulagent la mémoire, en mettant un certain ordre provisoire dans nos connaissances; en un mot, et pour toutes ces raisons, elles servent très efficacement à préparer, les classifications naturelles. Classification
naturelle.
• La classification naturelle se distingue de la classification artificielle en deux points : a) Elle ne repose plus sur tel ou tel caractère, arbitrairement choisi, mais sur la totalité des caractères, auxquels elle s'efforce de conserver leur valeur réelle.• Ce n'est pas à dire que la classification naturelle soit dépourvue d'utilité; tout au contraire. a) Elle offre cet avantage de substituer un petit nombre d'idées générales très claires à un nombre incalculable de notions complexes que la mémoire ne saurait retenir.Une théorie de la classification naturelle. Deux principes ont guidé ordinairement le travail de la classification des espèces vivantes : c'est à savoir, le principe de l'affinité naturelle, le principe de la subordination des caractères. Principe
de l'affinité naturelle.
Pour faciliter la détermination de ces différents types, en dégageant les lois de coexistence de leurs caractères communs, les naturalistes formulent un certain nombre de règles suggérées par l'étude directe des êtres vivants. Les plus générales ont été proposées par Cuvier et par Geoffroy Saint-Hilaire, sous le nom de principe des corrélations organiques ou des parties, et de principe des connexions organiques. • Principe des corrélations organiques. - Le type naturel est constitué par un ensemble de formes qui s'impliquent et se supposent nécessairement, en même temps qu'elles en excluent certaines autres. a) On appelle coordonnés les caractères qui sont tellement liés entre eux que la présence, l'absence ou la variation de l'un entraîne la présence, l'absence ou la variation des autres et réciproquement, en sorte que, connaissant tel ou tel caractère d'un être, on peut immédiatement conclure à ceux qui l'accompagnent un qui sont incompatibles avec lui. Ce sont là autant de conséquences du principe des corrélations organiques ou des parties formulé pour la première fois par Cuvier. D'après ce principe, « il y a des conformations d'organes qui s'appellent et des conformations d'organes qui s'excluent, en sorte qu'une modification dans l'une des parties d'un organisme entraîne des modifications de toutes les autres parties ».• Principe des connexions organiques. - Le principe des corrélations organiques est complété par celui des connexions organiques, dont l'auteur est Geoffroy Saint-Hilaire et qui peut s'énoncer ainsi : « Tout être est composé d'après un type ou plan général dont les différentes parties sont toujours en nombre égal et semblablement placées, quelles que soient les modifications secondaires qu'elles puissent subir dans les différentes espèces. »Ce principe, qui sert de base à l'anatomie, fait dépendre la détermination des types non tant de la fonction des organes, de leur forme ou de leur structure, que de leur position relative et de leur dépendance mutuelle, conséquence de cette position. « De l'identité des connexions, dit Allier, résulte l'unité du type. Le singe, l'homme, l'éléphant, l'oiseau et le poisson se ramènent à un seul et même type, parce que le corps de ces divers animaux est composé d'un certain nombre de pièces placées les unes par rapport aux autres dans le même arrangement. »• Le même auteur écrit : « Du principe des connexions résulte celui de l'importance des organes rudimentaires; sans la considération de ceux-ci, il est impossible d'avoir des connexions réelles et par là de marquer la correspondance réelle des organes dans les diverses espèces. Enfin, l'étude de ces organes rudimentaires montre qu'ils coexistent toujours avec d'autres très développés; on ne tarde pas à découvrir qu'une pièce d'un système n'acquiert jamais une prospérité extraordinaire sans qu'une autre du même système n'en souffre dans une même raison : de là le principe du balancement des organes (Idem). »Principe de la subordination des caractères. Les différents types une fois constitués, il s'agit de les classer. On y parvient au moyen du principe de la subordination des caractères, formulé par A. Laurent de Jussieu. Ce principe exprime qu'il faut subordonner entre elles les divisions comme le sont les caractères sur lesquels elles se fondent; c'est-à-dire que les divisions les plus générales seront fondées sur les caractères les plus importants, et les moins générales sur les moins importants. 1. En effet, les caractères essentiels d'un être ne sont pas tous de même ordre, ni, pour ainsi dire, sur le même plan. Les uns sont subordonnés et les autres dominateurs.Comment la génétique change la donne. La génétique, en révélant les relations de parenté entre les différentes espèces et les différents groupes d'organismes vivants, débouche sur une approche différente de la classification des espèces vivantes, basée sur la notion d'arbre phylogénétique ( = arbre généalogique). Une méthode particulière, la cladistique, s'attache à la construction d'un tel arbre, branche (ou clade) par branche. Le principe de cette approche consiste à déterminer comment une espèce ou un groupe particulier à évolué à partir d'un autre groupe formant ainsi une ou plusieurs branches nouvelles. Le résultat offre un tableau général souvent assez proche de celui de la classification traditionnelle. Mais il existe aussi des discordances notables. Par exemple, le groupe des reptiles, qui renferme dans l'ancienne classification les serpents, les lézards, les tortues et les crocodiliens, réunit, selon l'approche cladistique, deux groupes qui n'ont pas les mêmes ancêtres. Il faut ainsi considérer à part le groupe formé par les serpents, les lézards et les tortues, et le groupe dont font partie les crocodiliens, mais aussi les oiseaux. L'analogieNature de l'analogie.On peut considérer l'analogie, soit comme une relation entre les choses, soit comme un procédé de l'esprit. Au premier point de vue, elle consiste en une similitude imparfaite entre objets d'ordre différent. Il y a analogie entre la trachée de l'insecte, la branchie du poisson et le poumon de l'oiseau; il y a analogie entre la physiologie de la plante et celle de l'animal. En littérature, l'analogie est le principe des allégories et des métaphores; car la métaphore consiste précisément à appliquer à un objet le nom ou l'image d'un autre objet avec lequel on lui trouve de la ressemblance. Ainsi, le printemps de la vie, les glaces de l'âge, etc., sont des locutions métaphoriques, parce qu'il y a analogie entre les âges de la vie et les saisons de l'année. Il appartient à la métaphysique de traiter de l'analogie ainsi entendue. Considérée comme procédé de l'esprit, l'analogie se définit comme un raisonnement qui conclut, de certaines ressemblances observées, à d'autres ressemblances non encore observées. Par exemple : on a constaté que la planète Mars ressemble à la Terre par sa forme, par son mouvement de révolution et de rotation, par la présence d'une atmosphère : on est porté à en conclure, par analogie, qu'elle est habitée comme la terre. (L'analogie se présente aussi sous forme spontanée. Elle n'est alors qu'un cas d'association par ressemblance). On comprend que, par lui-même, le raisonnement analogique ne conduit jamais qu'à une probabilité plus ou moins grande. En effet, comme il ne conclut que du semblable au semblable, si l'on admet que les ressemblances influent d'une certaine manière sur le reste des caractères, on petit toujours craindre que les différences n'influent en sens opposé. De là le caractère hypothétique de toute conclusion par analogie. En réalité, ce raisonnement se résout en une déduction appuyée sur une induction préalable. Ainsi, dans l'exemple cité, je suppose cette induction, que toutes les planètes qui ont une atmosphère sont habitées, et j'en déduis que Mars, ayant une atmosphère, doit aussi être habité. Or, cette induction étant pour le moins hasardeuse, la conclusion que j'en tire ne saurait avoir plus de valeur. Du reste, l'analogie est d'autant plus probable qu'elle repose sur des ressemblances (constatées ou présumées) plus nombreuses et plus importantes, et que, d'autre part, les différences étant moins nombreuses et moins importantes, on est en droit de supposer qu'elles exercent moins d'influence sui-les autres caractères. C'est sans doute pour avoir confondu l'induction avec l'analogie, que Port-Royal a contesté à la première le pouvoir d'engendrer une véritable certitude. Eu fait, ces deux procédés sont profondément distincts. Induction
et analogie.
Des ressemblances accidentelles et incomplètes sont parfois un point de départ suffisant au raisonnement par analogie, tandis que le raisonnement inductif suppose toujours des ressemblances essentielles et spécifiques. L'induction proprement dite engendre une véritable certitude, théoriquement du moins; la conclusion par analogie conserve toujours, plus ou moins, le caractère d'une hypothèse. Du reste, dans l'un et dans l'autre procédé, la conclusion débordant en quelque manière les prémisses, ce passage du moins au plus ne peut se légitimer qu'en vertu d'un principe de raison, lequel est, selon le cas, le principe des lois, ou le principe de l'unité de plan de la nature. Trois sortes d'analogie.
• Une analogie du premier genre est celle qui, en histoire naturelle, permet de conclure de la ressemblance des organes à celle des fonctions. Ainsi, de la ressemblance qui existe entre les membres fossiles d'une espèce disparue et la nageoire du poisson ou l'aile de l'oiseau, on inférera que cette espèce devait se mouvoir dans l'eau ou dans l'air.Règles relatives à l'emploi de l'analogie. Énoncé. Nous avons vu que le raisonnement analogique a d'autant plus de valeur qu'il repose sur des ressemblances plus nombreuses et plus profondes. • La première règle sera donc de ne pas conclure de ressemblances trop superficielles, et de ne pas négliger les différences qui les accompagnent. - Ainsi l'analogie des formes et des mouvements ne saurait autoriser à conclure, avec Fontenelle, que toutes les planètes sont habitées.Vérification de l'analogie. Il est trois moyens de tranformer eu véritable certitude la conclusion probable du raisonnement analogique. • Par démonstration, si l'on réussit à prouver que la conclusion ne porte que sur les ressemblances qui existent entre les analogues, et qu'aucune des différences qui s'y mêlent n'est de nature à l'infirmer.Rôle de I'analogie dans les sciences de la nature. Le rôle de l'analogie est prépondérant dans les sciences de la nature. Tout d'abord elle suggère la plupart des hypothèses; car celles-ci ne sont, le plus souvent, que la conclusion d'un raisonnement analogique, dont le point de départ est une association par ressemblance. Il faut beaucoup de connaissances et d'expérience au chercheur pour deviner ainsi les ressemblances cachées et profondes, sur quelques données superficielles dont un esprit non préparé ne saurait soupçonner la portée. En physique l'analogie, par la même qu'elle inspire l'hypothèse, prépare les voies à la découverte de la cause; tandis qu'en histoire naturelle elle tient lieu de rapport causal. On peut ainsi distinguer deux sortes d'inductions : les inductions causales, qui ont une valeur absolue et définitive, du moins en théorie, et les inductions analogiques, dont la valeur reste hypothétique et provisoire jusqu'à ce qu'elles aient été confirmées ou condamnées par l'une des règles indiquées plus haut. Ainsi cette hypothèse qui conclut par analogie que tous les mammifères sont vivipares, a été sérieusement ébranlée par la découverte de l'ornithorynque, mammifère d'Australie, ovipare. (G. Sortais / P. Lahr). |
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