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La découverte de la matière
La métallurgie antique
Avant la découverte des métaux, il était fait usage de pierres siliceuses, tranchantes ou pointues, soit à la chasse, soit à la guerre, comme armes d'attaque ou de défense. On y substitua plus tard le bronze et le fer. Mais, malgré ces perfectionnements apportés à la fabrication d'instruments indispensables, on continua pendant longtemps encore à se servir des silex. C'est pourquoi l'ancienne division historique de l'humanité, en âge de pierre, âge de bronze et âge de fer, quelque séduisante qu'elle soit en théorie, présente des difficultés insurmontables dans son application.

L'or et l'argent.
Quels sont les métaux qui furent les premiers connus? Évidemment ceux qui se rencontrent dans la nature avec leurs propriétés physiques les plus saillantes. L'or natif attire, par sa couleur et son éclat, non seulement l'attention des humains, mais encore le regard de certains animaux, tels que les pies, les corbeaux. Dans les langues anciennes, en hébreu, en phénicien, le mot zahab, or, a pour racine le verbe tzanab, briller (Exode, XXV). Du temps de la rédaction de la Genèse, et sans doute bien antérieurement à cette époque, on faisait des coupes, des encensoirs , des candélabres , avec de l'or pur. On sait combien l'or, non durci par un alliage, est facile à travailler au marteau.

L'argent devait être également connu de bonne heure; car on le trouve aussi à l'état natif, moins souvent cependant que l'or. Son  nom primitif est emprunté à la couleur du métal : khesef, qui signifie argent dans les langues sémitiques, dérive du verbe khasaf, être pâle, de même que le grec argyros vient d'argos, blanc, d'où le mot argentum, etc.

Les plus anciennes monnaies d'or et d'argent d'Athènes et de Rome sont en or et en argent, presque chimiquement purs. Après rétablissement de l'empire romain, le titre des monnaies, c'est-àdire la proportion de leur alliage, était déterminé par des lois spéciales. Mais bientôt ces lois firent place à la volonté des empereurs qui, dans un intérêt personnel, se faisaient faux monnayeurs. Ils se flattaient de l'espoir de calmer par des largesses, l'indiscipline de la milice prétorienne qui disposait, en souveraine, du sceptre de l'empire. C'est ainsi qu'au Moyen âge les rois recourront encore à l'altération des monnaies pour se procurer les trésors nécessaires aux guerres, longues et sanglantes, qu'ils avaient à soutenir contre leurs puissants vassaux.

Après l'or et l'argent viennent, dans l'ordre d'ancienneté, le plomb, l'étain, le cuivre, le mercure, et le fer. Ces métaux existent dans la nature le plus ordinairement à l'état de minerais. C'est-à-dire combinés avec le soufre, l'oxygène, le phosphore et d'autres éléments minéralisateurs, qui en altèrent complètement l'aspect.

Le plomb et l'étain.
Le plomb et l'étain formaient une branche importante du commerce des Phéniciens et des Carthaginois avec l'Espagne et les îles Britanniques qui reçurent de la richesse de leurs mines d'étain le nom d'îles Cassitérides. Ces deux métaux étaient employés dans l'affinage de l'or et de l'argent. La litharge (oxyde de plomb), résultat de cet affinage (sorte de coupellation), se nommait chrysitis lorsqu'elle provenait de l'affinage de l'or, et argyritis quand elle provenait de celui de l'argent (Pline, Dioscoride). Le minium s'obtenait pendant la calcination de la galène, nommée molybdaena, principal minerai de plomb. Le plus beau provenait du grillage de la céruse. Il servait, en peinture, comme la litharge, pour la préparation de la couleur rouge; en médecine, pour la préparation des emplâtres.

Le blanc de plomb (cerusa des Romains, psimnmythion des Grecs) se fabriquait en grand à Rhodes, à Corinthe et à Sparte. Voici le procédé des Rhodiens : ils mettaient des sarments dans des tonneaux de vinaigre, étendaient sur ces sarments des lames de plomb et fermaient les tonneaux avec des couvercles. En les ouvrant après un certain laps de temps, ils trouvaient le plomb changé en céruse (Vitruve, VII, 12). Le produit, ainsi obtenu, servait de fard aux dames romaines.

Dioscoride, Pline et Galien connaissaient les propriétés toxiques des préparations de plomb.

L'étain, auquel Homère donne l'épithète de brillant (Kassiterosfaeinos) servait déjà, du temps de ce poète, à la fabrication des boucliers et d'autres ustensiles. C'est aux Gaulois que revient l'honneur de l'utile invention de l'étamage. 

« Les Gaulois se servaient, dit Pline, de l'étain pour recouvrir les vases de cuivre, qui acquièrent ainsi le double avantage d'être exempts d'une saveur désagréable et d'être préservés d'une rouille nuisible. »
Les vases étamés des Gaulois, vasa incoctilia, étaient fort estimés des Romains. Les habitants d'Alise substituaient, dans l'étamage, l'argent à l'étain; et les Bituriges argentaient jusqu'à leurs litières et leurs chariots.

En faisant fondre les minerais de cuivre avec l'étain on obtenait directement l'airain. Ce n'est que sous la forme de cet alliage que le cuivre fut d'abord connu.

Le bronze.
L'airain ou bronze remplaçait primitivement le fer dans la fabrication des armes, des instruments aratoires, des outils employés dans les arts, etc. Mais si ce fait est facile à démontrer par l'analyse, il est extrêmement malaisé de déterminer exactement l'époque à laquelle appartenaient ces instruments. En traitant la limaille de cet alliage de cuivre par du vinaigre, on obtenait l'oerugo des Romains ou l'ios des Grecs. Ce même nom se donnait aussi à la matière qu'on obtenait en chauffant des clous de bronze ou de cuivre saupoudrés de soufre dans un vase de terre, et exposant le produit de la calcination à l'humidité. Enfin, les Anciens appelaient tantôt oerugo, ios, tantôt chalcanthos, chalcitis, scolecia, misy, siry, la matière purvérulente qui s'engendre, sous forme de taches vertes, à la surface du cuivre ou des alliages de cuivre, exposés à l'influence d'un air humide.

Mais si le nom était le même, la substance à laquelle il s'appliquait était loin d'avoir toujours la même composition : l'oerugo, préparé à l'aide du soufre, était le sulfate de cuivre (couperose bleue); l'oerugo obtenu au moyen du vinaigre était l'acétate de cuivre, et celui qui se produit naturellement était le carbonate de cuivre (vert-de-gris). Cette distinction est importante pour l'interprétation exacte du texte des anciens, d'autant plus que l'oerugo a longtemps été traduit par verdet ou vert-de-gris.
Sans doute les Grecs et les Romains n'avaient aucun moyen pour distinguer ces différentes substances entre elles. Mais si l'analyse chimique n'était pas encore née, il n'en était pas de même de la falsification qui, comme le mensonge, semble dater de l'origine de l'espèce humaine. 

« On falsifie, dit Pline, l'oerugo de Rhodes avec du marbre pilé. D'autres le sophistiquent avec de la pierre-ponce ou de la gomme pulvérisée. Mais la fraude qui trompe le plus, c'est celle qui se fait avec l'atramentum sutorium. »
Ainsi, il y a deux mille ans, on était aussi habile à frauder qu'aujourd hui. Mais, si le mal est prompt à l'attaque, on songe aussi promptement à se défendre. Après avoir signalé la fraude, Pline indique immédiatement le moyen de la reconnaître. Pour s'assurer si la couperose bleue (oerugo) est mêlée avec de la couperose verte (atramentum sutorium), il recommande d'appliquer l'oerugo sur une feuille de papyrus, préalablement trempé dans du suc de noix de galle. 
« Sil y a, ajoute-t-il, fraude, le papier noircit aussitôt. »
Tel est le premier papier réactif dont il soit fait mention dans l'histoire. Ce même réactif n'a jamais cessé depuis lors de servir à déceler la présence d'un sel de fer dans un mélange quelconque; nouvelle preuve que le vrai levier du progrès est bien moins l'amour du bien que le génie du mal, contre lequel on cherche à se défendre.

Le fer.
Le fer brut, en masses non travaillées, était probablement connu depuis la plus haute Antiquité. L'arme de fer, dont il est parlé dans le Pentateuque et dans le Livre de Job (XX, 24), pouvait n'être qu'une simple massue. Quant au passage du Lévitique (I, 7) où il est question du partage de la victime offerte à la Divinité, les prêtres avaient la coutume d'employer, à cet effet, des couteaux en silex, kheref tsourinn. Enfin l'épithète wnaiq, qui accompagne, dans Homère (Odyssée, I, 18), le mot stohros, fer, signifie à la fois noir et brillant, ce qui semble indiquer que le fer, mentionné par le poète, était du fer météorique ou de la sidérite.

Un fait certain, c'est que du temps d'Homère, environ huit cent ans avant notre ère, les outils du forgeron, l'enclume, le marteau et les tenailles, étaient en airain (Odyssée, III, 432-434). Avec un pareil outillage il aurait été impossible de travailler le fer. Cependant le même poète paraît avoir connu la trempe du fer; car, à propos du cyclope PoIyphème, auquel Ulysse creva l'oeil avec un pieux pointu, il dit : 

« Et il se fit entendre un sifflement pareil à celui que produit une hache rougie au feu et trempée dans l'eau froide; car c est-là ce qui donne au fer la force et la dureté. »
On sait que les Grecs attribuaient aux Cyclopes, aide-forgerons de Héphaïstos, la découverte du fer, et que les Chalybes - d'où vient sans doute le nom latin de chalybs, acier - passaient pour très habiles à travailler le fer. Sophocle (mort  en 405 avant J.-C.) comparait dans son Ajax (v. 720) un homme dur et entêté à du fer trempé. 

Dans la Bible il est souvent parlé aussi, au figuré, de la dureté du fer; l'auteur des Psaumes avait comparé un coeur insensible à une chaîne de fer; et le prophète Isaïe désignait par domination de fer une domination dure, tyrannique.

Que conclure de là? C'est que plus de mille ans avant l'ère chrétienne, on employait le fer, concurremment avec le bronze ou l'airain; le premier était sans doute encore rare, tandis que le second était fort commun. Quoi qu'il en soit, au commencement de l'empire romain, l'usage du fer était déjà très répandu. On savait que les aciers ne sont pas tous de même qualité, et qu'ils diffèrent entre eux suivant la trempe et le minerai d'où ils proviennent. Les espèces les plus recherchées s'appelaient stricturae, de stringere aciem, tirer l'épée; elles provenaient principalement des mines de fer de l'île d'Elbe. Côme, dans l'Italie supérieure, ainsi que les villes Bilbilis et Turiasso en Espagne étaient très renommées pour la trempe de leur fer.

Le fer a le défaut de se rouiller, de s'oxyder, très promptement au contact de l'air et de l'eau. Les anciens ne l'ignoraient pas, et ils cherchaient comme nous, à y remédier. Le moyen dont ils se servaient le plus souvent était une sorte de vernis, nommé antipathie; c'était un mélange de poix liquide, de plâtre et de céruse (Pline). La rouille et l'eau ferrée (qu'on préparait en éteignant dans l'eau des clous rougis au feu) étaient employées, bien avant Galien, dans le traitement des pâles couleurs, de l'anémie et de la dysenterie.

Les autres métaux.
Le zinc n'était pendant longtemps connu, sous le nom de chrysocal ou d'aurikhhalque, qu'allié avec le cuivre, et qu'à l'état d'oxyde, nommé pompholix. L'alliage s'obtenait en chauffant la cadmie ou calamine (minerai de zinc) avec un minerai de cuivre. Le produit blanc qui s'attachait à la voûte des fourneaux, et qui, à cause de sa légèreté, recevra plus tard des alchimistes le nom de laine des philosophes, lana philosophica, était l'oxyde de zinc (pompholix).

Les Anciens ne connaissaient l'antimoine et l'arsenic qu'à l'état de sulfures naturels. Le stimmi ou sulfure d'antimoine, qui s'appelait aussi stibi, stibium, barbason, platyophthalmon (oeil large), albastrurn (contraction d'album astrum), était employé dans le traitement des plaies récentes et pour noircir les cils. 

La sandaraque de Vitruve, de Pline, de Dioscoride, etc., était un sulfure arsenical, qui portait aussi les noms d'orpiment (auripigmentum) et d'arsenic. On l'employait dans la pommade épilatoire. Les Mysiens et les Cappadociens en faisaient un commerce spécial.

Les « métaux » des Égyptiens dans la perspective alchimique

Venons-en maintenant avec plus de détails aux connaissances qu'avaient les anciens Egyptiens. Non pas que ceux-ci aient eu des connaissances spéciales, ou du moins supérieures à celles de leurs voisins, mais parce que le savoir-faire métallurgique qui s'est développé dans la Vallée du Nil pendant plusieurs millénaires, a joué à partir du IIIe siècle de notre ère, en association avec les conceptions astrologiqueset néo-platoniciennes, un rôle particulier dans l'élaboration de la philosophie hermétique, elle-même socle théorique de l'art sacré et, partant, de l'alchimie

Sur les monuments de l'ancienne Egypte on voit figurer les métaux, soit comme butin de guerre, soit comme tribut des peuples vaincus; on en reconnaît l'image dans les tombeaux, dans les chambres du trésor des temples, dans les offrandes faites aux dieux. D'après Lepsius, les Egyptiens distinguent dans leurs inscriptions huit produits minéraux particulièrement précieux, qu'ils rangent dans l'ordre suivant : l'or, ou nub; l'argent, ou hat; l'asem, ou electrum, alliage d'or et d'argent; le chesteb, ou minéral bleu, tel que le lapis-lazuli; le mafek, ou minéral vert, tel que l'émeraude; le chomt, airain, bronze, ou cuivre; le men, ou fer (d'après Lepsius); enfin le taht, autrement dit plomb. 

Les diverses matières que l'on vient d'énumérer comprennent à la fois des métaux véritables et des pierres précieuses, naturelles ou artificielles. Entrons dans quelques détails : les Egyptiens distinguent d'abord le bon or, puis l'or de roche, c.-à-d. brut, non affiné, enfin certains alliages. L'argent se préparait avec des degrés de pureté très inégaux. Il était allié non seulement à l'or, dans l'électrum, mais au plomb, dans le produit du traitement de certains minerais argentifères. Ces degrés inégaux de pureté avaient été remarqués de bonne heure et ils avaient donné lieu chez les Anciens à la distinction entre l'argent sans marque, sans titre, asemon, et l'argent pur, monétaire, dont le titre était garanti par la marque ou effigie imprimée à sa surface. Le mot grec asemon s'est confondu d'ailleurs avec l'asem, nom égyptien de l'électrum, l'asem étant aussi une variété d'argent impur. Dans l'extraction de l'argent de ses minerais, c'était d'abord l'argent sans titre que l'on obtenait. Son impureté favorisait l'opinion que l'on pouvait réussir à doubler le poids de l'argent par des mélanges et des tours de main convenables. C'était en effet l'argent sans titre que les alchimistes prétendaient fabriquer par leurs procédés, sauf à le purifier ensuite. Dans les Papyrus de Leyde, et dans les manuscrits grecs conservés à la Bibliothèque nationale (Paris), les mots : « fabrication de l'asem », sont synonymes de transmutation ; celle-ci était opérée à partir du plomb, du cuivre et surtout de l'étain. C'était aussi en colorant l'asem que l'on pensait obtenir l'or: ce qui nous ramène à la variété d'argent brut qui contenait de l'or, c.-a-d. à l'électrum.

L'électros, ou electrum, en égyptien asem, alliage d'or et d'argent, se voit à côté de l'or sur les monuments; il a été confondu à tort par quelques-uns avec ce que nous appelons le vermeil, aujourd'hui argent doré, lequel est seulement teint à la surface. Plus dur et plus léger que l'or pur, cet alliage se prêtait mieux à la fabrication des objets travaillés. Il était regardé autrefois comme un métal du même ordre que l'or et l'argent : La planète Jupiter lui était consacrée à l'origine, attribution qui est encore attestée par les auteurs du Ve siècle de notre ère. Plus tard, l'électrum ayant disparu de la liste des métaux, cette planète fut assignée à l'étain. L'alliage d'or et d'argent se produit aisément dans le traitement des minerais qui renferment les deux métaux simples. C'était donc la substance originelle, celle dont on tirait les deux autres par des opérations convenables, et il n'est pas surprenant que les Anciens en aient fait un métal particulier; surtout aux époques les plus reculées, où les procédés de séparation étaient à peine ébauchés. Néron semble le premier souverain qui ait exigé de l'or fin. On conçoit dès lors que l'électrum ait eu une composition moins bien définie que les métaux purs et qu'il ait paru former le passage entre les deux. Le mot d'électrum avait d'ailleurs chez les Grecs et les Romains un double sens : celui de métal et celui d'ambre jaune. Plus tard, le sens du mot changea et fut appliqué au Moyen âge, peut-être à cause de l'analogie de la couleur, à divers alliages jaunes et brillants, tels que certains bronzes (similor) et le laiton lui-même

Les trois métaux précédents présentent le fait caractéristique d'un alliage compris par les Egyptiens dans la liste des métaux purs; association que l'airain et le laiton ont reproduite également chez les Anciens. En outre, cet alliage peut être obtenu du premier jet, au moyen des minerais naturels; et il peut être reproduit par la fusion des deux métaux composants, pris en proportion convenable. C'est donc à la fois un métal naturel et un métal factice : ce rapprochement met sur la trace des idées qui ont conduit les alchimistes à tâcher de fabriquer artificiellement l'or et l'argent. En effet, l'assimilation de l'électrum à l'or et à l'argent explique comment ces derniers corps ont pu être envisagés comme des alliages, susceptibles d'être reproduits par des associations de matières et par des tours de main; comment surtout, en partant de l'or véritable, on pouvait espérer en augmenter le poids (diplosis) par certains mélanges, et par certaines additions d'ingrédients, qui en laissaient subsister la nature fondamentale.

Le chesteb et le mafek vont nous révéler des assimilations plus étendues. Ce sont deux substances précieuses, qui accompagnent l'or et l'argent dans les inscriptions et qui sont étroitement liées entre elles. Ainsi, les quatre prophètes à Denderah portent chacun un encensoir : la premier en or et en argent, le second en chesbet (bleu), le troisième en mafek (vert), le quatrième en tehen (jaune). Or, le chesteb et le mafek ne désignent pas des métaux au sens moderne, mais des minéraux colorés, dont le nom a été souvent traduit par les mots de saphir et d'émeraude. En réalité, le nom de chesteb ou chesbet s'applique à tout minéral bleu, naturel ou artificiel, tel que le lapis-lazuli, les émaux bleus et leur poudre, à base de cobalt ou de cuivre, les cendres bleues, le sulfate de cuivre, etc. Il a servi à fabriquer des parures, des colliers; des amulettes, des incrustations, qui existent dans nos musées. Il personnifie la déesse multicolore, représentée tantôt en bleu, tantôt en vert, parfois en jaune, c.-à-d. la déesse Hathor, et plus tard, par assimilation, Aphrodite, la déesse grecque, et aussi Cypris, la divinité phénicienne de Chypre, a donné son nom au cuivre. Les Annales de Thoutmosis III distinguent le vrai chesbet (naturel) et le chesbet artificiel. L'analyse des verres bleus qui constituent ce dernier, aussi bien que celle des peintures enlevées aux monuments, ont établi que la plupart étaient colorés par un sel de cuivre. Quelques-uns le sont par du cobalt. Théophraste semble même parler explicitement du bleu de cobalt, sous le nom de bleu mâle, opposé au bleu femelle. Théophraste distingue également le cyanos autophyès, ou bleu naturel, venu de Scythie (lapis-lazuli) et le cyanos sceuastos, ou imitation, fabriquée depuis l'époque d'un ancien roi d'Egypte, et obtenue en colorant une masse de verre avec un minerai de cuivre pris en petite quantité. Le bleu imité devait pouvoir résister au feu; tandis que le bleu non chauffé (apyros), c.-à-d. le sulfate de cuivre naturel, ou plutôt l'azurite, n'était pas durable. Vitruve donne encore le procédé de fabrication du bleu d'Alexandrie, au moyen du sable, du natron et de la limaille de cuivre, mis en pâte, puis vitrifiés au feu : recette qui se trouve dans les alchimistes grecs, ainsi que le montrent les textes d'Olympiodore

On rencontre ici plusieurs notions capitales au point de vue qui nous occupe. D'abord l'assimilation d'une matière colorée, pierre précieuse, émail, couleur vitrifiée, avec les métaux; les uns et les autres se trouvant compris sous une même désignation générale. Cette assimilation, qui nous paraît étrange, s'explique à la fois par l'éclat et la rareté qui caractérisent les deux ordres de substances, et aussi par ce fait que leur préparation était également effectuée au moyen du feu, à l'aide d'opérations de voie sèche, accomplies sans doute par les mêmes ouvriers. Remarquons également l'imitation d'un minéral naturel par l'art, qui met en regard le produit naturel et le produit artificiel: cette imitation offre des degrés inégaux dans les qualités et la perfection du produit. Enfin nous y apercevons une nouvelle notion, celle de la teinture car l'imitation du saphir naturel repose sur la coloration d'une grande masse, incolore par elle-même, mais constituant le fond vitrifiable, que l'on teint à l'aide d'une petite quantité de substance colorée. Avec les émaux et les verres colorés ainsi préparés, on reproduisait les pierres précieuses naturelles; on recouvrait des figures, des objets en terre ou en pierre; on incrustait les objets métalliques.

Le mafek, ou minéral vert, désigne l'émeraude, le jaspe vert, l'émail vert, les cendres vertes, le verre de couleur verte, etc. Il est figuré dans les tombeaux de Thèbes, en monceaux précieux. De même que pour le chesbet, il y a un mafek vrai, qui est l'émeraude ou la malachite, et un mafek artificiel, qui représente les émaux et les verres colorés. La couleur verte des tombeaux et des sarcophages est formée par la poussière d'une matière vitrifiée à base de cuivre. Le vert de cuivre, malachite ou fausse émeraude naturelle, était appelé en grec chrysocolle, soudure d'or, en raison de son application à cet usage (après réduction et production d'un alliage renfermant un peu d'or et un cinquième d'argent, d'après Pline). C'était la base des couleurs vertes chez les anciens. Elle se trouvait, toujours suivant Pline, dans les mines d'or et d'argent; la meilleure espèce existait dans les mines de cuivre. On la fabriquait artificiellement, en faisant couler de l'eau dans les puits de mine jusqu'au mois de juin et en laissant sécher pendant les mois de juin et juillet. La théorie chimique actuelle explique aisément cette préparation, laquelle repose sur l'oxydation lente des sulfures métalliques. Le nom d'émeraude était appliqué par les Grecs, dans un sens aussi compréhensif que celui de mafek, à toute substance verte. Il comprend non seulement le vrai béryl, qui se trouve souvent dans la nature en grandes masses sans éclat; mais aussi le granit vert, employé en obélisques et sarcophages sous la vingt-sixième dynastie (La Basse époque); peut-être aussi le jaspe vert. Ces minéraux ont pu servir à tailler les grandes émeraudes de quarante coudées de long, qui se trouvaient dans le temple d'Ammon.

C'est au contraire à une substance vitrifiée que se rapportent les célèbres plats d'émeraudes, regardés comme d'un prix infini, dont il est question au moment de la chute de l'empire romain et au Moyen âge. Ainsi, dans le trésor des rois goths, en Espagne, les Arabes trouvèrent une table d'émeraude, entourée de trois rangs de perles et soutenue par 360 pieds d'or; ceci rappelle les descriptions des Mille et une Nuits. On a cité souvent le grand plat d'émeraude, le Sacro Catino, pillé par les croisés à la prise de Césarée, en Palestine, en 1101, et que l'on montre encore aux touristes dans la sacristie de la cathédrale de Gênes. Il a toute une légende. On prétendait qu'il avait été apporté à Salomon par la reine de Saba. Jésus aurait mangé dans ce plat l'agneau pascal avec ses disciples. On crut longtemps que c'était une véritable émeraude; mais des doutes s'élevèrent au XVIIIe siècle. La Condamine avait déjà essayé de s'en assurer par artifice, au grand scandale des prêtres qui montraient ce monument vénérable. Il fut transporté, en 1809, à Paris, où l'on a constaté que c'était simplement un verre coloré, et il retourna, en 1815, à Gênes, où il est encore. La confusion entre une série fort diverse de substances de couleur verte explique aussi la particularité signalée par Théophraste, d'après lequel l'émeraude communiquerait sa couleur à l'eau, tantôt plus, tantôt moins, et serait utile pour les maladies des yeux. Il s'agit évidemment de sels basiques de cuivre, en partie solubles et pouvant jouer le rôle de collyre. 

Les détails qui précèdent montrent de nouveau une même dénomination s'appliqu à un grand nombre de substances différentes, assimilées d'ailleurs aux métaux: les unes naturelles, ou susceptibles parfois d'être produites dans les mines, en y provoquant certaines transformations lentes, telle est la malachite; d'autres sont purement artificielles. On conçoit dès lors le vague et la confusion des idées des Anciens, ainsi que l'espérance que l'on pouvait avoir de procéder à une imitation de plus en plus parfaite des substances minérales et des métaux, par l'art aidé du concours du temps et des actions naturelles.

Après le chesbet et le mafek, la liste des métaux égyptiens se poursuit par un vrai métal, le chomt, nom traduit, d'après Lepsius, par cuivre, bronze, airain, et qui se reconnaît à sa couleur rouge sur les monuments. Champollion traduisait le même mot par fer. Cette confusion entre l'airain et le fer est ancienne. Déjà le mot latinoes, airain, répond au sanscritayas, qui signifie le fer. Ici encore, les Egyptiens comprenaient sous une même dénomination un métal pur, le cuivre, et ses alliages, obtenus plus facilement que lui par les traitements métallurgiques des minerais. Le cuivre pur, en effet, s'est rencontré rarement autrefois, bien qu'il existe à l'état natif : par exemple, dans les dépôts du lac Supérieur en Amérique; et bien qu'il puisse être réduit de certains minerais à l'état pur. Mais il se prête mal à la fonte. Dans la plupart des cas, la réduction s'opère plus aisément sur des mélanges renfermant à la fois le cuivre et l'étain (bronzes), parfois aussi le plomb (molybdochalque des Anciens), et le zinc (orichalque, laitons), en diverses proportions relatives. De là, résultent des alliages plus fusibles et doués de propriétés particulières, qui constituent spécialement l'airain des Anciens, le bronze des modernes. Le chomt est représenté sur les monuments égyptiens en grosses plaques, en parallélipipèdes fondus (briques) et en fragments bruts, non purifiés par la fusion. 

On voit dans les musées des miroirs de bronze (alliage de cuivre et d'étain), des serrures, clefs, cuillers, clous, poignards, haches, couteaux, coupes et objets de toute nature en bronze. Ici vient se ranger l'orichalque, mot qui semble avoir représenté chez les Grecs tous les alliages métalliques jaunes, rappelant l'or par leur brillant. Il a d'abord été employé par Hésiode et par Platon. Ce dernier parle dans son Atlantide d'un métal précieux, devenu mythique plus tard pour Aristote, et que, d'après Pline, on ne rencontrait plus de son temps dans la nature. Cependant le mot se retrouve, à l'époque de l'empire romain et dans les traités des alchimistes grecs, pour exprimer le laiton, l'alliage des cymbales et divers autres. Il est venu jusqu'à nous dans la dénomination défigurée de fil d'archal. On voit encore ici la variabilité indéfinie de propriétés des matières désignées autrefois sous un seul et même nom. Ce sont, répétons-le, des circonstances qu'il importe de ne pas oublier, si l'on veut comprendre les idées des Anciens, en se plaçant dans le même ensemble d'habitudes et de faits pratiques. Les nombreux alliages que l'on sait fabriquer avec le cuivre, la facilité avec laquelle on en fait varier à volonté la dureté, la ténacité, la couleur, étaient particulièrement propres à faire naître l'espérance de transformer le cuivre en or. De là, ces recettes pour obtenir un bronze couleur d'or, inscrites dans les Papyrus de Leyde et dans d'autres manuscrits. On raconte aussi (De mirabilibus, traité attribué à Aristote) que l'on trouva dans le trésor des rois de Perse un alliage semblable à l'or, qu'aucun procédé d'analyse, sauf l'odeur, ne permettait d'en distinguer. L'odeur propre de ces alliages, pareille à celle des métaux primitifs, avait frappées les opérateurs. Nous rencontrons dans une vieille recette de diplosis, où il est question d'un métal artificiel, ces mots : 

« la teinture le rend brillant et inodore. »
Ainsi, il semblait aux métallurgistes du temps qu'il n'y eût qu'un pas à faire, un tour de main à réaliser, une ou deux propriétés à modifier pour obtenir la transmutation complète et la fabrication artificielle de l'or et de l'argent.

Après la chomt, vient le men, plus tard tehset, que Lepsius traduit par fer. Il y a quelque incertitude sur cette interprétation, le nom du fer ne paraissant pas sur les monuments vis-à-vis des figures des objets qui semblent formés par ce métal. Il semble que ce soit là une preuve d'un caractère récent. Le fer, en effet, est rare et relativement moderne dans les tombeaux égyptiens. Les peintures de l'Ancien empire ne fournissent pas d'exemple d'armes peintes en bleu (fer), mais toujours en rouge ou brun clair (airain). A l'origine, on se bornait à recouvrir les casques et les cuirasses de cuir avec des lames et des bagues de fer ; ce qui montre la rareté originelle du fer. Tout ceci n'a rien de surprenant. On sait que la préparation du fer, sa fusion, son travail sont beaucoup plus difficiles que ceux des autres métaux. Aussi, est-il venu le dernier dans le monde, où il a été connu d'abord sous la forme de fer météorique. L'âge de fer succède aux autres, dans les récits des poètes. L'usage du fer fut découvert après celui des autres métaux, dit Isidore de Séville. On connut l'airain avant le fer, d'après Lucrèce.  Cependant, on doit dire que Maspéro ne croyait pas à l'origine récente du fer en Egypte. Il pensait qu'il existe des indices peu douteux de l'emploi des outils de fer dans la construction des pyramides, et il a même trouvé du fer métallique dans la maçonnerie de ces édifices. 

Le taht ou plomb, le plus vulgaire de tous, termine la liste des métaux figurés par les Egyptiens. On doit entendre sous ce nom, non seulement le plomb pur, mais aussi certains de ses alliages. D'après les alchimistes grecs, tels que le pseudo-Démocrite, le plomb était le générateur des autres métaux; c'était lui qui servait à produire, par l'intermédiaire de l'un de ses dérivés, appelé magnésie par les auteurs, les trois autres corps métalliques congénères, à savoir : le cuivre, l'étain et le fer. 

Avec le plomb, on fabriquait aussi l'argent. Cette idée devait paraître toute naturelle aux métallurgistes d'autrefois, qui retiraient l'argent du plomb argentifère par coupellation.

L'étain, circonstance singulière, ne figure pas dans la liste de Lepsius, bien qu'il entre dans la composition du bronze des vieux Egyptiens. Peut-être ne savaient-ils pas le préparer à l'état isolé. Il n'a été connu à l'état de pureté que plus tard; à l'époque des Grecs et des Romains. Mais il était d'usage courant au temps des alchimistes, comme en témoignent les recettes des Papyrus de Leyde. C'était l'une des matières fondamentales employées pour la prétendue fabrication ou transmutation de l'argent. A l'origine, dans Homère, par exemple, il semble que le cassiteros fut un alliage d'argent et de plomb, qui se produit aisément pendant le traitement des minerais de plomb. Plus tard, le même nom fut appliqué à l'étain, ainsi qu'à ses alliages plombifères. De même, en hébreu, bédil signifie tantôt l'étain, tantôt le plomb, ou plutôt certains de ses alliages. L'étain, lui-même, semble avoir été regardé d'abord comme une sorte de doublet du plomb; c'était le plomb blanc ou argentin, opposé au plomb noir ou plomb proprement dit (Pline). Son éclat, sa résistance à l'eau et à l'air, ses propriétés, intermédiaires en quelque sorte entre celles du plomb et celles de l'argent, toutes ces circonstances nous expliquent comment les alchimistes ont pris si souvent l'étain comme point de départ de leurs procédés de transmutation. Les alliages d'étain, tels que bronze, l'orichalque (alliages de cuivre), et le claudianon (alliage de plomb), jouaient aussi un grand rôle autrefois. On remarquera que les alliages ont, dans l'Antiquité, des noms spécifiques, comme les métaux eux-mêmes.

Le mercure, qui joue un si grand rôle chez les alchimistes, est ignoré dans l'ancienne Egypte. Mais il fut connu des Grecs, à partir du temps de la guerre du Péloponnèse, On distinguait même le mercure natif et le mercure préparé par l'art, fabriqué en vertu d'une distillation véritable, que Dioscoride décrit. Sa liquidité, que le froid ne modifie pas, sa mobilité extrême, qui le faisait regarder comme vivant, son action sur les métaux, ses propriétés corrosives et vénéneuses sont résumées par Pline en deux mots : liquor aeternus, venenum rerum omnium; liqueur éternelle, poison de toutes choses. Son nom primitif est vif argent, eau argent, c.-à-d. argent liquide. Le métal n'a pris le nom et le signe de Mercure / Hermès, c.-à-d. ceux du corps hermétique par exemple, que pendant le Moyen âge. Dans les papyrus grecs de Leyde, recueillis à Thèbes en Egypte, le nom du mercure se trouve associé à diverses recettes alchimiques; précisément comme dans les manuscrits qui nous sont conservés.

Ainsi les Egyptiens réunissaient dans une même liste et dans un même groupe les métaux vrais, leurs alliages et certains minéraux colorés ou brillants; les uns naturels, les autres artificiels. Les mêmes ouvriers, d'ailleurs, traitaient les uns et les autres par les procédés de la cuisson, c. -à-d. de la voie sèche. Les industries du verre, des émaux, des alliages étaient très développées en Egypte et en Assyrie, comme le montrent les récits des Anciens et l'examen des débris de leurs monuments. Cette assimilation entre les métaux et les pierres précieuses reposait à la fois sur les pratiques industrielles et sur les propriétés mêmes des corps. Elle parait tirer son origine de l'éclat de la couleur, de l'inaltérabilité, commune à ces diverses substances. Les noms mêmes de certains métaux en grec et en latin, tels que l'électros, c.-à-d. le brillant; l'argent appelé argyrion, c.-à-d. le blanc, en hébreu le pâle; le nom de l'or, qui est aussi dit le brillant en hébreu, rappellent l'aspect sous lequel les métaux rares apparaissent d'abord aux humains et excitent leur avidité. Les Egyptiens n'avaient, pas plus que les Anciens en général, cette notion d'espèces définies, de corps doués de propriétés invariables, qui caractérise la science moderne; une telle notion ne remonte pas au-delà du XIXe siècle en chimie. De là, la signification multiple et variable des noms de substances employés dans le monde antique. Ceci étant admis, ainsi que la possibilité d'imiter plus ou moins parfaitement certains corps, d'après les expériences courantes sur les matières vitreuses et les alliages on étendait cette possibilité à toutes, par une induction légitime en apparence. Les extractions de la plupart des métaux et les reproductions effectives des verres et des alliages ayant lieu en général par l'action du feu, à la suite de pulvérisations, fusions, calcinations, coctions plus ou moins prolongées, on conçoit qu'on ait essayé d'opérer de même pour reproduire tous les autres métaux.

Ce n'est pas tout : l'imitation des pierres précieuses par les émaux et les verres présente des degrés fort divers. De même, les alliages varient dans leurs propriétés et sont plus ou moins ressemblants aux vrais métaux. Nous avons vu qu'il en était ainsi pour l'airain, qui a fini par devenir notre cuivre, mais qui signifiait aussi le bronze; pour le cassiteros, qui a fini par devenir notre étain, mais qui signifiait aussi le laiton et les alliages plombifères. On conçoit, dès lors, l'origine de cette notion des métaux imparfaits et artificiels, possédant la couleur, la dureté, un certain nombre des propriétés des métaux naturels parfaits, sans y atteindre complètement. Ainsi, la fabrication du bronze couleur d'or figure dans les Papyrus de Leyde, aussi bien que dans les autres manuscrits. Il s'agissait de compléter ces imitations pour faire du vrai or, du vrai argent possédant toutes leurs propriétés spécifiques, de l'or naturel, comme dit Proclus. La prétention de doubler la proportion de l'or (ou celle de l'argent), en l'associant à un autre métal (diplosis), par des procédés dont il est question à la fois dans les Papyrus de Leyde, dans Manilius, etc.; cette prétention implique l'idée que l'or et l'argent étaient des alliages, alliages qu'il était possible de reproduire et de multiplier, en développant dans les mélanges une métamorphose analogue à la fermentation et à la génération. On croyait pouvoir en même temps, par des tours de main convenables, modifier à volonté les propriétés de ces alliages. De telles modifications sont, en effet, susceptibles de se produire dans la pratique métallurgique, à l'aide de la trempe et par l'addition de certains ingrédients en petites quantités, comme le montre la fabrication des bronzes et des aciers. Cette recherche était encouragée d'ailleurs par des théories philosophiques plus profondes. C'est ici le lieu de rappeler les paroles de Roger Bacon :

« En observant toutes les qualités de l'or, on trouve qu'il est de couleur jaune, fort pesant et d'une telle pesanteur spécifique, malléable et ductile à tel degré, etc. [...] et celui qui connaîtra les formules et les procédés nécessaires pour produire à volonté la couleur jaune, la grande pesanteur spécifique, la ductilité, etc. ; celui qui connaîtra ensuite les moyens de produire ces qualités à différents degrés, verra les moyens et pourra prendre les mesuresnécessaires pour réunir ces qualités dans tel ou tel corps :- d'où résultera sa transmutation en or. »
Les Egyptiens opposent continuellement la substance naturelle et la substance produite par l'art : précisément comme il arrive dans les synthèses de la chimie organique de nos jours, où l'identité des deux ordres de matières exige constamment une démonstration spéciale. L'idée principale des alchimistes grecs, dans les opuscules qu'ils nous ont laissés, c'est de modifier les propriétés des métaux par des traitements convenables, pour les teindre en or et en argent; et cela, non superficiellement à la façon des peintres, mais d'une façon intime et complète : procédés congénères de la formation d'alliages. Ils étaient guidés dans cette recherche par l'analogie des pratiques usitées de leur temps pour teindre le verre et les étoffes. Les pratiques pour teindre les étoffes et les verres en pourpre, pour colorer le bronze en or et pour opérer la transmutation, sont, en effet, rapprochées dans les Papyrus de Leyde, aussi bien que dans le pseudo-Démocrite. De là aussi une teinture, un principe colorant, une poudre projective douée d'un pouvoir tinctorial considérable. On voit comment l'idée de la fabrication même des métaux et celle de la transmutation ont découlé des pratiques et des idées égyptiennes. C'est même là ce qu'il y de plus clair dans les descriptions techniques des manuscrits. 

Ce n'en est pas moins une chose étrange et difficile à comprendre aujourd'hui, qu'un tel mélange de recettes réelles et positives, pour la préparation des alliages et des vitrifications, et de procédés chimériques, pour la transmutation des métaux. Les uns et les autres sont exposés au même titre et souvent avec la même naïveté dépouillée de tout attirail charlatanesque, comme on le voit dans les Papyrus de Leyde et dans certaines parties des manuscrits grecs de la Bibliothèque nationale. Si les fourbes et les imposteurs ont souvent exploité ces croyances, il n'en est pas moins certain qu'elles étaient sincères chez la plupart des adeptes. Ici s'élève une question singulière. Comment cette expérience, qui prétendait à un résultat positif et tangible et qui échouait toujours, en définitive, a-t-elle pu rencontrer une crédulité si persistante et si prolongée? C'est ce que l'on s'expliquerait difficilement, si l'on ne savait avec quelle promptitude l'esprit humain embrasse tout préjugé qui flatte ses espérances de puissance ou de richesse, et avec quelle ardeur crédule il y demeure obstinément attaché. Les prestiges de la magie, les prédictions de l'astrologie, associées de tout temps à l'alchimie, ne sont pas moins chimériques. Cependant, ce n'est qu'à l'époque moderne qu'elles ont perdu leur autorité aux yeux des esprits cultivés. Encore les spirites et les magnétiseurs sont-ils nombreux de nos jours. Les succès de l'alchimie et sa persistance se rattachent aussi à des causes plus philosophiques. En effet, l'alchimie ne consistait pas seulement dans un certain ensemble de pratiques destinées à enrichir les humains; mais les savants qui l'avaient cultivée, au temps des Alexandrins, avaient essayé d'en faire une science véritable et de la rattacher au système général des connaissances de leur temps. L'alchimie était, pour ses adeptes, une science positive et une philosophie; elle s'appuyait sur les doctrines des sages de la Grèce. (F. Hoefer / M. Berthelot).

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