|
La
médecine
scientifique fut introduite au Tibet
par le bouddhisme,
à la diffusion de laquelle il travailla avec ardeur partout où il se
répandit. Longtemps encore avant notre ère, Ashoka
(Piyadasi), petit-fils de Chandra Gupta, le Sandrocottus
des Grecs, souverain puissant contemporain
d'Antiochus Théos, bouddhiste pieux et ardent
propagateur de la foi, avait rendu, les inscriptions nous l'apprennent,
des édits pour la création d'institutions
d'assistance, de dépôts de médicaments, de jardins botaniques, etc.
Les relations entre les deux souverains étaient si cordiales et la garde
des frontières si peu sévère, que le roi Ashoka pouvait à son gré
publier des proclamations dans le pays soumis à Antiochus. Au moment où
les doctrines et les livres de l'Inde
pénétrèrent dans le Tibet, la médecine empirique et les pratiques magiques
y étaient très répandues. Elles ne disparurent pas, et ces superstitions
ont persisté jusqu'à notre époque. Actuellement encore, on organise,
à certains moments de l'année, des cérémonies
pour expulser les démons
qui causent les maladies; les conjurations se font au son des cloches,
des conques, des trompettes et des tambours. La magie a toujours conservé
un rôle dans la médecine tibétaine. La partie scientifique est essentiellement
indienne; néanmoins, dans certaines régions, les pratiques
chinoises sont venues s'y mêler.
La littérature médicale
tibétaine se compose d'un certain nombre d'ouvrages dont les uns sont
des traductions du sanscrit, les autres
des compilations qui dérivent également de la littérature indienne.
A cette catégorie appartient certainement l'ouvrage considérable dont
Csoma de Körös donna l'analyse en 1835,
analyse qui lui fut dictée par son maître de langue
tibétaine. Ce livre, pour lequel il a été composé un long commentaire
au XVIIe
siècle, débute par une invocation au
bouddha Çakyamouni, ce qui paraît étrange,
puisqu'il n'est pas compris dans les collections canoniques du Tanjour
et du Kanjour tibétains. Il procède surtout de Suçruta et de
Vâgbhatta; la théorie humorale y est purement indienne
et non
grecque. L'auteur ne connaît
pas l'atrabile, et le sang
n'est pas considéré comme une humeur au même titre que l'air, la bile
et le phlegme. Le contenu est analogue à celui de l'Ayacrvéda
indien, mais les matières sont disposées dans un ordre différent. Les
Lamas affirment qu'il existe au Tibet
une quarantaine d'ouvrages de médecine en dehors des livres canoniques.
Quant aux ouvrages
qui font partie du Tanjour, ils sont bien indiens.
Le plus important est l'Ashtângahridaya de Vâgbhatta, auquel ont
été adjoints de longs commentaires. On y trouve aussi le Yogaçatakam
de Nâgârjuna, ainsi qu'un autre petit traité
attribué au même auteur, une nomenclature de substances médicamenteuses,
et un opuscule de Sareçvara. Les traductions, d'après Huth, seraient
du IXe
siècle, ce qui reporterait les originaux
au VIIIe
siècle. Quant aux livres proprement tibétains,
Huth a estimé que certains ont pu être exécutés de 600
à 650.
Jusqu'Ã l'occupation
chinoise du Tibet,
à la fin des années 1950,
l'exercice de la médecine était presque exclusivement entre les mains
des Lamas qui prennaient pour guides, quand ils
étaient instruits, les livres traduits du sanscrit,
mais ne manquaient pas d'y associer, la plupart du temps, les ignorants
surtout, les pratiques superstitieuses et les conjurations dont le P.
Huc a donné une curieuse description. Le domaine de la médecine indo-tibétaine
s'étend aussi loin que celui de la religion bouddhique.
Un observateur russe, Ptisine, en a constaté l'extension dans la Transbaïkalie
(Sibérie orientale). Chez les Bouriates de la Sibérie
et les Kalmouks d'Astrakhan,
on sait très bien qu'elle a été importée par les bouddhistes, il y
a un millier d'années au moins. Cette médecine n'est pas très
répandue, quoiqu'un certain nombre de livres, entre autres le Radijatchava,
qu'on dit avoir été dicté par le boucane Otachi, qui est, dans le pays,
une sorte de dieu bouddhique de la médecine. Ptisine, qui a recueilli
ses renseignements surtout dans la province de Selenghinsk, a connu personnellement
plusieurs médecins célèbres dans la contrée; ils se sont montrés très
avides de notions nouvelles, et surtout de livres. Ils se rendaient, Ã
certaines époques, à des sortes de congrès qui avaient lieu à Ourga
(Oulan-Bator),
où les docteurs de Lhassa rencontraient des
confrères chinois venus dans
le même but.
Ptisine a copié,
dans le monastère du Lac-des-Oies, une liste de 429 médicaments, dont
202 existaient dans les magasins de la pharmacie.
Les substances employées se répartissent ainsi, en pourcentage : fruits
et graines, 27,5; fleurs, feuilles et tiges, 25,6; racines, 16,5; substances
minérales, 27,5; produits animaux (sang, peau, cornes, coeur, bile, etc.),
5; médicaments chinois inconnus, 2; produits charlatanesques imaginaires
(corne de licorne, peau de dragon, etc.), 1. Les Lamas
admettent que l'homme peut être attaqué par 440 maladies, dont ils croient
connaître les remèdes. Les livres indiens les ont enhardis dans la pratique
chirurgicale, et ils n'hésitent pas, comme les Chinois,
à recourir à l'instrument tranchant. Leur pathologie étant une simple
contrefaçon de celle de l'Inde,
il n'y a pas lieu de s'y arrêter, sinon pour faire remarquer qu'elle est
souvent entachée des pratiques empiriques de l'ancienne médecine populaire.
(Dr. M. Potel). |
|