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La
période qui précéda la Renaissance
est surtout caractérisée par la stagnation des lettres
et des sciences qui suivit le recul de la civilisation
après l'effondrement de l'empire romain, puis par la difficulté qu'eut
l'esprit à se ressaisir, par le manque d'indépendance et d'initiative
et la tendance vers la spéculation au détriment
de l'observation et de l'étude directe de
la nature. Nous avons vu cependant la vigoureuse dialectique d'Albert
le Grand et de Thomas d'Aquin, nullement dédaigneuse
de la science et de l'observation scientifique, et les efforts faits par
Arnauld
de Villeneuve et Roger Bacon pour ramener
la science dans sa véritable voie, préparer le réveil définitif des
esprits ( la
Médecine
néo-latine). Des cliniciens peu nombreux, il est vrai, avaient dès
le Moyen âge
repris la tradition, qui ne s'était d'ailleurs jamais entièrement perdue;
mais il s'y mêlait beaucoup de galénisme transmis et altéré par les
Arabes.
Quoi qu'il en soit,
la description des maladies était devenue plus complète, grâce à de
nouvelles observations, et la médecine pratique était en progrès; la
pharmacologie et la phamacopée s'étaient enrichies, mais n'étaient pas
encore dégagées du bagage d'erreurs introduites par les Arabes
ou engendrées par la superstition. Les
nouvelles universités
créées successivement à Bâle (1459),
à Tubingen (1477),
à Wittenberg
(1502),
à Iéna (1557),
à Leyde (1575),
etc., allaient donner une nouvelle impulsion à la science; il en fut de
même des sociétés qui se fondèrent, l'Académie
de Platon à Florence, la Société rhénane à Heidelberg,
etc. Bien d'autres circonstances favorisèrent le mouvement; c'est ainsi
que le XVe
siècle se signale par l'introduction
de la boussole, l'invention du télescope, du microscope, de la gravure
sur cuivre, de l'imprimerie
(1435-1450),
par la découverte de l'Amérique
(1492),
celle d'une route maritime vers les Indes orientales
(1498);
Copernic
renouvelle l'astronomie ,
l'Italie
transforme les lettres et les arts ,
principalement sous l'influence des savants grecs venus de l'Orient ;
on voit surgir alors les Michel-Ange, les
Raphaël,
les Titien, les Palestrina, etc. C'est aussi au
XVe siècle
qu'on commence à lire les Grecs dans
leur langue originale; les Grecs, chassés de Constantinople
par les Turcs, viennent, avec leurs manuscrits,
se réfugier à Florence, à Rome,
à Naples, etc., et y enseigner leur langue,
la littérature, la philosophie ,
etc.
Citons, parmi les
savants de l'époque, Gaza, le traducteur d'Aristote,
de Théophraste et des Aphorismes
d'Hippocrate; Marsile
Ficin, de Florence, médecin et théologien,
traducteur de Platon et de Plotin;
D. Calchondyle, Argyropyle, Pléthon,
Bessarion,
etc. Parmi les médecins apparurent successivement une foule de traducteurs
et de commentateurs : Leoniceno (1428-1524),
antiarabiste, traducteur d'Hippocrate et de Galien; Manardi
(1462-1536),
l'un des restaurateurs de la médecine hippocratique; Symphorien
Champier (1472-1539),
grand ennemi des Arabes et zélé
commentateur des Grecs; Th. Linacre,
de Canterbury (1461-1524),
le fondateur du collège médical de Londres;
Gonthier
d'Andernach (1487-1574),
traducteur de la plupart des livres de Galien,
d'Oribase, de Paul d'Egine,
d'Alexandre de Tralles, etc.; Hagenbut,
de son nom latinisé Cornarus (1500-1558),
traducteur d'Hippocrate, commentateur de Platon, de Dioscoride,
d'Aétius, etc.; Fuchs (1501-1565),
commentateur d'Hippocrate et de Galien; Anuce Foës (1528-1595),
qui a publié une des meilleures éditions d'Hippocrate; les humanistes
Houllier (1498-1562)
et Duret (1527-1586),
qu'il faut compter parmi les restaurateurs, en France ,
de la médecine hippocratique. Hippocratistes la plupart, ces savants médecins,
souvent excellents praticiens, s'efforcèrent de simplifier les doctrines,
la pratique et la thérapeutique, et à se rapprocher autant que possible
du naturisme.
La publication des
Consilia,
consultations, observations cliniques, etc., inaugurée par Thaddée et
ses imitateurs aux XIIIe
et XIVe
siècles, mais alors fortement empreinte
d'arabisme, se continue aux XVe
et XVIe
siècles, où elle progresse notablement
sous l'influence de l'hippocratisme,
des découvertes anatomiques, des importants travaux de chirurgie et d'histoire
naturelle qui voient le jour successivement. Nous mentionnerons ici principalement
N. Massa (1499-1569),
Amatus
Lusitanus (né en 1510),
Crato von Krafftheim (1519-1586),
A. Mundella (mort en 1553),
V. Trincavella (1496-1568),
F. Valleriola (1504-1583),
R. Solenander (1521-1596),
Schenk von Graffenberg (1531-1598),
F. Platter (1536-1614),
Peter Van Foreest ou Forestus (1522-1597),
Brassavola
(1500-1555),
etc., tous observateurs plus ou moins sagaces, souvent cliniciens remarquables.
Roger
Bacon et Arnauld de Villeneuve avaient
commencé la lutte contre le galénisme et l'arabisme. Elle se continua
ensuite, mais porta d'abord sur des points secondaires tels que la saignée,
l'urologie, la sphygmologie, l'emploi des sirops, etc. Pierre Brissot (1478-1522),
professeur à Paris, partit vaillamment en
guerre contre l'arabisme, alors florissant à l'université parisienne,
en préconisant la méthode hippocratique de la saignée contre la méthode
arabe; la lutte devint si ardente que l'empereur Charles-Quint
et le pape Clément VII durent y intervenir
comme arbitres; le célèbre anatomiste Vésale
(1514-1564)
lui-même y prit part, et le triomphe ne fut définitif qu'à la fin du
XVIe
siècle.
Michel
Servet (1509-1553)
engagea la lutte sur un autre point; les sirops, introduits dans la thérapeutique
par les Arabes, passaient pour être
éminemment favorables à la « coction »; Servet eut l'audace, en 1537,
d'affirmer que les humeurs cardinales, à l'exception du mucus, n'étaient
pas susceptibles de subir la coction et qu'en conséquence l'emploi des
sirops était inutile.
L'uroscopie arabe
trouva également de nombreux adversaires, parmi lesquels Clementinus,
professeur à Rome, et plus tard Forestus. Il
en a été de même des signes tirés du pouls. Le Piémontais Giovanni
Argenterie (1513-1572)
fut l'un des plus ardents adversaires du galénisme arabiste, tout en reconnaissant
les mérites pratiques du système de Galien.
Plusieurs médecins de Montpellier, dont
l'université était toujours restée fidèle à Hippocrate,
se rangèrent résolument du côté des antigalénistes, entre autres le
chancelier de l'université, Laurent Joubert (1529-1583),
qui était un élève d'Argenterio.
Malheureusement,
il n'en était pas de même à Paris, où l'on
assistait à une stagnation complète, à un piétinement sur place, de
la médecine, qui faisait vivement contraste
avec le brillant essor qu'avait pris la chirurgie en France .
Les efforts de Brissot étaient restés sans résultat, du moins immédiat;
d'autres n'attaquèrent que mollement le galénisme. Tel fut entre autres
le grand Jean Fernel (1485-1558),
mathématicien hors ligne et un des plus célèbres professeurs de son
temps. Il avait médité Hippocrate, Galien
et les Arabes et il prit pour tâche
de les concilier. Mais il n'osa pas assez se rapprocher de l'hippocratisme;
du moins il exposa le galénisme et les idées des Arabes avec ordre et
clarté, en combattant leurs erreurs et leurs exagérations. S'il préconise
l'observation comme le seul moyen de découvrir les principes directeurs
de la science, il se laisse, dans la pathologie générale, dominer par
le galénisme et se livre à de longues et subtiles recherches sur les
causes, les essences, les symptômes des maladies, s'étend démesurément
sur l'uroscopie et la sphygmologie, et fait reposer toute la thérapeutique
sur le précepte Contraria contrariis curantur, cependant élargi
et comprenant le traitement de la cause morbide. Dans sa pathologie spéciale
il est faible et incomplet. Tel qu'il est, ouvrage de Fernel répond bien
à la disposition générale des esprits au XVIe
siècle; c'est le livre classique de son
époque pour tout ce qui concerne la médecine théorique.
Nous avons vu plus
haut que le progrès de la médecine au XVIe
siècle était surtout du domaine de la
clinique, en somme le plus important. Grâce aux cliniciens, les maladies
étaient mieux connues et mieux décrites, le diagnostic et la thérapeutique
plus sûrs; des maladies nouvelles méconnues ou inaperçues (typhus, scorbut,
suette, plique,
coqueluche, raphanie,
syphilis, etc.) étaient décrites. De nombreuses discussions s'étaient
élevées sur la spécificité, la contagion, l'infection, etc.; on revenait
au principe hippocratique du similia similibus curantur; on reconnaissait
la nécessité de joindre à l'observation
l'expérience.
Parmi les épidémiographes
qui surgirent alors, nous signalerons particulièrement : en Italie ,
Fracastor, de Vérone (1483-1553),
également célèbre comme physicien, astronome, poète et médecin, et
qui ouvre une ère nouvelle par son De Morbis contagiosis (Venise,
1546,
in-4) dans lequel on trouve la première description du typhus exanthématique,
et par son poème Syphilis (Vérone, 1530,
in-4); Nic. Massa (1499-1569),
qui a écrit sur la peste et la
syphilis; Al. Massaria (1510-1598),
professeur à Vicence, et Prosper Alpino (1553-1617),
surtout connu par sa description des maladies de l'Égypte ;
en Espagne ,
F.
Lopez de Villalobos (vers 1500),
médecin de Charles-Quint, l'un des premiers
syphiliographes; Andrea da Laguna, de Ségovie
(1499-1560),
autre médecin de Charles-Quint; Luis Mercado, de Valladolid
(1520-1610),
médecin de Philippe II, qui a écrit
sur l'angine maligne et le typhus pétéchial, etc.; en France ,
Baillou ou Ballonius, de Paris (1538-1616),
qui a laissé une importante description des maladies épidémiques régnantes
de 1570
à 1579;
en Hollande ,
Rembert
Dodoens ou Dodonaeus (1518-1585),
professeur à Leyde ,
naturaliste et épidémiographe célèbre; Forestus, médecin à Alkmar;
J. Van Kasteeie ou Castricus, médecin pensionné à Anvers ,
qui a le premier, en 1529,
bien décrit la suette; enfin, en Allemagne ,
Thomas Jordan (1540-1585),
qui a bien observé une épidémie de typhus des armées qui sévit en
Bohème
en 1566
et a décrit une épidémie de syphilis occasionnée par des ventouses
infectées.
A cette époque,
l'anatomie ,
renouvelée par Mundino, avait pris un nouvel essor avec Dryander,
Zerbi, Bérenger de Carpi, Alessandro
Benedetti; des artistes comme Michel-Ange,
Raphaël
et surtout Léonard de Vinci l'étudiaient avec
soin; mais le plus grand anatomiste du
XVIe
siècle fut Vésale,
suivi d'une pléiade d'hommes illustres tels que Falloppio
(1523-1562),
le plus grand d'entre eux; Eustacchi (mort en
1574),
Ingrassia
(1510-1580),
Realdo
Colombo (mort en 1559),
Aranzi (1530-1589),
Varoli (1543-1575),
Fabrice d'Acquapendente (1537-1619),
Casserio (1561-1616),
Koyter de Groningue (1534-1600),
Adrian
Van don Spieghel (1578-1625),
Platter (1536-1614),
Gaspard
Bauhin (1560-1624),
etc.
-
Organes
uro-génitaux de la femme. - Etude anatomique
de
Léonard de Vinci (1507).
L'un des principaux
fondateurs de l'anatomie pathologique
fut Antonio Benivieni, de Florence (mort
en 1502),
qui ne négligea aucune occasion de faire des autopsies, en fit même sur
les suppliciés, et consigna le résultat de ses recherches dans : De
Abditis morborum et sanationum causis (Florence, 1506,
in-4); Eustacchi, Colombo,
Falloppe,
Dodoens n'ont jamais perdu de vue la pathologie,
dans leurs dissections; Marcello Donato (mort vers 1600)
a particulièrement insisté sur l'utilité de l'anatomie pathologique;
il en a été de même de Platter qui cherchait à fonder la pathologie
sur l'anatomie; puis de Forestus, Schenk, etc.
C'est aussi au XVIe
siècle que Michel
Servet découvrit la circulation pulmonaire, préludant ainsi à la
découverte de Harvey; Colombo
et Cesalpino décrivirent de leur côté la
petite circulation, et le dernier soupçonna la grande circulation que
les erreurs, encore dominantes de Galien, l'empêchèrent
de découvrir. La chirurgie brilla d'un vif éclat au XVIe
siècle; celui de tous qui fit le plus
progresser cet art fut le grand Ambroise Paré (1517-1590).
L'hygiène ne connut guère que des commentateurs; Mercurialis (1530-1606)
expose la gymnastique des anciens et attire l'attention sur ce puissant
moyen hygiénique; Cornaro (1467-1566)
fait ressortir les avantages de la sobriété; Sanctorius (1561-1635)
seul sort des sentiers battus et montre tout ce qu'on peut tirer de l'expérimentation.
En histoire
naturelle, la tendance fut, au début, comme en médecine, à commenter
les anciens, en particulier Pline. La botanique
progressa tout d'abord entre les mains d'Otto Brunfelds,
médecin de Berne; Léonard
Fuchs, professeur à Ingolstadt et à Tubingue; Bock
(Tragus), et surtout Conrad Gessner, de Zurich
(1516-1565),
célèbre par de remarquables travaux sur la matière médicale, l'hygiène,
l'histoire de la chirurgie, la linguistique, etc.; en zoologie
et en botanique, il fut certainement un précurseur; il jeta les premiers
fondements de la classification méthodique. Parmi les célèbres naturalistes
du XVIe
siècle, citons encore Mattioli,
Cesalpin,
Aldrovandi (1522-1605),
professeur à Bologne ,
zoologiste éminent; Dodoens, de l'Ecluse ou
Clusius,
Lobelius, etc. Les ouvrages de tous les savants
médecins et naturalistes de cette époque sortaient des presses des Alde,
des Junte, des Froben, des Gryphius,
des Etienne, etc.
Paracelse, ses
précurseurs et ses contemporains.
Dans la lutte engagée
contre le galénisme et l'arabisme, nous avons vu une puissante pléiade
de médecins, surtout Italiens, quelques Allemands et de rares Français,
combattre sur le terrain traditionnel positif de la science; d'autres,
novateurs et révolutionnaires avant tout, s'attachèrent à faire revivre
une autre tradition, celle qui relève des sciences
occultes, et voulurent fonder la médecine sur la théosophie,
la magie, la chiromancie, l'interprétation des songes, l'astrologie,
l'alchimie. Les sciences occultes jouissaient
d'ailleurs de la faveur des grands et de beaucoup de savants; les médecins
composaient des almanachs astrologiques;
Clementinus affirmait que Vénus et le Scorpion règnent sur les organes
génitaux et que le second est la cause de la syphilis. L'alchimie était
florissante.
Agrippa
de Nettesheim (1486-1531),
l'un des premiers, allie la médecine à l'ensemble des sciences occultes.
Jérôme
Cardan de Pavie
(1500-1576),
médecin, philosophe et mathématicien, applique également les sciences
occultes à toutes les branches de l'art de guérir, mais souvent oublie
ses rêveries pour faire de la bonne psychologie et de la médecine antigalénique
de bon aloi. Chez Paracelse (1493-1541)
le contraste est encore bien plus frappant. Il a été surtout un révolutionnaire;
il a beaucoup démoli et fortement ébranlé le principe d'autorité, introduit
des vues nouvelles dans la médecine et la thérapeutique, mais a nui Ã
la science en voulant la rattacher aux mystères et à la cabbale.
Précurseur du vitalisme par son archée ou
corps sidérique (le futur médiateur plastique des modernes) et de l'iatrochimisme,
il faut reconnaître qu'il a introduit dans la médecine - abstraction
faite de son archée qui règle les fonctions
de l'organisme et préside à l'action des médicaments - un principe vraiment
fécond en proclamant que la clef de la physiologie, de la pathologie et
de la thérapeutique est avant tout la chimie; il porta un coup mortel
à la polypharmacie et créa en quelque sorte la doctrine moderne des spécifiques.
Paracelse a eu des partisans de deux sortes, les adhérents étrangers
à la médecine qui exploitèrent ses idées néoplatoniciennes
et astrologiques, et les adeptes médecins,
parmi lesquels Adam de Bodenstein, Oswald Croll, Peter Severin, Martin
Ruland, Gerhard Dorn, plus tard Du Chesne (Quercetanus); parmi les adversaires
du paracelsisme, nous nommerons Thomas Liebler ou Eraste, Libavius,
puis Rabelais, Jean Riolan
père, Guy Patin, etc.
Paracelse
était attaché au néoplatonisme; d'autres,
après lui, également partisans de cette doctrine philosophique qui se
dressait en ennemie de la scolastique aristotélicienne,
combattirent avec acharnement Galien; ce sont,
entre autres, Bernardino Telesio (1508-1588),
de Plaisance, dont les écrits ont d'ailleurs une véritable valeur; Giovanni
Porta (mort en 1615),
riche Napolitain, un des plus grands physiciens de son époque, le fondateur
de l'optique scientifique; le dominicain Giordano Bruno,
de Nola (1550-1600),
qui fut brûlé comme hérétique. (Dr Liétard). |
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