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L'histoire de la médecine
La médecine néo-latine
Les premières écoles ; Salerne
La médecine dans l'empire d'Orient, à la suite du partage, eut une triste destinée. En Occident, la translation de la médecine grecque se fit également des médecins grecs aux néo-latins, assez misérablement d'abord, puisque la source elle-même touchait à l'épuisement; mais l'issue des événements fut relativement beaucoup plus heureuse. Il se produisit assez vite une sorte de rénovation très suffisante pour préparer le terrain aux Arabes d'abord, à la Renaissance ensuite. Sans cette circonstance, les Arabes n'auraient pu faire en Occident qu'une oeuvre stérile. On s'était fait une idée beaucoup trop exagérée de l'action dévastatrice des invasions germaniques; ils furent loin de tout détruire, et, une fois organisés, ils songèrent bientôt à reconstruire. Leurs codes renferment de nombreuses dispositions favorables à la science et aux études; la médecine fut par eux très appréciée. En réalité, la science resta pendant plusieurs siècles languissante, mais il n'y eut pas d'éclipse totale, même passagère.

On connaît les noms de plusieurs médecins latins du IVe et du Ve siècle; ce sont eux qui, bien que compilateurs du dernier ordre, ou dévots de l'empirisme populaire, font le lien entre la tradition grecque et les écoles néo-latines. Daremberg a montré que, dans leur pauvre littérature, on trouve des traces évidentes des doctrines méthodistes. Mais déjà, au VIe siècle, il existait sans doute des écoles simultanément dans la Gaule, en Italie, et dans tous les royaumes nouveaux fondés par les barbares, du tout au moins des ateliers pour le traduction des auteurs grecs dans ce latin devenu la langue officielle. L'existence de la plupart de ces écoles est ignorée; les vieilles archives, les anciennes chroniques et les manuscrits enfouis un peu partout en ont encore sûrement gardé, malgré les efforts des chercheurs, quelques secrets qui seront révélés un jour. On sait déjà qu'à Milan, dès le VIIIe siècle, on enseignait Hippocrate et Galien; qu'à la même époque, la Botanique d'Apuleius fut traduite en anglo-saxon; à Saint-Gall, au Mont-Cassin et bien ailleurs, on copiait les manuscrits.
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Hippocrate et Galien.
Hippocrate et Galien représentés au XIIe siècle, sur une fresque
de la chapelle bénédictine d'Anagni (Lazio).

L'école de Salerne fut la plus célèbre de toutes ces institutions; quelques auteurs ont voulu en rattacher l'origine justement à l'histoire du couvent du Mont-Cassin et à saint Benoît lui-même; mais, en réalité, cette origine est inconnue; elle était déjà très obscurcie à l'époque à l'histoire peut s'occuper de Salerne. Rien ne permet de dire qu'elle fut plutôt, même au début, l'annexe d'un établissement religieux qu'un institut mi-religieux et mi-laïque, mais on ne doit pas pour cela méconnaître les grands services rendus par les moines. Jusqu'en ces derniers temps, l'histoire de cette ville est restée méconnue; elle est due tout entière à la découverte faite par Henschel de trente-cinq traités salernitains à Breslau (Wroclaw), et aux recherches de Daremberg et de S. de Renzi, auxquels on doit la publication de la Collectio salernitana. Peut-être, jusqu'au IXe siècle, n'y eut-il à Salerne qu'un concours de médecins, de clients et d'apprentis, ou, comme on a dit, une sorte de franc-maçonnerie médicale avec ses secrets; mais la célébrité du lieu était déjà très réelle; elle fut grande dès le Xe siècle; c'est en 984 qu'Adalbéron, évêque de Verdun, vint s'y faire soigner; moins de soixante-dix ans plus tard, en 1050, Didier, abbé du Mont-Cassin, le futur pape Victor III, s'y rendit dans le même but. C'est en 1059 que Rodolphe, surnommé Mala Corona, fit le voyage de Salerne pour prendre part à des controverses et y discuta avec une doctoresse en renom. A la même époque, une chronique nous apprend qu'on renouvela les anciens privilèges de l'école.

Il serait difficile de dire quelles étaient les doctrines enseignées à Salerne; le corps médical de l'école avait à sa disposition, d'après les documents, un certain nombre de traductions et d'abrégés de quelques livres hippocratiques, de certains traités de Galien, Rufus, Oribase, des oeuvres encore plus récentes, comme celles de Théophile Protospatharios, etc., puis une sorte de somme médicale, empreinte de méthodisme, qui servit, longtemps de manuel courant; puisque vers 1040 Garinopontus en fit une édition revue et corrigée. Sans s'en douter, dans un éclectisme inconscient, on mélangeait les doctrines et on confondait les écoles; les méthodistes se prenaient eux-mêmes pour des hippocratistes orthodoxes. Les doctrines galéniques prédominèrent dans la suite; dès 1050, Alphanus, évêque et médecin, écrivit un traité des quatre humeurs fondamentales du corps humain. Plus tard, les traductions de Constantin l'Africain, qui préluda à l'influence arabe, contribuèrent à fixer les idées. Mais, néanmoins, en raison de la pénurie des ressources, de la pauvreté en livres, l'édifice salernitain allait toucher à sa ruine, quand l'arrivée des Arabes, munis des traductions qu'ils avaient refaites sur d'autres traductions du grec en syriaque, vint rendre la vie à l'enseignement. C'est alors que commença la complète domination du galénisme; après avoir été un guide, Galien devint un maître absolu. Le Carthaginois Constantin avait beaucoup voyagé et beaucoup appris; il avait visité la Mésopotamie, l'Inde et l'Egypte; il devait pouvoir remplir des livres de ses propres observations; on a pourtant constaté qu'il publiait sous son nom des plagiats faits aux dépens des Grecs.
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Ecole de Salerne.
L'Ecole de Salerne, sur une miniature.

Pendant les premiers temps, la chirurgie fut peu cultivée à Salerne; il semble que l'enseignement y était alors surtout théorique; l'anatomie restait négligée, et la chirurgie, alors aux mains des empiriques, ne fut en honneur qu'au XIIe siècle. L'enseignement était donné à Salerne de la manière la plus libérale; on admettait tous ceux qui désiraient s'instruire, sans distinction de religion ni de sexe; l'école de Salerne fournit beaucoup de femmes-médecins. Au début, les maîtres n'avaient d'autres émoluments que les maigres rétributions de leurs auditeurs; mais, plus tard, ils furent régulièrement stipendiés et suffisamment. C'est l'école de Salerne qui, la première, fut pourvue d'un règlement d'études. Dès 1140, le roi Roger avait édicté des lois spéciales pour garantir la valeur des études et régler les conditions d'admission. Ces dispositions furent confirmées un siècle plus tard en 1240 par Frédéric Il, qui créa une réglementation complète, en verte de laquelle les études, précédées d'un enseignement préparatoire de trois années, duraient cinq ans et étaient complétées par une année de pratique sous la direction d'un médecin habile. La chirurgie était comprise dans le cadre de l'enseignement. Les apothicaires, qui ne pratiquaient pas, étaient inspectés par, les médecins.

En 1252, le roi Conrad créa à Salerne une université; mais celle de Naples, érigée quelques années plus tard, lui fit une concurrence fatale et prépara son irrémédiable décadence. Renzi a pu dresser une liste de plusieurs centaines de médecins appartenant à l'école de Salerne; un certain nombre d'entre eux ont écrit des livres en partie conservés. C'est pendant le XIe siècle que les plus connus furent composés; plusieurs sont attribués à des femmes. En 1035, Petrocellus écrivit un Compendium medicinae; Garinopuntus, qui mourut avant 1056, composa le Passionarius Galeni, dont le renom fut grand. Constantin, vers la même époque, publia des livres classiques. Son disciple, Jean Afflacius, est l'auteur de deux traités de médecine théorique et pratique où l'on trouve de bonnes observations. Il administrait le fer contre les gonflements de la rate. Archimathaeus, vers 1100, composa un guide médical, espèce de manuel déontologique curieux et bizarre. On doit à Nicolas Praepositus, directeur de l'école vers 1140, un Antidotarium, pharmacopée inspirée de Galien, des Arabes et des derniers Byzantins. Mathieu Plataearius est l'auteur d'une Practica brevis, etc.; le chirurgien Roger de Parme, qui pratiquait la trépanation du sternum, la suture intestinale, les sétons, et qui décrivit la hernie du poumon, étudiait à Salerne vers 1240. Parmi les femmes, la plus célèbre fut Trotula, de la famille noble des Roger; on possède l'abrégé de son livre sur les maladies des femmes; elle est citée par divers auteurs, à l'occasion de toutes les parties de la science; notons, après elle, mais plus tard, la belle Costanza Calanda, savante doctoresse; Abella, qui écrivit sur la génération; Mercuriade, adonnée à la chirurgie; Rebecca, alliée aux rois normands, auteur de traités sur l'embryon, la fièvre, etc.

C'est vers 1150 que parut, dans sa première forme, te petit traité si célèbre intitulé souvent Schola salernitana, mais aussi Flos medicinae, Regimen sanitatis, Regimen virile, qui a eu environ 250 éditions et a été traduit dans presque toutes les langues d'Europe. C'est, comme on sait, un petit manuel d'hygiène populaire; il a subi avec le temps des remaniements et des modifications sans nombre; écrit primitivement dans les idées galéniques, il est méconnaissable aujourd'hui; l'édition d'Arnauld de Villeneuve avait 362 vers; de Renzi en a réuni 3500.

Du XIIIe au XVe siècle, on connaît encore plus de cent vingt médecins salernitains; mais la décadence fut assez rapide; depuis 1250, l'école n'existait plus guère que de nom. Mais au moment où elle allait entrait dans son déclin, d'autres écoles étaient déjà fondées; celle de Montpellier existait certainement en 1137, elle avait une organisation complète en 1240. Nous avons vu que celle de Naples fut décrétée en 1224; celle de Bologne était ancienne; l'empereur Frédéric Ier s'occupa d'elle en 1158; elle servit de modèle à celle de Padoue; l'académie de Vercelli existait en 1220; à Sienne, on professait la médecine en 1241, etc. Elle fut enseignée à Paris dès le XIIe siècle; les écoles d'Angers, de Reims, d'Orléans, etc., remontent au XIIIe siècle. Ce n'est pas sans raison qu'on a considéré ce siècle comme une première époque de renaissance. (Dr Liétard).

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