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La médecine antique
La médecine grecque avant Hippocrate
Aperçu La médecine avant Hippocrate Hippocrate et les hippocratistes
La doctrine hippocratique L'École médicale d'Alexandrie La médecine à Rome
La médecine grecque n'a pas commencé avec Hippocrate; la célèbre collection à laquelle la tradition a attaché son nom est un monument composite, de provenance multiple, dont les assises pénètrent jusqu'aux vieux âges historiques. Dans les matériaux qui ont servi à en composer les diverses parties ont été incorporés, parmi les oeuvres propres d'Hippocrate et de ses collaborateurs, les résultats d'une longue observation antérieure et des méditations des philosophes. Ne pas l'admettre serait démentir Hippocrate lui-même, qui fait, à diverses reprises, appel à des textes antérieurs, et proclame que l'art est depuis longtemps en possession d'un principe et d'une méthode. On a dit, avec raison, que ce grand esprit est apparu dans un moment de vive activité scientifique. Ce sera l'éternelle mérite des hippocratistes d'avoir, de ce mélange confus de mysticisme charlatanesque, d'empirisme peu rationnel, de philosophisme à outrance, dégagé des systèmes rationnels et placé au premier plan l'expérience sérieuse et l'induction.

La littérature médicale antérieure à Hippocrate a disparu; les livres hippocratiques sont les plus anciens que nous possédions. Des traditions d'un autre ordre nous permettent néanmoins de nous faire une idée assez exacte de ce que fut cette première phase de la médecine grecque. Les sources d'information sont diverses. La première en date est la tradition concernant la pratique de l'art par les prêtres asclépiades, dans les temples d'Asclépios; à côté d'eux, d'autres asclépiades laïques, leurs rivaux, dont la réputation moins retentissante, fut peut-être mieux méritée, contribuèrent aussi au progrès. La tradition des philosophes, surtout de ceux qu'on nommait les physiologues, qui dans l'étude de la nature comprenaient celle de l'humain sain et malade, et eurent leurs doctrines physiologiques et pathologiques, est également très profitable. On sait encore que les gymnases avaient leur médecine et leur hygiène spéciale, et que, dans ces établissements, la pratique primitivement limitée à la diététique et aux soins à donner en cas d'accidents, prit un assez sérieux développement. Enfin, les auteurs classiques (poètes tragiques et comiques, historiens, etc.) ont fourni des notions qu'on n'eût pas trouvées ailleurs.

Poètes, magiciens et gymnastes

Lorsqu'on rejette, comme le fit Daremberg, pour ainsi dire comme stériles toutes ces sources de connaissances pré-hippocratiques, bien qu'en admettant qu'un mouvement médical important, essentiellement laïque, antérieur à Hippocrate, a tout produit, il faut en suivre les traces ailleurs. C'est dans ce but qu'il a fait une enquête complète, non seulement dans Homère, mais aussi dans les oeuvres des poètes et des historiens; il y a trouvé ce qu'il appelle l'évolution de la médecine naturelle, c.-à-d. se tenant, autant que possible, en dehors du mysticisme religieux et des audaces de la métaphysique. A ses yeux, la médecine théurgique, après Homère surtout, procéda parallèlement mais non confusément avec l'autre. L'anatomie d'Homère n'est guère inférieure à celle d'Hippocrate; sa physiologie où il ne s'agit que de deux principes, la terre et l'eau (La matière antique), est imaginaire complètement; la chirurgie prédomine, ce qui n'a rien d'étonnant, puisqu'il s'agit de poèmes guerriers. D'Homère à Hippocrate, on peut assez aisément, par une voie latérale à la science, en passant par Hésiode, par Archiloque, qui savait avant Eschyle le rôle du foie dans la production de la bile, par Solon, tout confiant dans la magie, suivre la trace du progrès. Après Solon, on prend confiance dans la nature, qui, dit Epicharme avant Hippocrate, « sans instruction et sans savoir, fait ce qui convient ». Il y a alors des médecins partout, tenant, dit Aristophane, boutique de remèdes et maisons de santé. Hérodote considère déjà les épidémies comme des accidents dont on peut rechercher et combattre les causes.
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Achille et Patrocle.
Achille panse une blessure de patrocle faite par une flèche 
(médaillon datant de 500 av. J.-C, découvert à Vulci).

Il y eut en Grèce, au début, une médecine magique, dont les hymnes perdus des premiers poètes contenaient sans doute plus d'une formule. Un passage de Pindare (Pythiques, 3) y fait une évidente allusion. La médecine grecque fut de bonne heure accaparée par les prêtres et annexée au sacerdoce, comme un art secret, procédant par la voie de l'inspiration divine. Les temples d'Asclépios, ou asclépions, dans lesquels cette médecine se pratiquait, furent très nombreux; le plus ancien était, dit-on, celui de Titane, près de Sycione; il remontait à une haute antiquité. Les temples les plus célèbres furent ceux de Tricca, d'Epidaure, de Pergame, de Cos, etc. La vogue passait de l'un à l'autre; celui d'Epidaure fut longtemps le plus célèbre; plus tard les prêtres de Cos supplantèrent la plupart de leurs concurrents. On connaît assez incomplètement la médecine des temples, et les opinions varient au sujet de ce qui s'y faisait et de l'influence que les temples ont eu sur le progrès scientifique. Il est certain que cette influence ne fut pas nulle, et que les conseils qu'on y donnait étaient souvent assez rationnels; mais il est impossible de ne pas reconnaître que le fond de ces pratiques était un charlatanisme qui, pour être très habile, n'en était pas moins réel et audacieux. La foi aux songes, si vive et si générale dans la société grecque, y était non seulement utilisée, mais, il faut bien le dire, exploitée. On sait en quoi consistait la cérémonie de l'incubation. Le malade, après avoir couché dans le temple, où il recevait souvent la visite du dieu, racontait à son réveil les songes qu'il avait eus, et de leur interprétation découlait l'ordonnance qui lui était prescrite. Quand le malade, dont le séjour était souvent prolongé, venait à guérir, on inscrivait l'observation de la maladie sur des tablettes, ou sur des plaques de bronze, dont l'ensemble formait les archives de l'établissement; le public pouvait en prendre connaissance. Un certain nombre de ces documents nous sont parvenus; ils ne méritent pas toutes les louanges que certains érudits leur ont prodiguées. Le savant Littré, ordinairement si bon juge, n'a pas suffisamment distingué les asclépiades laïques des prêtres des temples, et a exagéré, par suite, les mérites des derniers.

La médecine des gymnases, un peu plus sérieuse, et greffée de bonne heure sur l'expérience populaire, était en plein développement à l'époque d'Hippocrate. Les Grecs avaient la passion des exercices de la gymnastique. Les fonctionnaires des gymnases avaient étudié, avec minutie, le régime alimentaire le plus favorable à ceux qui s'y consacraient; l'histoire cite Iccus de Tarente comme un des hommes les plus habiles en diététique. Les gymnases devinrent de vraies polycliniques; Hérodicus de Sélembrie est au nombre de ceux qui appliquèrent la gymnastique au traitement des maladies; l'auteur du livre des épidémies lui reproche des excès de zèle et le danger qu'il faisait courir aux malades. La concurrence que les gymnases firent aux temples et aux asclépiades laïques fut considérable; on abandonnait les temples pour eux. Leur influence sur l'art chirurgical fut assez grande, d'autant mieux qu'on s'y adonnait au traitement des fractures et des luxations, dont les cas ne devaient pas être rares.

Les philosophes présocratiques

L'importance du rôle des philosophes antérieurs à Socrate, dans le développement de la médecine, a été encore plus diversement appréciée. On ne peut révoquer en doute la liaison intime qui, pendant les premiers siècles, unit la médecine et la philosophie. L'éducation alors était tout à fait encyclopédique; en réalité, la science naissante n'eut rien à y perdre. La médecine conquit de bonne heure son indépendance; à Hippocrate revient le mérite très grand d'avoir écarté à temps la domination de la seule spéculation métaphysique et créé du même coup une philosophie médicale. Il faut être juste envers ces vieux philosophes, plus juste que ne l'ont été plusieurs historiens; leur sagesse, comme on disait alors, préparait l'éclosion de toutes les sciences, dans une solidarité qui se maintint longtemps, puisque nous voyons Platon se flatter encore d'appliquer les méthodes du grand Hippocrate, et celui-ci affirmer son admiration pour l'illustre philosophe.

Beaucoup, parmi eux, écrivirent des traités ou des poèmes sur la nature : Anaximandre, Parménide, Héraclite, Empédocle et d'autres encore. Leur science comprenait à la fois la physique et la physiologie universelles; la médecine entre leurs mains ne fut d'abord qu'une branche de cette physiologie; ils étudiaient l'humain en santé et en maladie. En s'affranchissant de ce servage étroit, la médecine emporta de ce milieu spéculatif des principes utiles pour la création de la méthode qui devait faire sa fortune.

Ces philosophes, d'ailleurs, n'étaient pas tous simplement méditatifs; plusieurs, au point de vue médical, abordèrent l'étude des faits et s'instruisirent par l'expérience, s'occupant à la fois d'anatomie, d'embryologie, de diététique et d'hygiène. Les pythagoriciens, et Pythagore lui-même, cultivaient la médecine. Les rigueurs du régime que celui-ci imposait à ses disciples lui ont fait la réputation d'un précurseur de l'hygiène; on lui a attribué, sans preuves, la théorie des jours critiques, en raison du rôle des nombres dans son obscure philosophie.

Empédocle fut probablement un médecin plus sérieux; on dit qu'il pratiqua l'art de guérir, et qu'il passa de la philosophie à la médecine; il n'est rien resté de son Discours médical. Il s'était fait des théories multiples sur l'embryon, les sens, la génération, l'hérédité, etc. La plus célèbre, avec raison, est celle des quatre éléments (La matière antique) considérés comme corps simples, c.-à-d. comme principes irréductibles. On sait que les pythagoriciens, Pythagore, Philolaüs, etc., admettaient, comme en Inde, un cinquième élément que ceux-ci nommaient akâça, et que les Grecs nommeront l'éther. Alcméon, pythagoricien distingué, s'adonna aussi à la médecine. On lui doit, entre autres découvertes, celle de la trompe d'Eustache; il étudia les mêmes questions qu'Empédocle. Acron d'Agrigente, autre pythagoricien, selon toutes probabilités, pratiqua la médecine, et d'après Suidas, composa des livres sur cette matière; il fut le précurseur plutôt que le créateur de la secte empirique.

Les philosophes ioniens ne négligèrent pas les études médicales; Héraclite, qui adoptait les idées alors en cours sur la chaleur comme principe de la vie, professait sur les éléments organiques des opinions qui ont laissé des traces notables dans le Régime des maladies aiguës, bien qu'il n'y soit pas nommé. On retrouve aussi, dans la collection hippocratique, des traces des théories d'Anaxagore de Clazomène, auteur de celle des Homéoméries, ou des parties similaires; pour lui, comme pour le vulgaire d'alors, les maladies provenaient de la bile. Galien, contre Empédocle, le considérait comme l'auteur de la théorie des crises.

Démocrite fut, de tous ces philosophes, le plus célèbre et le plus savant. Contemporain d'Hippocrate, il ne le connut probablement pas. Aristote parle avec enthousiasme de ses vastes connaissances; Caelius Aurelianus nous a conservé la liste de ses ouvrages; Littré regrette surtout son traité des maladies pestilentielles. En résumé, l'action des philosophes, si elle s'étendit au delà du domaine physiologique, ne dépassa pas la partie doctrinale de la pathologie.

Malgré la pénurie des documents. c'est dans la tradition relative aux vieilles écoles, ou au moins on rencontre quelques noms de médecins, que se trouvent encore les meilleures notions historiques. Les cinq écoles les plus célèbres, celles de Cyrène, en Afrique, de Crotone, de Rhodes, de Cos et de Cnide, étaient, non pas des instituts pourvus d'une organisation quelconque, mais simplement des centres d'enseignement dont les maîtres n'avaient de commun que la célébrité et une certaine analogie de doctrines. Elles remontaient à une haute antiquité; mais on ne connaît rien de leurs origines. Hérodotedit que celle de Cyrène tenait le second rang après celle de Crotone; c'est tout ce qu'on en sait. Crotone était un centre d'études pythagoriciennes; c'est à cette école que se rattache le fameux médecin Démocède, dont la vie fut remplie d'aventures dramatiques, qui exerça à Egine, puis devint médecin de Darius et revint enfin chez lui, où il épousa la fille de l'athlète Milon. La renommée de l'école de Rhodes était déjà éteinte depuis longtemps à l'époque d'Hippocrate; les médecins de Rhodes étaient des asclépiades. (Dr. Liétard).

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