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La doctrine Hippocratique |
Aperçu | La médecine avant Hippocrate | Hippocrate et les hippocratistes |
La doctrine hippocratique | L'École médicale d'Alexandrie | La médecine à Rome |
Les théories sont multiples dans la collection hippocratique; elles s'y croisent et s'y contredisent. Mais, dès que le classement des traités a été opéré, il est devenu possible de dégager de ce mélange celles qui furent particulières à Hippocrate. Le judicieux Littré a appliqué à ce labeur sa pénétrante critique. La médecine d'Hippocrate était essentiellement dogmatique; c'est sans doute par lui que fut définitivement franchi le passage qui conduisit de l'empirisme des temples aux doctrines des écoles. Son étiologie est des plus simples; il ne reconnaissait d'autre force interne que la chaleur innée, idée qu'il tenait des philosophes, et il ne dit rien de son influence directe sur la naissance des maladies, mais parle seulement de son affaiblissement à mesure que l'âge avance. Cette étiologie est purement externe; elle tient tout entière dans l'action des circumfusa et dans le régime. La cause la plus puissante des maladies est la variation des saisons qui se répercute dans la constitution de l'humain; l'action permanente des climats est du même ordre; plus puissante encore, elle imprime à l'humain son cachet, tenant sous sa dépendance le physique et le moral; les âges sont les saisons de la vie (Année climatérique). Dans le traité De la Nature de l'homme, le rôle de l'air est plus développé; il y est question des exhalaisons nuisibles qui attaquent beaucoup de monde à la fois. C'est dans le traité Des Airs, des eaux et des lieux que les questions d'hygiène générale sont traitées avec une étonnante perspicacité. Le rôle du régime est moins grand, parce que ses écarts ne produisent que des maladies individuelles. Le manque d'alimentation et d'exercice comme leurs excès peuvent devenir des causes déterminantes de maladies; c'est la pléthore des humeurs dans un cas; c'est leur ruine dans l'autre. La doctrine pathogénique d'Hippocrate est purement humorale, mais ce n'est pas la doctrine de Galien; celle-ci, poussée à outrance, est faite d'une association des doctrines de Cos et de Cnide. Cette doctrine n'est pas non plus complètement originale; Anaxagore, avant lui, attribuait déjà les maladies aux troubles de la bile, l'une des humeurs radicales. Le traité De l'Ancienne Médecine débute par une argumentation contre l'abus qui est fait de la théorie des qualités élémentaires (chaud, froid, sec, humide) dans l'explication des maladies. Cette théorie, Alcméion, Empédocle, Platon, Zénon d'Elée, etc., la connaissaient. Celle qui attribue au phlegme comme à la bile. un rôle dans les maladies n'était pas nouvelle davantage elle était, dit Aristote, vulgarisée depuis longtemps parmi les médecins de son époque. Une des questions des plus intéressantes des doctrines d'Hippocrate, c'est ce qu'il nommait la prognose. Ce qu'il entendait par là comprenait beaucoup plus que notre pronostic; établir la prognose, c'était, par la claire compréhension des circonstances présentes, deviner, pour ainsi dire, les circonstances antécédentes, prévoir les conjonctures à venir, concevoir le traitement, et prendre ainsi une vue d'ensemble sur la maladie, ses origines, ses phases et sa fin probable. L'examen du malade, dans l'interrogatoire duquel on était très réservé, ne comportait guère d'explorations locales, à quelques exceptions près; ces moyens étaient secondaires; cela s'explique à la fois par les idées dominantes sur la nature des maladies, et par l'ignorance de l'anatomie et de la physiologie normales et pathologiques. C'était dans un ensemble de phénomènes qu'on cherchait des indications, après avoir examiné les urines, les selles, la transpiration, la respiration, la physionomie, et s'être enquis du sommeil, de la température, de l'appétit, etc., signes qui tous contribuaient à révéler l'état et la marche des humeurs. On abusa des théories humorales et de la prognose; mais cette espèce de philosophie médicale sauva la médecine hippocratique des dangers de l'empirisme. Le peu qu'on sait de la thérapeutique d'Hippocrate se trouve, en grande partie, dans le Régime des maladies aiguës, qui est autant un livre de polémique contre les Cnidiens qu'un recueil de doctrines. C'est un formulaire d'indications plutôt que de remèdes. Les divisions des maladies, à peine indiquées, sont vagues et sommaires; les observations ne font connaître que la marche des maladies, leurs périodes et leurs crises, et les descriptions d'épidémies (espèces de constitutions médicales) sont de simples narrations de faits. On s'est souvent mépris sur la nature médicatrice d'Hippocrate; il entendait par là une sorte de force conservatrice instinctive, mais ne méritant pas une confiance absolue et fort bien capable d'errer. Ordinairement, la nature indique la voie à suivre; mais, si ses indications sont à mettre au premier rang, il n'est dit nulle part que la nature suffit à la guérison. La nature qui cicatrise est aussi celle qui ulcère, et souvent la crise libératrice manque ou dévie, si la médecine ne vient en aide. La théorie des fluxions, telle qu'elle se trouve exposée dans le traité Des Régions ou des lieux dans l'homme ne se rattache pas à la doctrine d'Hippocrate; quoique rangé au nombre des écrits de l'école de Cos, ce traité reflète peut-être tout autant les doctrines de Cnide. Anatomie et chirurgie dans les livres hippocratiques Si l'on en croit Galien, les études anatomiques, dans les anciennes familles des Asclépiades, commençaient de très bonne heure par des leçons orales; on n'avait pas alors besoin de livres; ce ne fut que plus tard, lorsqu'on admit des étrangers, des disciples plus âgés que les jeunes gens des familles médicales, qu'il fallut écrire des traités spéciaux. Il paraît très probable qu'on disséquait à Cos et dans les asclépions, au moins des animaux; il est moins certain qu'on ait disséqué des cadavres humains, quelques corps de criminels par exemple. Puschreann croit trouver, dans certains passages, des allusions qui le feraient croire, et suppose que, dans des cas exceptionnels, on ouvrait les cavités splanchniques. Les hippocratistes, cela est certain, n'ignoraient pas tout, en anatomie; ils connaissaient imparfaitement les viscères et beaucoup mieux les os, qu'ils étudiaient certainement sur des squelettes; mais, en dehors de cela, ils avaient peu vu, et encore moins bien compris. Ils distinguaient les artères des veines, celles-ci ayant pour fonctions de conduire le sang et d'en arroser les parties du corps, tandis que les artères étaient censées contenir de l'air, et ne recevoir du sang qu'accidentellement; l'observation du pouls était encore à cette époque rarement pratiquée et utilisée. Ils désignaient d'un même mot les nerfs et les tendons, tout en ayant remarqué que quelques-unes de ces cordes étaient très sensibles; la même remarque se trouve dans les livres médicaux de l'Inde. Ils ne savaient rien des fonctions du cerveau; ils regardaient pourtant la tête comme le siège de l'intelligence. La physiologie des hippocratistes est à peu près complètement nulle, et il n'en pouvait être autrement. Certaines parties de la chirurgie étaient très avancées; les deux traités Des Fractures et Des Articulations, tous deux oeuvres authentiques d'Hippocrate, sont les plus remarquables de la collection; on y trouve des indications et des observations dignes d'être méditées aujourd'hui encore. On a emprunté à Hippocrate, ou réinventé après lui, plusieurs procédés de réduction des fractures et des luxations, notamment pour celles du maxillaire; il a décrit exactement les fractures et les luxations les plus rares; il indique à diverses reprises des diagnostics différentiels tout à fait remarquables; il précise les causes d'irréductibilité avec une grande justesse; il avait observé la tuberculisation des os et la coïncidence de certaines gibbosités avec la phtisie pulmonaire, etc. Il avait à sa disposition un arsenal chirurgical très complet; ses appareils de réduction sont bien connus, ainsi que ses bandages pour les fractures; il se servait de cautères, de sondes cannelées, de trépans, de ventouses, etc. Dans certains livres de la collection, le Médecin, l'Officine, on trouve tout un traité de petite, chirurgie. Les livres sur les maladies des femmes, sur les accouchements, la génération, le foetus, les affections utérines, beaucoup moins importants, néanmoins intéressants, proviennent, à peu près tous, de l'école de Cnide. La philosophie dans les livres hippocratiques L'union de la philosophie et de la médecine était complète dans les vieilles écoles ioniennes, et à plus forte raison dans celles de la Grande-Grèce, qui étaient annexées aux instituts de Pythagore; cette union allait jusqu'à une confusion dans laquelle la médecine subissait une subordination réelle. Cet état de choses s'était prolongé jusqu'aux temps hippocratiques; Platon étudiait et classait les maladies. Hippocrate, qui réagit vigoureusement contre cette anomalie, sépara les deux domaines, et, en fixant les limites qui doivent circonscrire le domaine médical, en exclut tout d'abord les recherches sur l'ensemble des choses, comme étrangères à l'art. Mais il ne cessa pas de s'intéresser aux questions de philosophie, dont il comprenait l'importance, et sous son impulsion furent créés les éléments rationnels d'une philosophie médicale complète. Platon, qui n'a pas pu s'y méprendre, tenait pour originale la méthode logique d'Hippocrate, méthode qui, bannissant les hypothèses (à supposer que ce soit possible), demandait tout à l'observationet au raisonnement. C'est avec cette arme de bonne trempe qu'il lutta contre les sophistes et les auteurs de fausses doctrines. Ses préceptes de morale sont complètement spéciaux au médecin, dont il règle, avec droiture, tous les devoirs professionnels. Il n'a rien pu devoir à Socrate, son contemporain, avec lequel il n'est pas entré en relation. Quant à ses opinions cosmologiques, physiologiques ou psychologiques, il est plus difficile d'établir leurs origines; celles qui regardent les tempéraments et le rôle des qualités élémentaires n'ont que la valeur d'opinions engagées dans une controverse qui remontait jusqu'aux premiers Ioniens; mais il est d'autres notions comme, par exemple, celle qui place dans la tête le siège de l'intelligence, qui ne furent pas empruntées. En somme, en philosophie médicale, comme pour les autres branches de la science, l'hippocratisme fut le phare qui, couronnant l'édifice préparé par le passé, devait longtemps éclairer la voie de l'avenir. (Dr. Liétard). |
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