 |
La
médecine mésopotamienne
La civilisation qui
eut pour théâtre les bassins du Tigre et de l'Euphrate présente,
malgré son originalité, des analogies. avec celle de la vallée
du Nil. Les Babyloniens qui, dit-on, apprirent les premiers à travailler
les métaux, qui cultivèrent avec un certain succès
l'astronomie, et qui possédaient des bibliothèques 1700
ans av. J.-C., ne durent pas manquer de
se créer une science médicale.
Le peu que nous savons d'eux sous ce rapport est très analogue à
certaines pratiques que nous avons de rencontrées en Egypte .
Mais comme, de cette médecine, nous ne connaissons encore que la
partie conjuratoire, il n'y a pas lieu de s'étonner de ces ressemblances,
parce que les procédés magiques se retrouvent à peu
près, chez tous les peuples archaïques. Néanmoins certains
indices permettent déjà d'admettre que leur art ne se bornait
pas là. Et on ne peut ici accorder de crédit à
Hérodote, selon lequel les Babyloniens
n'auraient pas eu de médecine :
"
On transporte, dit-il , les malades sur la place du marché. Chaque
passant s'approche du malade et le questionne sur le mal dont il est atteint,
pour savoir si lui-même en a souffert, ou s'il a vu quelque autre
en souffrir. Tous ceux qui vont et viennent confèrent avec lui et
lui conseillent le remède qui les a guéris de celle même
maladie, ou qui, à leur connaissance, en a guéri d'autres
queux-mêmes.
On peut tout d'abord
remarquer que cette pratique, que l'on a également attribuée
aux Egyptiens, ne s'accorde guère avec celle d'une médecine
uniquement conjuratoire et sacerdotale. Ce n'était pas pour se faire
dicter des formules magiques qu'on sollicitait les avis des passants.
Les textes cunéiformes
nous apprennent au contraire qu'en Assyrie, comme en Babylonie ,
il y avait une classe des médecins, qui, plus ou moins complètement,
faisait partie de celle des prêtres. On ignore s'il y avait à
côté d'eux des médecins civils, comme c'était
probablement le cas en Egypte .
Les médecins babyloniens étaient avant tout des magiciens;
et c'était sur leur pouvoir magique que reposait toute la confiance
que l'on plaçait en eux. Ils procédaient surtout par des
incantations et de véritables exorcismes; ils administraient à
leurs clients des préparations dont ils avaient le secret, et qui
étaient censées porter avec elles, pour le bénéfice
du malade, la puissance curative des formules. Il se mêlait à
tout cela une certaine dose de notions de thérapeutique, sinon rationnelles,
du moins grossièrement empiriques. Ces médecins avaient cherché
à étudier les effets de diverses substances, végétales
ou autres, et à les mettre en action, eu égard aux symptômes
observés. Mais les renseignements que nous possédons actuellement
ne permettent pas de préciser dans quelle proportion ces pratiques
basées sur l'observation se mêlaient à la pure magie.
Ces régions
étaient par excellence la terre classique des arts occultes. On
s'y croyait environné d'une foule d'esprits, les uns bons, les autres
mauvais; on en voyait partout, presque dans chaque objet. Il y avait lutte
perpétuelle entre les bons et les mauvais esprits. Toutes les maladies
étaient considérées comme provenant de ces derniers.
Il n'est néanmoins pas très facile de bien saisir l'idée
que l'on se faisait de la maladie. Etait-elle due à la pénétration
des esprits dans le corps, comme le croyaient les Egyptiens, ou simplement
le résultat d'une action hostile du démon, et un effet de
son pouvoir?
«
Tantôt, dit Lenormand, la maladie est donnée comme un effet
de la méchanceté des différents démons; tantôt
elle semble être envisagée comme un être personnel et
distinct, qui a étendu sa puissance sur l'homme. » (La
Magie chez les Chaldéens, p. 34.)
Cette idée de
personnification pouvait aussi être favorisée par la croyance,
qui serait égyptienne aussi bien que mésopotamienne, que
certains démons portaient leur action
nuisible sur telles parties du corps de préférence, de sorte
que le mal se confondait avec son agent. Lenormand
cite précisément une formule qui tend à confirmer
cette manière de voir. On y lit : le mauvais Utug agit sur le
front de l'homme; le mauvais Alal sur la poitrine de l'homme; le mauvais
Gigim sur ses entrailles, etc. On possède aujourd'hui un grand
nombre de ces formules d'exorcisme; il en est qui ressemblent étrangement
à celles que l'on trouve dans l'Atharvavéda et d'autres
livres de l'Inde .
Les exorcismes babyloniens ont le plus souvent la forme de longues litanies.
Il a été dit tout à l'heure que des pratiques plus
médicales s'y mêlaient souvent. L'une d'elles, par exemple,
comporte la prescription d'applications astringentes pour une maladie des
yeux, une conjonctivite probablement. Ailleurs, certaines frictions, certaines
pommades sont prescrites avec des indications concernant le régime;
une autre ordonne le tamponnement des fosses
nasales contre une hémorragie. Une inscription sur brique, publiée
par S.-A. Smith, dans la collection des textes cunéiformes d'Assurbanipal,
et citée, par Johnson, contient une lettre d'un médecin à
son roi qui l'avait chargé d'examiner un malade; c'est un rapport
purement médical. L'auteur se contente d'expliquer les pansements
opérés lors de ses visites, et l'état du client, pour
justifier la date à laquelle il prévoit la guérison.
Les plus terribles fléaux du pays étaient la peste
et la fièvre, nettement personnifiées sous les noms de Namtar
et d'ldpa; c'étaient les démons-maladies les plus redoutés.
Les exorcismes akkadiens
contiennent souvent des énumérations de maladies; mais on
ne peut rien tirer de renseignements aussi sommaires. En résumé,
nous savons fort peu de chose de la médecine qui se pratiquait dans
ces vieilles civilisations chaldéo-babyloniennes, et le peu que
nous en savons ne comporte qu'une association de procédés
absurdes et d'un peu d'empirisme primitif.
Plus tard, la Mésopotamie,
comme la Syrie, à la suite de circonstances qui seront rappelées,
reçut la science grecque. Des écoles remarquables y furent
instituées où nous verrons à l'oeuvre des savants
de haute valeur.
Médecine
des Israëlites
La nation
hébraïque représentait, dans les premiers temps,
du moins, un groupe de population si modeste, sa vie errante devait la
mettre si souvent en relations, étroites et forcées, avec
les peuples civilisés du vieux monde, que, malgré la tenace
énergie avec laquelle elle a toujours lutté pour conserver
sa personnalité culturelle, dont elle était si jalouse, on
ne peut songer à chercher chez elle les origines d'une évolution
scientifique qui lui soit propre. Successivement en contact avec les Babyloniens,
les Egyptiens, les Chananéens,
les Assyriens, les Phéniciens,
les Perses, etc., elle s'est forcément
laissé imprégner par des influences de voisinage, parfois
même par celles qui n'étaient pas les plus salutaires. La
vieille Mésopotamie, d'où sortit la famille quelque peu légendaire
des Thérachites, ne pouvait guère alors lui fournir de notions
sérieuses concernant l'art de guérir; les grossières
superstitions de la magie touranienne y tenaient lieu de médecine.
La terre d'Égypte n'était
pas exempte de pratiques analogues; néanmoins c'est bien à
Babylone et en Egypte que les Juifs firent leur éducation scientifique.
L'assertion de Maïmonide,
qui pensait que les coutumes des Sabéens,
conformes, au fond, à celles des Juifs,
mais encore plus sévères, ne furent pas étrangères
à la rédaction du texte biblique ,
et qui s'en réfère, sur ce point, au livre de l'Agriculture
nabatéenne, dont il ne nous reste que des fragments en traduction
arabe, pourrait ne pas être sans fondement;
mais la médecine biblique en diffère sérieusement,
en ce sens que la démonologie n'y occupe qu'une place très
restreinte.
Par contre, l'influence
des Perses semble bien avoir été
plus intense que les historiens de la médecine juive ne l'ont admis
jusqu'alors. Certaines particularités des règles de purification,
parmi les plus bizarres, assez étranges pour avoir attiré
l'attention des talmudistes, et même avoir été modifiées
par eux, coïncident exactement avec ce qu'on lit dans le Vendidad ,
l'un des livres sacrés des sectateurs de Zoroastre.
Quant aux notions et aux pratiques médicales juives proprement dites,
elles sont bien conformes à celles des Egyptiens,
telles que les papyrus nous les ont fait connaître, et les Egyptiens
furent certainement, en médecine, les premiers et les vrais maîtres
des Hébreux.
On peut considérer,
dans l'histoire de la médecine israélite, d'abord une première
période biblique, pour laquelle il n'existe guère d'autre
document que l'Ancien Testament ;
elle s'étendrait jusqu'après la dispersion, vers le IIe
siècle, puis une période
talmudique, dont la fin correspondrait à la codification définitive
du Talmud
de Babylone et de ses commentaires, vers
550; la
dernière période, rabbinique, séparée de la
première par un long siècle de guerres et de décadence
scientifique, se confondrait chronologiquement avec celle de la médecine
arabe, à l'évolution et à la renommée de
laquelle elle prit la plus grande part; elle en suivrait la fortune jusqu'à
sa fin, mais ne s'éteindrait pas avec elle. Les médecins
juifs, à partir de la première renaissance, après
avoir été activement mêlés à la fondation
des grandes écoles, se répandirent dans tout le monde savant,
où comme maîtres et comme praticiens ils ont souvent joui
de la réputation la meilleure et la mieux méritée.
Mais il est clair que, dans cette troisième période, s'il
est possible de faire l'histoire des médecins juifs, il ne peut
plus être question d'histoire de la médecine hébraïque.
La période
talmudique, pour laquelle les sources principales sont la Mischna
et ses commentaires (la Geumara) dont l'ensemble forme le Talmud ,
ne représente, au point de vue scientifique, que le développement
de la médecine et de l'hygiène bibliques, enrichies non seulement
des fruits de l'expérience des lévites, des médecins
laïques et des rabbins,
mais aussi des emprunts faits à la science étrangère,
y compris la médecine grecque
de la basse époque.
La plus grande partie
des documents bibliques est comprise dans le Pentateuque ;
ces documents ne peuvent être datés exactement. L'exercice
de la profession médicale fut, dans l'organisation sociale mosaïque,
réservée à la classe sacerdotale. Les fonctions des
prêtres comprenaient non seulement tout ce qui concernait le culte
proprement dit, mais aussi l'enseignement sous toutes ses formes, la justice
civile et la pratique de l'art de guérir. Armés des lois,
dont ils étaient les mandataires, les prêtres réglaient
entièrement la vie des Hébreux,
et veillaient à l'exécution de ces innombrables prescriptions
où se trouvent confondues les plus minutieuses exigences du rituel
et les meilleurs conseils de diététique, d'hygiène
et de prophylaxie. Les choses paraissent être restées ainsi
à peu près jusqu'à l'époque de la captivité
de Babylone. Mais, déjà à
l'époque où s'établit la tradition du séjour
en Egypte ,
la pratique des accouchements était confiée à des
sages-femmes. Après la captivité de Babylone, quand les Hébreux,
par leur contact avec d'autres nations, purent avoir le désir de
secouer quelques-uns de leurs vieux préjugés, la pratique
de l'art cessa d'être un monopole sacerdotal. Les prophètes,
qui n'étaient pas des lévites, et dans les collèges
desquels l'enseignement était assez large, pratiquaient la médecine;
peut-être furent-ils les promoteurs de sa laïcisation. Les simples
particuliers eurent aussi le droit d'apprendre et d'exercer. Il se fit
d'assez bonne heure des sortes de spécialités, comme celle
de la chirurgie. A Jérusalem, des
médecins spéciaux étaient attachés au collège
des prêtres, que l'exécution de certains rites exposait plus
particulièrement à compromettre leur santé. Plus tard,
chaque communauté un peu importante fut obligée d'entretenir
un médecin à ses frais. Dans certains cas . même, des
médecins n'appartenant pas à la classe des prêtres
furent autorisés, en l'absence de ceux-ci, à pratiquer la
circoncision. Les médecins juifs pouvaient réclamer le prix
de leurs services; ils jouissaient de l'estime non seulement de leurs concitoyens,
mais aussi de celle des autorités qui les appelaient dans leur conseils.
La Bible
ne nous apprend rien sur la manière dont la médecine était
enseignée à ceux qui voulaient en faire leur profession;
le Talmud ,
pour la période suivante, est un peu plus explicite. On y voit que
cet enseignement était à la fois théorique et pratique;
des maîtres renommés faisaient des cours suivis par un certain
nombre d'auditeurs. Le même maître se chargeait sans doute
de tout enseigner. L'étude de l'anatomie ,
absolument négligée pendant la première période,
fut entreprise sur les animaux; on étudia aussi au moins le squelette
humain, comme nous le verrons.
Plus tard encore,
lorsque la médecine grecque fut
entrée dans le domaine intellectuel de tout le monde occidental,
ses textes se répandirent et devinrent accessibles aux médecins
juifs comme aux autres. C'est alors que se fondèrent les hautes
écoles de Tiberias, de Sura, de Pumbeditha, qui servirent de modèles
aux écoles arabes de Djondisabour
et de Bagdad .
Là, comme auparavant dans les collèges des prophètes,
mais avec plus de compétence et plus d'extension, la science entière
était enseignée. Cet enseignement ne durait qu'une partie
de l'année, le reste du temps étant laissé aux disciples,
pour leur permettre de se procurer, par le travail manuel ou le commerce,
les moyens de subvenir à leur entretien pendant la période
scolaire. C'est exactement ce qui se passait à l'école théologique
nestorienne de Nisibe ,
continuation de celle d'Edesse ( la
Médecine byzantine), et
dont les statuts ont été conservés; et pourtant, dans
cette école, les médecins ne paraissent pas avoir été
tenus en grand honneur. A Nisibe, les vacances duraient trois mois; là,
pour une raison de convenance, les disciples ne pouvaient exercer de métiers
manuels ou un commerce quelconque qu'en dehors de la ville. L'emprunt des
règles fut d'autant plus facile d'une école à l'autre,
que, au VIe
siècle, d'après Assémani,
les Juifs avaient aussi depuis quelque temps une école spéciale
à Nisibe même. Dans les derniers temps, la pratique de la
médecine, chez les Juifs, était subordonnée à
une autorisation en règle des magistrats de la localité;
nous ne savons si cette autorisation était précédée
d'épreuves quelconques, théoriques ou pratiques.
Connaissances
médicales des Hébreux.
Les notions d'anatomie
contenues dans la Bible
sont à peu près nulles. On ne peut s'en étonner quand
on sait que l'aversion des anciens Juifs pour les cadavres était
aussi profonde que celle des Egyptiens.
Le contact d'un cadavre, même de celui d'un animal quelconque, entraînait
l'impureté et devait être suivi d'une purification. Les médecins
talmudistes s'affranchirent d'une aussi rigoureuse sévérité.
Dans les écoles talmudiques, on pratiquait couramment la dissection
des animaux ;
on se hasarda même plus d'une fois à étudier le cadavre
humain. On raconte, par exemple, que les disciples d'Ismaël ben Elisha
étudièrent les différents os ,
et peut-être les organes d'une femme prostituée et condamnée
à mort, et que Rabbi Israël fit l'examen de foetus
provenant de femmes esclaves à la suite d'avortements spontanés
ou provoqués. Néanmoins, il est certain qu'à aucune
époque l'anatomie des rabbins ne fut aussi avancée que celle
de Galien; il est même bien probable qu'elle
lui resta très inférieure. Néanmoins ils en comprenaient
toute l'importance. Il est raconté quelque part qu'un médecin
talmudiste, à qui on montra des fragments d'un squelette ,
reconnut tous les os et dressa immédiatement la liste de ceux qui
manquaient. Les talmudistes avaient quelques notions assez exactes sur
le développement du foetus et la formation des os. La physiologie
était toute de fantaisie, aussi nulle chez les Juifs que chez tous
les peuples anciens; ils ne durent même pas toujours l'élever
à la hauteur de leurs connaissances anatomiques.
Dans les temps mosaïques,
on regardait les maladies, et surtout celles qui frappaient un certain
nombre de personnes à la fois, comme des punitions de Yahveh.
En cas de graves désordres ou de révoltes contre ses prescriptions,
c'est d'épidémie et non de damnation qu'on menace les infidèles
à la loi. Pourtant, alors déjà, on admettait assez
volontiers, surtout dans les cas isolés, des maladies accidentelles,
dues surtout aux infractions contre les. règles de diététique
et d'hygiène. Dans le Talmud ,
l'étiologie et la pathogénie sont mieux étudiées,
et on y retrouve les influences manifestes des doctrines de l'Occident.
Les uns attribuaient les maladies aux variations ou aux accumulations des
différentes formes de bile, comme dans certains livres grecs; les
autres en voyaient l'origine dans les viciations de l'air, comme les pneumatiques;
d'autres attribuaient tout aux oscillations de la température ou
aux troubles des fonctions excrétoires. A côté des
maladies dues à la colère céleste, et des affections
naturelles et accidentelles, trouvaient place, même encore à
l'époque talmudique, les maladies qui avaient pour causes des influences
démoniaques, et contre lesquelles il convenait d'employer les conjurations
et les amulettes. C'étaient là des restes des superstitions
empruntées sans doute aux prêtres touraniens de la Chaldée
et aux vieilles idées égyptiennes, communes d'ailleurs à
tout l'ancien monde.
On trouve dans le
Talmud
une véritable doctrine sur la marche des maladies et ses divers
stades : signes prémonitoires, phénomènes initiaux,
périodes d'augment et de déclin, convalescence. Dans la Bible ,
rien de semblable n'est indiqué, sinon à propos de la lèpre.
Les talmudistes n'ignoraient pas la doctrine des crises et des jours critiques.
Ils signalent comme annonçant la crise les éternuements,
les sueurs profuses, les selles répétées, les pollutions,
le sommeil, les rêves. Ils avaient observé l'exaspération
vespérale dans les maladies aiguës. Ils admettaient la transformation
d'une maladie en une autre, comme solution de la première.
La Bible
et le Talmud ,
si riches en renseignements concernant l'hygiène, ne contiennent
à peu près aucune description de maladies, à l'exception
de la lèpre; encore est-on obligé de reconnaître que
dans la dénomination de Zoraath sont confondues un certain
nombre de maladies graves de la peau. Les maladies sont dénommées
souvent d'après les organes supposés atteints; on connaissait
des maladies du coeur ,
de l'estomac ,
des intestins ,
etc.; tantôt d'après les symptômes prédominants,
comme les flux de bile ,
d'eau, de sang .
Les connaissances
chirurgicales et surtout gynécologiques des Juifs furent plus étendues,
au moins dans la période talmudique. Les vivisections leur avaient
appris que les blessures des reins ne sont pas toujours mortelles pour
les animaux, non plus que l'ablation totale de la rate
ou de l'utérus ;
ils pratiquaient des amputations et savaient faire usage des membres artificiels;
ils réduisaient les fractures et les luxations, traitaient par la
compression les hernies des nouveau-nés, connaissaient les conséquences
des lésions de la moelle épinière, de la perforation
du poumon ,
de l'estomac
et des bronches ,
les inconvénients de la rétention des testicules ,
les polypes de la bouche
et du nez ,
qu'ils regardaient comme des punitions de péchés graves;
ils attribuaient les naissances monstrueuses à des relations avec
les animaux ou les démons. Ils avaient à leur disposition
un arsenal chirurgical considérable; souvent ils pratiquaient les
sections avec des instruments d'os ou de pierre, ayant une grande aversion
pour le fer. En outre de la circoncision, qui était de règle
absolue, ils pratiquaient la saignée contre la pléthore et
l'angine, et aussi par mesure hygiénique préventive; ils
ne reculaient devant la nécessité ni de l'embryotomie, ni
de l'opération césarienne sur la femme morte, et même
peut-être pendant la vie de celle-ci; ils avaient étudié
les différentes causes de l'avortement.
La thérapeutique
des Israélites paraît avoir été assez simple,
et le nombre des médicaments assez restreint, d'après ce
que nous connaissons. L'usage de quelques plantes est indiqué; celui
de la racine de saponaire en applications externes, des dattes contre l'ictère,
de l'huile d'olive, du poivre macéré dans le vin, de l'ail
comme vermifuge et aussi comme aphrodisiaque. L'action du suc de pavot
était connue; il entrait dans une préparation complexe, sorte
de thériaque assez fréquemment usitée. Les produits
animaux les plus étranges entraient aussi dans la thérapeutique,
comme les décoctions de sauterelles, l'urine
putréfiée, le sang de chauve-souris, etc.
Hygiène
des Israëlites.
Ce qu'il y a de
plus remarquable dans les livres des Israélites, le Talmud
comme la Bible ,
ce sont les prescriptions rituelles, qu'une lecture moderne et en un certain
sens anachronique interpète comme des règles hygiéniques;
des prescriptions si nombreuses qu'on y rencontre à chaque pas.
L'auteur de ces lois ayant toujours uni dans son esprit les devoirs moraux,
l'obéissance aux rites religieux et les soins et précautions
hygiéniques, on s'explique, par là, d'abord la sévérité
extrême avec laquelle ces règles étaient observées
et les infractions punies et aussi le caractère irrationnel de quelques-unes
de ces règles, dans le cas où le souci du rituel l'emportait
sur l'idée hygiénique. Citons par exemple les cas où
le contact d'un objet impur ne causait l'impureté que si l'objet
avait été touché avec les deux mains, ou bien cette
étrangeté, qui semble empruntée au Vendidad ,
en raison de laquelle le contact impur ne pouvait provenir d'un non-israélite;
dans le Vendidad, il est dit que toucher le cadavre d'un non-mazdanéen
n'occasionne pas l'impureté. Il est vrai que certains talmudistes
ont au contraire déclaré que le non-juif, n'observant pas
les règles, était impur, ipso facto. A chaque instant, dans
la Bible, il est dit que, par tel contact, on est impur jusqu'au
soir. On a beaucoup admiré les règles hygiéniques
des lois mosaïques; on en a parfois un peu exalté la valeur.
Au lieu de proclamer, suivant le mot si souvent cité de N. Guéneau
de Mussy, l'induction prophétique des microbes, il vaut peut-être
mieux se contenter de dire que les auteurs bibliques ont agi parfois comme
s'ils l'avaient eue.
La loi mosaïque
réglait jusqu'aux moindres circonstances de la vie individuelle
et sociale, ce qui était fort sage, dans cette existence nomade,
au milieu de populations servent comparativement beaucoup plus grossières
que n'étaient les Hébreux.
Cette loi comprend à peu près toutes les branches de l'hygiène
moderne, c.-à-d. ce qui concerne le sol, l'air, l'eau, l'alimentation,
le vêtement, les soins du corps, la prophylaxie des maladies, etc.
L'intégrité du sol était garantie par l'obligation
relative aux déjections humaines, qui devaient être enfouies
sans aucun délai. Les prescriptions contenues dans le Lévitique
et le Deutéronome
relativement aux aliments sont des plus sévères; elles consistent
surtout dans l'exclusion de certains animaux, dont quelques-uns se trouvent
être les plus exposés à l'envahissement par les parasites ,
ou les plus susceptibles de causer des empoisonnements (porcs, crustacés ,
certains oiseaux ,
etc.). L'interdiction de la viande de porc paraît avoir été
empruntée aux Egyptiens; on l'accusait de donner la lèpre.
L'interdiction de l'usage du sang
s'explique moins facilement, en termes purement hygiéniques, et
c'est à l'anthropologie religieuse, qu'il faut plutôt faire
appel pour comprendre le vrai sens de toutes ses prescriptions (Cf. par
exemple, la lecture structuraliste qu'en
donne Mary Douglas dans De la souillure). Peut-être est-ce
en raison de sa putréfaction rapide. La tempérance était
exigée; on punissait de mort les alcooliques. Le Talmud compléta
ces règles par celles de la Shehita, de la Terepha
et de la Meliha, qui comprennent tout ce qui a rapport à
l'abatage des animaux, à l'examen des viandes et aux associations
d'aliments dans la préparation des mets.
Les prescriptions
relatives à la vie conjugale ne sont pas moins précises;
elles imposent des périodes de repos, nécessaires dans les
régions chaudes plus qu'ailleurs, et des soins de propreté
de tous les instants. L'infidélité de la femme était
punie de mort; les prostituées étaient poursuivies avec la
dernière rigueur. Le législateur paraît bien avoir
eu en vue de garantir l'honneur et l'intégrité de la famille,
et d'en éloigner l'enfant étranger, ce en quoi il fut loin
de réussir toujours. On se faisait gloire du nombre de ses enfants;
la stérilité était considérée comme
un déshonneur. La circoncision, rituel religieux, n'était
une mesure hygiénique que très secondairement. Les relations
avec les femmes de nationalité étrangère étaient
punies du dernier supplice de celles-ci; on sait quel fut le sort des femmes
moabites et madianites.
Le Talmud précisa quelques-unes de ces lois et en adoucit d'autres,
par exemple en autorisant le mariage avec l'étranger qui embrassait
la foi hébraïque .
Les mesures les plus
rationnelles étaient prises contre la propagation des maladies contagieuses,
et les lévites avaient vraiment la charge d'une véritable
police sanitaire. On exigeait la déclaration de tous les cas de
lèpre connus; les malades infectés étaient isolés,
tenus en observation rigoureuse, pendant plusieurs semaines, et le délai
prolongé en cas d'incertitude. Le feu
était l'agent de désinfection employé pour les objets
métalliques, l'eau pour le reste, avec des indications pour les
cas où l'eau courante paraissait nécessaire. La purification,
sorte de désinfection élémentaire, se faisait non
seulement par le lavage des corps et des vêtements, mais s'étendait
à tous les objets touchée, ainsi qu'aux personnes contaminées,
jusque, dit le Talmud ,
au quatrième contact successif. Ce recueil contient un traité
tout entier consacré aux bains et à la purification par l'eau.
Les talmudistes ne furent pas d'accord sur les causes d'impureté
que l'air peut contenir; mais, finalement, on admit qu'il pouvait devenir
impur et cause d'infection. (Dr. M. Potel). |
|