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Dès
le XIIe
siècle, les petites écoles
professionnelles, soutenues par les communes, avaient repris la prépondérance
sur les écoles abbatiales et ecclésiastiques. Quelques-unes
devinrent vite célèbres; telles les petites écoles
libres de Montpellier citées avec
éloges par Guillaume de Havelberg en 1141,
par Jean de Salisbury en 1160.
Cette prospérité coïncidait avec le déclin de
l'école de Salerne. Au XIIIe
siècle, sous l'influence prédominante
des papes et grâce à l'initiative de souverains tels que l'empereur
Frédéric Il, le roi
de France' Philippe-Auguste
et autres, les rois d'Angleterre,
etc., les principaux pays de l'Europe virent
naître des écoles de médecine et des universités.
Voici dans quel ordre apparurent les principales universités
:
Paris
(1200),
Oxford (1206),
Valence (1209),
Naples (1224),
Padoue (1228),
Toulouse (1229),
Cambridge (1229),
Salamanque (1239),
Rome (1245),
Coïmbre (1279),
Montpellier (1289),
Lisbonne (1290),
Avignon (1303),
Orléans (1305),
Grenoble (1339),
Pise (1343),
Valladolid (1346),
Prague (1348),
Florence (1349),
Pavie (1360),
Angers (1364),
Cracovie (1364),
Orange (1365),
Vienne (1365),
Genève (1368),
Heidelberg (1386),
Cologne (1388),
Erfurt (1392);
Palerme (1394),
etc.
Dans un grand nombre
de cas, la création de l'université ne faisait que régulariser
une situation préexistante ou réunir des écoles autonomes
jusqu'alors. Ainsi l'école ou les écoles de médecine
de Montpellier existaient depuis fort
longtemps quand fut créée la faculté de médecine
qui alors constitua à elle seule l'université. Quant à
l'université de Paris, on pourrait faire
remonter ses débuts probablement jusqu'à Charlemagne.
Dans les universités
complètes on enseignait la théologie,
le décret ou le droit canon, les arts et la médecine.
La faculté des arts comprenait le trivium'(grammaire,
rhétorique et philosophie )
et le quatrivium (arithmétique,
géométrie, musique ,
astronomie );
à Paris, la médecine ne formait
pas une faculté indépendante; elle était réunie
à la faculté des arts, ce qui fut une des conditions de son
infériorité à l'égard de la faculté
de Montpellier. Paris et l'Italie
(Bologne ,
Padoue, Pavie ,
Naples ,
etc.), dit Haeser, formaient des scolastiques; Montpellier formait des
praticiens. Du reste, l'université parisienne était surtout
importante par l'enseignement de la théologie et de la philosophie.
La faculté de médecine n'y acquit une importance réelle
qu'au début du XVIe
siècle. On peut en dire autant
des vieilles facultés espagnoles, portugaises et anglaises, de Valence ,
Salamanque ,
Lerida, Lisbonne, Coïmbre ,
Oxford, Cambridge,
etc. En Allemagne ,
l'université de Prague, la plus ancienne,
quoique relativement récente (1348),
fut le centre scientifique le plus important; la médecine n'y occupait
également qu'un rang très secondaire, et il en fut de même,
à plus forte raison, des universités telles que Vienne,
Heidelberg ,
et plus tard Tubingen (1477),
Greifswald (1456),
etc. Cet état de choses ne changea guère avant la Renaissance .
D'ailleurs, toutes
les universités étaient placées sous la juridiction
de l'Eglise ,
et la plupart de leurs membres étaient clercs; l'enseignement ne
se faisant que sur les textes prescrits et en latin,
il perdit presque partout son caractère pratique pour devenir exclusivement
traditionnel et dogmatique. Les écoles de Montpellier
et de Paris furent malgré font les plus
importantes de cette période; leur histoire mérite quelques
détails de plus que les vagues généralités
qui précèdent.
L'école
de Montpellier
On ne sait au juste
à quel moment précis et comment se sont formées les
écoles de Montpellier et surtout
à quelle époque les maîtres se sont réunis en
corps enseignant. Mais il est certain que des médecins
arabes ou juifs venus d'Espagne
y ont joué un rôle, et du reste la faculté de Montpellier
fut toujours beaucoup fréquentée par les juifs.
A un moment donné
des monopoles avaient dû se glisser dans l'enseignement, car en 1180
un privilège de Guillem VIII, comte de Montpellier, accorde à
tout médecin indigène ou étranger le droit d'enseigner.
En 1220,
le cardinal Conrad donne des statuts aux écoles libres de Montpellier
et les place sous la juridiction de l'évêque; ces statuts
ne fondent pas une école unique, mais réunissent les écoles
particulières en association, en université, avec un règlement
commun à toutes. L'université de médecine délivrait
trois diplômes : ceux de bachelier, de licencié et de maître.
Il en fut ainsi jusqu'en 1289,
époque à laquelle l'Eglise prit le monopole de l'enseignement
et se réserva la collation des grades; la constitution universitaire
de Nicolas IV (16 octobre 1289)
n'attribua le droit de conférer des grades qu'aux maîtres
d'une seule école, qui donna en même temps l'enseignement
officiel : la faculté de médecine était fondée;
les écoles particulières continuèrent à enseigner,
mais ne conférèrent plus de grades.
Le caractère
qui différencie le mieux l'école de Montpellier
de celle de Salerne ( la Médecine
néo-latine), c'est son autonomie initiale; jamais Salerne n'eut
d'université ;
celle de Montpellier fut complétée en 1421
par une bulle de Nicolas V. La faculté de Montpellier conserva son
indépendance dans l'université complétée et
n'y fut jamais unie aux autres facultés, comme par exemple la faculté
de médecine de Paris, dont l'enseignement
fut au début confondu avec celui des arts. Pendant longtemps l'école
de Montpellier fut la préférée des papes : Guillaume
de Brie, Jean d'Alais, Arnauld de Villeneuve,
Chalin de Vinario, leurs premiers médecins, venaient de Montpellier.
L'autorité du pape persista même pendant quelque temps après
que le roi de France eut mis la main
sur cette ville.
L'école de
Montpellier conserva sa réputation
pendant le XIIIe
siècle et au delà. Un événement
important dans son histoire fut la bulle du pape Clément
V (1308)
déclarant que les docteurs régents seraient consultés
pour la nomination du chancelier, réservée jusque-là
à l'évêque; cette bulle réglementait aussi divers
détails de l'enseignement. II consistait, comme à Salerne,
dans l'explication de certains traités de Galien,
de Rhazès, de Constantin
et des Arabes en général.
Mais, malgré la contrainte imposée par l'Eglise
et contrairement à la plupart des autres universités ,
l'école de Montpellier ne négligea jamais le côté
pratique de l'enseignement. C'est d'ailleurs à Montpellier que,
pour la première fois en France ,
en 1315,
on fit des démonstrations d'anatomie
sur le cadavre (Gilis); c'était le moment où Mundino disséquait
en Italie .
A partir de 1376,
Louis d'Anjou accorda chaque année aux médecins de l'Ecole
le cadavre d'un criminel; on ne commença à disséquer
à Paris qu'en 1478.
La bulle de Clément
V fut le dernier acte d'ingérence. de l'Eglise dans les affaires
de l'école de Montpellier. Depuis
seize ans, le roi d'Aragon
avait remis le fief de Montpellier à son suzerain le roi
de France. Une parfaite cordialité s'établit et se maintint
entre la faculté et le souverain; désormais elle lui fournit
des médecins comme elle en avait fourni aux papes, et le roi soutint
souvent les médecins de Montpellier dans leurs querelles avec ceux
de Paris. Avant 1498,
le personnel de l'école était constitué par tous les
médecins de la ville, qui prenaient tous part à l'enseignement.
L'édit de Louis XII, à cette date,
fit disparaître cette organisation, en créant quatre places
de professeurs, assistés il est vrai des docteurs; ces places étaient
données au concours; à partir du milieu du XVIe
siècle, les docteurs ne prirent
plus aucune part à l'enseignement qui resta exclusivement confié
aux professeurs royaux.
La
faculté de médecine de Paris au Moyen Âge
La faculté
de Paris n'acquit de la renommée que
longtemps après celle de Montpellier.
Paris possédait certainement des praticiens de valeur et surtout
des médecins juifs, mais l'école ne donnait pas un enseignement
régulier, et suivi, et l'on n'accourait pas de loin pour entendre
des leçons sur l'art de guérir, comme on y venait pour écouter
Abélard, Thomas d'Aquin,
Albert le Grand et Albert de Champeaux. Lorsque
les livres des anciens devinrent plus nombreux, des médecins sortis
probablement des écoles abbatiales se mirent à les commenter.
Quelques-uns furent attachés aux princes régnants et aux
grands, et par là arrivèrent aux hautes dignités ecclésiastiques.
Ainsi Derold, médecin de Louis d'Outre-Mer,
quitta sa charge pour l'évêché d'Amiens;
Gilbert Maminot, médecin de Guillaume
le Conquérant, devint évêque de Lisieux ;
un médecin de Tours, où il y
avait également une école, fut fait évêque après
la conquête de l'Angleterre .
Chartres surtout, qui à cette époque
éclipsait certainement Paris au point de vue médical, fournit
des médecins célèbres, entre autres : Richer, l'élève
favori de Gerbert de Reims et grand historien,
qui commenta avec Heribrand les aphorismes
d'Hippocrate, Caelius
Aurelianus et la concordance de Galien et
de Soranus; le fameux Fulbert,
qui ne cessa de pratiquer la médecine qu'après son élévation
à l'épiscopat; le chanoine Hadebrand, du chapitre métropolitain,
qui fut un grand praticien; plus tard Goisbert, praticien très recherché,
et Jean le Sourd, qui fut médecin de Henri
III.
L'université
de Paris fut fondée en 1200,
mais ce n'est qu'en 1215
que fut établi un cours d'étude régulier pour la théologie
et les arts; les médecins sans doute furent compris dans le règlement
des arts; mais la médecine ne fut enseignée régulièrement
qu'après la bulle de Grégoire IX,
en 1231.
Toute cette période de l'histoire de la faculté est du reste
très obscure; il faut arriver à 1270
pour trouver le premier document relatif aux médecins de Paris;
encore ne vise-t-il que les fraudes en usage pour obtenir la licence et
la maîtrise; en 1271,
ce sont des mesures répressives contre les médecins juifs,
les chirurgiens qui sortent de leur spécialité, les étudiants
qui exercent au cours de leur scolarité dont la durée était
fixée à neuf ans.
Dès cette
époque, l'affluence des élèves rendait très
difficile l'union entre la faculté de médecine et celle des
arts. En 1274,
la faculté de médecine commença à avoir ses
statuts rédigés par Jean de Parme ,
Jean Petit, Jean Breton, Pierre de Neufchâtel, Pierre d'Allemagne
et Bouret. Les leçons se faisaient dans un petit local de la rue
du Fouarre, sans autre mobilier qu'un escabeau et des bottes de paille.
En 1369,
la faculté acheta un local au coin des rues de la Bûcherie
et des Rats; c'était encore un triste séjour; les actes probatoires
avaient lieu au domicile du doyen. En 1395,
les épreuves du baccalauréat furent subies chez le doyen
Pierre Desvallées. Ce n'est qu'à dater de cette époque
que la faculté possède son histoire écrite jour par
jour sous forme d'un journal des actes tenu par le doyen; c'est en effet
du 6 novembre 1395
que part la Collection des Registres commentaires telle qu'elle
existe aujourd'hui à la bibliothèque de la faculté
de médecine de Paris; mais il est de
tradition que cette collection était précédée
de cinq autres volumes ou registres qui auraient disparu pendant la période
de troubles civils et de guerres qui marquèrent les règnes
de Charles V, de Charles
VI et de Charles VII. On ne sait du reste
à quelle époque précise remontent ces commentaires;
Ellain parle d'un volume commençant en 1327;
peut-être remontent-ils plus haut encore.
Quoi qu'il en soit,
dans toute cette période, le rôle scientifique de la faculté
resta insignifiant. Pierre d'Abano, Pierre d'Espagne,
Arnauld de Villeneuve, célèbres
tous trois, ne furent que de passage à Paris,
et la faculté ne peut les compter comme siens. Henri
de Mondeville venait probablement de Montpellier;
Desparts en venait certainement. Ce dernier s'attacha du reste à
la faculté de Paris dont il fut le bienfaiteur et le premier écrivain
médical. Il contribua de sa bourse à l'achat, en 1454, d'un
immeuble voisin de celui de la rue de la Bûcherie, pour agrandir
l'école; les constructions ne furent achevées qu'en 1477.
A cette époque,
l'influence des Arabes était
prédominante dans l'enseignement de la faculté; les commentaires
de leurs livres en faisaient tous les frais et il n'était question
ni d'anatomie
ni de clinique. Jusqu'alors, aussi, les docteurs régents étaient
condamnés au célibat, quoique les hautes dignités
ecclésiastiques leurs fussent devenues inaccessibles. C'est le cardinal
d'Estouteville qui en 1452
fit disparaître cette anomalie et supprima le célibat. Les
facultés profitèrent vite de cette disposition, et désormais
l'enseignement de la médecine fut laïque et l'érudition
classique brilla d'un grand éclat. C'était le commencement
de la Renaissance .
Scolastique
La scolastique,
dont l'influence a prédominé pendant toute la fin du Moyen
âge ,
a été et est encore très diversement appréciée;
on l'attaque volontiers et l'on ne veut pas reconnaître les services
qu'elle a rendus. Le simple mot de scolastique éveille chez les
uns l'idée de ténèbres, chez les autres celle de dialectique
subtile et frivole. Sans doute, la philosophie
scolastique contracta de prime abord une union étroite avec la théologie;
mais toute science était cléricale à cette époque,
et la philosophie qui se proposa surtout pour but d'allier la raison avec
la foi dut, plus que toute autre, subir cette influence. Est-ce à
dire que les grandes discussions qui passionnèrent le XIIe
et le XIIIe
siècles sur la substance,
l'être, l'essence,
la matière et la forme,
l'espace, le temps, etc.,
étaient vaines et inutiles? Sous ces discussions, sous l'appareil
dogmatique qui les enveloppe, particulièrement
chez Thomas d'Aquin, se trouvaient les grandes
idées mères, les problèmes fondamentaux qui ont dominé
et peut-être domineront toujours la science
et dont la solution seule peut fournir à nos connaissances
une base inébranlable.
Quoi qu'on en dise,
la scolastique a été un réveil
de l'intelligence humaine; elle a été pour elle une gymnastique
salutaire; elle a rendu à l'humanité la faculté, qu'elle
avait perdue pendant les tourmentes du Moyen âge ,
de penser et de raisonner;
en abordant et en discutant les grands problèmes, elle a préparé
les solutions de l'avenir; elle a rendu possible les Bacon,
les Descartes, les Leibniz,
etc. Sans doute, elle a été despotique et à un moment
donné a entravé le progrès, mais il faut bien reconnaître
que la société d'alors ne savait plus s'orienter et n'avait
pas d'initiative; la durée de cet empire néfaste était
comptée d'ailleurs; du jour où l'influence religieuse - la
principale coupable - fut battue sérieusement en brèche,
où le dogmatisme théologique dut reculer devant les progrès
du libre examen, de ce jour l'esprit humain fut affranchi, tout en conservant
les trésors accumulés par les théologiens-philosophes
et en en oubliant l'origine.
Le point de départ
de ce réveil de la pensée fut l'introduction en Occident
de la littérature arabe et des
traductions arabes des auteurs
grecs. La plus grande part en revient sans conteste à Aristote
qui au début du XIIe
siècle n'était encore connu
que par la traduction qu'avait faite Boèce,
au VIe
siècle, de sa logique
et de sa métaphysique, et auquel
l'Eglise
fut d'abord hostile; ses oeuvres d'histoire naturelle,
modifiées et dénaturées par les Arabes, furent cependant
une révélation pour ce siècle d'ignorance. Deux hommes
surgirent, grands entre tous, la gloire du XIIIe
siècle, Albert
le Grand et Thomas d'Aquino. Ces grandes figures
qui illustrèrent l'université
de Paris méritent de nous arrêter
un instant.
Albert
de Bollenstaedt (1193-1280),
plus connu sous le nom d'Albert le Grand, et qui mourut archevêque
de Cologne, fut grand philosophe, éminent
naturaliste et professeur célèbre. Il vint enseigner à
Paris en 1222
et eut un tel succès qu'il dut, vu l'affluence des auditeurs, donner
ses conférences sur une place publique, la place
Maubert (par corruption de place de Maître Albert). Ses
ouvrages les plus importants traitent de la zoologie
et de la botanique ;
il ne se borna pas à copier Aristote,
Pline et Dioscoride
ou à faire preuve d'une vaste érudition : il fut observateur
et original, et chercha à créer une philosophie
de la nature. Il a précédé
et rendu possible saint Thomas qui fut son élève.
Albert le Grand était beaucoup trop au-dessus de son siècle
pour être compris de ses contemporains; c'est ce qui explique que
ses ouvrages ne trouvèrent pas un accueil aussi favorable que les
compilations d'un Barthélemy l'Anglais (De Proprietatibus rerum),
d'un Thomas de Cantimpré (De
Naturis rerum) et d'un Vincent de Beauvais,
l'auteur d'une compilation colossale, véritable encyclopédie
de toutes les sciences du Moyen âge
(Speculum majus) et dans laquelle la médecine, toujours arabiste,
occupe également sa place.
Thomas
d'Aquin (1225-1274)
ne fut pas un simple métaphysicien;
avant d'aborder les grands problèmes et d'étudier les lois
de la nature, il scrute celles qui président
à l'intelligence. Dès le début,
il se livre à des études psychologiques approfondies, qui
même aujourd'hui n'ont pas perdu toute valeur, puis trace les règles
de la méthode, montre comment il faut
combiner les méthodes expérimentale,
rationnelle et historique, l'induction
et la déduction, etc., cherche à concilier les doctrines
divergentes en les faisant entrer dans une doctrine qui lui semble supérieure.
Saint Thomas fut surtout un théoricien; il est vrai que, dans ses
argumentations, il s'appuya quelquefois sur des faits empruntés
aux sciences. Dans ses écrits il toucha, avec peu de succès
d'ailleurs, aux questions de médecine, de physiologie,
d'embryologie, etc.; mais, où il commit
les plus graves erreurs, ce fut en astronomie ,
en physique, etc.; c'est, dit-on, à l'état
de la science de son temps qu'il faut s'en prendre; sans doute, mais il
aurait aussi dû comprendre que la science ne se construit pas uniquement
sur des principes posés a
priori.
Quant aux ouvrages
de médecine proprement dits de la période scolastique, c'est
un mélange de définitions alambiquées,
de discussions subtiles et de commentaires à perte de vue des doctrines
hippocratiques, galéniques et arabes.
Le bon grain qu'ils renferment est étouffé sous l'ivraie,
et le seul intérêt qu'ils offrent pour nous est d'ordre bibliographique.
Citons d'abord, dans l'école de Bologne ,
Thaddée de Florence (1215-1295),
le principal fondateur de la médecine scolastique, et les Varignana,
ses élèves; Dino del Garbo, le commentateur d'Avicenne,
et son fils Thomas, l'auteur du Summula medicinalis, qui présente
le tableau fidèle de l'état de la médecine au XVe
siècle; Torrigiano, élève
de Thaddée et auteur d'un bon commentaire de l'Ars parva
de Galien.
A l'université
de Padoue, toute scolastique
qu'elle est, souffle cependant un plus grand esprit de liberté.
C'est qu'elle a à sa tête l'hérétique Pierre
d'Abano (1250-1315),
dont le Conciliator differentiarum est remarquable non seulement
an point de vue de la médecine, dans laquelle il s'efforce d'introduire
une unité de doctrine nécessaire, mais encore par les connaissances
en physique, en astronomie et en chimie dont il y fait preuve et qui le
placent bien au-dessus de son siècle. A la même école
appartiennent Jacques et Jean de Dondis, le premier auteur d'un traité
de thérapeutique excellent pour l'époque : Aggregator
de simplicibus, encore connu sous le nom d'Aggregator Paduanus.
Du XIIIe
au XIVe
siècle, nous voyons paraître
la Practica de Guillaume de Brescia, le Laurea anglica de
Gilbert, le Practica ou Lilium medicinae de Bernard de Gordon, le
Rosa anglica de Jean de Gaddesden, puis au XVesiècle
le Clarificatorium juvenum de Jean de Tornamira et le Philonium
de Valescus de Tarente ,
dont les auteurs étaient tous deux professeurs à Montpellier,
enfin les Sermones medicinales de Nicolas Falcutius, le Practica
de Michel de Savonarole et le Practica d'Antoine Guaneri. Ce sont,
comme leur nom l'indique souvent, des « Pratiques médicales
», parfois des «-Traités
d'hygiène », des Consilia ou « Observations médicales
», etc., que nous ne pouvons que signaler dans cette revue rapide.
Seul le Conciliator d'Abano mérite le nom de « Traité
général ». D'ailleurs, le plus souvent ces ouvrages
ne sont que la paraphrase des Arabes
ou celle des Grecs à travers
les Arabes; pour s'en convaincre on n'a qu'à lire, par exemple,
la liste des ouvrages de Jacques Desparts (1380?-1458),
que nous avons mentionné plus haut comme professeur à Paris
- le seul auteur du reste que Paris ait à nous offrir dans cette
période.
Nous devons assigner
une place à part aux « Lexiques
», « Dictionnaires »
et ouvrages encyclopédiques,
dont le Speculum majus de Vincent
de Beauvais, quoique plus général, nous offre le meilleur
type. Citons entre autres le Synonyma medica ou Clavis sanationis
de Simon de Gênes, qui parut vers la fin du XIVe
siècle; c'est un dictionnaire de
thérapeutique encore utile à consulter au point de vue de
l'histoire de la botanique
et qui renferme un grand nombre d'observations originales; enfin, le Pandecta
medicinae de Matthaeus Sylvaticus de Palerme, mis au jour en 1330.
Si Pierre d'Abano
fut à quelques égards un précurseur, et dans tous
les cas un indépendant, cela peut se dire à plus forte raison
de Roger Bacon, dans le domaine des sciences
naturelles, et d'Arnauld de Villeneuve dans
celui de la médecine.
Roger Bacon (1214-1292
ou 1298).
le premier, lutta avec énergie contre la scolastique et pour ce
fait fut condamné à la prison par les franciscains,
à l'ordre desquels ils appartenait; il y passa, en deux fois, vingt-quatre
années de sa vie; c'est dans sa prison qu'il composa ses principaux
ouvrages, dont l'Opus majus de utilitate scientiarum, le Compendium
philosophiae, etc., recommandent toujours de remonter en tout aux sources
et en histoire naturelle de se borner à l'expérimentation;
il a surtout initié ses contemporains à la méthode.
Quant à Arnauld
de Villeneuve (1235-1312),
du moins le plus important de ceux qui ont porté ce nom, il fut
élève d'Albert le Grand et
enseigna à Paris, à Montpellier,
à Barcelone, à Rome,
etc., et subit également des persécutions pour son indépendance
d'esprit; médecin, chimiste et astrologue, s'il divagua en astrologie ,
il sut en chimie faire des découvertes importantes (acides sulfurique,
nitrique et chlorhydrique, essence de térébenthine); comme
médecin, dans ses écrits, il combat l'empirisme
grossier et la superstition arabiste
et s'efforce de ramener la médecine à ses principes généraux
tels qu'on les trouve dans les écrits d'Hippocrate
et de Galien. Son Breviarium est particulièrement
précieux pour une exacte appréciation de la médecine
pratique au XIIIe
siècle.
A côté
d'Arnauld de Villeneuve, nous devons encore nommer Thomas de Breslau, de
l'ordre des prémontrés, évêque de Sarepte; Sigismond
Albicus, archevêque de Prague, fervent
adepte d'Arnauld de Villeneuve et auteur d'un petit livre célèbre,
Vetularius, qui traite du régime des vieillards; enfin le
fameux chimiste Raymond Lulle de Majorque (1285-1315)
que nous citons ici parce qu'il fut élève d'Arnauld.
Signalons seulement
Mundino ou Mundini (1275-1326),
qui en 1316
publia son Anathomia, le premier traité d'anatomie
qui, depuis les travaux de l'école
d'Alexandrie, repose sur la dissection
de cadavres humains; ce sont les travaux de cet illustre anatomiste italien
qui réveillèrent le goût pour l'anatomie en Italie ,
puis en France
et enfin en Allemagne .
Quant à la
chirurgie, c'est en Italie qu'elle se réveilla d'abord avec Roger
de Parme (1180),
Hugo Borgognoni de Lucques (1200),
Bruno de Longoburgo (1252), Théodoric Borgognoni (1205-1298),
Guillaume de Salicet (1265),
puis en France avec Jean Pitard (mort en 1315),
Lanfranc, venu d'Italie (1295),
Henri de Mondeville (mort après 1315),
Jean Yperman. Le plus célèbre chirurgien du XIVe
siècle fut Guy
de Chauliac; enfin, au XVe
siècle, mentionnons Pierre d'Argelata
(mort en 1423);
Marcello Cumano son élève, Leonardo Bertapaglia (mort en
1460),
enfin l'Allemand Heinrich von Pfolspeundt.
Exercice
et organisation de la médecine; hôpitaux, ordres religieux
Pendant fort longtemps
l'enseignement de la médecine fut entre les mains de clercs, et
cet état de choses persista en partie après la fondation
des universités ,
dont les premiers professeurs sortirent probablement des écoles
abbatiales. Beaucoup d'ecclésiastiques étudiaient d'ailleurs
la médecine pour l'exercer dans les communautés religieuses.
La pratique civile se partageait entre des clercs et des laïques;
encore la distinction n'était-elle pas tranchée, car beaucoup
de médecins laïques se faisaient donner les ordres mineurs
pour jouir des privilèges de l'état ecclésiastique.
Parfois même on accordait des bénéfices à des
médecins laïques célibataires ou veufs. Un certain nombre
de médecins arrivèrent ainsi aux plus hautes dignités
de l'Eglise ,
comme nous l'avons vu plus haut. Il arriva cependant un moment où
l'exercice de la médecine et de la chirurgie fut interdit aux ecclésiastiques
et où il devint entièrement laïque. De tout temps aussi
il y eut des médecins juifs qui exerçaient avec le titre
de magistri, celui de docteur leur étant généralement
refusé. Nous avons vu qu'ils ont joué un rôle dans
les débuts des écoles de Montpellier;
nous les avons vu expulser de Paris. L'Eglise
interdit même de les consulter, ce qui n'empêcha pas les princes
et même les papes et de « saints » hommes de les appeler
à leur chevet.
A la profession médicale
se rattachent les baigneurs qui avaient le droit d'exercer la petite chirurgie
« dans leur maison »; les barbiers, à l'origine surtout
attachés aux couvents d'hommes, puis remplissant dans les universités
les fonctions de prosecteurs, et autorisés à pratiquer la
saignée, à traiter les fractures, luxations et plaies, avec
l'obligation de rédiger des rapports, de surveiller les maisons
de femmes et le traitement chirurgical des pestiférés; les
chirurgiens, plus ou moins confondus avec les précédents,
exerçant des spécialités variées et voyageant
avec tambour, trompette et bouffons, comme charlatans de foire,
d'autres sédentaires sous le nom d'opérateurs; on consultait
même les bourreaux, ceux qui soignaient les suppliciés après
la torture, et qu'on supposait en possession de remèdes et de secrets
extraordinaires; enfin, les sages-femmes soignaient les maladies des femmes
et des enfants.
L'institution des
médecins pensionnés par les villes prit naissance en Italie
et de là s'étendit dans toute l'Europe .
Souvent, ils formaient des collèges ayant pour mission d'examiner
les médecins, les chirurgiens et les sages-femmes, de visiter les
pharmacies (l'institution des officines remonte aux premières époques
du Moyen âge ).
De bonne heure, les armées furent suivies de médecins; mais
ils furent primitivement attachés aux princes et aux grands, plus
tard seulement à la troupe. Les médecins d'armée italiens
avaient déjà des voitures d'ambulance (carocci).
Chez les Grecs
et les Romains, il n'existait pas, paraît-il,
d'établissements analogues à nos hôpitaux modernes.
C'est en Italie que furent fondés les premiers hôpitaux de
l'Occident. Une femme pieuse, Fabiola, nièce des Fabii, fonda un
hôpital à Rome en 400;
c'était une veuve qui se dépouilla de toutes ses richesses
pour édifier, sur les bords du Tibre, un vaste asile pour les malades
et les convalescents qu'elle appela Villa languentium. En général,
les plus anciens de ces établissements paraissent avoir été
établis dans les monastères
pour les pauvres, les infirmes et surtout pour les pèlerins et les
voyageurs.
Le premier hôpital
qui vit le jour en France
est celui de Lyon; il fut fondé en 542
par le fils de Clovis, Childebert,
et par sa femme, la reine Ultrogathe. Il porte aujourd'hui le nom d'Hôtel-Dieu
de Lyon. Vinrent ensuite les hôpitaux de Reims
et d'Autun.
C'est au concile
de Tours, en l'an 570,
que fut jeté le germe du principe de secours et d'assistance qui
inspire l'hospitalisation moderne. On visait surtout, alors, le vagabondage.
Sous Charlemagne et plus tard, à l'époque
des croisades, des établissements furent créés en
Orient pour recevoir les malheureux et soigner les malades.
A dater du XIe
siècle, les hôpitaux se multiplièrent
dans toute l'Europe ;
chaque abbaye, chaque cathédrale
eut son hôpital dont les fonds furent fournis par les rois, les seigneurs
et les évêques. Les bourgeois eux-mêmes contribuèrent
à la fondation des hôpitaux, et il n'y avait guère
d'homme riche qui, en mourant, ne fit un don à un hôpital.
Dans les premiers siècles, ces établissements s'appelaient
paupera gymnasia, parce que des hommes d'une haute distinction,
comme Grégoire de Nazianze, ne
craignaient pas de s'y renfermer pour prodiguer aux indigents les soins
de la charité et plus encore de la piété.
Après les
premières Croisades
s'élevèrent les léproseries, ladreries et maladreries.
Les hôpitaux étaient alors sous la direction du clergé,
et le service intérieur était fait par les différents,
ordres religieux. En 1544,
François ler
les plaçera sous celle des parlements et plus tard encore ils seront
sous celle du prévôt des marchands.
Jérusalem
possédait, depuis le Xe
siècle, un établissement
de ce genre, qui fut détruit par les Turcs
au XIe
siècle, rétabli ensuite
par des marchands d'Amalfi et confié à des bénédictins;
par l'adjonction de jeunes nobles de l'armée des croisés,
en 1110,
fut fondé l'ordre des chevaliers
de Saint-Jean de Jérusalem ou johannites, qui ne tarda pas à
dégénérer en un simple ordre de chevaliers analogue,
mais moralement supérieur, à celui des Templiers,
et dont Napoléon fit disparaître
le dernier siège à Malte
en 1798.
Cet ordre sera restauré en Prusse ,
avec sa première destination qui est de soigner les blessés
et les malades.
L'ordre des Chevaliers
teutoniques prit naissance vers la même époque que le
précédent, en 1128,
dans une simple hôtellerie allemande de Jérusalem;
sous le nom de frères de Marie, il élargit son champ d'activité,
mais en 1142
fut absorbé, du moins en Orient, par les johannites (Hospitaliers);
l'hôpital allemand de Jérusalem disparut en 1219.
L'ordre redevint indépendant après la prise d'Acre
(1191),
où fut fondé un hôpital, mais après la perte
de la Palestine l'ordre se retira en Allemagne et
s'établit sur les confins des pays prussiens et lituaniens
avec mission de les convertir par les armes au christianisme .
Après la perte de la Livonie ,
en 1561,
l'ordre périclita et Napoléon
en fit disparaître les derniers restes en Allemagne en 1809.
L'ordre des hospitaliers
de Saint-Lazare fut également fondé par les Croisés
en Palestine, probablement dès le XIe
siècle, et eut pour mission, comme
les précédents, tout en combattant les infidèles,
de soigner les malades, en particulier les lépreux;
il eut même pour grands maîtres des lépreux. Cet ordre
se dissémina après la perte de la Palestine. En 1572,
sa branche italienne fut réunie par le duc
de Savoie ,
Philibert-Emmanuel, à l'ordre de Saint-Maurice, et ses trésors
furent employés à la fondation d'hôpitaux. La branche
française fusionna en 1607,
sous les auspices de Henri IV, avec l'ordre de
Notre-Dame du Mont-Carmel; il fallait quatre quartiers de noblesse pour
y être admis. Il ne faut pas confondre les hospitaliers de Saint-Lazare
avec les lazaristes, ordre purement religieux
créé en 1624
par saint Vincent de Paul.
Signalons encore
l'ordre du Saint-Esprit, fondé vers la fin du XIIe
siècle par Guy de Montpellier,
et qui tire son nom de l'hôpital San Spirito de Rome
qui lui fut confié; cet ordre se répandit presque sur toute
l'Europe au XIIIe
et au XIVe
siècle, rendant de grands services,
puis dégénéra et tomba sous le pouvoir de grands maîtres,
d'officiers, etc., qui dissipèrent ses richesses. La branche française
se détacha de Rome en 1625
et devint indépendante. Louis XIV chercha
en vain à faire disparaître les abus qui s'étaient
introduits dans l'ordre. Celui-ci cessa du reste d'exister au XVIIIe
siècle.
L'ordre de Sainte-Élisabeth,
fondé par Elisabeth, femme du comte Louis de Thuringe, en 1225,
s'étendit sur toute l'Europe, et en 1395
adopta les règles du tiers ordre de Saint-François. L'ordre
des béguines, créé par Lambert de Bègue dans
la première moitié du XIIIe
siècle, a pris encore une plus
grande extension en Europe que le précédent, mais a disparu
à l'époque de la Réforme. Enfin, pour ne plus avoir
à y revenir, mentionnons encore les ordres fondés depuis
le XVIe
siècle, tels que l'ordre des frères
de Saint-Jean de Dieu ou des frères de la Miséricorde, fondé
en 1534
par Juan de Dios; celui des soeurs de la Miséricorde, fondé
à Paris en 1617,
par saint Vincent de Paul et par Louise de Marillac; enfin la confrérie
créée, pour soigner les vénériens, par Camille
de Lellis (1550-1614),
lui-même atteint de syphilis, et fondateur de plusieurs hôpitaux
spéciaux. (Dr Liétard). |
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