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La littérature en Normandie
C'est seulement au VIIe siècle que nous constatons une certaine activité littéraire en Normandie. Saint Wandrille a fondé le monastère de Fontenelle où les religieux rédigèrent les Gesta abbatum Fontanellensium, si précieux pour la connaissance de la chronologie mérovingienne et le Chronicon Fontanellense écrit vers le IXe siècle et continué jusqu'en 1040 par des auteurs anonymes. Toutefois, il semble que les moines normands aient été plus préoccupés d'écrire la vie des saints personnages, comme Ausbert, archevêque de Rouen, Lambert, 2e abbé de Saint-Wandrille, ou même de la reine Clotilde, jusqu'au Xe siècle.

L'établissement des Normands fut le signal d'une véritable renaissance littéraire et artistique. La cour des ducs eut son académie. L'auteur anonyme du Planctus super mortem  Guillelmi ducis (vers 943) en devait faire partie au même titre que le picard Dudon de Saint-Quentin qui écrivait de 994 à 1026, sous la direction de Raoul d'Ivry, son De Moribus et Actis primorum Normanniae ducum. Le XIe siècle, qui fut l'époque la plus brillante de l'histoire ducale, fut aussi la période la plus féconde pour les lettres. L'abbaye du Bec-Hellouin a été fondée vers 1035. Sous la direction de Lanfranc et de saint Anselme, elle devint l'école par excellence de la France du Nord, et à la fin du XIe siècle Anselme de Laon y étudiait avant d'enseigner à Laon et à Paris. Les monastères rivalisent. A Jumièges, Guillaume Calculus écrit, entre 1070 et 1087, une Historia Normannorum qu'il dédie à Guillaume le Conquérant. A Saint-Evroult, l'anglais Orderic Vital compose à la requête des moines son Historia ecclesiastica qui devait être tout d'abord une histoire de Saint-Evroult et qui devint une histoire universelle, de la naissance de Jésus jusqu'à l'an 1141, date à laquelle il meurt très probablement.

La cour des ducs était toujours un centre important de production littéraire. Le normand Guillaume de Poitiers, chapelain du duc, écrivit ses Gesta Guillelmi ducis Normannorum vers 1070-1080; et Gui de Ponthieu, qui, avant d'être évêque d'Amiens (1058-1776), avait été chapelain de la duchesse Mathilde, chanta (1067) dans un poème officiel en distiques la bataille d'Hastings. Raoul de Caen, dans ses Gesta Tancredi, nous donnait la version normande d'un témoin oculaire de la première croisade. Le clergé séculier était lui-même lettré. Les évêques de Lisieux, Hugues d'Eu (mort en 1077) et Gilbert Maminot (mort en 1101), avaient formé une sorte d'académie où l'on discutait des questions de science, de théologie et de littérature. Un autre, Arnoul, qui fut évêque de 1141 à 1181 et qui mourut en 1184, a mérité, comme le montrent ses lettres, que Robert du Mont le qualifiât : callidus, eloquens et litteratus

Wace composait au milieu de ce même siècle le Roman de Rou et son oeuvre était reprise, après sa disgrâce, par Benoît de Sainte-Maure. Etienne de Rouen écrivait, peu après 1170, en mètres variés, son Draco Normannicus en trois livres. Robert de Thorigny ou du Mont, moine du Bec en 1128 et abbé du Mont-Saint-Michel de 1144 à 1186, donna une nouvelle édition de Guillaume de Jumièges et rédigea une continuation de la Chronique universelle de Sigebert de Gembloux. Peu après, un anonyme composait une histoire des ducs de Normandie et des rois d'Angleterre jusqu'à 1220, apparentée à la chronique de l'anonyme de Béthune. Un certain Ambroise, normand de naissance, écrivait peu avant 1196 un grand poème français sur le pèlerinage du roi Richard. Alexandre de Bernay et Alexandre de Villedieu vivaient vers le même temps. Sous le règne de Philippe le Bel, Pierre Dubois, avocat du roi à Coutances, publiait, entre autres oeuvres, son De Recuperatione terrae sanctae.

Les guerres du XIVe et du XVe siècle donnèrent naissance à toute une littérature : la Chronique normande (1337-1372), la Chronique du Mont-Saint-Michel (1343-1458), la Chronique de Pierre Cochon, notaire apostolique à Rouen (mort en 1456), l'histoire en latin de l'évêque de Lisieux Thomas Basin, né à Caudebec en 1412, l'Oratio historialis et la Reductio Normanniae de Robert Blondel (ca. 1380-1461), le Recouvrement de Normandie par le héraut Berry. Les oeuvres littéraires d'Alain Chartier, les Vaux de Vire (Vaudeville) dont quelques-uns sont l'oeuvre d'Olivier Basselin, sont également très précieux pour l'histoire du XVe siècle. Le Journal de Masselin sur les Etats généraux de 1484 est un document historique d'un prix inestimable. 

Les XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles normands ont été illustrés par quantité d'écrivains, d'érudits et de jurisconsultes. Parmi les poètes, citons : Pierre Gringoire (1480-1547), Jean le Houx vers 1550, l'héritier de son compatriote O. Basselin; Jean Marot, Malherbe (1555-1628), Jean Vauquelin et son fils Nicolas Vauquelin de la Fresnaie qui mourut en 1612, Montchrestien qui mourut en 1621, Jean Bertaut (1552-1611), l'académicien Pierre Bardin, né à Rouen en 1590 et mort en 1637; de Boisrobert (1592-1662), Saint-Amand (1594-1661), Georges de Scudéry (1601-1667), Pierre Corneille, né à Rouen en 1606, son frère Thomas, né en 1625, Benserade (1612-1690), le rival de Racine et compatriote de Corneille, Pradon, né en 1632 ; Amfrye de Chaulieu (1639-1720), qui mérita l'épithète de premier des poètes négligés que Voltaire lui décerna; Segrais, le traducteur en vers de l'Eneide, des Bucoliques et des Géorgiques; Jean Sarrasin, qui fut à la fois poète et historien; Richer (1685-1748), Julien Quersens, auteur d'une tragédiePanthée, mort en 1738; Malfilâtre (1732-1767). 

Les prosateurs ne sont pas moins nombreux; nous citerons : Madeleine de Scudéry, l'auteur de Clélie, de Cyrus et de quantité d'autres romans qu'on n'essaye même plus de lire; son émule, Marie-Madeleine de La Fayette, qui a écrit la Princesse de Clèves et Zaïde; Françoise Bertaut, dame de Motteville (1615-1689), dont les Mémoires sort une des sources historiques les mieux renseignées et les plus impartiales pour l'époque de la Fronde; les historiens et historiographes : Mézeray, né en 1610; Robert Deniaud, historiographe du roi en 1663; Daniel Huet, évêque d'Avranches; le P. Daniel (1649-1728), Louis Legendre (mort en 1747), François Raguenet (mort en 1720), Saint-Evremond (1613-1703), qui s'illustra plus par ses lettres, qui sont de vrais chefs-d'oeuvre de finesse et de goût, que par ses oeuvres de longue haleine; Le Bovier de Fontenelle (1657-1755), qui échoua misérablement comme poète et qui eut quelques succès avec ses Dialogues des Morts et ses Eloges académiques; l'abbé de Saint-Pierre (1658-1743), dont les opuscules politiques, économiques et moraux sont marqués au coin du plus parfait amour de l'humanité, et Bernardin de Saint-Pierre, né au Havre (1737-1814), plus connu par son idyllique Paul et Virginie que par ses Etudes de la nature ou par ses Voeux d'un solitaire. Dans le roman, le XIXe siècle sera marqué en particulier par Gustave Flaubert (1821-1880), natif de Rouen.

L'érudition est représentée en Normandie dès le XVe siècle par l'évêque de Lisieux, Nicolas Oresme; au XVIe siècle, par les Rouennais, Turnèbe, Mathurin Cordier, et surtout, au XVIIe, par Samuel Bochart qui fut principalement un hébraïsant; un autre normand, dom Thomas Dufour, fit également des études sur la langue hébraïque. On peut encore nommer en ce siècle les humanistes le P. Bulteau, Le Brun-Desmarets, né à Rouen en 1560, l'éditeur de Lactance, Guyot-Desfontaines (1685-1745) et Mme Dacier

Au XVIIIe siècle, deux Normands, dom François Toustain et dom Tassin, bénédictins de l'abbaye de Saint-Wandrille, donnèrent une histoire de cette abbaye et collaborèrent au Nouveau Traité de diplomatique; enfin, à Granville, est né en 1716 l'un des plus illustres érudits de ce siècle si fécond, Oudart Feudrix de Bréquigny (mort en 1795), membre de l'Académie française et de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. 

La Normandie a aussi fourni de grands jurisconsultes, parmi lesquels Henri Basnage avocat au Parlement de Normandie (1615-1695), qui publia un Commentaire sur la coutume de Normandie; ses deux fils, Henri et Jacques; Guillaume Rouillé, né à la fin du XVe siècle à Alençon, auteur d'un Commentaire sur la coutume du Maine et de Notes sur Ia glose de la coutume de Normandie; enfin le feudiste Le Royer qui a composé un Traité des fiefs. (Léon Levillain).

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