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Lorsque les Germains
entrèrent dans l'Empire romain ,
la décadence avait commencé depuis Iongtemps pour la littérature
latine : tous les genres, en prose ainsi qu'en poésie,
étaient épuisés, et la langue n'avait plus qu'à
achever de se corrompre et à disparaître, du moins comme langue
vivante et parlée. Tel est le spectacle auquel on assiste a partir
du IVe siècle jusque vers l'époque
des croisades .
Cet intervalle peut se diviser en deux périodes, que sépare
le règne de Charlemagne. Ce prince
réagit, en effet, contre le courant qui entraînait à
sa ruine toute la littérature romaine; mais, après lui, l'Occident
tomba dans des ténèbres de plus en plus épaisses jusqu'au
jour où l'Europe latine
sembla vouloir sortir enfin de son long sommeil et revivre aussi de la
vie de l'esprit. De là date l'oeuvre des littératures modernes;
mais la littérature latine ne devait pas survivre au naufrage de
l'ancien monde.
Toutefois une distinction est ici nécessaire.
Rien n'égale, il est vrai, la stérilité dont sont
frappées, à l'époque des invasions barbares, les lettres
païennes ou profanes; mais le christianisme ,
surtout au IVe et au Ve
siècle, pose une sorte de défi. La langue
latine, déjà altérée par les influences
germaniques, se travestit encore par la nécessité d'exprimer
toutes sortes d'idées pour lesquelles elle n'avait pas été
faite; mais dans ces oeuvres, où l'érudit chercherait en
vain le vieil idiome romain (saint Jérôme, saint
Ambroise, saint Augustin), sont agités
avec éclat les problèmes de l'ordre le plus élevé
( Pères
de l'Eglise). Au VIe siècle,
malheureusement, et dans les âges qui suivent, cette agitation féconde
va de plus en plus s'affaiblissant; les malheurs des temps ôtent
le goût ou le loisir de s'instruire, et le nombre des lettrés
diminue progressivement dans les rangs des clercs non moins que parmi les
laïques; ce sera un mérite, au IXe
siècle, de savoir encore lire et écrire.
Au reste, dès le IVe
siècle, la critique renonce à séparer la prose de
la poésie, et à suivre isolément
leurs destinées. Toutes deux, d'abord, ne vivent plus que par leurs
productions inférieures: l'une a tout au plus des grammairiens,
des rhéteurs, quelques panégyristes et beaucoup de chroniqueurs;
l'autre n'a que des épitaphes, des élégies,
des morceaux descriptifs de courte haleine, d'autres qu'on ne sait à
quelle catégorie rattacher. Ensuite il n'est pas rare de voir le
même auteur cultiver à la fois les deux genres, composer aujourd'hui
un chant de noces, écrire demain une légende,
ou mieux encore, pour prêter sans doute à la prose les charmes
de la poésie, rédiger en vers l'histoire merveilleuse d'un
saint dont les vertus ont frappé vivement les imaginations
contemporaines. Aussi n'avons-nous pas ici à analyser des oeuvres,
mais des noms à énumérer.
A première vue, le IVe
siècle ferait encore quelque illusion. Il se présente, en
effet, à la critique avec Ausone et Claudien,
versificateurs au demeurant assez estimables; avec l'orateur Symmaque,
cet autre Pline le Jeune, comme disaient ses contemporains
trop prévenus en sa faveur; avec les historiens Ammien
Marcellin, Eutrope et Sulpice Sévère,
le Salluste chrétien; enfin avec un cortège
presque imposant des grammairiens et des rhéteurs, parmi lesquels
brillent : Donat, moins connu par son Commentaire
de Térence que pour avoir été
le maître de saint Jérôme; Népotien, ami d'Ausone,
lequel dut à sa réputation d'être nommé gouverneur
d'une province; Mamertin, panégyriste attitré des empereurs,
fils d'un autre Mamertin qui fut le premier décoré de ce
titre; Delphide de Bordeaux, dont saint
Jérôme a écrit qu'en prose et en vers il avait illustré
toutes les Gaules
par son oeuvre, etc. Mais quand on y regarde d'un peu plus près,
l'illusion se dissipe, et l'on est forcé de reconnaître que,
de toutes ces oeuvres qui firent en leur temps plus ou moins de bruit,
pas une n'offre la trace d'une inspiration originale et ne mérite
une considération sérieuse.
Le Ve siècle
ne pâlit pas trop d'abord à côté de l'âge
précédent. A Ausone et à
Claudien il oppose Rutilius Numatianus et Sidoine
Apollinaire. Rutilius, qui naquit à Poitiers
ou peut-être à Toulouse, était
préfet de Rome lorsque l'invasion barbare
vint couvrir de ruines son pays natal. II conçut alors le désir
de revoir la Gaule, se mit en route, et, chemin faisant, raconta en vers
élégiaques son voyage. Ce poème, connu sous le nom
d'Itinerarium, et dont il ne reste
que le premier chant et une partie du deuxième, a été
sauvé de l'oubli par quelques descriptions gracieuses. Sidoine Apollinaire,
originaire de Lyon, fut plus fécond,
quoique beaucoup moins pur. Dans ses oeuvres fort diverses on compte des
épithalames, des panégyriques,
un éloge de Bacchus ,
un autre du monastère de Lérins,
et neuf livres de lettres en vers. De même, si IVe
le siècle s'est glorifié de ses rhéteurs et de ses
grammairiens, s'il se vante d'avoir produit un Symmaque, le Ve
répond par les noms de Mamert Claudien,
de Marcien Capella, de Macrobe
et de Priscien. Mamert Claudien écrivit
un traité sur la nature de l'âme qui a survécu jusqu'à
nos jours, comme pour montrer qu'il y avait encore à cette époque
des esprits capables de métaphysique.
Marcien Capella, qui naquit à Madaure, près de Carthage,
composa un Satyricon en neuf livres, mêlés de vers
et de prose; c'est une sorte d'encyclopédie
qui commence par une allégorie bizarre, l'apothéose de la
philologie et son mariage avec Mercure ,
et qui se termine par un traité des sept arts libéraux, tels
que les étudia le Moyen âge
(la grammaire, la dialectique
et la rhétorique, matière du
trivium; la géométrie,
l'arithmétique, l'astronomie ,
la musique ,
sujet du quadrivium). Macrobe a laissé un commentaire sur le Songe
de Scipion, de Cicéron, avec une exposition
platonicienne du système du monde,
et un recueil de conversations intitulé les Saturnales, ouvrage
en sept livres, dont quatre sont consacrés à l'examen critique
des poésies de Virgile, et les autres
traitent des fêtes, du calendrier,
de la vie privée des Romains, etc.
Enfin Priscien, qui naquit à Césarée
et tint une école fameuse à Constantinople ,
entre autres oeuvres, composa une grammaire que mirent souvent à
contribution les grammairiens du Moyen âge.
Toutefois, dans cette comparaison entre
les deux siècles, le Ve a un désavantage
considérable aux yeux de la critique littéraire : c'est que
la langue qu'il parle est beaucoup plus incorrecte. Les Germains
contribuèrent à corrompre de toutes manières l'idiome
des vaincus. Ils apportaient avec eux des idées inconnues aux Romains,
surtout dans les relations de la société : la langue
latine manquant de termes pour les rendre, il fallut avoir recours
aux mots des vainqueurs, qu'on latinisa. Quelquefois les Germains apprirent
tels ou tels mots latins pour exprimer les choses de la vie usuelle; mais
ils les apprirent mal et les rendirent dénaturés aux Romains,
qui, soit insouciance, soit nécessité, les adoptèrent
en cet état : c'est ainsi qu'on disait antistis pour antistes,
contempto, fructo, pour contemptu, fructu.
Les règles de la grammaire furent altérées : on employa
des masculins pour des féminins; les verbes
qui gouvernaient l'accusatifgouvernèrent
l'ablatif, et ainsi du reste. Souvent aussi les
Germains voulurent s'éviter la peine d'apprendre le mot latin, et
y substituèrent le mot de leur langue.
Ajoutez que les bouleversements qui signalèrent
la conquête barbare réduisirent singulièrement le nombre
des gens lettrés, et que, dès 460, Mamert faisait ainsi l'épitaphe
des sciences :
"On
néglige la langue latine; on méprise la grammaire; on a peur
de la dialectique; on redoute la musique, la géométrie, l'arithmétique.
"
II y avait encore cependant de paisibles asiles
où les oeuvres de l'esprit étaient en honneur, et où
les lettres devaient trouver leur dernier refuge: ce sont les monastères,
au fond desquels s'accomplissent des travaux de trois genres différents
: ici se copient et se conservent les chefs-d'oeuvre de l'Antiquité ;
Ià s'élaborent des chroniques naïves, qui partent souvent
de la création du monde et sont conduites jusqu'à l'année
même qui les voit éclore; ailleurs, des méditations
obstinées enfantent des oeuvres où la philosophie
marche de pair avec la théologie et l'histoire. Voilà comment,
au Ve siècle, la littérature
religieuse présente encore quelques noms considérables. Salvien,
moine de Lérins, puis prêtre
de Marseille, surnommé par ses contemporains
le guide des évêques, fait paraître, en 455, un Traité
de la Providence, dans lequel il attribue aux crimes des Romains les
désastres de l'Empire. Cassien, de Marseille,
voulant atténuer l'opinion de Pélage
sur les rapports de la grâce et de la liberté, prétend
s'interposer entre les partisans exclusifs de la grâce ou Prédestinatistes
et ceux de la liberté ou Pélagiens, fonde ainsi le semi-pélagianisme,
et soulève dans l'Église
des débats auxquels prennent part, d'un côté, Fauste
de Riez, abbé du monastère de Lérins, Arnobe
la Jeune et Vincent de Lérins;
de l'autre, saint Hilaire d'Arles,
Prosper d'Aquitaine et saint
Augustin. Ces démêlés, où la littérature
en elle-même n'a rien à voir, ont inspiré toutefois
à saint Prosper son poème sur les Ingrats (ingrati
qui repoussent la grâce). Enfin Paul Orose
l'Espagnol compose, à la demande de saint Augustin, une histoire
du monde (Pauli Orosii Moesta mundi), ouvrage moitié moral,
moitié historique sur les calamités dont la terre a été
affligée depuis la création; réponse aux païens
qui rendaient la religion chrétienne
responsable de la ruine de l'Empire romain.
Cassiodore
et Boèce font la transition du Ve
au VIe siècle, c'est-à-dire
de la décadence profonde à la véritable barbarie.
Cassiodore, après avoir été ministre de Théodoric
le Grand et de ses premiers successeurs, se retira dans ses domaines
en 538. Là il fonda un ordre monacal consacré surtout à
la copie des manuscrits anciens, et composa
lui-même la plupart des ouvrages qui ont fait sa réputation
littéraire: les Institutions aux lettres divines, programme de l'enseignement
tel qu'on le suivit au moyen âge; un Traité de l'âme;
des livres de grammaire, de mathématiques ,
de musique .
II avait écrit en douze livres une Histoire des Goths,
qui s'est perdue, et dont l'on n'a qu'un abrégé par le Goth
Jornandès; plus une Chronique universelle
partant du Déluge
et finissant à l'an 59 après J.-C. Mais son oeuvre la plus
importante, bien que sans caractère ni prétention littéraire,
est le recueil des rescrits et ordonnances qu'il avait rédigés
dans son administration; ce sont douze livres (Variorum libri XII)
remplis de détails minutieux et curieux sur le gouvernement de l'Italie ,
sur la constitution disciplinaire de l'Église et sur l'état
intellectuel du pays. Boèce, ministre de Théodoric, comme
Cassiodore, composa, pendant les tristes loisirs de la captivité
qui précéda sa mort, un livre De la Consolation de la
philosophie, dialogue en prose et en vers où l'auteur, parlant
de la Providence, s'élève à
une grande hauteur de pensées et de sentiments. On a aussi de lui
plusieurs compositions philosophiques et des traductions avec commentaires
des traités de dialectique d'Aristote,
ouvrages qui ont été longtemps suivis pour l'enseignement
scolastique du Moyen âge .
Après ces deux personnages encore
illustres, l'âge de l'assoupissement des esprits commence; les écoles
se ferment; le clergé lui-même voit ses rangs envahis par
des Germains que tentent le titre d'évêque
et les richesses épiscopales, et dont l'ignorance brutale fait un
triste contraste avec la science de leurs prédécesseurs.
Saint Grégoire, évêque
de Tours, est auteur d'une Histoire ecclesiastique
des Francs, qui n'a d'intérêt
que pour les historiens. Fortunat, Italien,
devenu évêque de Poitiers,
a laissé une Vie de saint Martin en vers, et une Vie de
sainte Radégonde, des hymnes, des
poèmes sur des violettes, sur des châtaignes, sur du lait,
etc. Saint Césaire, évêque
d'Arles, versé dans la connaissance
de l'Ecriture
et des Pères, porta le dernier coup au
semi-pélagianisme dans le Concile d'Orange. Saint
Avit, évêque de Vienne
(Dauphiné ),
écrivit divers traités contre les hérétiques
de son temps, une homélie sur les Rogations et un poème
sur la Création, dont plusieurs morceaux ont pu soutenir
la comparaison avec des passages correspondants de Milton.
Saint Gildas, dit le Sage, né dans le pays
de Galles ,
et qui passa une partie de sa vie au monastère de Glastonbury ,
est auteur d'une lettre (liber querulus de excidio Britanniae) où
il donne un précis de l'Histoire de la Grande-Bretagne
depuis l'invasion des Romains jusqu'à
son temps.
Au VIIe
siècle, l'affaissement des esprits est plus marqué encore.
La contagion de l'ignorance a gagné de proche en proche toutes les
classes; la langue s'est corrompue au point que les mots en sont devenus
méconnaissables, et l'historien Frédégaire
annonce dans une préface qu'il n'usera pas de tout son savoir, et
qu'il parlera moins purement qu'il ne pourrait le faire, "de peur de n'être
pas compris de tout le monde". Aussi quelques auteurs seulement de cette
époque ont une sorte de notoriété; encore est-ce
comme historiens et non point comme littérateurs qu'ils l'ont acquise.
Le moine Marculfe a rédigé un
recueil en deux livres des formules usitées dans les actes qui se
passaient: 1° au nom du roi; 2° entre les particuliers. Frédégaire
a continué Grégoire de Tours
dans une sorte d'histoire universelle poussée depuis Adam
jusqu'à la quatrième année du règne de Clovis
Il. Saint Colomban, missionnaire d'Irlande ,
a laissé plusieurs ouvrages religieux tels qu'une Règle
monastique, un Pénitentiel, etc., et trois petits poèmes
ascétiques, avec une épigramme
sur la comparaison d'Eve
et de la Vierge .
Bède le Vénérable mit à
profit sa grande érudition dans une Chronique qui commence
avec l'origine supposée du monde et finit avec l'an 720 après
J.-C. Enfin, d'Isidore de Séville il y
a une Chronique qui va jusqu'en 615 après J.- C., et deux
Abrégés historiques sur les Barbares qui occupèrent
l'Espagne (les Wisigoths,
les Suèves et les Vandales).
Après le triomphe des Austrasiens,
les évêchés et les abbayes
tombèrent aux mains des compagnons de Charles
Martel, qui se soucièrent fort peu d'y conserver les écoles,
et l'on vit les bibliothèques
devenues inutiles, habitées, comme à Fontenelle (Saint-Wandrille ),
par les chiens du seigneur. Tel était l'état des choses lorsque
parut Charlemagne, qui forma le dessein d'arracher
son siècle à l'ignorance; et il y réussit au moins
pour un moment. Il contribua au réveil des études par
ses lois et par son exemple. A titre de monarque, il établit à
sa cour l'école ou (académie) dite Palatine, renouvelée
peut-être d'une école analogue qui avait existé naguère
à Trèves dans le palais des
empereurs romains. Alcuin en était
le président Charlemagne lui-même, quand il le pouvait,
assistait aux séances et devinait, nous dit-on, avec aisance, les
énigmes en vers qu'on y proposait, suivant le goût anglo-saxon.
Comme les académiciens s'étaient choisis des pseudonymes,
Charles s'y faisait appeler David.
Charlemagne restaura aussi les écoles
épiscopales et celles des monastères,
honora les savants, et l'on sait les menaces qu'il fit aux enfants des
seigneurs qui ne purent répondre à ses questions, jurant
que les places et les bénéfices iraient trouver les enfants
des pauvres s'ils étaient plus savants qu'eux. Comme homme avide
de science ou comme auteur, il se mit sur les bancs, il épela des
lettres, il s'exerça à bien écrire; il apprit les
langues, l'astronomie ;
il étudia la grammaire, l'orthographe,
la rhétorique, la dialectique; s'il
ne rédigea pas tous ses Capitulaires,
il n'en reste pas moins constant que c'est son talent qui les a dictés,
et qu'il fut l'âme de tout ce qui se composait sous ses yeux il écrivit
des lettres au pape, aux évêques, aux rois des autres nations,
aux empereurs de Constantinople ;
activité prodigieuse et qui eût été digne de
produire des faits plus durables.
Charlemagne
apparaît ainsi dans l'histoire environné d'un brillant cortège
de savants qu'il attira de tous les pays d'Europe
à sa cour, et qui, joignant leurs efforts à ceux du maître,
tirèrent les esprits de leur léthargie. Les principaux ouvriers
de ce renouveau éphémère des lettres que l'on a parfois
qualifié, non sans exagération, de "renaissance carolingienne",
furent Alcuin, Éginhard,
Angilbert, Théodulfe,
Leidrade, Agobard, Paulin d'Aquilée, Pierre
de Pise et Paul Warnefried.
Les oeuvres d'Alcuin,
considérées au point de vue littéraire, sont au-dessous
de leur réputation, car elles sont plutôt d'un Père
de l'Eglise que d'un homme de lettres. Elles n'en ont pas moins exercé
en leur temps une influence considérable. Les unes concernent la
Bible ,
les autres sont des traités de théologie;
celles-ci ont pour objet de combattre les hérésies
du temps; celles-là regardent la liturgie; d'autres enfin se rapportent
plus particulièrement aux sept arts libéraux; joignez-y des
poésies de différentes sortes, et vous aurez une idée
de la fécondité de ce puissant esprit. La belle oeuvre d'Eginhard,
celle à laquelle il est redevable de sa réputation, est sa
Vie de Charlemagne, qui est restée comme la grande autorité
de cette époque.
Angilbert n'a
laissé que quelques poésies insignifiantes; sa gloire est
d'avoir été l'un des membres de l'école palatine,
et d'avoir servi pour sa part les desseins de son roi.
Théodulfe,
appelé d'Italie
par Charlemagne à l'évêché
d'Orléans, fonda dans son diocèse
quatre grandes écoles, et recommanda à tous ses prêtres
et curés d'ouvrir dans chaque bourg une école où les
enfants des pauvres seraient gratuitement enseignés. II composa,
d'autre part, des poésies diverses qui lui firent une grande réputation,
bien qu'elles n'offrent aujourd'hui que peu d'intérêt.
Leidrade, né dans le Norique ,
passa aussi les Alpes à la voix de Charlemagne pour diriger l'archevêché
de Lyon. Écrivain peu fécond,
il aime mieux propager les lettres en multipliant les écoles dans
son diocèse qu'en composant de longs et nombreux ouvrages.
Agobard, son
disciple, et son successeur, a laissé, au contraire, une trentaine
d'écrits parmi lesquels on distingue un Traité contre
Ie duel judiciaire, qu'il fit abolir par le fils et successeur de Charlemagne.
Paulin d'Aquilée, dont le grand
empereur se plaisait aussi à consulter les lumières de l'expérience,
n'écrivit rien qui marque une préoccupation purement littéraire;
mais son ardeur épiscopale lui inspira des ouvrages de polémique
religieuse et de morale qui tiennent une place honorable parmi les productions
contemporaines.
Pierre de Pise enseignait à l'école
de Pavie
lorsque Charlemagne vint assiéger
cette ville et mettre fin à la monarchie lombarde; il fut emmené
en France
par le vainqueur pour y continuer ses leçons, et fut regardé
comme la part la plus précieuse du butin.
Enfin Paul Warnefried, dit le Diacre, auteur
d'une histoire des Lombards (De gestis
Longobardorum libri sex), reçut de l'empereur la mission de
composer différents ouvrages pour le clergé de France et,
entre autres, un recueil d'homélies
tirées des Pères, lequel fut envoyé
à tous les lecteurs des églises.
On lui doit également une histoire des évêques de Metz.
Tels sont les hommes les plus remarquables
du règne de Charlemagne, ceux dont
les écrits et les actes inspirés, récompensés,
commandés quelquefois par leur illustre protecteur, suspendirent
environ pendant un quart de siècle la décadence de la littérature
latine. Il ne devait rien rester de cette glorieuse tentative, et quand
ces instruments d'une grande pensée eurent disparu avec le maître
qui s'en était servi, la barbarie ne tarda pas à reconquérir
le terrain qu'elle avait perdu. Les invasions des Vikings
ne pouvaient qu'accélérer son triomphe. Le IXe
siècle, à la vérité, se ressent encore des
vigoureux efforts du VIIIe, et produit
quelques noms dignes de souvenir; tels sont: Ermoldus Nigellus, poète;
Thégan, l'Astronome; Aimon et Fréculfe, historiens; Walafrid-Strabon
et Florus, théologiens et poètes; Raban
Maur, autre théologien non moins renommé que les deux
précédents; Scot Erigène,
précurseur de la scolastique. Hincmar,
homme d'écrit et d'action, qui donne à la fois des leçons
aux papes et aux princes; puis, bien au-dessous de ce grand personnage,
le poète Milon et les théologiens
Ratramme et Paschase-Radbert de Corbie ;
Loup, abbé de Ferrières, et Gothescalc, moine de l'abbaye
de Fulde .
Mais le Xe siècle compte à
peine deux ou trois représentants fort médiocres, tels que
Flodoard, auteur d'une histoire de l'église
de Reims et d'une chronique plus générale,
précieuse par quelques faits dont la mention ne se retrouve point
ailleurs, et Abbon, qui raconta le siège
de Paris par les Vikings
et dut une certaine célébrité à la triste popularité
de son sujet. N'oublions cependant pas, en Allemagne ,
la célèbre abbesse de Gandersheim, Hroswita, auteur de plusieurs
drames imités de Térence,
qu'on a beaucoup vantés mais dont l'authenticité a été
attaquée ay XIXe siècle par
un critique très distingué, Joseph Aschbach (Gazette d'Augsbourg,
14 septembre 1867). Ainsi, abstraction faite des discussions théologiques,
voilà donc les sujets dans lesquels est maintenant confinée
la langue latine : des poèmes de
tout genre et de toute dimension, qui n'ont guère d'autre mérite
que d'avoir été lus en leur temps et d'attester le réveil
de l'esprit humain à partir de la fin du IXe
siècle, et des chroniques ou des biographies.
Italiens,
Espagnols, Allemands,
Anglais, Français
concourent au mouvement intellectuel qui a lieu pendant l'époque
carolingienne. Parmi les auteurs du XIe
se distinguent Fulbert (ca. 960-1028), Adémar
de Chabannes (988-1034), Yves de Chartres,
Guillaume de Jumièges (mort
vers 1090), Dudon de Saint-Quentin, Hugues, évêque
de Langres, Guy, évêque d'Amiens,
et Odon, évêque de Cambrai .
Un distique du premier, adressé à Guillaume
le Conquérant, excita une admiration générale;
nous le citons, afin que par cet échantillon on puisse juger du
reste :
Si
quis in ante videt qui te circumspicit, ex te
Colligit,
ante comes, rex modo Caesar eris.
Gui d'Amiens écrivit un poème
sur la conquête de l'Angleterre
par les Normands, et Odon de Cambrai, rebroussant
vers un passé qui semblait oublié, chanta les vieux héros
de la guerre de Troie .
Les chroniqueurs principaux de la même époque sont: Raoul
Glaber, du monastère de Cluny ;
Guillaume de Pouille, Geoffroy de Malaterra,
Aimoin, Gérard, Bernon, Raoul Tortaire,
ces quatre derniers sortis du monastère de Fleury ;
Guibert de Nogent, Milon Crespin, de l'abbaye
du Bec ,en
Normandie ,;
c'est aussi dans cette abbaye que. Lanfranc
(1005-1089) et Anselme professent avec éclat.
Mais nous voici venus au XIIe
siècle et début des croisades .
Au moment où elles commencent, les langues modernes ont déjà
une existence, une physionomie distincte, et ils ne tarderont pas à
produire eux-mêmes leurs oeuvres durables et vraiment littéraires
: témoin le récit de la quatrième croisade par Villehardouin,
bientôt suivi des mémoires du sire de Joinville.
Le latin pourtant ne périt pas;
on continue et on continuera de le parler et souvent de le dénaturer,
bruyamment ou silencieusement, dans les églises
et dans les écoles de la scolastique,
jusqu'à ce que la Renaissance
remette en honneur la vieille langue romaine. En attendant, des auteurs
de premier plan en maintienne l'usage. Parmi eux : Pierre
Lombard, saint Bernard (1091-1153),
Hugues de Saint-Victor, Orderic Vital (1075-1141),
Guillaume de Malmesbury (1096-1150), Otton
de Freisingen (mort en 1158) et les historiographes de l'abbaye de
Saint-Denis : Suger
(1081-1151) et Rigord (ca. 1150-1206). Les femmes
même ont une place dans ce mouvement avec Herrade
de Landsberg (morte en 1195), dont le curieux Hortus deliciarum,
avec les dessins qui l'illustrent, est une
source si abondante de renseignements sur la vie de l'époque; avec
l'abbesse de Disibodenberg, Hildegarde (ca.
1098- 1179), dont les écrits touchent aux matières les plus
diverses; et aussi avec Héloïse (ca.
1101-1164) dont la correspondance avec Abélard
(1079-1142) est tenue pour un chef-d'oeuvre. Ajoutons encore les innombrables
poètes, dont plus d'un, comme Jean
de Hauteville servira de modèle aux écrivains langue
vulgaire.
Au XIIIe
siècle Rigord est
continué par Guillaume
le Breton, et l'on peut encore citer : Vincent
de Beauvais (1190-1260), Roger Bacon (1224-1294),
Guillaume de Nangis et Jacques
de Voragine (1230-1298); c'est à l'Université de Paris,
également au XIIIe siècle,
que les Anglais Alexandre de Hales et Jean Peckham,
les Italiens Thomas d'Aquin (1227-1274), Bonaventure
(1221-1274), conquièrent leur renommée.
(A. H.) |
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