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Le roman français au XIXe siècle et au début du XXe |
Plus
encore que le siècle de la poésie, le XIXe
siècle est par excellence le siècle du roman. Comme l'a remarqué
Paul Morillot, il s'ouvre par des romans, ceux de Chateaubriand, et il
se termine par des romans; et si, entre ce commencement et cette fin, il
y a eu toute une admirable et puissante floraison poétique, ce n'a pas
été du moins au préjudice du roman, qui l'a provoquée à sa naissance
et qui l'a recueillie expirante : c'en a été plutôt comme un dédoublement
triomphal.
De 1800 à 1820 Dès cette première période, il importe de remarquer la part de plus en plus grande que se taille le roman et jusque dans l'oeuvre des « théoriciens ». Pour une Mme de Staël, un Chateaubriand, sinon pour un Nodier, dont la curiosité s'amuse de tout, effleure tout et ne s'attache à rien, le roman est encore, comme il l'était chez Rousseau, une forme de la propagande philosophique, un moyen d'illustrer la thèse par l'exemple. Négligeons la postérité de Berquin : un Fiévée, un Ducray-Duminil, un Vindé, un Montjoie, écrivains vertueux et fades; ne nous attardons pas davantage à Marchangy, cet abbé Barthélemy du romantisme, à Ducange, qui est le père de des feuilletonistes modernes, encore moins à la graveleuse baronne de Méré et à Pigault-Lebrun, dont la meilleure oeuvre fut son petit-fils Emile Augier et par qui Restif de la Bretonne donne la main à Paul de Kock. Les romancières
dans le sillage de Mme de Staël.
« Jamais, a dit justement Paul Morillot, la littérature féminine n'avait jeté dans le roman un pareil éclat depuis Mme de la Fayette ».La plupart de ces auteurs et de ces livres pourtant sont oubliés et, de toute cette période, la postérité n'a retenu, dans le roman, avec Chateaubriand, Mme de Staël et Charles Nodier, que les noms de Xavier de Maistre, de Sénancour et de Benjamin Constant. Xavier de Maistre;
Sénancour; Benjamin Constant.
Sénancour.
Benjamin
Constant.
De 1820 à 1850 Sauf Béranger, Casimir Delavigne, Brizeux, on peut dire que tous les poètes de la période qui nous occupe comptent au moins un roman dans leur oeuvre, et Brizeux lui-même ne donna-t-il pas à Marie le sous-titre de « roman »? Le roman est partout, se prête à tout, voire à l'économie politique avec Louis Reybaud et son caustique Jérôme Paturot (1843), à la zoologie « passionnelle » avec Toussenel et à la botanique sentimentale avec Rodolphe Töpffer. Le roman autobiographique.
Lamartine.
Sainte-Beuve.
« Le véritable objet de ce livre, dit Sainte-Beuve, est l'analyse d'un penchant, d'une passion, d'un vice même, et de tout ce côté de l'âme que ce vice domine et auquel il donne le ton, du côté languissant, oisif, attachant, secret et privé, mystérieux et furtif, rêveur jusqu'à la subtilité, tendre jusqu'à la mollesse, voluptueux enfin. »On pourrait dire plus simplement que Volupté, c'est la crise de Sainte-Beuve romantique, amoureux et mystique. Il souffre tout ensemble dans sa foi littéraire, sa foi sentimentale et sa foi religieuse, et le livre, à distance, si emphatique et alambiqué qu'il soit et quand on sait comme Sainte-Beuve sortit de cette crise trempé de scepticisme pour la vie, est intéressant à consulter moins comme une confession que comme un testament. A.
de Musset : la Confession, les Contes.
Et l'on peut aussi regretter, dans les premières pages de la Confession, l'abus des apostrophes et des métaphores, un ton perpétuellement tendu, le recours aux procédés plus oratoires que poétiques de ce genre hybride et faux qu'on appelle le poème en prose et dont toutes les manifestations, de Télémaque aux Martyrs, comptent pour autant d'échecs. Telle quelle, la Confession occupe une grande place dans l'oeuvre de Musset et son emphase, sa prolixité ne prévalent pas contre son évidente sincérité. Musset, outre ce roman, a écrit des Contes et Nouvelles (1837-1853), remarquables par l'aisance du tour, la finesse des analyses et la qualité du sentiment. Le plan en est assez lâche sans doute (mais on sait que Musset, écrivain sensitif et tout de premier jet, ne pouvait s'assujettir à aucune discipline et qu'il laissait aller sa plume la bride sur le cou, au risque, comme il en convenait lui-même, « d'être à la fois trop court, trop long et décousu ») et la trame un peu mince : on n'en admirera que davantage l'ingéniosité de l'auteur pour étoffer son intrigue par d'heureuses péripéties, des pensées fines, de poétiques descriptions comme celle de la vallée de Montmorency au clair de lune, dans Frédéric et Bernerette. Les Contes et Nouvelles méritent d'ailleurs notre attention à un autre titre : dans quelques-unes de ces jolies bluettes, Alfred de Musset, pour la première fois, semble avoir voulu sortir de lui-même et peindre des caractères et des événements qui ne fussent point à l'image de sa vie. Le fermier-général Godeau, par exemple, dans Croisilles, est bien un financier de l'Ancien régime; La Bretonnière, dans le Secret de Javotte, a toute la morgue, le sans-gêne et la grossière carrure qui conviennent à un hobereau. Et, si le bonhomme Piédeleu, dans Margot, ne ressemble guère au père Fouan de la Terre (de Zola), il est peut-être plus près de la vérité en paysan de la Beauce qui ne trouvait au monde « que trois choses dignes d'admiration : le clocher de Chartres, une belle fille, un beau champ de blé » et dont l'ignorance n'empêchait point que « quand, par le soleil de midi, à l'heure où les laboureurs se reposent, il sortait de la basse-cour pour dire bonjour à ses moissons, les blés se tinssent plus droits et plus fiers que de coutume, le soc des charrues fût plus étincelant ». Le roman idéaliste
« Non, répond Doumic, ce n'était pas elle. Elle était, elle, bien portante; elle croyait à la vie, à la bonté des choses et à l'avenir de l'humanité, comme faisaient, vers le même temps, Victor Hugo et Dumas père, ces autres forces de la nature. Une âme étrangère à la sienne entrait en elle, et c'était l'âme romantique. Avec cette magnifique puissance de réceptivité qui est en elle, elle accueille tous les souffles venant des quatre coins du romantisme. Elle les répercute avec une ampleur, une profondeur de sonorité, une richesse d'orchestration inouies. Désormais, à toutes les voix masculines qui s'étaient élevées pour maudire la vie, une voix de femme s'ajoutait - et elle les dominait! Dans l'évolution psychologique de George Sand, Lélia est cela même : c'est le début de l'envahissement de l'âme de George Sand par le romantisme. »Son coup de passion pour Alfred de Musset, puis ses diverses liaisons avec Liszt, Chopin, etc. (car elle a été liée à un un bon tiers des grands hommes du siècle) achèvent et fortifient l'emprise (Léone Léoni, Mauprat, la Dernière Aldini, etc.) : elle ne s'appartiendra plus jusqu'à l'Histoire de ma vie (1854). Entre-temps, Michel de Bourges, Pierre Leroux et Barbès la convertiront à la république, Jean Reynaud au dogme de la préexistence et de la survivance astrale, et ce sera tout au moins « un acheminement dans la voie qui va faire passer l'écrivain du mode personnel au mode impersonnel ». Toute chaude de leurs leçons, la voilà qui entame la série de ses romans socialistes et mystico-humanitaires : Spiridion (1838), les Sept cordes de la lyre, le Compagnon du tour de France, Consuelo, la Comtesse de Rudolstadt, le Meunier d'Angibault, le Péché de M. Antoine (1847) qui ferme le cycle. Cependant et dans quelques-uns de ces livres et des précédents (Mauprat, le Meunier d'Angibault), on pouvait relever déjà une certaine prédilection pour les paysages du Berry et de la Marche où George Sand a passé sa jeunesse et au milieu desquels elle aime encore « se retremper ». Cette prédilection deviendra une véritable tendresse dans Jeanne (1844) et qui envahira bientôt tout son coeur, car elle est incapable de se donner à moitié, si elle n'est jamais longue à se reprendre, et, après les hommes, c'est le Berry, Nohant, la Vallée Noire qui règneront despotiquement sur elle. A ce commerce intime avec la nature, nous devrons les chefs-d'oeuvre qui s'appellent François le Champi (1844), la Mare au Diable (1846), la Petite Fadette (1848), les Maîtres sonneurs (1852). Son génie semble fixé. Mais il y a chez elle un besoin de renouvellement perpétuel et ses «-paysanneries » n'auront été qu'une halte rafraîchissante, un bain de réalisme, au sortir duquel, allégée tout au moins de ses utopies humanitaires, elle se lancera dans une dernière et éblouissante carrière, multipliant les oeuvres de tous les genres : romans à thèse, comme Mlle de la Quintinie (1868); romans psychologiques, comme la Confession d'une jeune fille (1865); romans historiques mêmes, comme les Beaux Messieurs de Bois-Doré (1858), ou simples romans tout courts, qui ne visent qu'à plaire et à émouvoir, comme Montrevêche (1855), le Marquis de Villemer (1860), Jean de la Roche (1861), Cadio (1868), Flavie, etc. La mort seule lui fait tomber la plume des mains. Dans l'ensemble, on peut dire que la substance profonde des romans de George Sand, ou plutôt le grand personnage invisible et symbolique qui les conduit en secret, c'est l'amour, l'amour libre, indépendant et souverain, qui rompt la digue des «-convenances », des préjugés et des institutions, assez puissant d'ailleurs pour unir et fondre les classes par le simple mariage d'une fille noble avec un ouvrier ou réciproquement et réduire la question sociale à une question d'alcôve. George Sand était si bonne qu'elle réconciliait dans son coeur tout ce qui s'oppose ou s'ignore et qu'elle abolissait les plus irréductibles distinctions de l'univers. Magnifique écho des passions anarchiques de son temps, elle a retenti au delà des frontières de la France sur les Ibsen, les Tolstoï, les Bjoernson et, par eux, sur le « théâtre d'idées » du XXe siècle, inspiré de ces exotiques et voué à l'exaltation de l'individualisme sous toutes ses formes. Si flatteur que soit ce prolongement de vibration, il est permis de n'en savoir qu'un gré médiocre à George Sand. Et le fait est que son oeuvre n'a de vraies racines dans la sensibilité nationale que celles que lui donne son amour de la nature et d'une certaine nature, nettement déterminée, enclose aux « traînes » et aux «-charrières » du Berry. En un mot, si George Sand a établi quelque part la certitude de son immortalité, c'est dans François le Champi, la Petite Fadette, la Mare au Diable et les Maîtres sonneurs; elle a mis en scène le paysan du Centre, frugal et endurant, soutenu et ennobli d'antiques disciplines, simple, doux et fort dans ses sentiments (et peut-être est-ce là une face de cette réalité que d'autres nous ont montrée plus âpre et voisine de l'animalité); elle a été, par la vertu de son exemple, la bonne fée qui a réveillé définitivement l'âme des provinces françaises, « conservatoire de notre génie national » (Sully-Prudhomme), et suscité, avec Nodier, Gérard de Nerval, Brizeux, Emile Souvestre (les Derniers Bretons [1835], le Foyer breton, etc.), ce grand mouvement de renaissance provincialet dont on verra les manifestations au cours de la période suivante. Autres
romanciers idéalistes.
Les plus notoires sont : Henri de Latouche, « brillant et lascif » (Sainte-Beuve) dans Fragoletta; Virginie Ancelot (Gabrielle, Emerance, Renée de Varville, etc.); Roger de Beauvoir (le Café Procope, la Lescombat, etc.); Paulin Limayrac (l'Ombre d'Eric); Delphine Gay (le Lorgnon, Contes d'une vieille fille, etc.); Édouard Ourliac (Suzanne, Hubert Talbot, etc.); Marie d'Agoult (Hervé), « la Corinne du quai Malaquais-», plus connue sous son pseudonyme de Daniel Stern et comme auteur de pensées que comme romancière; Jules Janin (l'Ane mort, qui n'est à vrai dire, comme les Jeune-France de Gautier, qu'une parodie du « genre frénétique », Contes fantastiques, le Chemin de traverse, la Religieuse de Toulouse, etc.); Gavarni, qui, dans Michel, a dessiné un « type de jeune femme parfaitement observé, âme malade des préjugés de l'éducation et du faux idéal qui flottait dans l'air à cette époque » (Sainte- Beuve); Gérard de Nerval, le plus nuancé des romantiques, cerveau charmant guetté par la folie, poète en qui s'annonce Baudelaire, prosateur qui, dans sa traduction de Faust, donne à Goethe l'impression d'un créateur et, dans ses romans : la Main de gloire, Aurélia, les Filles du feu, surtout la délicieuse Sylvie, n'a pas son égal pour la grâce du tour, la sobriété du trait, le choix des images, la pénétration intime et pourtant discrète des paysages de France et de l'âme populaire; Xavier Saintine, dont la Picciola (1836) triomphe du sentimentalisme honnête, histoire des amours d'un prisonnier et d'une fleur, fut traduite dans toutes les langues et valut à son auteur une célébrité qui surprend un peu aujourd'hui; Alphonse Karr, l'humoriste des Guêpes, journaliste facile et spirituel autant que romancier échevelé et macabre dans Sous les tilleuls (1832); Frédéric Soulié, de qui personne ne lit plus guère les Deux cadavres, les Mémoires du Diable (1837), ni tant d'autres romans « frénétiques » où toute la France palpita, et qui rencontra une fois, dans le Lion amoureux (1839), un sujet simple et fort et une langue appropriée à la délicatesse des sentiments; Léon Gozlan, conteur ingénieux, mais un peu vulgaire de ton (le Notaire de Chantilly, Aristide Froissard, les Émotions de Polydore Marasquin, etc.); Joseph Méry, inépuisable de verve marseillaise dans Héva, les Nuits d'Orient, le Bonheur d'un millionnaire, Un amour au sérail, etc.; Xavier Marmier, voyageur, importateur et adaptateur des légendes scandinaves dans ses Fiancés du Spitzberg et ses Nouvelles danoises; Édouard Corbière, qui introduisit l'observation dans le « roman maritime »; Claude Tillier, dont Mon oncle Benjamin pourrait soutenir, de l'avis de Félix Pyat, la comparaison avec les meilleurs contes de Diderot et de Voltaire; Gabriel Ferry, dont Costal l'Indien et le Coureur des bois (1850) égalent plus sûrement les chefs-d'oeuvre de Fenimore Cooper; Amédée Achard, romancier élégant, abondant et varié, qui a effleuré tous les genres et s'est surtout distingué dans le roman de moeurs mondaines (les Petits-fils de Lovelace, l'Eau qui dort, Mme de Sarens, le Duc de Carlepont, etc.). où il a fait preuve d'une observation fine et d'une louable préoccupation de l'idée morale; Jules Sandeau enfin, à qui George Sand prit la moitié de son nom et qui, joignant à « un goût très vif pour le romanesque » et à « de très précieux dons d'analyse psychologique » une sorte de « verve gauloise et moliéresque-», évoque lui-même, dans Mme de Sommerville (1834), Marianna (1839), le Docteur Herbeau (1841), Mlle de la Seiglière (1848), son chef-d'oeuvre, Sacs et parchemins (1851), la Maison de Penarvan (1858), etc. « l'idée d'un George Sand à l'imagination moins vagabonde, au génie moins facile et moins universel, mais aussi plus observateur, plus attentif, peintre plus exact, écrivain plus habile » (Morillot). M.
de Guérin.
« Hugo, Sand, dit Henri Clouard, décrivirent de beaux détails. Pour Lamartine, qui n'a jamais composé, au cours de ses longues descriptions, quelque figure achevée, la nature n'est guère qu'un prétexte : un pressentiment de Dieu. [Seul] Chateaubriand anime et humanise de très beaux paysages et même s'efface afin qu'ils se détachent, se déploient librement, existent pour eux-mêmes : le grand Être commence de rassembler ses forces dispersées; et l'on se souvient alors des grandes figures d'André Chénier (l'océan éternel où bouillonne la vie). Toutefois ni Chénier, ni Chateaubriand, ni Rousseau, ni aucun autre n'ont essayé de saisir la nature en son tout, d'en retirer un sentiment assez profond pour mériter d'être appelé philosophique, enfin d'atteindre à la force invisible, mais centrale, permanente, réglée par des lois. Telle fut précisément la réussite de Guérin. L'auteur du Centaure a exprimé la nature dans son unité et dans sa plénitude. »Ne le séparons pas de sa soeur, Eugénie de Guérin, qui fut comme la face féminine et chrétienne du génie fraternel. Le journal d'Eugénie, ses Lettres, quand ils n'aideraient pas au commentaire de Maurice, vaudraient encore par eux-mêmes. Une spiritualité douce y est répandue sur de fins paysages et des sentiments pleins de fraîcheur ou de mélancolie. Le roman historique.
Alfred de Vigny en fit la théorie dans ses Réflexions sur la vérité dans l'art qu'il plaça en tête de la dixième édition de son Cinq-Mars. Il y posait en principe que, si le rôle de l'historien consiste à ramasser le butin toujours incomplet des réalités passées, celui de l'artiste consiste à ranimer, même à l'aide de la légende, les grandes figures disparues et à leur donner une existence idéalement aussi vraie que celle qu'ils ont effectivement vécue. Théorie contestable et dont Vigny fut la première victime. Le succès de Cinq-Mars
(1826) fut sans doute très vif et effaça tout de suite les essais de
Dinocourt, de Sismondi, de Balzac
lui-même dans l'Héritière de Birague et Clotilde de Lusignan.
On admira fort, pour son pittoresque et sa « vérité », la reconstitution
du milieu et des moeurs. Mais une réaction ne tarda pas à se dessiner
contre les étranges libertés que prenait l'auteur avec les personnages
eux-mêmes; il est bien certain, par exemple, que le Richelieu de Cinq-Mars
n'est que la caricature du Richelieu de l'histoire.
Toute l'oeuvre s'en trouve viciée à la base. Vigny fut plus heureux dans
Stello
(1832), épisode de la
Terreur,
et dans les nouvelles qu'il a rassemblées sous le titre de Servitude
et Grandeur militaires (1835), où il évitait d'entrer en conflit
avec des personnages historiquement « fixés » et pouvait déployer Ã
l'aise toute sa force de pathétique sombre.
Un roman posthume, Daphné, qui met en scène Julien l'Apostat, ne nous fut révélé qu'en 1913. « Daphné, dit Jean Aicard, c'est l'oeuvre inachevée à laquelle revenait sans cesse ce moine laïque, dans sa cellule de Maine-Giraud, aux heures de nuit où il se retrouvait face à face avec le Mystère. »Chose curieuse et qui n'étonne qu'à demi cependant chez cet homme qui anticipait par tant de côtés sur son temps, le problème qu'y agitait Vigny est celui-là même qui préoccupera le plus la France de la fin de son siècle : « Il faut avant tout sauver la morale » (Aicard). Mais, si un esprit supérieur peut concevoir une morale indépendante des religions, le peuple est-il apte au même effort, peut-il se plier aux prescriptions d'une morale qui ne s'appuie plus sur l'autorité de la parole divine et dont l'observance n'est assurée par aucune sanction posthume? Julien le croit sincèrement; puis, quand il s'aperçoit de son erreur et qu'il n'a pu élever « les masses stupides et grossières » à la hauteur de son idéal philosophique, il prend la résolution d'aller se faire tuer en Perse et pousse en mourant le fameux : « Tu as vaincu, Galiléen! » P.
Mérimée.
Théophile
Gautier.
« l'action, dit Sainte-Beuve, n'est que secondaire; c'est le détail, tout spirituel et pittoresque, qui est tout. Il paraît assez clairement que le romancier n'est pas pressé, qu'il ne tend pas au but, qu'il tourne le dos à cette forme de récit courante et naturelle qui n'intéresse que par le fond et qui se fait oublier. »Le chef-d'oeuvre du genre est le Capitaine Fracasse, où, sur le thème du Roman comique, Gautier a prodigué, dans une évocation fantaisiste de la bohème littéraire et galante du XVIIe siècle, toutes les couleurs de sa prestigieuse palette et rivalisé de verve et de truculence avec ce Callot et cet Abraham Bosse, qu'il se proposait pour modèles et dont son texte ne voulait être que la « légende ». Victor
Hugo.
Les événements, les passions, les caractères y sont noyés dans la personnalité de l'auteur qui déborde jusque dans les personnages historiques. On ne sait qui parle, dans Quatre-vingt-treize, de Danton ou de Hugo; dans les Misérables, il est tour à tour l'évêque Myriel, Marius et Jean Valjean; dans l'Homme qui rit, Ursus et Gwynplaine; dans Claude Gueux, Claude Gueux lui-même. Il applique à ses romans l'esthétique de ses drames et, à la vérité, il ne fait pas de différence entre le roman et le drame : c'est tout un à ses yeux, sauf que, du drame au roman, les scènes, dit-il, deviennent « des tableaux dans lesquels la description supplée aux décorations et aux costumes ». Donc, même recherche du procédé antithétique. Le forçat Valjean et l'assassin Claude Gueux auront toutes les vertus : l'un incarnera la beauté morale poussée jusqu'au renoncement de soi; l'autre la probité, la « douceur », la justice. Pareillement le bossu Quasimodo incarnera l'amour éthéré, le bateleur Ursus la philanthropie, le dérisoire Gwinplaine l'éloquence, etc. Et, comme tout ce qui est bas ou vil est choisi par Hugo pour représenter une vertu ou un talent, de même tout ce qui est noble et sacré dans l'échelle sociale représentera un vice ou un ridicule : la duchesse Josiane incarnera la pourriture mondaine; l'archidiacre Frollo, la luxure, etc. Ce n'est pas tout et il faut, ici encore, que le grotesque entre en scène. On sait quel «-rôle immense » lui assignait Hugo et qu'il pensait et déclarait que « c'est de la féconde union du type grotesque au type sublime que naît le génie moderne, si complexe, si varié dans ses formes, si inépuisable dans ses créations et bien opposé en cela à l'uniforme simplicité du génie antique ». Le grotesque a un autre avantage : il est un « moyen de contraste » et, à ce titre, « la plus riche source que la nature puisse envier à l'art ». Nous verrons donc à l'oeuvre, une fois de plus, dans les romans de Hugo, comme dans ses drames, la postérité de Caliban et d'Adamastor : le nain Habibrah dans Bug-Jargal, Quasimodo dans Notre-Dame de Paris, Gwinplaine dans l'Homme qui rit, etc. Dominant ce musée Dupuytren de toute la hauteur de sa formidable stature, Han d'Islande fait un bruit de mâchoires à mettre en fuite les plus braves; dans la grotte de Walderhog, qu'il partage avec l'Ours-Blanc, il ne se nourrit que de chair humaine et son breuvage habituel est le sang, coupé d'eau de mer et servi dans le crâne de ses victimes. Quoi d'étonnant si, devant ces « monstres » qui peuplent les premiers romans de Hugo, Goethe ait parlé de « créations d'un cerveau malade »? A propos du meilleur de ces romans, Notre-Dame de Paris, il écrivait à Zelter le 21 juin 1831 : « Notre-Dame de Paris éblouit par les qualités que lui donne une étude attentive et bien mise à profit des moeurs, de la physionomie locale, des événements du passé; mais, dans les personnages, il n'y a absolument aucune apparence de vie naturelle. Ce sont, hommes et femmes, des marionnettes incapables de vivre; elles ont des proportions habilement conçues, mais, sur leur charpente de bois ou d'acier, ces poupées n'ont absolument que du rembourrage ; l'auteur les fait manoeuvrer sans pitié, les tourne et les disloque dans les positions les plus bizarres, les torture, les fustige, déchire leur âme et leur corps et met en pièces et en morceaux ce qui, il est vrai, n'a aucune chair véritable. Et tout cela est l'oeuvre d'un homme qui montre de grandes qualités d'historien éloquent et à qui on ne peut refuser une réelle puissance d'imagination, même quand il commet de pareilles abominations. »Par ces dernières lignes comme par les premières, Goethe établissait la partie durable, neuve et belle, des romans de Hugo, auquel il ne faut demander ni vérité dans les caractères, ni finesse dans l'analyse des passions et des sentiments, mais de grandes et larges évocations de la vie des choses, des hors-d'oeuvre touchants ou sublimes, comme la bataille de Waterloo, ce fragment d'épopée enchâssé dans les Misérables, ou la scène des enfants prisonniers dans Quatre-vingt-treize. Seulement est-ce encore là du roman? On en peut douter. La vaste fresque contemporaine, toute grouillante d'humanité, qui s'appelle les Misérables est peut-être le moins caduc des romans de Hugo et, débarrassée de sa partie apocalyptique, garderait encore une certaine puissance de pathétique. Peu s'en est fallu que Hugo n'ait réalisé là le type idéal du roman populaire, qu'Eugène Sue et Alexandre Dumas travaillaient à constituer au même temps, mais dans lequel ils n'apportaient aucun souci de style et seulement, celui-ci, la préoccupation de servir les doctrines antireligieuses ou antisociales dont il s'était fait le champion et celui-là , le simple besoin de s'amuser et d'amuser les autres. Le roman-feuilleton.
C'est en 1838 que Francis Wey, polygraphe et philologue de l'École de Nodier, inaugura dans la Presse, avec les Enfants du marquis de Gange, « le système du roman-feuilleton ». Tout de suite les autres journaux emboîtèrent le pas. Le roman-feuilleton devint rapidement une puissance avec le vicomte d'Arlincourt, les Soulié, les Maquet, les Méry, les Gondrecourt, etc., surtout Paul de Kock, Eugène Sue, Alexandre Dumas père et Paul Féval. P.
de Kock.
E.
Sue.
A.
Dumas père.
Certes la plume est lâche chez Dumas. La vérité historique est son moindre souci et, s'il lui faut faire parler Anne d'Autriche ou Mazarin, il ne s'embarrassera pas pour leur prêter son propre charabia. Mais cette faculté d'expansion, ce « don de vie », qu'il apportait à la scène, le servaient encore dans le roman. Sa gaieté, son exubérance, son art d'embrouiller et de débrouiller les intrigues, un je ne sais quoi de gascon comme chez son d'Artagnan, une plume qui bondit plus qu'elle ne court, enfin la plus prodigieuse fécondité d'invention qui aiu'un seul concurrent sérieux : Paul Féval. Si la première condition du roman populaire n'avat été, font passer, chez lui, sur le néant de l'observation, l'absence de syntaxe et de psychologie. On a dit qu'Alexandre Dumas fut le plus grand amuseur des lettres françaises et il fut encore à sa manière un vulgarisateur incomparable le peu d'histoire qui meuble les cerveaux de nos contemporains, c'est par les Trois Mousquetaires et la Reine Margot qu'il y a pénétré. Sa vogue, quand celle de ses rivaux n'avait qu'un temps, ne s'est pas ralentie un seul jour et elle dure encore. P.
Féval.
Un isolé : Stendhal.
Stendhal, dit encore Bourget, « eut le dangereux privilège de s'inventer des sentiments sans analogue et de les raconter dans un style sans tradition. Les sentiments ne furent point partagés, et le style ne fut point goûté. » Il avait dit lui-même : « Je serai compris vers 1880. » Et c'est en 1882 que les Essais de psychologie contemporaine lui restituèrent la place qui lui revenait de droit dans l'histoire de la sensibilité française. On a de Stendhal, avec des fragments posthumes (le Chasseur vert, Laniel, etc.), trois romans publiés de son vivant : Armance ou Quelques scènes d'un salon de Paris en 1827 (1827), qui n'est peut-être pas très dégagé de l'influence du temps et qu'il est permis de négliger, le Rouge et le Noir, chronique de 1830 (1831) et la Chartreuse de Parme (1839), qui sont essentiellement personnels à l'auteur. Quelque préparation n'est pas inutile pour les entendre et démêler, sous son aridité apparente, les secrètes nuances d'un style qui prétendait à se mouler sur celui du Code civil. De même le Rouge et le Noir peut choquer qui s'en tiendrait au simple schéma de l'oeuvre et n'irait pas plus loin que le fait de l'assassinat de Mme de Rénal par Julien Sorel. L'auteur prend ce moment pour faire un héros de Julien. Et voilà le paradoxe apparent. Stendhal expliquera que « des énergies de premier ordre ont conduit cet homme à cette conception criminelle de lui-même et de la vie... que, dans un monde sans tradition, où chaque individu est l'artisan de sa propre fortune, l'excessive concurrence, jointe à l'excessif développement de la vie personnelle, cause des exaspérations d'orgueil qui, en temps de paix, mènent les plus forts caractères à de terribles abus de cette force » (Bourget). Bref, Julien n'est qu'un Bonaparte né trop tard, à qui ont manqué les circonstances ou seulement un théâtre plus vaste, et la faillite de son « arrivisme », comme nous dirions aujourd'hui, ne doit pas nous cacher les trésors d'énergie, de volonté froide et calculatrice, qu'il a dépensés pour « parvenir ». Telle parait être, en dernière analyse, la pensée de Stendhal qui, aussi bien, s'identifiait avec son odieux et magnifique Julien. Il reste que ce livre cynique est un chef-d'oeuvre de psychologie historique et sociale, de gradation pathétique, de poésie latente, muette et d'autant plus ensorcelante peut-être. Et pourquoi ne pas noter ce qu'il a de sombrement cornélien? La Chartreuse de Parme, qu'on lui oppose et qu'on lui préfère même quelquefois, est plus accessible au commun des lecteurs. Rien n'y choque, au degré du moins où nous choquait le Rouge et le Noir, et le roman, mieux composé, a de très belles parties, notamment le récit de la bataille de Waterloo, dont Tolstoï s'est peut-être souvenu dans Guerre et Paix. Il s'en faut cependant que le héros du livre, Fabrice del Dongo, égale en intensité Julien Sorel et, si la duchesse Sanseverina est une création qui fait honneur à Stendhal, elle n'efface pas dans notre souvenir la noble et touchante Mme de Rénal, ni même cette Mathilde de la Môle, qu'on peut accuser d'imprudence sans oser lui tenir rigueur des excès de sa sensibilité. Le roman réaliste.
« Histoire » eût été presque aussi juste que « Comédie ». Balzac est en effet et avant tout un historien des moeurs. Son dessein a bien été de fixer la physionomie de son époque. Dès 1834, il songeait à cette synthèse de la société contemporaine, dont il répartissait à l'avance les éléments dans les Scènes de la vie privée, les Scènes de la vie de province, les Scènes de la vie parisienne, les Scènes de la vie politique, les Scènes de la vie de campagne, les Études philosophiques et les Études analytiques-: gigantesque ensemble, tout un monde fictif qui donne la sensation du monde réel C'est la foule qui entre avec lui dans le roman, chaque groupe social décrit avec ses traits professionnels, dans tout l'appareil de sa « condition » et dans son vocabulaire spécial. Balzac couve ses personnages d'un oeil paternel. Il n'est insensible à aucun détail de leur costume; il les montre se mouvant parmi leur mobilier, obéissant à leur physiologie; et comme, cependant, ils continuent de vivre de roman en roman, comme ils sont en outre rattachés par l'habileté de l'auteur à l'histoire générale de leur temps, ils réalisent son ambition et font véritablement « concurrence à l'état civil-». Mais ces documents historiques relèvent aussi de la science. Matérialiste et déterministe dans l'application, quoiqu'il se déclarât catholique en principe, estimant qu'il existe « des espèces sociales comme il y a des espèces zoologiques », Balzac va faire du roman ce que Sainte-Beuve faillit faire de la critique : une dépendance de l'histoire naturelle. L'humanité lui apparaîtra comme une seule famille et, sous la variété des individus, il s'attachera à découvrir et à mettre en relief les caractères permanents de l'espèce. Une telle conception implique chez l'auteur un désintéressement absolu, et le fait est que Balzac ne pose jamais « la question de moralité vu d'immoralité » et laisse au lecteur à la trancher. Il dégage personnellement sa responsabilité, qui ne saurait pas plus être mise en cause que celle d'un appareil enregistreur. S'il y a dans la Comédie humaine, plus de barons Hulot, de cousines Bette, de couples Marneffe, de Vautrin, de Rastignac, de Gobsek, etc., que d'Eugénie Grandet et de cousins Pons, c'est apparemment que la proportion n'est pas renversée dans la vie réelle; et, si l'argent tient une telle place dans ses romans, si personne n'a mieux senti et rendu « tout le pathétique terrible qu'il enferme » (Zola), c'est que précisément, dans une société où la noblesse n'est plus rien, où le travail ne compte pas encore, l'argent est tout ou à peu près tout. « Eh ! grande bête, écrit-il à sa soeur, tu trouves qu'il y a trop de millions dans Eugénie Grandet? Mais, puisque l'histoire est vraie, veux-tu que je fasse mieux que la vérité? » La vérité, il arriva pourtant à ce grand « contemplateur » de lui être quelquefois infidèle-: il n'avait pas impunément traversé le romantisme et sa vision en garda quelque trouble, sensible dans l'altération de certains personnages, démesurés comme Vautrin ou chimériques comme le Raphaël de la Peau-de Chagrin. Brèves défaillances que rachètent des créations magnifiquement objectives telles que Philippe Bridau, la Rabouilleuse, le père Goriot, le pianiste Schmucke, la cousine Bette, Mme de Mortsauf, etc. Les héros de Balzac se sont échappés dans la vie et il nous arrive tous les jours de mettre leurs noms sur des figures qui passent. Après cela, il peut manquer de tact, de délicatesse, n'avoir ni goût, ni grâce, ni mesure. Et il n'est que trop vrai encore que son style est à la fois pénible, brutal, bariolé, pédant et encombré. Tous ces défauts, et bien d'autres qu'on pourrait relever chez l'auteur de la Comédie humaine, disparaissent dans la grandeur de l'ensemble, dans cette création gigantesque qui, par sa puissance d'illusion, s'égale à la vie elle-même. Charles
de Bernard.
De 1850 à 1880C'est le plus fécond des genres littéraires dans cette seconde moitié du siècle. Signe des temps! Forme infiniment malléable, ouverte à tous les desseins, où se coulent le plus aisément tous les aspects du « moi », toutes les velléités historiques ou philosophiques aussi bien que psychologiques et morales, le roman ne s'affirme-t-il pas comme le vrai moyen d'expression d'une époque qui a confondu tous les genres? Sans compter, comme le remarque Brunetière, que la liberté de son allure et l'universalité de sa langue conviennent merveilleusement à nos sociétés démocratiques. Avec Flaubert et par dégoût de l'hypertrophie romantique, il s'efforcera vers l'impersonnalité; avec Zola et son groupe, ses prétentions scientifiques augmenteront et il voudra se faire documentaire, expérimental, sociologique. Dès l'origine cependant, avec Champfleury, Barbara, Duranty, etc., il éliminera du champ d'observation de l'écrivain tout ce qui ne tombe pas sous le sens, tout ce qui appartient au domaine mystérieux de l'âme et, sous couleur d'exactitude, s'attachera de préférence aux trivialités et aux mesquineries de l'existence. Et déjà Balzac est distancé : son réalisme paraît fade. Nous savons du moins qu'il n'était pas sans alliage-: si la part de l'observation est la plus forte chez l'auteur de la Comédie humaine, elle y est bien mêlée. Balzac professait qu' « un livre doit amuser ou doit instruire », qu'il y faut « un sentiment, une action, un intérêt qui conduise le lecteur, qui le captive et le mène à un dénouement souhaité ».Les romanciers
éclectiques.
Une autre caractéristique des écrivains précédents et nommément de Belot, Texier, Le Senne, Delpit, Claretie, est leur recherche de l'actualité : avec eux, le « reportage » commence à s'introduire dans le roman; l'événement « parisien », le drame, le procès, la question du jour sont leur affaire et ne font pas nécessairement celle de leurs lecteurs, quand ceux-ci, comme il arrive au bout de quelques années, ont oublié le point de départ du livre et ne sont plus sensibles qu'à la valeur intrinsèque du récit. Dans Brichanteau comédien cependant, Jules Claretie, à qui ne manquait qu'un style moins invertébré, est allé au delà de son personnage; et Monsieur le ministre, le Candidat, du même auteur, pourraient bien excéder, par l'application qui s'en peut faire à l'homme politique de tous les temps, la portée de simples enquêtes documentaires. H.
Malot.
Les romanciers
idéalistes.
O.
Feuillet.
Autour
de Feuillet.
Et ce furent encore, si l'on veut, des idéalistes que Banville, qui reçut en partage le sourire, la grâce, le don heureux de tout vêtir de lyrisme; Arsène Houssaye, qui lui fut à peine inférieur; Paul de Musset, qui n'est pas seulement l'auteur de Lui et Elle (1860), mais aussi de Livia et de Puylaurens, Dumas fils, de qui le théâtre a fait oublier l'oeuvre romanesque, où nous devons pourtant signaler, en raison de l'émotion qu'elles provoquèrent, la Dame aux camélias (1848) et l'Affaire Clémenceau (1867); Gustave Droz, l'auteur trop applaudi de Monsieur, Madame et Bébé (1866), où le sous-entendu égrillard court partout à fleur de phrase; Edmond About, qui prétendit faire échec à l'école naturaliste avec son ennuyeux Roman d'un brave homme (1876) et qui devra se contenter de rester l'auteur de Germaine, de Madelon, de Tolla, de Trente et Quarante, surtout du Roi des montagnes (1856) et des jolies nouvelles, pleines de verve et d'esprit, qui forment la substance des Mariages de Paris (1856) et des Mariages de Province (1868); François Coppée, qui fit fleurir l'idylle sur les talus des fortifications; Sarcey lui-même, qui se découvrit romancier dans Étienne Moret et le Piano de Jeanne. Mais l'influence d'Octave Feuillet s'est particulièrement marquée au tournant du XXe siècles chez Henry Rabusson, qui, en prenant le contre-pied de son maître, a renouvelé de pessimisme des thèses un peu démodées, et chez Georges Ohnet, qui s'est contenté d'abaisser d'un degré la situation sociale des personnages de Feuillet et d'un ton ou même de plusieurs la correction de leur langage. V.
Cherbuliez.
L.
Halévy.
Hors de ces romanciers et des réalistes qui vont suivre, aucun classement rigoureux n'est possible, ou il faudrait multiplier les étiquettes à l'infini. On ne peut noter que des tendances : Romans paysans
et de la vie de province.
J.
de La Madelène.
A.
Theuriet.
F.
Fabre.
Paul
Arène.
Divers
Roman
exotique.
Roman
maritime.
Roman
humoristique.
Roman-feuilleton.
Roman
d'aventures et de voyage.
Roman
éducatif.
Roman
policier.
Roman
patriotique.
Les
héritiers du romantisme.
Barbey
d'Aurevilly.
Eugène Fromentin;
Ernest Feydeau.
On lit toujours Dominique, qui reçut pourtant un accueil assez froid, lors de sa publication dans la Revue des Deux Mondes (1862); on ne lit plus Fanny (1858), dont vingt-neuf éditions s'épuisèrent en deux mois (Pontmartin). E.
Fromentin.
E.
Feydeau.
L'école réaliste.
G.
Flaubert.
Madame Bovary est une date dans l'histoire du roman français. Le livre fit un bruit énorme et souleva de vives polémiques; Sainte-Beuve l'appuya de sa courageuse autorité : préparée et, à tout le moins, mise en éveil par la tentative de Champfleury et les essais critiques de Duranty, l'opinion du plus grand nombre y vit le point de départ d'un art nouveau, attendu, souhaité, décidé à tout comprendre et à tout dire, en un mot franchement, essentiellement réaliste. Et cette même opinion, lasse jusqu'à l'écoeurement des Werther, des René, des Frank, des Lara, des Lélia et qui ne croyait plus au droit divin de la passion, « aux courtisanes conseillant les diplomates, aux riches mariages obtenus par des intrigues, au génie des galériens, aux docilités du hasard sous la main des forts », applaudit, comme à un geste libérateur et piaculaire, au renversement de ses idoles de la veille. C'est ainsi qu'Émile Montégut put comparer Madame Bovary à Don Quichotte et Flaubert « ridiculisant les dernières exagérations du délire romantique » à Cervantès bafouant « les dernières exagérations de l'esprit chevaleresque... » Le piquant, comme l'a remarqué Brunetière, est que c'étaient les moyens eux-mêmes du romantisme qui servaient d'instruments à cette dérision du romantisme. Il n'est pas en effet qu'une critique plus avisée et plus pénétrante que n'était l'opinion en 1857 n'ait fini par démêler ce qu'il y avait encore de romantique chez l'auteur de Madame Bovary : l'horreur du bourgeois et la croyance puérile à la précellence de l'artiste, le culte exagéré de la forme, le goût du bric-à -brac, la tendance, poussée jusqu'au procédé, à faire parler au sentiment et à la pensée le langage de la sensation. Enfin la misanthropie de Flaubert, qu'il déguise sous des airs d'impassibilité et qui envahira bientôt toute son oeuvre, n'est pas encore si généralisée dans ce livre qu'on n'y discerne çà et là un accent de secrète sympathie pour certains personnages épisodiques, la vieille servante Catherine-Nicaise-Élisabeth Leroux, par exemple, dans l'admirable scène du Comice d'Yonville. Il entre bien des éléments, comme on voit, et de l'ordre le plus divers, dans cette Madame Bovary qui parut à l'origine si tranchée et si une et dont le succès, semble-t-il, eût dû décider de l'orientation du romancier. Mais, l'année suivante, Flaubert partait pour Tunis, interrogeait la cendre de Carthage et, en 1862, n'ayant réussi à étreindre qu'un fantôme, publiait Salammbô, reconstitution prodigieuse, aux trois quarts intuitive, d'une civilisation à l'époque à peu près inconnue. On a voulu établir, sans doute, qu'il n'y avait pas de contradiction entre les deux parties de l'oeuvre de Flaubert, que Salammbô n'offrait aucune disparate avec Madame Bovary, que Flaubert n'avait fait qu'y « appliquer à l'antiquité les procédés du roman moderne » et que nous avions là , en résumé, ce que Saint-René Taillandier appelait du « réalisme épique ». Mais il faudrait donc que la psychologie de Salammbô et de Matho fût aussi fouillée que celle d'Emma et de Charles Bovary, et elle reste des plus sommaires ; et il faudrait surtout que la reconstitution de Carthage s'appuyât sur une documentation autrement rigoureuse. Les contemporains le sentirent, et Salammbô fut loin de provoquer le même enthousiasme que Madame Bovary. Sainte-Beuve lui-même s'éleva contre les procédés un peu suspects d'un romancier avant tout passionné d'exactitude et qui allait choisir de toute l'histoire la civilisation qui prêtait le plus aux conjectures. Flaubert riposta. La discussion fut longue; elle n'est pas de celles qui se tranchent tout entières en un sens ou en l'autre, et il demeure au moins que l'oeuvre est belle, un peu froide et toute découpée pour la musique de Reyer. C'est le dernier effort du poème en prose. Et le jeu de bascule que sera désormais toute la vie littéraire de Flaubert recommence avec l'Éducation sentimentale, histoire d'un jeune homme (1869), où l'auteur s'efforce vers une objectivité plus complète que dans Madame Bovary et qui enferme déjà toute la tristesse grise du naturalisme. La Tentation de saint Antoine, parue en 1874, fut au contraire un retour vers le roman descriptif et d'imagination rétrospective. La même année Flaubert abordait le théâtre avec une pièce d'actualité, le Candidat, qui fut jouée sans succès au Vaudeville. Puis il remontait aux âges héroïques avec Hérodias et la Légende de saint Julien l'Hospitalier (1877), dans la manière impersonnelle, hautaine et glacée de Salammbô, pour retomber à la pire platitude et à la charge d'atelier avec Bouvard et Pécuchet (1881). Mais l'artiste en lui, sous ces deux aspects, avait été de premier ordre et, quant au romancier, il n'eût écrit que Madame Bovary qu'il faudrait encore l'honorer comme un maître. « Madame Bovary, disait justement Brunetière en 1883, a marqué la fin de quelque chose et le commencement d'autre chose. Elle contenait, dans une mesure savante, ce qu'il eût été dommage de laisser perdre du romantisme et ce qu'il eût été dommage aussi de ne pas donner de satisfaction aux exigences du réalisme. S'il est vrai qu'il y ait eu, depuis vingt-cinq ans envron, un effort constant de la littérature d'imagination - et de la poésie même - pour mouler plus étroitement l'invention littéraire sur le vif de la réalité, c'est à Madame Bovary qu'il faut faire, pour une large part, remonter l'origine de ce mouvement ».
On ne louera jamais assez chez Émile Zola le travailleur infatigable, le probe et rude tâcheron de lettres qui avait pris pour devise : Nulla dies sine linea. Il faut bien convenir cependant que sa culture scientifique était insuffisante : toute son Histoire naturelle et sociale d'une famille sous le Second Empire( (1871-1893) est basée sur une conception arbitraire de l'hérédité; il veut faire du roman une dépendance de la biologie et il semble ignorer la distinction fondamentale entre les substances organisées et les substances organiques, seules susceptibles de se prêter à l'expérimentation. Et sa psychologie n'est pas très supérieure à sa science : les personnages de la série des Rougon-Macquart, à trois ou quatre exceptions près, sont des pantins articulés dont il a demandé la recette à des livres de médecine ou aux manuels Roret. Matérialiste, évolutionniste, il ne croit d'ailleurs qu'à « l'homme physiologique, déterminé par le milieu, agissant sous le jeu de tous ses organes », et c'est après qu'il a amputé l'humanité de sa moitié la plus noble qu'il précise lyriquement son intention de peindre la vie, « la vie totale, universelle, qui va d'un bout de l'animalité à l'autre, sans haut ni bas, sans beauté, sans laideur » d'où, comme conséquence, le droit et même le devoir pour, le romancier de ne rien atténuer, de tout dire, l'ordure comme le reste, d'exalter enfin « l'acte sexuel, origine et achèvement continu du monde-», de le tirer « de la honte où on le cache » et de le replacer « dans sa gloire, sous le soleil ». Ces audacieuses propositions furent le corps de doctrines de ce qu'on a nommé le «(naturalisme ». Et, si Zola les avait appliquées strictement, nous n'aurions eu en lui qu'un Duranty d'une espèce encore plus vulgaire, quelque chose comme un Homais mâtiné de Restif de la Bretonne. Mais il arriva ce qui était arrivé déjà pour Flaubert, que cet homme s'ignorait à un point qui passe l'imagination et qu'avec la prétention d'être documentaire et scientifique exclusivement, il s'essouffla durant sa vie entière à composer romantiquement de grandes machines allégoriques, des symboles énormes et monstrueusement irréels de la corruption sociale saisie et présentée dans toutes les formes de notre activité professionnelle. Il fut une sorte de grand mystique de la fange, visionnaire, halluciné, puissant en définitive, et, comme les choses lui apparaissaient par grandes masses concrètes, il eut, à défaut de la connaissance des individus, je ne sais quelle divination géniale de l'âme élémentaire des foules. L'Assommoir (1877), Germinal (1885), ses chefs-d'oeuvre, méritent ainsi jusqu'à un certain point le qualificatif d' « épopées sociologiques » que leur a décerné G. Lanson. On peut croire qu'ils surnageront, dans le naufrage du reste de son oeuvre, et c'est aussi bien que, «-par un heureux accord de ces sujets vulgaires et de son talent brutal, Zola, dit encore Lanson, a mis dans ces deux romans plus de vérité, une observation plus serrée et plus précise que dans les autres et moins d'artifice verbal ». L'École
de Médan.
Ces écrivains, vraiment, furent, dans leurs débuts, aussi misanthropiques, documentaires, impersonnels et fastidieux que pouvait l'exiger le programme de l'école; leurs livres ne voulurent être que des « tranches de vie » et de la vie la plus banale, la plus inintéressante qui se pût concevoir. Huysmans mit à conter une histoire de diarrhée le sérieux imperturbable d'un matassin de Molière et Henry Céard narra du même ton lugubrement féroce les gastralgies de Mme Duhamain. Encore ces aventures n'étaient-elles que malpropres. Elles n'eussent peut-être pas suffi, sans l'appât de la gravelure, pour assurer le succès de l'école. Celui-ci fut tel qu'on put un moment désespérer des lettres et du goût français. « Le roman sera naturaliste ou il ne sera pas », avait dit Zola. Il fut, et presque toute la jeunesse y vint (ou à l'impressionnisme, sa forme à peine atténuée) : Édouard Rod, Paul Margueritte, Elémir Bourges, Paul Ginisty, Maurice Talmeyr, Félicien Champsaur, René Maizeroy, Jules Case, Maurice Montégut, Boyer d'Agen, comme Octave Mirbeau, Dubut de Laforest, Gustave Guiches, Vast-Ricouard, Robert Caze, les frères Rosny, Lucien Descaves, Camille Lemonnier, Paul Bonnetain, Louis Desprez, Henry Fèvre, Oscar Méténier, Clovis Hugues, Joseph Caraguel, Jean Ajalbert, Gustave Geffroy, que le nouveau cénacle devait élire pour son critique officiel, et Paul Adam lui-même, qui écrira un peu plus tard ces lignes confirmatrices et dégoûtées : « A l'époque des grands triomphes médaniens, une nuée de jeunes gens se groupèrent autour du Maître : forts de la poétique préconisant les oeuvres documentaires et le mépris de la rhétorique, ces ambitieux manoeuvres créèrent une littérature de reportage qui, depuis dix ans, nous harcèle. »On peut négliger aujourd'hui cette queue du naturalisme. D'ailleurs cinq des plus notoires entre les écrivains précédents, Gustave Guiches, Paul Margueritte, Lucien Descaves, J.-H. Rosny, Paul Bonnetain, devaient brutalement couper les ponts en 1887. C'était le temps où la Terre paraissait en feuilleton. « Non seulement l'observation est superficielle, déclarait sans la moindre indulgence et peut-être avec quelque injustice le « Manifeste des Cinq », les trucs démodés, la narration commune et dépourvue de caractéristiques, mais la note ordurière est exacerbée encore, descendue à des saletés si basses que, par instants, on se croirait devant un recueil de scatologie. »Les Médaniens eux-mêmes, ceux qu'on appelait les premiers apôtres, à l'exception du fidèle Trublot, alias Paul Alexis, se détachaient peu à peu de Zola : et, en vérité, Léon Hennique avait bien pu trahir dans ses débuts la préoccupation du « document humain-», mais ses affinités intimes, son goût du rare et du contourné, sa curiosité du passé, l'inclinaient plutôt vers les Goncourt. Et il était encore (Cf. Un caractère, la Mort du duc d'Enghien, etc.) « original et singulier par un certain don de rêve, par un certain sentiment de l'idéal », quelque chose « d'héroïque et de fier ». (A. France). J.-K.
Huysmans.
H.
Céard.
Maupassant.
Ses romans, Une vie (1883), Bel-Ami, Mont-Oriol, etc., ne le montrèrent pas d'abord très différent du Maupassant nouvelliste. Il est sensiblement le même ici et là : réaliste cruel et pénétrant, appliqué à rendre aussi exactement que possible les êtres et les choses, ne jugeant pas, n'épiloguant pas, ne rêvant pas, le plus pratique et le moins spéculatif des hommes, doué seulement, comme un de ses héros, de « deux sens très simples : une vision nette des formes et une intuition instinctive des dessous ». Quelque sympathie pour l'espèce, un accent de souffrance personnelle perceront plus tard dans Fort comme la mort et Notre coeur, et ces livres marqueront un élargissement de sa pre mière manière. Et des problèmes qu'il eût résolus autrefois par un haussement d'épaules commencent à le troubler il a l'obsession du mystère, de l'invisible. La folie le guette. Il meurt à quarante-trois ans dans un cabanon. Il avait été, sinon le plus grand, peut-être - dans le champ restreint de son observation - le plus complet de nos réalistes. L'impressionnisme.
Nul, mieux qu'eux, n'était fait pour apprécier les grâces mièvres de l'art du XVIIIe siècle, la vie de boudoir et de coulisse, et sympathiser avec Watteau, aussi bien qu'avec la Du Barry et Sophie Arnould : quinze volumes affirmèrent leur maîtrise en ce genre de restitutions délicatement libertines, et il y faudrait joindre leurs Salons, leurs enquêtes sur l'art japonais, sur Gavarni, sur Prudhon, sur les « lorettes » et les actrices du Second Empire, leur tentative avortée d'Henriette Maréchal au théâtre, leurs préfaces et manifestes, leur journal, dont la publication fit un si beau tapage. Mais enfin ce n'est qu'en 1860 qu'ils abordèrent le roman d'observation avec les Hommes de lettres, réimprimés plus tard sous le titre de Charles Demailly, et que suivirent Soeur Philomène (1861), Renée Mauperin (1864), Germinie Lacerteux (1865), Manette Salomon (1867), Madame Gervaisais (1869), tous livres assurément inégaux de matière et d'exécution, mais qui valent également par l'intensité de l'impression (d'où le nom d' « impressionnisme »), la passion de la modernité et l'application à l'étude des milieux. Daudet raconte qu'une année durant le monde des peintres ne jura que par Manette Salomon, et il n'est pas de meilleur hommage à l'exactitude de cette monographie de la vie d'atelier. Après la mort de Jules, Edmond devait écrire encore, sur des brouillons de son cadet, la Fille Élisa (1878), les Frères Zemganno, la Faustin, Chérie : la sensibilité s'y exacerbe jusqu'à la maladie et le style brise avec toute syntaxe. C'est pourtant par ce style que les Goncourt occupent une place si considérable dans les lettres. Comme ils étaient, de leur propre aveu, « les gens les plus nerveux, les plus sensitifs, les plus chercheurs de la notation des sensations indescriptibles, les moins susceptibles de se satisfaire du gros à peu près de leurs devanciers », ils crurent nécessaire de s'inventer une langue adéquate à leur tempérament et ils créèrent ce qu'ils appelèrent eux-mêmes « l'écriture artiste », toute en frissons et en nuances, tourmentée, incorrecte, bariolée de néologismes et d' « épithètes rares », violente et précieuse à la fois, qui, au lieu de contenir l'expression de leur sensibilité et d'y introduire un peu d'ordre, ne servit qu'à l'exaspérer. Le réalisme sentimental.
« Un bon fait, bien observé par des yeux clairs, dira Daudet à son fils, est aussi vaste, aussi troublant, aussi fécond que n'importe quelle hypothèse. Les idées abstraites ne sont pas une nourriture saine. Elles deviennent vite une jonglerie et l'esprit qui se donne à elles perd le relief et la couleur. »Alphonse Daudet, pas plus que Flaubert et Zola, n'interviendra donc dans son oeuvre : il laissera aux événements le soin de conclure pour lui; il ne nous introduira pas plus qu'eux dans la psychologie de ses personnages : par leurs gestes, leurs actes les plus significatifs, il se contentera de nous en donner la traduction concrète. Avec cette esthétique toute matérialiste, la grande merveille de Daudet, c'est d'avoir trouvé le secret d'attacher et d'émouvoir et, non seulement d'avoir. jeté dans la circulation des types qui participent à la fois de l'actualité et d'une vérité plus large, comme Sapho, Numa Roumestan, Paul Astier, Delobelle, Monpavon, Tartarin, etc., mais encore d'avoir exercé, suivant l'expression de Jules Lemaître, « une séduction universelle » et traîné de son vivant « tous les coeurs après lui ». Une telle emprise ne peut s'expliquer que par un charme. Le sien lui venait de son naturel, de sa grâce aisée, de l'heureux équilibre où se tenaient chez lui la fantaisie et l'observation, surtout de sa sensibilité frémissante, de ce sens inné de l'émotion, plus fort que toutes les attitudes et tous les partis pris d'école. René Bazin, qui possédait lui-même ce sens, dit avec raison que les écrivains qui en sont dépourvus ne peuvent être, dans la littérature de fiction, que des descriptifs. Et c'est ce qui arriva précisément aux Goncourt, dont tant de livres ne sont que des catalogues. Avec Fromont jeune et Risler aîné (1874), Jack, le Nabab, les Rois en exil, l'Évangéliste, Sapho, l'Immortel, etc., comme avec le Petit Chose et les délicieux Contes du lundi (1873), Daudet a en somme installé le sentiment dans le réalisme, restitué ses droits au pathétique et hâté ainsi la restauration du roman français, dans lequel deux nouveaux venus, Paul Bourget et Anatole France, travaillaient vers le même temps à réintégrer l'idée. De 1880 à 1914Le roman, pendant cette période, augmente encore son influence et accroît ses prétentions; il s'adresse à un public de plus en plus étendu, et il en arrive à résumer en lui presque tous les autres genres littéraires.La réaction contre
le naturalisme.
Les contes et les drames philosophiques de Villiers de l'Isle-Adam, où la pensée arrive rarement à percer la brume des rêves (Contes cruels, 1883; Axel, 1890), maintenaient, en face des succès de Maupassant, les prétentions d'un art attentif à pénétrer les secrets et les mystères mêmes de l'âme. Mais c'est surtout aux environs de 1885 que se dessine nettement un mouvement de réaction contre l'étroitesse et la dureté des conceptions naturalistes. E. M. de Vogüé, dans ses belles études sur le Roman russe, F. Brunetière dans un article sur la romancière anglaise, George Eliott, initient les admirateurs du « réalisme » français à un réalisme non moins minutieux, mais pénétré de sympathie humaine et relevé par le souci des questions morales. Si l'on conserve alors ce qu'il y avait de légitime dans la théorie naturaliste, c'est-à -dire la notion d'un roman impersonnel, et un souci d'exactitude inspiré de la science, d'autre part les écrivains s'efforcent de faire rentrer dans le roman ce qui en avait été indûment banni. Le roman d'analyse.
É.
Rod.
É.
Estaunié.
Le roman d'idées.
Anatole
France.
Maurice
Barrès.
Les héritiers
du Naturalisme.
Octave
Mirbeau.
J.
Renard.
J.-H.
Rosny aîné.
L.
Descaves.
A.
Capus.
P.
Hervieu.
Les
frères Margueritte.
M.
Tinayre.
A.
Couvreur.
J.
Bois.
M.
Corday; L. Frapié; P. Brulat.
Romain
Rolland.
Melchior
de Vogüé.
La peinture de
la société contemporaine.
Henri
Lavedan.
A.
Hermant.
G.
Lecomte.
M.
Prévost.
H.
Bordeaux.
Et
d'autres encore...
La peinture de
la vie province; le roman régionaliste.
Sous l'influence de Ferdinand Fabre (l'Abbé Tigrane, 1873; Xavière, 1890), chantre du charme âpre et rude de la région cévenole; sous celle d'André Theuriet (1833-1907); (Contes de la Forêt, 1888; Sauvageonne, etc.), porteur de la gravité pensive de la Lorraine; sous celle, enfin et surtout de Mistral, le grand poète qui dans Mireille (1859) et Calendal (1867), qui a ressuscité la langue provençale, et dressé à l'âme de la Provence un monument d'une harmonie et d'une sérénité (lignes de l'antique, un mouvement régionaliste s'est propagé dans toute la France; et un grand nombre de provinces ont trouvé leur romancier. Et il en est maints, de ces romanciers, qui sont aussi des essayistes et des poètes. Tels Francis Jammes, tour à tour le Racan et le d'Urfé béarnais; Emmanuel Delbousquet, auteur de gracieuses paysanneries landaises, d'entre lesquelles se détache le fougueux Ecarteur (1904), un des chefs-d'oeuvre du roman rustique; Hugues Lapaire qui, dans l'Épervier et les Accapareurs, dégage et met en un relief saisissant la face réaliste du Berry. Pierre Loti (1850-1923) a traduit (dans Pêcheurs d'Islande, 1886, et Mon frère Yves, 1883, la douceur mélancolique et obstinée des âmes et des ciels de la Bretagne, à laquelle deux Bretons, Anatole Le Braz, au style ample, flexueux et imagé, dont la Terre du passé, le Pays des pardons (1894), Pâques d'Islande, le Sang de la Sirène (1901), et Ch. Le Goffic (le Crucifié de Kérialès, 1892; l'Abbesse de Guérande, 1921) ont ensuite dévoué leur talent de conteurs lyriques et précis. D'autres, comme l'ardent et puissant Gaston Chérau; Émile Guillaumin, « l'écrivain paysan » du Bourbonnais; Eugène Le Roy, Périgourdin au style dru; Alain-Fournier (Henri-Alban Fournier), auteur de ce Grand Meaulnes, d'un si poétique accent, et qui possède quelque chose de si vaporeux et de si rêveur, un ton si gracieux, tant de jeunesse et de distinction, et où la peinture des moeurs solognotes est si délicieusement mêlée au récit d'une aventure fabuleuse; Gaston Roupnel, qui campa dans Nono un type inoubliable d'ivrogne campagnard; ou Marcel Audibert, dont le Pilleraud dionysiaque et faunesque s'égale presque au précédent; ou Antonin Lavergne, dont le Jean Coste fournit un document supérieur sur la vie des instituteurs campagnards; ou Louis Pergaud, l'auteur de la Guerre des boutons (1912) râblé, rustique, chasseur et coureur de bois, qui était un écrivain dru, un bon et sain observateur des bêtes et des gens, et à qui, de Goupil à Margot (1910, en caravane d'arche de Noé, « Se vinrent confesser les hôtes de nos bois », restent exclusivement prosateurs. Leurs livres pourtant aux uns et aux autres sont « pleins de sens, riches de vérité et de poésie, et il suffirait de savoir les interroger pour esquisser, d'après leur témoignage, une psychologie des pays de France » (Firmin Roz), de réunir leurs tableaux pour «-former une sorte de géographie pittoresque et morale de la patrie française » (Jules Lemaître). Dans cette géographie idéale, dont l'investigateur le plus pénétrant de « l'âme paysanne », le Dr Emmanuel Labat, serait tout indiqué pour écrire la préface et que l'on composerait avec du Barbey d'Aurevilly, du Paul Arène, du Ferdinand Fabre, du Cladel, du Theuriet, de l'Erckmann-Chatrian, etc., Georges Baume encore nous dirait le Bas-Languedoc; Léon Barracand, le Dauphiné; Marcel Mielvaque et Jean Nesmy, le Limousin; Jean Revel et Norbert Sevestre, la Normandie; Paul Faure, l'âme basque; Jules de Glouvet, la Loire; Marc Elder, le peuple de la mer; Émile Moselly et Émile Hinzelin, la vie lorraine; Narcisse Quellien et Simon Davaugour, le Trégor; Yves Le Febvre, le Léon; André Savignon, les îles de la Pluie; Jules Perrin, les couverts magiques de Brocéliande; Henri Bachelin, les châtaigneraies du Morvan; B. de Buxy (Blanche Legrand), le Jura; Violette Bouyer-Karr, les Cévennes; Charles de Bordeu, les Pyrénées; Joseph Caraguel, le Midi âpre; Paul Chalon, le Midi tendre, et Jean Aicard (1848- 1920), le midi jovial, qui a su si bien incarner, dans Maurin des Maures (1907-1908) le type du Provençal imaginatif et bon enfant, qui a sur Tartarin la supériorité de n'être pas sa propre dupe. La liste pourrait s'allonger indéfiniment, car « il n'est aucun coin de la terre française qu'un de ses fils [par naissance ou par adoption] n'ait célébré » et « jamais notre vie provinciale ne fut aussi riche, aussi vigoureuse, aussi variée [littérairement parlant] qu'au cours des cinquante dernières années » (Jean Viollis). Il arrivera même que ce miracle du génie « d'être à la fois original et universel » (Firmin Roz), certains de nos écrivains de terroir le réaliseront et qu'ils sauront nous faire voir l'homme éternel sous l'homme de leur pays. Privilège assez rare sans doute, qui hausse un Pouvillon, un Bazin et un Boylesve au-dessus du commun de leurs confrères. É.
Pouvillon.
René
Bazin.
René
Boylesve.
Le roman exotique.
Pierre
Loti.
Il est certain que Loti a renouvelé l'exotisme en l'étendant du décor aux personnages. Le décor seul est exotique chez Bernardin de Saint-Pierre : Virginie est une fille de France, une héroïne de Racine transportée dans le cadre de la nature tropicale; son cerveau, son coeur, sont parents des nôtres; sa psychologie ne pouvait être tentée que par un analyste rompu aux méthodes d'investigation des grands classiques. Même Atala, chez Chateaubriand, malgré son nom sauvage, reste, sinon une Française, du moins une Européenne : cette Peau-Rouge a justement tous les traits, au moral comme au physique, de Charlotte Ives, le petit flirt anglais de l'émigré à Bungay... Mais Rarahu et, l'on peut dire, presque toutes les héroïnes de Loti, Azyadé, Fatou-Gaye, Mme Chrysanthème, etc., quel mur de brume elles nous opposent et comment, à la longue, n'être pas rebuté et fasciné à la fois, par l'irritante énigme de cette humanité indéchiffrable qui entre tout à coup dans le roman français et à laquelle l'auteur entreprend de nous intéresser? L'auteur a beau multiplier et varier ses expériences de « psychologie ethnique » il n'en rapporte à chaque fois que l'amertume d'une tentative de rapprochement avortée, le sentiment un peu plus aigu et douloureux de l' « imperméabilité » des cultures. Au fond, et sauf l'admirable Gaud de Pêcheurs d'Islande, son seul roman « objectif » avec Ramuntcho, peut-être n'y eut-il jamais chez Loti qu'un personnage, et c'est lui-même. Mais de quel clavier de nerfs il dispose et quelle musique il en tire, ce prodigieux sensitif en proie à une détresse métaphysique qu'aucun spectacle ne console de l'universelle inanité! S'il est le grand maître du paysage, il est incomparable encore dans l'expression de certains sentiments très simples et très profonds, et personne n'a traduit dans une langue plus subtile, plus riche en résonances intérieures, l'éternel drame du désir, de la possession et du désenchantement. De Loti procèdent : C.
Farrère.
J.
et J. Tharaud.
Le roman historique.
P.
Adam.
L.
Bertrand.
M.
Maindron.
H.
de Régnier.
G.
d'Esparbès.
Le roman autobiographique.
Les romancières des années 1880-1920.
Peut-être faut-il faire exception pour Mme de Noailles (la Nouvelle Espérance, 1903; la Domination, 1905), faunesse sans préjugés, fervente et émerveillée, et pour Gérard d'Houville, la fille de J.-M. de Hérédia.(l'Inconstante, 1903; le Temps d'aimer, 1908; puis Tant pis pour toi, 1922), au coeur inconstant et fidèle tour à tour ou en même temps, mais si parfaitement racinienne d'expression jusque dans l'évocation romantique de la petite ombre élyséenne qui s'appelait Jamine de Kervenargan et que pleurait sur sa terrasse, impuissante Hécube aux longs voiles, une mère dont la douleur semblait venir du fond des âges. Mentionnons aussi : Colette Yver, qui mène de mélancoliques enquêtes sur les ambitions du féminisme, raille avec esprit l'amour libre et l'égalité des sexes (Princesses de Science,1907; Dames du Palais, etc.); André Corthis, au talent coloré, à l'ardente sensibilité, qui conte les drames intimes des existences simples (le Pauvre amour de Dona Balbine, 1912; Pour moi seule, 1919); L. Delarue-Mardrus, qui évoque, dans le décor d'une Normandie épanouie, des scènes lyriques ou des types populaires (le Roman de six petites filles, l'Ex voto, 1922); ou encore Marcelle Tinayre qui allie le don du récit pathétique au goût des idées générales (la Maison du Péché, 1902). Colette.
Genres divers.
La
nouvelle et le roman-feuilleton; le policier; etc.
Le « tirage à la ligne » reste une des conditions du genre, qui a toujours la faveur du populaire, avec Jules Mary, Charles Mérouvel, Pierre Sales, Pierre Decourcelle, Jules de Gastyne, Paul Bertnay, Georges Maldague, Michel Zévaco (Les Pardaillan, 1907-1926), Paul d'Ivoi, Arthur Bernède, Guy de Téramond, Paul Féval fils, etc. Maurice Leblanc (Arsène Lupin) triomphe à côté d'eux dans la cambriole; Gaston Leroux (les Mémoires de Rouletabille), dans le reportage fantastique ; Henry Kistemaekers et Léon Riotor, dans le roman sportif. Et l'Amérique n'attend que la guerre pour importer en France le roman-photo. 1900 à 1914 :
une vague de nouveaux romanciers.
Au vrai, ces écrivains pour la plupart ne sont pas des débutants. Mais ou bien ils se sont essayés jusque-là dans un autre genre que le roman, ou bien ils ont travaillé longtemps sans rien publier; ils ont mûri une oeuvre (François Mauriac, Alexandre Arnoux ont publié plusieurs volumes de vers; Jules Romains a fondé une école littéraire; Léon Werth est déjà connu comme chroniqueur et polémiste; etc). Tous sont sortis de l'âge des tâtonnements, loin des ébauches de l'adolescence et de la première jeunesse. On a déjà mentionné les noms de Léon Bloy, d'Alfred Jarry et de Colette. Ajoutons ceux de : Jean Giraudoux (Provinciales, 1909) , Valéry Larbaud (Fermina Marquez, 1912), Alexandre Arnoux (Didier Flaboche,1912) ; Jean-Richard Bloch (Lévy, 1912, histoire d'un petit commerçant juif en province pendant l'affaire Dreyfus, où l'auteur montre un accent saisissant, une force amère, une sorte d'émotion condensée très puissante); Roger Martin du Gard, (Jean Barois, 1913, un roman dialogué sur l'Affaire Dreyfus, où l'auteur témoignait déjà de ce sérieux dans l'observation et de cette force intellectuelle qu'on devait retrouver beaucoup plus tard (à partir de 1922) dans les Thibault), de Jules Romains (Mort de quelqu'un, 1811, révèle les qualités incontestables, la personnalité accusée, mais un peu primaire de l'auteur, son esprit au tour pédagogique, son talent raide et volontaire, mais d'une singulière vigueur, qu'on avait déjà remarqué dans ses drames et dans ses vers; Les Copains, 1913), François Mauriac (L'Enfant chargé de chaînes, 1913); la Robe prétexte, 1914), Luc Durtain (L'Etape nécessaire, 1907; Le Manuscrit trouvé dans une île, 1913); Léon Werth, (La Maison Blanche, 1913); Jean Variot (Les Hasards de la Guerre, 1914); Valéry Larbaud (les deux parties de Barnabooth); Francis Carco (Jésus la Caille, 1914, qui révèle déjà un artiste original, aigu et souple); Ernest Tisserand (Cabinet de Portraits, 1914 ), âpre psychologue et visionnaire, au tempérament riche. On aurait pu aussi terminer cette liste par les noms d'Alain-Fournier et de Louis Pergaud, cités plus haut, qui appartiennent aux aussi à cette nouvelle génération de romanciers, et que la guerre à fauchés avant d'avir eu le temps de bâtir l'oeuvre que leur talent promettait. Mais c'est, au final, les noms de deux auteurs d'une génération antérieure, qui s'imposent pour nous faire entrer de plain-pied dans le XXe siècle : ceux d'André Gide (1869-1951) et de Marcel Proust. Du premier on ne dira ici que deux mots : Gide a publié des livres depuis 1891, et son oeuvre est déjà riche quand il publie son roman Les Caves du Vatican en 1914. mais c'est pendant l'entre deux guerres qu'il dominera (avec Paul valéry) les lettres françaises. Quand à Marcel Proust (né en 1871), il s'éteint en 1922, avant Anatole France, Pierre Loti ou Paul Bourget, laissant, face à eux, une oeuvre de complète rupture. M.
Proust.
L'horizon de l'auteur est fort restreint, et son champ d'observation tout petit. Aussi ne se lasse-t-il pas de le creuser et recreuser, et en examine-t-il les moindres parcelles au microscope. Ses personnages, le monde auquel il s'attache, est excessivement médiocre, il est ridicule. Proust est snob, il a un goût incroyable pour le protocole mondain, et toutes ces choses infiniment petites apparaissent comme la préoccupation centrale d'un individu oisif, vaniteux, qui admire démesurément, désirant de toutes ses forces y pénétrer, une société restée à demi fermée pour lui. Au premier abord, Proust s'inscrit ainsi dans la lignée du roman d'analyse tels que le concevaient Stendhal ou Paul Bourget. Et au premier abord aussi, il ne semble pas proposer davantage qu'un bavardage intarissable, qui de temps en temps contient autre chose que du bavardage. Mais on commettrait un contresens complet si l'on s'en tenait à ce jugement. Car, avant tout, Proust est un inventeur. Il est le créateur d'une nouvelle psychologie, l'inventeur d'une nouvelle introspection, le découvreur d'un nouveau monde intérieur. Son travail sur l'inconscient relève, d'une certaine manière, d'une psychanalyse qui aurait fait l'économie de Freud. A force d'observations minutieuses, il fait jaillir le recoins les plus cachés du psychisme; il met au jour l'ambivalence des émotions, le désespérant sentiment de la perte de soi-même dans les méandres d'une mémoire qui se joue des règles que l'on voudrait lui imposer. Le cheminement de la mémoire involontaire - cette découverte de Proust - trace un portrait inédit de l'individu. Ces très longues phrases, si souvent relevées, ne sont jamais embrouillées, elles éclairent tout au contraire, ce chemin indomptable et capricieux de la mémoire. En voici un exemple : « Mais au moment où, me remettant d'aplomb, je posais mon pied sur un pavé qui était un peu moins élevé que le précédent, tout mon découragement s'évanouit devant la même félicité qu'à diverses époques de ma vie m'avaient donnée la vue d'arbres que j'avais cru reconnaître dans une promenade en voiture autour de Balbec, la vue des clochers de Martinville, la saveur d'une madeleine trempée dans une infusion, tant d'autres sensations dont j'ai parlé et que les dernières oeuvres de Vinteuil m'avait paru synthétiser. » (Le Temps retrouvé, II, 7).Et l'on comprend pourquoi il fallait que Proust situe son terrain d'action dans un milieu aussi insipide. Des personnages intéressants en apparence auraient détourné le regard du propos véritable. Quand chez Balzac ou chez Tolstoï, par exemple, toute la psychologie du personnage est campée par la description de signes extérieurs. Le milieu fait l'homme. Chez Proust, la vérité psychologique du personnage n'apparaît que vue de l'intérieur. C'est l'homme qui fait l'homme; le milieu est accidentel. C'est à ce titre que l'on peut dire que Proust vise l'universel. Au temps de leur publication, la plupart des critiques ont vu dans les ouvrages de Proust l'extrême aboutissement et la fin du roman psychologique. Mais d'autres de ses contemporains y ont vu le socle nouveau à partir le roman psychologique, justement, n'allait pas finir de mourir, mais tout au contraire pouvoir renaître. Tels Henri de Régnier, qui a dit que l'oeuvre de Marcel Proust est « une immense préparation à quelque chose, une gigantesque exposition du travail sous-jacent que chaque romancier réalise instinctivement avant que d'écrire ...». Désormais l'art pouvait se substituer à l'instinct. (Ch. Le Goffic / R. Doumic/ G. Lanson / E. Montfort). |
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