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Littérature > en France > au XVIIIe siècle |
Le théâtre au XVIIIe siècle |
Le XVIIIe siècle a eu la passion du théâtre. On courait en foule aussi bien aux théâtres de la foire qu'à la Comédie-Française. Plus d'un grand seigneur eut une scène chez lui et Voltaire prit soin d'en faire installer une à Cirey et à Ferney. Presque tous les écrivains se sont essayés dans le genre dramatique; Corneille et surtout Racine sont les maîtres vénérés auxquels on demande des recettes, et même des scènes et des expressions. Pourtant quelquefois, avec une audace timide, on hasarde quelques nouveautés qui donnent à cette production, trop souvent médiocre, l'intérêt d'une transition. La tragédieLa retraite de Racine, en 1677, avait laissé le champ libre à une foule de tragiques inférieurs. On a oublié leurs oeuvres, applaudies par le public du temps. Il faut cependant citer les principaux succès, entre Racine et Crébillon : le Tiridate de Campistron (1691), la Médée de Longepierre (1694), le Manlius de La Fosse (1698), l'Amasis de Lagrange-Chancel (1701).Crébillon (1674-1762). La terreur. « Corneille a pris la terre; Racine, le ciel ; il me reste l'enfer : je m'y suis jeté à corps perdu. ».Il se fit une spécialité de l'horrible. Son but n'est pas d'exciter l'admiration. Il conçut la tragédie plutôt comme une action qui doit conduire les spectateurs « à la pitié par la terreur, mais avec des mouvements et des traits qui ne blessent ni leur délicatesse ni les bienséances » (Préface d'Atrée et Thyeste). Dans Idoménée (1705) il montra un père qui tue son fils, dans Atrée et Thyeste (1707) un père qui boit le sang de son fils, dans Electre (1709) un fils qui assassine sa mère, dans Rhadamiste et Zénobie (1711), son plus grand succès, un père qui tue son fils et se tue lui-même. Ses dernières pièces, Catilina (1742) et le Triumvirat (1754), durent leur réussite surtout au désir qu'on avait de trouver un rival à Voltaire. Crébillon a vraiment le sens de l'horreur tragique. Les situations sont d'une grandeur farouche, qui rappelle le cinquième acte de Rodogune. Son style, souvent lourd et obscur, est remarquable par sa fermeté et par sa violence. Le respect des bienséances. Voltaire. Indiquons les principales, puis nous chercherons dans quelle mesure Voltaire est un novateur et un précurseur des romantiques. Principales tragédies de Voltaire. • Brutus (1730) est la première pièce de Voltaire où l'on sente l'influence de Shakespeare. Il y a un progrès de mise en scène. Les sénateurs, « vêtus de robe rouge », des licteurs, donnent au tableau une certaine vie. Le lieu de l'action change. Mais, surtout, une certaine liberté républicaine respire dans les discours des personnages. Le style a de la force. C'est du meilleur Voltaire. • Zaïre (1732) fut écrite dans une crise d'enthousiasme et d'inspiration. Le sujet est tiré de l'histoire des croisades, et la scène se passe à Jérusalem. - Le soudan Orosmane aime une de ses captives, Zaïre, qui partage cet amour. Leur mariage est décidé. Mais, ce jour-là même,, revient un jeune chevalier chrétien. Nérestan, qui rapporte la rançon de plusieurs captifs chrétiens, parmi lesquels se trouve le vieux Lusignan, descendant des rois de Jérusalem. Zaïre, qui ignore sa naissance, mais qui sait qu'elle est née de parents chrétiens et français, reconnaît son père en Lusignan et son frère en Nérestan. Elle leur promet de recevoir le baptême et de renoncer à l'amour d'Orosmane. Celui-ci, troublé par les hésitations de Zaïre qui n'ose lui apprendre la vérité, se croit trahi par elle en faveur de Nérestan. Il poignarde Zaïre. Revenu de son erreur, il se tue lui-même. Cette analyse très sommaire prouve du moins que l'action de Zaïre est fondée sur les sentiments et sur les passions. Les péripéties en sont bien enchaînées. La situation principale, celle de la jeune fille prise entre son amour et son devoir, est vraiment d'une grande beauté tragique. Le style, malgré certaines faiblesses, a une facilité et une chaleur qui se goûtent encore à la représentation, sinon à la lecture. L'influence de Shakespeare se fait encore sentir ici; à la fois par des imitations d'Othello et par le choix d'un sujet national. • La Mort de César (1732) est une sorte de tragédie de collège, inspirée par Shakespeare (Jules César). Elle ne comprend pas de rôle de femme. Le style en est ferme, comme celui de Brutus. Les sentiments républicains qui y sont exprimés lui donnèrent une sorte d'actualité sous la Révolution. Au dénouement de Voltaire, on avait ajouté : Vive la liberté! Vive la République! • Alzire (1736) nous ramène à la tragédie passionnelle. L'action se passe au Pérou, dont le gouverneur Gusman aime une jeune Péruvienne Alzire, qu'il dispute à Zamore, « souverain du Potoze ». Zamore poignarde son rival, qui lui pardonne en mourant. Deux beaux caractères de vieillards. Montèze, père d'Alzire, et Alvarez, père de Gusman, donnent de la grandeur et de la variété au sujet. Le ton d'Alzire est en général « forcené »; une chaleur factice anime la plupart des personnages. • Mahomet ou le Fanatisme (1742) est une tragédie philosophique. Mahomet y est représenté comme un imposteur, qui, fanatisant le jeune Séide, lui fait assassiner son propre père, Zopire, cheikh de La Mecque. L'intention de Voltaire était bien d'incarner en Mahomet tous les fondateurs de religion. Pour se mettre à l'abri des sévérités de la censure, il eut l'impertinence de dédier sa pièce au pape Benoît XIV, qui reçut très spirituellement cet hommage ironique. • Mérope (1743) a passé longtemps pour la pièce la plus régulière de Voltaire; elle faisait partie du Théâtre classique. Le sujet, avait été traité en Italie par Maffei, avec qui Voltaire a échangé d'intéressantes lettres; il a été repris plus tard par Alfieri. Il est fort tragique et non sans une analogie de situation avec Andromaque. Mérope, veuve de Cresphonte, roi de Messène, est recherchée en mariage par Polyphonie qui s'est emparé du trône, et que l'on soupçonne d'avoir fait périr Cresphonte. Mais Mérope a un fils, Égisthe, qu'elle a éloigné pour le soustraire aux coups de l'usurpateur, et dont elle attend le retour. Trompée par de fausses apparences, elle est sur le point de confondre ce fils avec un des émissaires envoyés pour le tuer, et va le frapper : elle le reconnaît à temps. Mais Polyphonte (Pyrrhus dans Andromaque) ne veut laisser vivre Egisthe que si Mérope l'épouse. La reine y consent. Cependant, Égisthe se précipite au temple, tue le tyran, et est proclamé roi. L'action est factice, mais théâtrale; les caractères ont peu de vérité, sauf celui de Mérope, type d'amour maternel qui soutient la dangereuse comparaison avec Andromaque. L'ensemble est froid et artificiel; et nous préférons aujourd'hui Zaïre. • Citons encore l'Orphelin de la Chine (1765), où Voltaire annexait un autre pays au domaine de la tragédie; et Tancrède (1760), pièce chevaleresque, qui marque une date dans l'histoire du théâtre ; en effet, c'est pour Tancrède que la scène de la Comédie-Française fut enfin débarrassée des banquettes, qui l'encombraient des deux côtés et qui réduisaient l'action à une « conversation sous un lustre ». L'imitation du XVIIe siècle. 1° Le vers et les unités. - Il en a maintenu la tradition. Contre La Motte qui voulait inaugurer la tragédie en prose dans un Oedipe (1730), il a défendu et sauvé le vers : Influence de Shakespeare.On a tenté de nous donner des tragédies en prose; mais je ne crois pas que cette entreprise puisse désormais réussir. (Discours sur la tragédie en tête de Brutus).Contre La Motte encore il a soutenu les unités :Tenons-nous en, comme le grand Corneille, aux trois unités dans lesquelles les autres règles, c'est-à-dire les autres beautés, se trouvent renfermées. (Préface de l'édition d'Oedipe, 1730).2° Les emprunts à Corneille et à Racine. - Du reste l'infidélité au système de Corneille et de Racine eût été de sa part de l'ingratitude. Les réminiscences de leur théâtre abondent dans le sien jusque dans le détail des vers. A l'exemple de Corneille il complique le sujet d'Oedipe d'une intrigue d'amour entre Philoctete et Jocaste. Mérope est dans la situation d'Andromaque : il faut qu'elle épouse l'usurpateur Polyphonte pour sauver son fils Egisthe. Seulement c'est Egisthe lui-même qui tue Polyphonte et recouvre ainsi le royaume de son père. La première entrevue de la mère et du fils (II, 2), où ils se parlent sans se connaître (parce qu'Egisthe a été éloigné tout enfant) est calquée sur la conversation d'Athalie et de Joas (Athalie, II, 7). Toutefois l'admiration de Voltaire pour les classiques français ne l'empêcha pas, pendant son séjour en Angleterre, d'être frappé par le génie de Shakespeare. 1° Voltaire et Shakespeare. - Il se fit en France (avant de se rétracter par la suite) son patron contre ceux qui, le connaissant mal, le dénigraient : Originalité de Voltaire poète tragique.Les Italiens, les Français, les gens de lettres de tous les autres pays, qui n'ont pas demeuré quelque temps en Angleterre, ne le prennent que pour un Gilles de la foire, pour un farceur très au-dessous d'Arlequin, pour le plus misérable bouffon qui ait jamais amusé la populace. C'est pourtant dans ce même homme qu'on trouve des morceaux qui élèvent l'imagination et qui pénètrent le coeur. C'est la vérité, c'est la nature elle-même qui parle son propre langage sans aucun mélange de l'art. C'est du sublime, et l'auteur ne l'a point cherché. (Dictionnaire philosophique, Art dramatique).2° Les emprunts à Shakespeare. - Malgré tout, son théâtre gardait l'empreinte de Shakespeare. Voltaire lui devait de grands sujets historiques et républicains comme La mort de César, Rome sauvée ou Catilina et un de ses plus durables succès, Zaïre, inspirée d'Othello. Voltaire est un imitateur de Corneille et de Racine; il ne possède évidemment ni la grandeur morale de l'un, ni la vérité psychologique et la vraisemblance de l'autre. De ces qualités il n'offre que les apparences; et les beautés de son théâtre sont spécieuses. Même dans Zaïre et dans Mérope, le caprice de l'auteur, et non la nature, enchaîne les incidents et amène les coups de théâtre. Quant au style, s'il fait illusion « aux chandelles », il ne résiste guère à une critique sérieuse. Et pourtant, les tragédies de Voltaire représentent un progrès, ou du moins une 1° Voltaire a traité certains sujets négligés par ses devanciers : le devoir civique, dans Brutus et dans la Mort de César; le fanatisme religieux, dans Mahomet; le conflit entre les conquérants et les vaincus dans les temps modernes (Alzire). Il est vrai qu'il a abusé de la philosophie, et que ses dernières pièces (les Lois de Minos, les Guèbres, etc.) ne sont plus que des pamphlets en cinq actes.Disciple convaincu de Racine et disciple timoré de Shakespeare, Voltaire eut aussi des qualités originales. 1° Il a le sens du théâtre à un très haut degré. Il veut « émouvoir et faire verser des larmes » (à M. de la Lindelle en tête de Mérope), et il y réussit quelquefois par la force de la passion : l'amour et la jalousie dans Zaïre et Alzire, la tendresse maternelle dans Mérope. Mais il cherche moins la vérité du sentiment qui va droit au coeur que la situation pathétique qui secoue. Pour l'amener il ne se soucie pas des invraisemblances :Contemporains de Voltaire.Il n'y a pas de motifs bien nécessaires pour que le tyran Polyphonte veuille absolument épouser Mérope. C'est peut-être là un défaut du sujet; mais je vous avoue que je crois qu'un tel défaut est fort léger, quand l'intérêt qu'il produit est considérable. (Réponse à M. de la Lindelle en tête de Mérope).En faisant passer tel personnage pour un autre (par exemple Egisthe, fils de Mérope, pour un émissaire de Polyphonte chargé de tuer le fils de l'ancien roi), en induisant tel autre en erreur (par exemple Orosmane qui se croit faussement trahi par Zaïre), il arrive à nous montrer une mère le poignard levé sur son fils (Merope, III, 4), un armant qui égorge celle qu'il aime (Zaïre, V, 9); un fils qui tue son père (Mahomet, IV, 4), etc. Le malheur c'est que de pareilles scènes sont le fait de combinaisons ingénieuses plutôt que l'aboutissement logique d'un caractère. Parmi les tragédies les plus applaudies à côté de celles de Voltaire, il faut rappeler : Inès de Castro (1723) de La Motte, qui fit pleurer tout Paris; Didon (1734), de Lefranc de Pompignan, encore au répertoire sous l'Empire; Mahomet II (1739), de Lanoue Iphigénie en Tauride (1757) de Guimond de la Touche; la Veuve du Malabar (1770), de Lemierre, type de la tragédie pseudo-orientate et philosophique. La tragédie nationale. Du Belloy. La tragédie shakespearienne. Ducis. Reste que que Ducis fut un initiateur. La société française ne pouvait goûter que ces réductions de Shakespeare, et après 1820 elle s'y plaisait encore. Voltaire, qui avait contribué par ses Lettres philosophiques et par les préfaces de Brutus et de la Mort de César à faire connaître Shakespeare aux Français et qui croyait lui avoir emprunté, dans Zaïre, dans Ériphyle, dans Sémiramis, tout ce qu'il était susceptible de nous prêter, Voltaire, furieux de voir ainsi révélés des emprunts dont il ne s'était pas vanté, et jaloux des éloges qu'on pourrait attribuer à Shakespeare, accueillit avec mépris et presque avec fureur les pièces de Ducis et les traduction de La Place (1745), puis de Letourneur (1759). Il écrivit à ce propos deux Lettres à l'Académie (1776), Voltaire s'institua le champion du goût français contre la « barbarie anglaise ». La comédieLes disciples de Molière.On peut grouper sous l'étiquette de continuateurs de Molière les écrivains dont les noms suivent : Regnard, Dancourt, Dufresny, Le Sage, Piron, Gresset. Regnard (1655-1709). Né à Paris, il fit d'excellentes études; puis il commença vers dix-sept ans une série de voyages, à Constantinople, en Italie, en Algérie (un peu malgré lui, car il fut pris par des corsaires, et retenu prisonnier; il a raconté cette aventure dans un court roman, la Provençale), puis, en Hollande, en Suède, et en Laponie (Voyage en Laponie). Il mena ensuite une vie d'épicurien aimable, en son château de Grillon, près de Dourdan; il y mourut d'une indigestion. Il faut mettre à part, dans l'oeuvre considérable de cet écrivain si facile, les pièces ou les « pochades » qu'il composa pour la Comédie Italienne jusqu'en 1697. Quelques-unes, sous leur forme bouffonne, sont d'un comique délicat et profond. Regnard débuta au Théâtre-Français par un charmant petit acte en prose : Attendez-moi sous l'orme (1694); puis il donna la Sérénade, en prose (1695), et le Bal (1696), en vers. De cette même année date son premier grand ouvrage, le Joueur. Vinrent ensuite le Distrait (1697), le Retour imprévu (1700), les Folies amoureuses (1704), les Ménechmes (1705), le Légataire universel (1708). • Le Joueur (1696) est presque une comédie de caractère; c'est aussi et surtout une comédie de moeurs. Le jeu était devenu la plaie profonde de la société française. Depuis la cour jusqu'au plus modeste salon bourgeois, tout le monde jouait et se ruinait. Mais où l'on sent la différence entre un profond observateur comme Molière et un amuseur comme Regnard, c'est dans le choix du personnage principal. Le joueur de Regnard est un jeune homme, Valère; il est amoureux d'Angélique, mais surtout quand il vient de perdre, car il sent alors la nécessité de faire un riche mariage; a-t-il gagné, il se sent suffisamment heureux, et il oublie Angélique. Pour corriger sa mauvaise chance, il a mis en gage un portrait entouré de brillants que lui avait donné sa fiancée; celle-ci l'apprend; le mariage est rompu, et Valère retourne aux dés et aux cartes. Il y a peu de profondeur et de moralité dans cette pièce, où la passion de Valère n'a d'autre conséquence que de l'empêcher d'épouser Angélique, qu'il n'aime guère. Mais Regnard, cependant, a bien saisi les traits essentiels d'un caractère de joueur, absorbé et incorrigible, marqué d'une sorte de fatalité. Les personnages épisodiques sont amusants : Hector, le valet; le marquis sauteur; la comtesse; la marchande à la toilette, Mme La Ressource, etc. • Le Légataire universel (1708) est la plus gaie des comédies de Regnard, et justifie ie mot attribué à Boileau : « Il n'est pas médiocrement plaisant ». Le vieux Géronte est malade. On le ,presse d'écrire son testament, en faveur de son neveu Eraste, amoureux d'Angélique. Pour l'obliger à déshériter un neveu de Normandie et une nièce du Maine, Crispin, valet d'Éraste, se déguise et joue les deux personnages de façon à en dégoûter le vieillard, qui déclare qû Éraste sera son légataire universel et fait demander deux notaires. Malheureusement, Géronte tombe en léthargie, et on le croit mort, mort intestat. Crispin s'avise d'un autre tour. Il prend le bonnet et la robe de chambre de Géronte, fait entrer les notaires dans la chambre et dicte son testament. Il en profite pour s'attribuer à lui-même et à la soubrette Lisette une assez jolie part. Les notaires partis, Géronte ressuscite. On lui explique à grand peine qu'il a fait son testament, et que sa léthargie lui a ôté la mémoire. Tout finit par le mariage d'Eraste et d'Angélique. Il faut considérer cette pièce comme un vaudeville bouffon, genre Labiche ou Alexandre Bisson. Soulever, à propos du Légataire, comme l'a fait Rousseau, une question de moralité, et critiquer de sang-froid les friponneries de Crispin, c'est prouver une singulière naïveté. Regnard est surtout un écrivain délicieux. Variée, pittoresque, endiablée, sa versification est d'une facture supérieure à celle de Molière, - mais comme le style de La Bruyère l'emporte sur celui de Bossuet. L'art y est exquis; on l'y sent trop. Dancourt. • Le Chevalier à la mode (1687), est la critique piquante et vraie d'une société où le désir de faire fortune, et surtout d'en jouir, provoquait toutes sortes de manèges à la fois coupables et ridicules; • Les Bourgeoises de qualité (1704) complètent la comédie précédente, et contiennent d'excellents types de parvenues qui se ruinent pour paraître; • La Loterie (1697) et les Agioteurs (1710) sont encore de véritables documents; • La liaison de campagne (1688) est une spirituelle satire des parasites, et a été comparée à Nos Intimes, de Victorien Sardou. Dancourt a donc eu le mérite de présenter à ses contemporains un tableau de leurs travers nouveaux; mais son actualité est cause qu'il s'est vite démodé, et que l'on n'estime plus aujourd'hui à leur juste prix ni le fond, ni la forme de ses pièces. Dufresny. Le Sage. • Turcaret est une pièce, en prose, dirigée contre les financiers, les partisans, qui s'enrichissaient aux dépens du pays et du Trésor public. Turcaret, le héros, est à la fois un sot et un roué. Il fait la cour à une baronne qui accepte sans scrupule ses présents, pour les passer au chevalier, auquel son valet en escroque une partie. C'est « un ricochet de fourberies le plus plaisant du monde ». On voit M. Turcaret, si généreux pour la baronne, faire poursuivre jusqu'à la ruine de pauvres débiteurs, et enfin ruiné lui-même. Cette comédie vaut moins par l'intrigue que par le réalisme des situations, des sentiments et du style. Elle est une des premières où la question d'argent soit abordée et traitée pour elle-même. Le Sage est le véritable héritier de Molière contemplateur et moraliste; Turcaret peut prendre place immédiatement après l'Avare et le Bourgeois gentilhomme. Piron. Gresset. • Le héros de cette comédie, Cléon, le méchant, mérite ce nom par sa sécheresse d'âme, son scepticisme moral, et son art de brouiller les gens, « pour le plaisir ». Il essaye de jeter le trouble dans la maison de Florise, et d'empêcher le mariage de Chloé, sa fille, avec Valère. Il est démasqué par Lisette. Le Méchant est écrit dans un joli style, et quelques vers sont restés célèbres : Elle a de jolis yeux pour des yeux de province, et surtout : L'esprit qu'on veut avoir gâte celui qu'on a. Marivaux et BeaumarchaisLe souvenir de Molière dominait la scène comique comme celui de Racine la scène tragique. Les Comédiens français maintenaient le principe de la grande comédie de caractère en cinq actes et en vers. Mais, en attendant Beaumarchais, la comédie originale, dans la première moitié du siècle, est celle de Marivaux, que joue au théâtre italien une actrice piquante, Sylvia.Marivaux. Le moraliste est celui qui écrivit des journaux imités de l'Anglais Addison, en particulier le Spectateur français (1722-1723). Auteur dramatique, après avoir commis une tragédie d'Annibal, il travailla pour la Comédie Italienne où il donna d'abord des pièces satiriques; il y a là toute une partie moins connue de son oeuvre, et des plus curieuses par la hardiesse et la variété. Son vrai début date d'Arlequin poli par l'amour (1720), suivi bientôt de ses chefs-d'oeuvre : la Surprise de l'amour (1722), la Double Inconstance (1723), la seconde Surprise de l'amour (1727), le Jeu de l'amour et du hasard (1730), le Legs (1736), les Fausses Confidences (1737), l'Épreuve (1740). Marivaux fut, de propos délibéré, original. On se fatiguait des imitations de Molière et des conventions comiques traditionnelles. Et, pour se faire un domaine à part, Marivaux étudia l'amour. Sans doute, dans toutes les comédies, il était question d'amour; mais jamais ce sentiment n'y était étudié pour lui-même; il servait seulement à l'intrigue. La tragédie, seule, celle de Racine surtout, approfondissait l'analyse de l'amour. Or, Marivaux devina que l'amour pouvait ne pas être tragique, et intéresser, sans tomber dans la fade galanterie. Avec une étonnante sûreté dans le choix du moment psychologique, il peignit les troubles de l'amour naissant dans des coeurs timides, ombrageux ou fiers. Il distingua toutes les nuances délicates qui s'y rattachent. Et, s'il ne fit pas rire aux dépens de cet amour toujours vertueux et sincère, il charma tous ceux qui ont aimé, aiment ou aimeront, par la pénétration et la précision de son enquête. Il disait lui-même : « J'ai guetté dans le coeur humain toutes les niches différentes où peut se cacher l'amour lorsqu'il craint de se montrer; et chacune de mes comédies a pour objet de le faire sortir d'une de ces niches ».Il en résulte que le premier rang, chez Marivaux, revient aux personnages de femmes. Et l'on a justement remarqué que Marivaux est à Molière ce que Racine fut à Corneille. Ces femmes forment une galerie harmonieuse et variée; elles reposent, par leur attitude modeste et élégante, par leur langage retenu et sincère, par leur idéal de simple vertu et de bonheur honnête, des bourgeoises et des jeunes filles délurées de Dancourt et de Regnard. • La Surprise de l'amour (1722) nous montre comment Lelio et la comtesse, obligés de se rapprocher pour discuter sur l'établissement de leurs gens, en arrivent peu à peu à s'aimer sans se le dire, puis à se l'avouer et à se marier. • Le Jeu de l'amour et du hasard (1734) a un début de joli vaudeville : Silvia va recevoir la visite d'un prétendu, Dorante, et elle demande à son père la permission de changer de costume avec sa soubrette, afin d'observer incognito ce futur mari; mais Dorante, de son côté, a eu l'idée de prendre la livrée de son laquais Pasquin, pour le même motif. Il en résulte une situation piquante. Le spectateur suit avec une curiosité sympathique le progrès de l'amour involontaire de Silvia pour ce prétendu valet, et de Dorante pour cette étrange soubrette. La double reconnaissance se fait très spirituellement, et le mot de Silvia : « Je vois clair dans mon coeur », est une des plus jolies trouvailles de Marivaux. • Les Fausses Confidences reprennent un peu le sujet de la Surprise; l'analyse des sentiments, qui rapprochent malgré eux et pour leur bonheur le comte et la baronne, y est exquise. • L'Épreuve nous présente un type charmant de jeune fille dans Angélique; et la même pièce contient le rôle de maître Blaise, un paysan madré, d'un comique très naturel. Ne croyons pas, d'ailleurs, que le sens du comique manque à Marivaux. D'abord, il excelle à nous montrer la confusion et le trouble gentiment ridicules où les « surprises de l'amour » jettent ses personnages. Et puis, il peint avec esprit et un certain sens du réalisme les laquais, les paysans, les pédants, etc. A la représentation du Jeu de l'amour et du hasard, on est charmé, mais on rit beaucoup. Marivaux écrit dans un style souple et délicat, mais sans mièvrerie, et surtout sans faiblesse. Ce style est dramatique; il a de la verve et une sûreté parfaite dans la notation des nuances. Son théâtre est un mélange unique et gracieux de vérité et d'artifice, de variété et de monotonie, de gaieté et d'émotion à fleur de peau. Il est vrai que, par une recherche exagérée de la finesse, il est seulement l'expression d'une société particulière; il est vrai qu'on se fatigue parfois à suivre tous ces détours qui mènent à une conclusion toujours la même et prévue d'avance. Mais, par l'analyse délicate et charmante des sentiments, il est plein de vérité humaine. Vitet a dit sur Marivaux le mot définitif : c'est un Racine en miniature. Théories littéraires. 1° L'analyse de l'amour. - Jusqu'à lui il n'y avait pas de comédie sans amoureux ni sans mariage. L'amour n'était pourtant qu'un accessoire. Marivaux imagina d'en faire le principal. « Chez mes confrères, disait-il, l'amour est en querelle avec tout ce qui l'environne, et finit par être heureux malgré les opposants; chez moi il n'est en querelle qu'avec lui seul et finit par être heureux malgré lui. J'ai guetté dans le coeur humain toutes les niches différentes où peut se cacher l'amour, lorsqu'il craint de se montrer, et chacune de mes comédies a pour objet (de le faire sortir d'une de ces niches. » (D'Alembert, ibid.).La peinture de l'amour. C'était au surplus, pour lui, parler sa langue naturelle. Toute sa finesse d'observation est employée à noter les variations si délicates de l'amour. Comme il le disait : « C'est tantôt un amour ignoré des deux amants; tantôt un amour qu'ils sentent et qu'ils veulent se cacher l'un à l'autre; tantôt un amour timide et qui n'ose se déclarer; tantôt un amour incertain et comme indécis, un amour à demi né, pour ainsi dire, dont ils se doutent, sans en être bien sûrs, et qu'ils épient au dedans d'eux-mêmes, avant de lui laisser prendre l'essor ». (D'Alembert. Eloge de Marivaux). 1° Les situations. - Il met donc en présence, doublés par un valet et une suivante, un jeune homme et une jeune fille ou une jeune veuve destinés à s'aimer. L'amour entre eux va naître, hésiter, grandir, se déclarer pendant l'acte ou les trois actes que comprend habituellement la comédie.Le comique. Le secret de Marivaux est surtout d'avoir, dans cette comédie du coeur, évité la sentimentalité niaise. 1° L'amour naissant. - Il a bien compris que l'amour poussé jusqu'au paroxysme est tragique, tandis qu'à ses débuts, ses tours et ses détours sont comiques. Tous ces personnages nous amusent par la gêne où nous les sentons, telle Sylvia qui s'en veut de s'intéresser à un valet (Le Jeu de l'amour et du hasard, II, 11); tels Arlequin et Sylvia de la Double Inconstance. que leurs serments antérieurs viennent troubler au moment où ils sentent qu'un autre amour commence (III, 8); telle la marquise de la Seconde Surprise de l'amour qui se dépite d'attendre une déclaration qui ne vient pas (II, 7). Quoi de plus drôle aussi que de voir un Lélio maudire l'amour sous le coup d'une mésaventure, et jurer, mais trop tôt, qu'on ne l'y prendra plus?Beaumarchais. Parisien, fils d'horloger, horloger lui-même, Beaumarchais (1731-1799) se glisse à la cour comme maître de musique de Mesdames; il devient gentilhomme, et même diplomate. Sa vie est une suite d'entreprises plus ou moins louches, d'où il se tire toujours avec profit. Il acquiert une grosse fortune, la perd à la Révolution, s'exile, revient, et meurt pauvre. De tous ses procès, le plus fameux est celui qu'il soutint contre un certain Goëzman, et qui nous valut ses Mémoires, chef-d'oeuvre de pamphlet. Mais il est surtout célèbre par son théâtre, qui se compose des pièces suivantes : Eugénie, les Deux Amis, le Barbier de Séville, le Mariage de Figaro, la Mère coupable, et un livret d'opéra, Tarare. • Le Barbier de Séville (1775) fut joué d'abord en cinq actes, et sifflé. Beaumarchais fondit les deux derniers actes, et dit aux spectateurs : « Nous nous sommes mis en quatre pour vous plaire ». La pièce réussit alors brillamment et n'a jamais quitté la répertoire. C'est l'éternelle histoire du vieux tuteur dupé : le triomphe de la jeunesse et de l'amour assuré par un valet adroit; et les aventures du docteur Bartholo, auquel le comte Almaviva, sous le nom du bachelier Lindor, enlève Rosine, sa pupille, ne seraient pas fort intéressantes sans le personnage qui mène toute cette comédie, Figaro, ancien valet du comte, devenu barbier et apothicaire. Figaro, héritier de Renart, de Pathelin et de Panurge, l'intrigant bon à tout faire, exploitant Bartholo son client, et le raillant de se laisser voler, servant avec une complaisance obséquieuse le comte, tout en criblant d'épigrammes la noblesse, est le type du plébéien jaloux et habile, qui sent venir la évolution. Figaro parvient à pénétrer près de de Rosine déguisé en cavalier, puis en élève de don Bazile, maître à chanter, soi-disant indisposé. Par malheur Bazile arrive; mais une bourse le convainc facilement qu'il a la fièvre et doit aller se coucher. Par suite d'un malentendu, Rosine a prévenu Bartholo qu'Almaviva doit l'enlever dans la nuit. Le jaloux le laisse entrer par la fenêtre, et retire l'échelle croyant le tenir prisonnier. Mais il est trop tard. Quand il revient, le comte et Rosine ont signé le contrat de mariage qu'il avait fait préparer pour lui. L'action du Barbier de Séville révèle une main habile et un flair dramatique tout à fait sûr.
• Le Mariage de Figaro, écrit et lu aux comédiens en 1781, ne put être joué qu'en 1784, et grâce au comte d'Artois, qui arracha le consentement de Louis XVI. Cette fois, Beaumarchais ne se bornait pas à quelques épigrammes; il instruisait le procès de la noblesse, et, par la bouche de Figaro devenu un véritable tribun, il dénonçait et flétrissait ses vices, Il appelait sur elle la haine et le mépris. Les grands seigneurs furent les premiers à s'y reconnaître et à applaudir, ce qui donne la mesure à la fois de leur clairvoyance, de leur aveuglement, et de leur cynisme. Les mêmes personnages se retrouvent dans le Mariage; seulement la situation est retournée. Figaro avait fait le mariage du comte; cette fois c'est le comte qui veut empêcher le sien. Figaro doit épouser la riante et verdissante Suzanne, femme de chambre de la comtesse, mais elle est fort au goût d'Almaviva, un peu las de Rosine. C'est un duel qui s'engage entre le maître et le valet. Dans cette "folle journée" les péripéties s'accumulent : le comte est jaloux de Chérubin, filleul de la comtesse; Figaro retrouve dans Bartholo et Marceline son père et sa mère, et le soir il monte la garde, tout en déclamant contre la société, devant un kiosque du jardin, où Almaviva a donné rendez-vous à Rosine. Mais c'est la comtesse qui s'y rend sous les habits de Rosine, et le conte confondu est obligé de demander son pardon et de consentir au mariage de Figaro. • La Mère coupable (1792) complète la trilogie. On y retrouve Figaro vieilli, la comtesse (Rosine) en proie aux remords, etc. Ce drame larmoyant n'a pas survécu à son succès de mode. Théories littéraires. 1° L'intrigue et la gaieté. - Depuis Regnard, les comédies gaies étaient rares. Les idées morales avaient envahi la scène. Beaumarchais a voulu restituer la franche gaieté de la comédie d'intrigue : La gaieté.A force de nous montrer délicats, fins connaisseurs, et d'affecter l'hypocrisie de la décence auprès du relâchement des moeurs, nous devenons des êtres nuls, incapables de s'amuser [...]. Déjà ces mots si rebattus : bon ton, bonne compagnie... ont détruit la franche et vraie gaieté qui distinguait de tout autre le comique de notre nation. Apportez-y le pédantesque abus de ces autres grands mots : décence et bonnes moeurs et vous connaîtrez à peu près ce qui garrotte le génie, intimide tous les auteurs et porte un coup mortel à la vigueur de l'intrigue, sans laquelle il n'y a pourtant que du bel esprit à la glace et des comédies de quatre jours. (Préface du Mariage de Figaro).2° La satire sociale. - Mais, d'autre part, le parti philosophique avait montré l'action que pouvait avoir le théâtre sur l'opinion :Le théâtre est un géant qui blesse à mort tout ce qu'il frappe. (Ibid.).Beaumarchais s'en servit pour faire la critique, non plus des travers humains, mais des abus sociaux :Les vices, les abus, voilà ce qui ne change point, mais se déguise en mille formes sous le masque des moeurs dominantes; leur arracher ce masque et les montrer à découvert, telle est la noble tâche de l'homme qui se voue au théâtre. (Ibid.). Beaumarchais rejoint donc les traces perdues de Molière et de Regnard : il entend tout d'abord amuser. Avec Beaumarchais, c'est la personnalité de l'auteur qui joue le premier rôle dans la comédie; ce sont ses idées, ses théories, ses haines, que l'on applaudit. Beaumarchais, c'est Figaro. Mais, s'il écrit des pièces à thèse, ou des pamphlets dialogués, il possède au plus haut point des qualités d'homme de théâtre. Il sait à merveille construire une intrigue; créer une situation, et l'exploiter; faire sortir les unes des autres des péripéties imprévues et vraisemblables; amuser le spectateur par de jolis détails de mise en scène; et faire parler ses personnages, selon leur caractère, encore qu'il leur donne trop souvent son esprit. Le Mariage de Figaro est agencé de la façon la plus ingénieuse, avec un métier supérieur, dont n'auront plus qu'à s'inspirer les Scribe et les Sardou. Quant au style, il n'a pas une ride; tout y a gardé sa fraîcheur et sa vigueur. Rien de plus direct, de plus aigu, et qui passe mieux la rampe. Peut-être trouvera-t-on que Beaumarchais abuse des mots. Mais tout le monde n'était-il pas spirituel, dans la société que peignit Beaumarchais. Il est donc le véritable précurseur de la comédie moderne. Par son habileté de main, par son style à l'emporte-pièce, par la transformation du théâtre en tribune, par l'impertinence et par l'audace de ses mots, il annonce les plus grands écrivains dramatiques du XIXe siècle. Le mouvement de l'intrigue. 1° Le renouvellement des caractères. - Tout en reprenant à Molière, à Regnard, les types classiques de la comédie d'intrigue, Beaumarchais les rajeunit. On songe à l'Ecole des Femmes et aux Folies amoureuses (il y a aussi des souvenirs de la Précaution inutile de Scarron, de la Gageure imprévue de Sedaine, etc.), mais les différences sautent aux yeux. Rosine n'a pas la niaiserie d'Agnès; c'est une adroite complice, gui portera sans embarras la couronne de comtesse. Almaviva n'est pas un amoureux timide; c'est un grand seigneur qui connaît son pouvoir et ses droits, et qui même en abuse; plus tard il sera un rival redoutable. Bartholo n'est pas un maladroit comme Arnolphe, sa jalousie est très clairvoyante. Figaro est aussi habile que Scapin; mais il est émancipé; il est barbier, apothicaire et même auteur. (Barbier de Séville, I, 2, et Mariage de Figaro, V, 3).L'esprit. Là est la gaieté de la pièce en même temps que dans la verve spirituelle de Figaro. Sans doute, on rit à l'occasion du Allez vous coucher, Basile (Barbier, III, 11), de l'espièglerie sentimentale de Chérubin, du bégaiement de Brid'oison, mais c'est Figaro qui fait notre joie. Il a des réponses d'une logique déconcertante : BARTHOLO. - Que direz-vous, monsieur le zélé, à ce malheureux qui bâille et dort tout éveillé? et l'autre qui, depuis trois heures, éternue à se faire sauter le crâne et jaillir la cervelle! - FIGARO. - Eh! parbleu! je dirai à celui qui éternue : Dieu vous bénisse, et Va te coucher à celui qui bâille. (Barbier de Séville, III, 15).Il en a d'autres d'une impertinence impayable : BARTHOLO. - Vous le prenez bien haut, monsieur. Sachez que, quand je dispute avec un fat, je ne lui cède jamais. - FIGARO (lui tournant le dos). - Nous différons en cela, monsieur. Moi, je lui cède toujours. (Barbier de Séville, II, 5).Quelquefois il s'amuse lui-même à une sorte de monologue fantaisiste : Avec God-dam! en Angleterre on ne manque de rien nulle part. Voulez-vous tâter d'un bon poulet gras? Entrez dans une taverne et faites seulement ce geste au garçon. (Il tourne la broche). God-dam! On vous apporte un pied de boeuf salé sans pain. C'est admirable!... etc. (Le Mariage de Figaro, III, 5).Très nettement, dans la comédie de Beaumarchais, le comique de mots prend une importance capitale. La critique sociale. 1° Les différents abus. - Il a des raisons d'en vouloir personnellement à la justice. Il la montre rendue légèrement par le comte (Mariage de Figaro, III, 15), et il la personnifie dans un juge bègue, Brid'oison, petit-fils du Bridoye de Rabelais. Brid'oison ne voit d'important dans la justice que la forme :Conclusion.Parce que la forme, voyez-vous, la forme! Tel rit d'un juge en habit court, qui-i tremble au seul aspect d'un procureur en robe. La forme. La-a forme ! (Mariage de Figaro, III, 14).Il est plus choqué du prix même que de la vénalité des charges, « qu'on ferait mieux de donner pour rien » (ibid.). Le Mariage de Figaro est bien l'aboutissement du mouvement dramatique de cette fin du XVIIIe siècle. La tragédie s'étiole; le drame n'arrive pas à prendre une forme vivante et artistique. Mais la comédie se relève triomphante et rajeunie. Toutes les critiques formulées par les uns et les autres s'y condensent en mots meurtriers, y prennent corps en des personnages symboliques. C'était Louis XVI qui avait vu juste en disant « qu'il faudrait détruire la Bastille pour que la représentation de la pièce ne, fût pas une inconséquence dangereuse ». Et malgré tout ce qu'elle contient d'actualité, la comédie de Beaumarchais n'a pour ainsi dire pas de rides. En effet, personnages pleins de vie, intrigue bien menée, questions sociales abordées sur la scène, fusées d'esprit, style alerte et cinglant, tout cela, c'est le programme de la comédie moderne. Voltaire? La comédie larmoyanteCependant, au XVIIIe siècle, les genres trop exploités tendaient à se dissoudre et à se confondre. La comédie gaie de Marivaux ne suffisait pas au public. La comédie, trop comique, au sens le plus superficiel du mot, avec Regnard, Dancourt et Dufresny, tournait au drame avec Le Sage. Mais celui-ci, à la façon de Molière, évitait d'y sombrer. Au contraire, Destouches et La Chaussée comprennent que les spectateurs, et plus encore les spectatrices, étaient désireux de retrouver au théâtre les émotions que leur procuraient ses romans et ceux de l'abbé Prévost. De là va naître un genre nouveau auquel on donna malignement le nom de « comédie larmoyante ».Destouches. • Le Glorieux est une comédie fort peu comique, où abondent les tirades, et qui ressemble plutôt à quelque conte tiré d'une Morale en action. Le comte de Tuflères est un orgueilleux personnage, dont le père est ruiné, et qui veut épouser Isabelle, fille du riche Lisimon. Lycandre, père du comte, apparaît au moment où celui-ci vient de le renier et d'entasser les mensonges pour faire croire à sa brillante fortune. Il oblige son fils à s'agenouiller devant lui, et lui pardonne. La pièce est compliquée par une reconnaissance entre le comte et Lisette. Le style de Destouches est net, correct, sans vivacité suffisante. La Chaussée. Le procédé habituel de La Chaussée consiste à provoquer l'attendrissement par le spectacle d'une femme vertueuse sur qui fondent tous les malheurs. • Ainsi Constance Durval est un modèle de tendresse fidèle et résignée. Mais elle est délaissée, trahie et même faussement soupçonnée. Pourtant son mari n'a pas cessé de l'aimer. Malheusement c'est alors un ridicule impardonnable d'aimer sa femme. C'est seulement sous un domino, dans un bal, et encore par lettre, que Durval ose avouer à sa femme qu'il l'aime toujours et obtenir ainsi une grâce qu'on lui accorde avec joie (Le Préjugé à la mode). • Mélanide est plus malheureuse encore. Après avoir été séparée du comte d'Ormancé, son mari, puis séquestrée et déshéritée par ses parents, elle ne retrouve le comte que pour apprendre qu'il est le rival de son fils. Elle parvient à empêcher, mais avec quel déchirement, un duel entre le père et le fils. Sa vertu est toutefois récompensée et elle reconquiert son mari (Mélanide). La Chaussée rencontre parfois, on le voit, des situations dramatiques. Mais son style faussement tragique et ému rend aujourd'hui ses pièces illisibles. Pourtant la comédie larmoyante est une date dans l'histoire des moeurs, parce qu'elle marque les débuts d'une sensibilité qui va continuer grandissant, et dans l'histoire littéraire, parce qu'elle a donné naissance au drame. Ainsi, dès cette première partie du XVIIIe siècle, on voit poindre quelques-unes des transformations qui vont bientôt s'accomplir. Déjà, de temps en temps, on songe à faire porter au genre dramatique des idées. Mais le théâtre a encore pour but principal le plaisir. C'est seulement après 1750 que la philosophie envahira la scène. Le drame bourgeoisMalgré tous ses efforts la tragédie n'arrivait plus à contenter les spectateurs. Le succès de la comédie larmoyante avait montré de quel côté allaient leurs goûts. Mais, intermédiaire entre la comédie et la tragédie, le drame, genre nouveau, n'avait pas d'existence légale dans la poétique officielle du temps. Ce touche-à-tout de Diderot (1713-1784) entreprit de le constituer en dignité et de lui donner ses règles. Il crée ainsi le drame bourgeois, qui est tout simplement la comédie larmoyante écrite en prose.Les origines. Que me font à moi, sujet paisible d'un état monarchique au XVIIIe siècle, les révolutions d'Athènes et de Rome? Quel véritable intérêt puis-je prendre à la mort d'un tyran du Péloponnèse, au sacrifice d'une jeune personne en Aulide? Il n'y a dans tout cela rien à voir pour moi, aucune moralité qui convienne. (Essai sur le genre dramatique sérieux).Deux drames anglais : Le Marchand de Londres, de Lillo (1731), et Le Joueur, d'Edouard Moore (1753), furent traduits en 1748 et 1762, admirés et bientôt imités. Le premier montrait les effets de la débauche chez un jeune homme sans volonté; le second, une famille désolée par la passion de son chef pour le jeu. Le genre bourgeois avait ses modèles. La peinture des conditions. DORVAL. - Il faut que la condition devienne aujourd'hui l'objet principal et que le caractère ne soit que l'accessoire. - Moi. - Ainsi vous voudriez qu'on jouât l'homme de lettres, le philosophe, le commerçant, le juge, l'avocat, le politique, le citoyen, le magistrat, le financier, le grand seigneur, l'intendant? - DORVAL. - Ajoutez à cela toutes les relations : le père de famille, l'époux, la soeur, les frères. (Dorval et Moi, 3e entretien).Il y a là une idée d'autant plus juste que Molière et Dancourt, Le Sage s'en étaient déjà fort bien avisés. Molière n'a-t-il pas peint des grands seigneurs, des bourgeois, des médecins; Le Sage, le financier? etc. La vraie nouveauté c'était de ne pas chercher le ridicule qui divertit, mais le sérieux qui fait naître l'émotion. Par là le drame n'est ni la comédie, ni la tragédie, ni une fusion des deux; il est vraiment original. La philosophie. O quel bien il en reviendrait aux hommes, si tous les arts d'imitation se proposaient un objet commun, et concouraient un jour avec les lois pour nous faire aimer la vertu et haïr le vice! (Diderot : De la poésie dramatique, II).Molière prétendait bien instruire, mais en amusant. Diderot veut instruire directement, en prêchant : Quelquefois j'ai pensé qu'on discuterait au théâtre les points de morale les plus importants, et cela sans nuire à la marche violente et dramatique de l'action... C'est ainsi qu'un poète agiterait la question du suicide, de l'honneur, du duel, de la fortune, des dignités et cent autres. (De la poésie dramatique).Ainsi le drame fut chargé de répandre les idées philosophiques qui détonnaient par trop dans la tragédie. Ces théories discutables, mais intéressantes, devront attendre Augier et Dumas fils pour être mises heureusement en pratique. Diderot. • Un jeune homme, Dorval, qui est aimé d'une jeune fille Constance, mais en aime une autre, Rosalie, la fiancée de son ami Clairville, renonce à elle pour ne pas trahir les devoirs de l'amitié. Heureusement, car au moment où Rosalie retrouve son père, celui-ci reconnaît en Dorval son fils naturel. Voilà le Fils naturel. • M. d'Orbesson a deux enfants : Saint-Albin et Cécile. Saint-Albin aime une jeune fille pauvre et vertueuse, Sophie; Cécile aime Germenil, fils d'un vieil ami de son père. Le mariage de Saint-Albin est contrarié par la différence des conditions, et l'intervention du commandeur d'Auvilé, homme riche et méchant, beau-frère de d'Orbesson. Il se conclut pourtant, en même temps que celui de sa soeur, parce que Sophie, contre laquelle d'Auvilé a obtenu une lettre de cachet, est sauvée par Germenil et retrouve en d'Auvilé son oncle qui l'avait abandonnée. Voilà le Père de famille. Les tableaux scéniques. En sortant de la salle, le Père de famille conduit ses deux filles; Saint-Albin a les bras jetés autour de son ami Germenil; M. Le Bon donne la main à Mme Hébert; le reste suit, en confusion, et tous marquent le transport de la joie. (Le Père de famille, V, 12).Diderot voulait d'ailleurs que l'on procédait, à la scène, par tableaux, et que la pantomime vint souvent suppléer aux paroles. Lui-même, il a abusé des points de suspension dans sa prose emphatique. L'emphase. Mon fils, il y aura bientôt vingt ans que je vous arrosai des premières larmes que vous m'avez fait répandre. Mon coeur s'épanouit en voyant en vous un ami que la nature me donnait. Je vous reçus entre mes bras du sein de votre mère et vous élevant vers le ciel, et mêlant ma voix à vos cris, je dis à Dieu : « O Dieu! qui m'avez accordé cet enfant, si je manque aux soins que vous m'imposez en ce jour, ou s'il ne doit pas v répondre, ne regardez point à la joie de sa mère, reprenez-le ». (Le Père de famille, II, 6).Ce style prétentieux et sensible est une des caractéristiques du drame bourgeois. Sedaine. • Son Philosophe sans le savoir (1765) nous peint le monde des grands commerçants du XVIIIe siècle. Un commerçant, M. Vanderk marie sa fille, Sophie, à un magistrat. Mais tandis qu'il sourit à tout son monde en fête, il a l'angoisse au cour. Son fils s'est pris la veille de querelle avec un officier, Desparville, qui raillait la profession de commerçant, et en ce moment même il est sur le terrain. Et à l'instant où Vanderk vient d'avancer à M. Desparville père l'argent d'une lettre de change avec lequel celui-ci compte favoriser la fuite de son fils après sa victoire, dont il ne doute pas, Antoine lui annonce, en frappant les coups convenus, que son fils est mort, - scène poignante dans sa sobriété. Heureusement, Antoine s'est trompé. Les jeunes gens se sont réconciliés. Les réjouissances de famille peuvent continuer. Tout finit bien. On voit apparaître dans cette pièce la charmante Victorine, fille d'Antoine, qui aime ingénument Vanderk fils. Plus tard, George Sand a repris ce « profil perdu », pour en faire le Mariage de Victorine. Cette pièce, émouvante et simple, répond exactement à la définition de Diderot. Sedaine y fait l'apologie de la profession de commerçant en des termes qui rappellent ceux de Voltaire dans les Lettres Anglaises. M. Vanderk père. - Quel état, mon fils, que celui d'un homme qui, d'un trait de plume, se fait obéir d'un bout de l'univers à l'autre! Son nom, son seing n'a pas besoin, comme la monnaie d'un souverain, que la valeur du métal serve de caution à l'empreinte : sa personne a tout fait : il a signé, cela suffit... Nous sommes, sur la surface de la terre, autant de fils qui lient ensemble les nations, et les ramènent à la paix par la nécessité du commerce. (II, 4).Auteurs divers. Il y eut, jusqu'à la Révolution, un nombre considérable de drames représentés sans qu'aucune oeuvre de valeur mérite d'arrêter l'attention. Il suffit de signaler l'échec de Beaumarchais dans ce genre avec Eugénie (1767), Les Deux Amis (1770), La Mère coupable (1792), suite du Mariage de Figaro, et les tentatives de Mercier, tempérament fougueux, révolté contre les règles dans son traité du Théâtre ou Nouvel essai sur l'Art dramatique (1773), auteur applaudi de la Brouette du Vinaigrier, qui essaya du drame historique et national Jean Hennuyer (1772), La Destruction de la Ligue (1782), La Mort de Louis XI (1783). Le drame, qui avait eu la noble ambition d'avoir une action sociale, n'aboutit qu'à une production de plus en plus médiocre, gâtée par une sensiblerie fade et déclamatoire. Créé pour la bourgeoisie, il ne songea bientôt plus qu'à plaire au peuple et devint le mélodrame. Le théâtre sous la RévolutionLa Révolution donna la liberté du théâtre comme les autres, et les spectacles se multiplièrent, bientôt surveillés et dirigés par la Convention, puis par la censure impériale.Les pièces d'actualité. La tragédie. Sous la Révolution. Mon trône est cimenté du sang de leurs victimes;Fénelon au contraire est glorifié dans Fénelon ou les Religieuses de Cambrai (1773) pour sa tolérance et son humanité. Sous l'Empire. La comédie. Le mélodrame. |
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