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Pascal et le Jansénisme
Le Jansénisme.
Dans le XVIIe
siècle si préoccupé des questions morales et religieuses,
la querelle théologique du Jansénisme
a tenu une place considérable à cause de l'importance des
problèmes soulevés et de la personnalité de Pascal
qui s'y est trouvé mêlé.
Jansénius.
L'évêque
d'Ypres, Janssen (en latin Jansenius), mourut en 1638 en laissant un livre
intitulé Augustinus, qui fut publié en 1640. C'était
un commentaire des doctrines de saint Augustin.
Soumis à la Sorbonne, le livre fut
déclaré hérétique, et cinq propositions, qui
en furent extraites, furent déférées à la cour
de Rome et condamnées (1650).
Les
idées jansénistes.
Jansénius,
interprétant le dogme catholique
dans sa plus grande rigueur, prétendait que l'humain, pour assurer
son salut dans l'au-delà, devait avoir reçu la grâce
de Dieu par prédestination, sans pouvoir espérer la mériter
par sa conduite ici-bas. Ce n'est pas que sa conduite fût indifférente.
Elle devait être digne de la morale chrétienne
la plus austère, dominée parle souci constant du salut et
la crainte d'un Dieu redoutable. La vie devait être une vie sévère
et frémissante, analogue, pensait-il, à celle des chrétiens
de l'Eglise primitive.
Port-Royal.
C'est par l'abbaye
de Port-Royal que le jansénisme a pénétré
en France.
L'abbaye.
Port-Royal était
une communauté de femmes, établie dès 1204 dans la
vallée de Chevreuse. L'abbesse Angélique
Arnauld en avait réformé la vie très mondaine
en 1608, et avait fondé un nouveau couvent à Paris
en 1625, sur l'actuel boulevard de Port-Royal. Sa sévérité
était faite pour comprendre et aimer les principes jansénistes.
Aussi fut-elle conquise quand son directeur, du Vergier de Hauranne, abbé
de Saint-Cyran, ami de Jansénius, les lui fit connaître, vers
1633.
Les
solitaires.
Port-Royal
devint ainsi très vite un foyer de jansénisme. Un certain
nombre de laïques, décidés eux aussi à vivre
selon cette règle, reçurent l'autorisation de s'installer
dans les bâtiments disponibles de Port-Royal des Champs. C'étaient,
entre autres, Antoine Le Maître (1608-1658), ancien avocat; Arnauld
(1612-1694), auteur d'un traité, la Fréquente Communion,
censuré en 1656; Nicole (1628-1695), qui,
sous le nom de Guillaume Wendrock, traduisit en latin les Provinciales;
il était aussi l'auteur d'une Logique
et d'Essais de morale qui enthousiasmaient Mme
de Sévigné; Lancelot enfin
dont le Jardin des racines grecques est resté longtemps en
usage. Tous furent non seulement de pieux ascètes, mais des professeurs
remarquables aux « Petites Écoles-»,
qu'on avait adjointes en 1643 à Port-Royal des Champs. On les désignait
habituellement sous le nom de « les Messieurs » ou «
les Solitaires » de Port-Royal.
La
persécution.
Quand, en 1650,
l'Augustinus fut condamné par le pape Innocent III, les jansénistes
se soumirent, Mais continuèrent à nier que les cinq propositions
fussent dans le livre.
Ce fut l'origine
de la querelle, où les Jansénistes devaient succomber, parce
qu'ils avaient contre eux, outre la sentence pontificale, la rivalité
des Jésuites, et la méfiance
du roi à l'égard de leur esprit d'indépendance. En
1656 Arnauld était exclu de la faculté de théologie,
ce qui provoqua, la riposte des Provinciales. Le succès de
ce pamphlet et le dit miracle
de la Sainte-Epine, qui avait prétendûment guérit d'une
fistule Mlle Périer, nièce de Pascal, rendirent confiance
aux Jansénistes. Mais en 1660 on voulut leur faire signer un formulaire
condamnant les cinq propositions. Ils refusèrent : les Petites Ecoles
furent fermées et les religieuses dispersées dans d'autres
communautés. Pourtant en 1668 ils consentirent à accepter
un nouveau formulaire et connurent quelques années de tranquillité.
Les persécutions recommencèrent à propos d'une bulle
du pape Clément Xl, et en 1710 Port-Royal
était détruit par ordre du roi.
Influence
de Port-Royal au XVIIe Siècle.
Port-Royal, malgré
les persécutions. qui l'accablèrent, eut, sur la société
et sur les écrivains du XVIIe siècle
une très sérieuse influence.
1° Il
faut signaler le grand exemple de fermeté et de résistance
donné par les Messieurs de Port-Royal, en un temps où l'esprit
de docilité et d'abandon permettait au pouvoir absolu de s'établir
pour près de deux siècles en France. S'ils nous étonnent
par leur entêtement, toutefois ces Messieurs, quand ils s'appellent
Saint-Cyran, Arnauld, Nicole, Pascal, et qu'ils payent de leur liberté,
de l'exil, de la vie même, l'attachement à leurs opinions,
sont grands et dignes d'admiration. Et l'on peut dire que quelque chose
de leur solidité morale, de leur vertu stoïque, a passé
dans les Bossuet, les La
Rochefoucauld, les Boileau, les Saint-Simon.
2° Port-Royal
eut, par, Saint-Cyran et M. Singlin, une influence sur Ia réforme
de la prédication; il, n'est pas jusqu'à Bourdaloue,
un jésuite, qui ne leur doive quelque chose.
3° Les Messieurs
de Port-Royal ont contribué à transformer les méthodes
et les outils de l'enseignement; dans leurs Petites écoles ils enseignaient,
avec le latin, le français et le
grec, qui ne faisaient partie à
cette époque ni des programmes de l'Université, ni de la
Ratio Studiorum des Jésuites. Leur Logique, leur Grammaire,
leur Jardin des racines grecques, devinrent au siècle suivant
des livres scolaires officiels. N'oublions pas aussi qu'ils eurent, dans
ces écoles, des élèves qui leur firent honneur, et
que Racine doit peut-être à Lancelot
et a Nicole, avec sa connaissance du grec, sa fine psychologie.
Aussi suffit-il d'ouvrir
les Mémoires ou les Correspondances (La
littérature mondaine au XVIIe siècle) du temps pour voir
la place qu'y tient Port-Royal; et cette influence se continue pendant
une partie du XVIIIe siècle, jusqu'au
moment où, avec Voltaire et l'Encyclopédie,
c'est le rationalisme et l'optimisme qui l'emportent.
Pascal.
Le
savant (1623-1646).
Blaise
Pascal (1623-1662), qui devait être la plus grande illustration
de Port-Royal, était né à Clermont-Ferrand.
Fils d'un père qui excellait à éveiller l'esprit de
ses enfants, il étonna son entourage par ses précoces dispositions
pour les sciences. Il apprit la géométrie seul et en cachette,
puis, dès seize ans, rédigea un Essai sur les coniques
dont on prétend que Descartes conçut
de la jalousie. A dix-huit ans il imagina et fit construire une machine
arithmétique , montrant déjà sa préoccupation
des applications pratiques de la science, a laquelle il paraissait devoir
consacrer sa vie.
Premier
contact avec le jansénisme (1646-1654).
Son père
s'étant cassé la cuisse en 1646, à Rouen,
fut soigné par deux gentilshommes, La Bouteillerie et Deslandes,
fervents adeptes du Jansénisme, qui ne tardèrent pas à
y convertir toute la famille. Pascal n'en continua pas moins ses travaux
scientifiques, notamment sur le vide et la pression atmosphérique
qu'il démontra par les expériences célèbres
(le Puy-de-Dôme et de la tour
Saint-Jacques de Paris. Il dut les interrompre pour raison de santé
en 1652, et pendant deux ans se mêla au monde pour se distraire.
C'est alors qu'il fit la connaissance d'un groupe de libertins, ou libres
penseurs Miton, le duc de Roannez, le chevalier de Méré.
Le
solitaire de Port-Royal (1654-1662).
A la suite d'un
accident de voiture au pont de Neuilly, il traversa une crise de mysticisme,
déterminée probablement par l'influence de sa soeur Jacqueline
entrée à Port-Royal. Une nuit d'extase religieuse (23 novembre
1654), que lui rappela toujours par la suite une prière cousue dans
ses habits, le décida à se retirer à Port-Royal. C'est
là qu'il écrivit à la demande d'Arnauld les Provinciales
(1656). Ses dernières années furent troublées par
de cruelles souffrances. Il s'occupait encore parfois de problèmes
scientifiques et de questions pratiques (c'est lui qui a eu l'idée
des carrosses à cinq sols ou omnibus), mais travaillait surtout
à un ouvrage sur la religion chrétienne que la mort ne lui
laissa pas achever (1662) et dont les fragments sont le livre des Pensées.
-
Vanité
de l'Homme
« L'orgueil
nous tient d'une possession si naturelle au milieu de nos misères
et de nos erreurs, que nous perdons même la vie avec joie, pourvu
qu'on en parle.
La vanité
est si ancrée dans le coeur de l'homme, qu'un goujat, un cuisinier,
un crocheteur se vante et veut avoir ses admirateurs; et les philosophes
mêmes en veulent. Et ceux qui écrivent contre la gloire veulent
avoir la gloire d'avoir bien écrit, et ceux qui le lisent veulent
avoir la gloire de l'avoir lu; et moi qui écris ceci, j'ai peut-être
cette envie, et peut-être que ceux qui le lisent l'auront aussi.
Nous sommes si présomptueux,
que nous voudrions être connus de toute la terre, et même des
gens qui viendront quand nous n'y serons plus; et nous sommes si vains,
que l'estime de cinq ou six personnes qui nous environnent nous amuse et
nous contente.
Les villes par où
on passe, on ne se soucie pas d'y être estimé; mais quand
on y doit demeurer un peu de temps, on s'en soucie. Combien de temps faut-il?
un temps proportionné it notre durée vaine et chérie.
».
(B.
Pascal, Pensées, article II).
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Oeuvres.
Les oeuvres principales
de Pascal sont :
1° Oeuvres
scientifiques. - Fragment d'un Traité sur le vide (1651?)
- De l'esprit géométrique (1654).
2° Polémique.
- Lettres provinciales ou Lettres de Louis de Montalte à un provincial
de ses amis et aux Révérends Pères Jésuites
sur la morale et la politique de ces Pères. - (Dix-huit lettres
publiées de 1656 à 1657).
3° Religion et
morale. - Prière pour le bon usage des maladies (1648). -
Lettre sur la mort de M. Pascal père (1651). - Entretien
avec M. de Saci d'après les mémoires de Fontaine, secrétaire
de M. de Saci (1655).- Pensées (Édition de Port-Royal,
1670).
Voltaire écrivait
dans le Siècle de Louis XIV
:
«
Le premier livre de génie qu'on vit en prose fut le recueil des
Lettres provinciales » (Ch. XXXII).
Pascal en effet par
son souci du naturel et de la vérité inaugure la période
classique. Mais tout en portant la marque si particulière d'une
époque et d'une secte, son oeuvre est de celles qui dominent le
temps et les partis, parce que tous peuvent trouver en elle de quoi méditer,
admirer ou s'émouvoir, puisqu'aussi bien elle est à la fois
d'un savant, d'un poète et d'un croyant.
Théories
littéraires.
C'est l'union de
cette vigueur logique et de son ardente conviction qui donnait à
l'éloquence de Pascal une force invincible. Il avait une éloquence
qui lui donnait une facilité merveilleuse à dire ce qu'il
voulait; mais il avait ajouté à cela des règles
dont on ne s'était pas encore avisé. (Vie de Pascal
par Mme Périer).
1°)
Critique des artifices littéraires. - Ces règles nous ont
été conservées dans quelques-unes des Pensées
dont l'ensemble forme ce qu'on appelle quelquefois la « rhétorique
» de Pascal. Il y attaque tout ce qui dans l'art est procédé
:
La vraie
éloquence se moque de l'éloquence c'est-à-dire de
la rhétorique. (H. VII, 34 ; B. 4.).
Ceux qui
font les antithèses en forçant les mots font comme ceux qui
font le fausses fenêtres pour la symétrie : leur règle
n'est pas de parler juste, mais de faire des figures justes. (H. VII, 22
; B.27).
2° Théorie
du naturel. - A ses yeux il n'y a pas d'autre secret que le naturel
et la vérité :
Il faut
se renfermer le plus qu'il est possible dans le simple naturel : ne pas
faire grand ce qui est petit, ni petit ce qui est grand. Ce n'est pas assez
qu'une chose soit belle. Il faut qu'elle soit propre au sujet, qu'il n'y
ait rien de trop ni rien de manque. (H. XXV, 25; B. 15).
Il faut de l'agréable
et du réel; mais il faut que cet agréable soit lui-même
pris du vrai. (H, VII, 27; B, 25).
Quand on voit le
style naturel, on est tout étonné et ravi, car on s'attendait
de voir un auteur et on trouve un homme. (H. VII, 28; 13. 29).
Et en effet nul
n'a été moins « auteur » que Pascal.
Bossuet et l'équence
de chaire au XVIIe siècle
Les prédécesseurs
de Bossuet.
Importance
de l'éloquence religieuse au XVIIe
siècle.
Le XVIIe
siècle a été pour la chaire chrétienne la plus
belle époque, parce qu'à aucun moment les orateurs sacrés
n'ont eu un public mieux disposé à les écouter et
plus capable d'admirer les beautés oratoires.
1° vivacité
des sentiments religieux. - Il y eut dans le monde un petit nombre d'esprits
libres ou « libertins », tels que Méré, Miton
que connut Pascal Saint-Evremond, plus
tard les Vendôme et la cour du Temple. Mais dans l'ensemble du public
la foi est vive, les devoirs religieux s'accomplissent strictement, surtout
quand, à la suite de Louis XIV, la cour
se jeta dans la dévotion. L'intérêt que soulevèrent
les controverses des Jésuites et des Jansénistes, de Bossuet
et de Fénelon, prouve la place que tenait
la religion dans les esprits. Aussi l'empressement qu'on mettait à
se rendre aux sermons était-il prodigieux. Pour entendre les prédicateurs
en vogue on était obligé de faire garder sa place d'avance
par un domestique. (Lettre de Mme
de Sévigné à Mlle de Grignan, 27 mars 1671).
2° Les préoccupations
littéraires et la prédication. - Le désir d'écouter
un beau discours contribuait au reste au zèle de ces dames en grande
toilette et de ces gentilshommes élégants. On venait en chrétien
pour s'instruire, mais aussi en connaisseur pour juger :
Celui qui
écoute s'établit juge de celui qui prêche, pour condamner
ou pour applaudir. (La Bruyère, Caractères : De la Chaire).
L'oraison
funèbre surtout, avec son cérémonial somptueux,
la magnificence des décorations, était un véritable
discours d'apparat :
Ainsi en
est-il du panégyrique qui est comme un tournoi et une montre [...].
Il est nécessaire que l'orateur emploie en cette occasion tout son
art et toutes les fleurs de son éloquence. (Préface des Actions
publiques de François Ogier, prêtre et prédicateur,
1652).
Les prédicateurs
de leur côté n'étaient pas indifférents aux
succès oratoires. Ils parlaient devant des auditeurs heureux d'avoir
l'occasion d'entendre de beaux discours, ils voyaient les tachygraphes
noter leurs paroles, et ils sentirent la nécessité de soutenir
leur enseignement par l'art.
Les
progrès de la prédication.
Toutefois ce n'est
qu'après certainles hésitations qu'on réussit à
découvrir la véritable rhétorique
chrétienne.
1° L'abus
des ornements profanes. - Quand les orateurs se furent dépouillés
au début du siècle du langage souvent cru et brutal dont
on s'était servi au XVIe siècle,
ils tombèrent, sous l'influence de la préciosité,
dans un excès de raffinement. Ils voulurent étaler leur érudition,
montrer leur habileté dans l'arrangement des idées et des
mots. Ces défauts disparurent ensuite :
Les citations
profanes, les froides allusions, le mauvais pathétique,les antithèses,
les figures outrées ont fini. (La Bruyère, Caraclères
: De la Chaire).
Le véritable
progrès à réaliser c'était de comprendre que
la seule parure possible de l'Évangile,
c'était la simplicité.
2° La réforme
de la chaire. - Cette réforme s'accomplit grâce à la
congrégation de l'Oratoire, fondée
en 1612, à laquelle on dut des prédicateurs comme le P. Bourgoing
(1585-1662), le P. Lejeune (1592-1662); grâce à l'influence
du jésuite Claude de Lingendes (1591-1660) qui fut le maître
de Bourdaloue; grâce surtout à l'exemple et à l'autorité
de Saint Vincent de Paul (1576-1660), qui condamnait
absolument le beau
langage :
Je vous
ai dit autrefois que Notre Seigneur bénit le discours qu'on fait
en parlant d'un ton commun et familier, parce qu'il a lui-même enseigné
et prêché de la sorte. (Lettre a un missionnaire, 1638).
Bossuet suivait les
conférences Saint Lazare que dirigeait Saint Vincent de Paul et
en profita. Mais il vit bien que la simplicité qui convenait au
peuple ne convenait pas à la cour et à la ville. Contemporain
des grands classiques, il n'eut pas de peine à trouver le compromis
entre la simplicité et l'art, c'est-à-dire la « nature
».
Les circonstances exceptionnelles
auxquelles la chaire a dû son éclat au XVIIe
siècle disparaissent au XVIIIe.
L'esprit chrétien est fortement battu en brèche par l'esprit
philosophique; les questions morales sont laissées de côté.
La prédication reprend un caractère strictement confessionnel.
Mais pendant près d'un siècle elle avait été,
tant par la pureté de la forme que par l'intérêt des
peintures morales, un genre littéraire auquel la littérature
française a dû quelques-uns de ses chefs-d'oeuvre.
Bossuet (1627-1704).
Jacques-Bénigne
Bossuet naquit à Dijon d'une assez
ancienne famille parlementaire. Tonsuré dès huit ans, pourvu
à treize d'un canonicat à Metz,
où résidait une partie de sa famille, il vint achever à
Paris, au collège de Navarre, ses études commencées
chez les Jésuites de Dijon. Il étonna ses maîtres par
son application an travail et son précoce talent oratoire. En 1652,
reçu docteur en théologie et ordonné prêtre,
il rejoignit son poste de Metz où le chapitre venait de lui donner
le titre d'archidiacre de Sarrebourg.
Et aussitôt, dans cette ville où vivaient beacoup de protestants
et de juifs, il entreprit des conversions
et des polémiques (entre autres contre le pasteur Paul Ferry).
Sur l'invitation
de saint Vincent de Paul, il revint à Paris pour y prêcher.
Cinq carêmes dont deux à la cour
(1662-1666), quatre avents dont deux aussi à
la cour (1665-1666), cinq oraisons funèbres notamment celle d'Anne
d'Autriche (1666), de la reine d'Angleterre
(1669), de la duchesse d'Orléans (1670),
le désignèrent pour l'épiscopat à l'attention
de Louis XIV. Il eut l'évêché de Condom (1669) et fut
nommé l'année suivante précepteur du Dauphin.
Ses nouvelles fonctions
absorbèrent toute son activité. Il se démit même
de son évêché, faute de pouvoir y résider et
le gouverner. Avec une conscience admirable, il compléta son instruction,
pour faire celle de son élève et composa tous les livres
nécessaires grammaires, extraits de morale, Discours sur l'histoire
universelle, etc.
Le Dauphin apprit
quelque chose, mais s'appliqua plus tard à tout oublier. Membre
de l'Académie française
depuis 1671, maître du futur roi, Bossuet avait une situation privilégiée.
Deux lettres à Louis XIV (1675), pour l'engager à réformer
sa conduite, témoignent de son courage et de son autorité.
Bossuet fut nommé
évêque de Meaux en 1681, et l'on
put mesurer son prestige à l'assemblée générale,
du clergé de France, où il fut chargé de rédiger
la Déclaration du clergé de France en quatre articles
sur les libertés de l'Église gallicane (1682). La dernière
période de sa vie lest consacrée à la prédication,
à l'administration de son diocèse, et surtout à la
controverse contre les protestants (Histoire des Variations, 1688)
et contre la doctrine du quiétisme représentée
par Fénelon. Il mourut en 1704.
Oeuvres.
Beaucoup des oeuvres
de Bossuet sont posthumes. Les principales sont :
1° Oeuvres
oratoires.
a) Sermons
(publiés en 1772-1778) : Panégyrique de Saint Bernard
(1653); Sur l'Éminente dignité des pauvres (1659);
Panégyrique de Saint Paul (1659); Sur l'honneur du monde
(1660); Sur la parole de Dieu (1661); Sur la Providence (1662);
Sur l'ambition (1662); Sur les devoirs des Rois (1662); Sur
la mort (1662); Sur la Profession de Mlle de la Vallière
(1675); Sur l'Unité de l'Église (1681).
b) Oraisons funèbres
: du P. Bourgoing (1662); de Nicolas Cornet (1663); d'Henriette
de France (1669); d'Henriette d'Angleterre (1670); de Marie-Thérèse
(1683); d'Anne de Gonzague (1685); de Michel le Tellier (1686);
du Prince de Condé (1687).
2° Politique et
Histoire. - Politique tirée de l'Écriture Sainte (publiée
en 1709); Discours sur l'histoire universelle (1681); Histoire
des variations des églises protestantes (1688).
3° Controverse
et Religion. - Maximes et réflexions sur la comédie
(1694); Relation sur le quiétisme (1698); Traité
de la connaissance de Dieu et de soi-même (publié 1741);
Élévations sur les mystères (1727), Méditations
sur l'Évangile (1731).
4° Correspondance.
Chacune des oeuvres
de Bossuet est un acte. Il s'agit toujours de convaincre, d'instruire,
de réfuter, d'édifier, en un mot, d'imposer à quelqu'un,
adversaire ou disciple, une idée. Voilà pourquoi, sans même
tenir compte des habitudes oratoires que pourrait avoir données
à Bossuet la prédication, il est naturel que ces oeuvres
si diverses aient un caractère commun : l'éloquence.
Au final, l'oeuvre
de Bossuet est celle d'un prêtre qui défend, avec toute l'autorité
du dogme, la tradition. C'est là, selon le point de vue, sa force
ou sa faiblesse. En tout cas la sincérité de sa conviction,
chaque fois qu'elle n'est pas l'autre nom du fanatisme, impose le respect
et le l'art de l'écrivain commande l'admiration. On ne peut dire
que, choisi par le roi pour précepteur de son fils après
ses succès oratoires à la cour, membre de l'Académie
française, il n'ait pas été estimé à
sa juste valeur par ses contemporains. Bourdaloue fut dans la chaire son
successeur et non son rival. Toujours est-il qu'il a doté notre
langue de ses plus belles pages oratoires, précisément parce
qu'il n'a jamais visé à l'effet littéraire. Selon
un mot de Fénelon, définissant le véritable orateur
(Lettre à l'Académie, IV) : « Il pense, il sent,
et la parole suit ». Naturel jusque dans le sublime, il est bien
de l'école des grands écrivains de son temps.
-
Méditation
sur la brièveté de la vie
« C'est bien
peu de chose que l'homme, et tout ce qui a fin est bien peu de chose. Le
temps viendra où cet homme qui nous semblait si grand ne sera plus,
où il sera comme l'enfant qui est encore à naître,
où il ne sera rien. Si longtemps qu'on soit au monde, y serait-on
mille ans, il en faut venir là. Il n'y a que le temps de ma vie
qui me fait différent de ce qui ne fut jamais : cette différence
est bien petite, puisqu'à la fin je serai encore confondu avec ce
qui n'est point; ce qui arrivera le jour où il ne paraîtra
pas seulement que j'aie été, et où peu m'importera
combien de temps j'aie été, puisque je ne serai plus. J'entre
dans la vie avec la loi d'en sortir, je viens faire mon personnage, je
viens me montrer comme les autres; après, il faudra disparaître.
J'en vois passer devant moi, d'autres me verront passer, ceux-là
même donneront à leurs successeurs le même spectacle,
et tous enfin se viendront confondre dans le néant.
Ma vie est de quatre-vingts
ans tout au plus, prenons-en cent; qu'il y a en de temps où je n'étais
pas! qu'il y en a où je ne serai point! et que j'occupe peu de place
dans ce grand abîme des ans! je ne suis rien; ce petit intervalle
n'est pas capable de me distinguer du néant où il faut que
j'aille. Je ne suis venu que pour faire nombre; encore n'avait-on que faire
de moi, et la comédie ne serait pas moins bien jouée, quand
je serais demeuré derrière le théâtre. Ma partie
est bien petite en ce monde, et si peu
considérable,
que, quand je regarde de près, il me semble que c'est un songe de
me voir ici, et que tout ce que je vois ne sont que de vains simulacres
: Praeterit figura hujus mundi.
Ma carrière
est de quatre-vingts ans tout au plus; et pour aller là, par combien
de périls faut-il passer? par combien de maladies? à quoi
tient-il que le cours ne s'en arrête à chaque moment? ne l'ai-je
pas reconnu quantité de fois? J'ai échappé la mort
à telle et telle rencontre. C'est mal parler : « J'ai échappé
la mort ». J'ai évité ce péril, mais non
pas la mort : la mort nous dresse diverses embûches; si nous échappons
l'une, nous tombons en une autre; à la fin il faut venir entre ses
mains. Il me semble que je vois un arbre battu des vents; il y a des feuilles
qui tombent à chaque moment; les unes résistent plus, les
autres moins : que s'il y en a qui échappent à l'orage, toujours
l'hiver viendra, qui les flétrira et les fera tomber. Ou, comme
dans une grande tempête, les uns sont soudainement suffoqués,
les autres flottent sur un ais abandonné aux vagues : et lorsqu'ils
croient avoir évité tous les périls, après
avoir duré longtemps, un flot les pousse contre un écueil,
et les brise. Il en est de même : le grand nombre d'hommes qui courent
la même carrière fait que quelques-uns passent jusques au
bout; mais après avoir évité les attaques diverses
de la mort, arrivant au bout de la carrière où ils tendaient
parmi tant de périls, ils la vont trouver eux-mêmes, et tombent
à la fin de leur course : leur vie s'éteint d'elle-même,
comme une chandelle qui a consumé sa matière.
Ma carrière
est de quatre-vingts ans tout au plus, et de ces quatre-vingts ans, combien
y en a-t-il que je compte pendant ma vie? le sommeil est plus semblable
à la mort; l'enfance est la vie d'une bête. Combien de temps
voudrais-je avoir effacé de mon adolescence? et quand je serai plus
âgé, combien encore? Voyons à quoi tout cela se réduit
: qu'est-ce que je compterai donc? car tout cela n'en est déjà
pas. Le temps où j'ai eu quelque contentement, où j'ai acquis
quelque honneur? mais combien ce temps est-il clairsemé dans ma
vie! c'est comme des clous attachés à une longue muraille,
dans quelque distance; vous diriez que cela occupe bien de la place; amassez-les,
il n'y en a pas pour emplir la main. Si j'ôte le sommeil, les maladies,
les inquiétudes de ma vie, que je prenne maintenant tout le temps
où j'ai eu quelque contentement ou quelque honneur, à quoi
cela va-t-il? Mais ces contentements, les ai-je eus tous ensemble? Les
ai-je eus autrement que par parcelles? mais les ai-je eus sans inquiétude?
et s'il y a de l'inquiétude, les donnerai-je au temps que j'estime
ou à celui que je ne compte pas? et ne l'ayant pas eu à la
fois, l'ai-je du moins eu tout de suite? l'inquiétude n'a-t-elle
pas toujours divisé deux contentements? ne s'est-elle pas toujours
jetée à la traverse pour les empêcher de se toucher?
Mais que m'en reste-t-il? des plaisirs licites, un souvenir inutile; des
illicites, un regret, une obligation à l'enfer ou à la pénitence.
Ah! que nous avons bien raison de dire que nous passons notre temps! nous
le passons véritablement et nous passons avec lui. Tout mon être
tient à un moment; voilà ce qui me sépare du rien
: celui-là s'écoule, j'en prends un autre : ils se passent
les uns après les autres; les uns après les autres, je les
joins, tâchant de m'assurer; et je ne m'aperçois pas qu'ils
m'entraînent insensiblement avec eux, et que je manquerai au temps,
non pas le temps à moi. Voilà ce que c'est que de ma vie
et ce qui est épouvantable, c'est que cela passe à mon égard;
devant Dieu, cela demeure, cela entre dans ses trésors. Ce que j'y
aurai mis, je le trouverai. Je ne jouis des moments de ce plaisir que durant
le passage; quand ils passent, il faut que j'en réponde comme s'ils
demeuraient. Ce n'est pas assez dire, ils sont passés, je n'y songerai
plus : ils sont passés oui, pour moi; mais à Dieu, non; il
en demandera compte. »
(Bossuet,
Sermons).
|
Théories
littéraires.
La conception que
s'est faite Bossuet de l'éloquence religieuse repose sur l'idée
d'une juste mesure.
1° La
simplicité. - Il était scandalisé de ces prédicateurs
« qui ravilissent leur dignité jusqu'à faire servir
au désir de plaire le ministère d'instruire ». (Oraison
funèbre du P. Bourgoing.) Comme saint Vincent de Paul il réclamait
la simplicité :
Priez seulement
cet Esprit, qui souffle où il veut, qu'il veuille répandre
sur mes lèvres ces deux beaux ornements de l'éloquence chrétienne
: la simplicité et la vérité. (Sermon pour une
vêture, 1657).
Mais selon lui cette
simplicité n'excluait pas l'éloquence pourvu qu'elle fût
naturelle :
Il faut qu'elle semble
venir comme d'elle-même, attirée par la grandeur des choses,
et pour servir d'interprète à la sagesse qui parle. (Sur
la parole de Dieu, 1er point).
2° La science.
- Toutefois si naturelle qu'elle puisse paraître, cette éloquence
ne peut être que le résultat du travail, le fruit d'une multitude
de connaissances :
Car il faut
la plénitude pour faire la fécondité, et la fécondité
pour la variété, sans laquelle nul agrément. (Sur
le style et la lecture des écrivains et des Pères de l'Eglise
pour former un orateur).
Bien entendu, parmi
les lectures de l'orateur, la Bible et les Pères de l'Eglise
doivent tenir la première place :
Il puise
tout dans les Ecritures, il en emprunte même les termes sacrés,
non seulement pour fortifier, mais pour embellir son discours. (Sur
la parole de Dieu, ler point).
Bossuet ne cessait de
lire et de méditer l'Evangile, saint Augustin,
saint Chrysostome, Tertullien.
Mais il déclare qu'il doit aussi beaucoup aux Grecs Platon,
Isocrate, Démosthène;
aux Latins : Cicéron et Virgile;
ainsi qu'à Guez de Balzac et aux Provinciales
de Pascal. Son éloquence s'est formée
du meilleur de l'Antiquité sacrée et de l'Antiquité
profane.
La
composition oratoire.
Dans la disposition
de ses idées Bossuet n'obéit pas à un souci d'art.
Il se débarrassa vite des habitudes scolastiques
d'agencement minutieux dont ses sermons de Metz portent encore la trace.
Simplicité et clarté, voilà pour l'orateur, les vraies
qualités de la composition.
1° La
dialectique. - Il les apporte dans les controverses théologiques
les plus obscures, parce qu'il a soin d'aller droit aux points dominants.
La lettre au P. Caffaro (9 mai 1694) indique bien le procédé
:
Je ne perdrai
point le temps à répondre aux autorités de saint Thomas
et des autres saints qui, en général, semblent approuver
ou tolérer les comédies. Puisque vous demeurez d'accord,
et qu'en effet on ne peut nier, que celles qu'ils ont permises ne doivent
exclure toutes celles qui sont opposées à l'honnêteté
des moeurs, c'est à ce point qu'il faut s'attacher, et c'est par
là que j'attaque votre lettre.
Dès lors une
question et une seule : le théâtre
est-il honnête? Réponse : non, et il ne peut l'être.
Le raisonnement a quelque chose de direct qui s'impose. L'Histoire les
Variations repose sur un syllogisme :
les variations sont signe d'erreur, car la vérité
est une. Or les protestants ont varié. Donc... Bossuet, en âpre
rhéteur, aime aussi retourner contre ses adversaires leurs arguments
: ainsi par exemple dans le Sermon sur la Providence (1662), celui
de l'inégale répartition des biens et des maux. Non contents
de leur faire voir que cette inégale dispensation (les biens et
des maux du monde ne nuit en rien à la Providence,
montrons au contraire qu'elle l'établit (Exorde).
2° Les contrastes.
- Bossuet prend donc souvent ses dispositions d'après elles de ses
adversaires. De lui-même il paraît avoir une préférence
pour la composition par contraste, simple et frappante. Le Discours
sur l'histoire universelle est construit sur l'opposition entre la
solidité de l'Église et la fragilité des empires.
La manière est la même dans plusieurs sermons, Sermon sur
la mort : « Il (l'humain) st infiniment méprisable en
tant qu'il passe, et infiniment estimable en tant qu'il aboutit à
l'éternité »; Sermon sur l'ambition : 1er
point, les faveurs de la fortune; 2e point,
les revers de la fortune. On retrouve cette composition dans les oraisons
funèbres. Celle d'Henriette de
France est le récit de ses prospérités, puis de
ses malheurs; celle de Condé est le tableau
de ses qualités brillantes, puis de son austère piété,
etc.
Le
style oratoire.
Les mauvais rhéteurs
ont des recettes de style comme de composition. Mais Bossuet n'était
pas un mauvais rhéteur : il était un grand un orateur, et
chez les vrais orateurs, le style ne fait que suivre les mouvements de
la pensée et du coeur.
1° La
simplicité. - Bossuet est simple quand le sujet le demande; il y
a même de la bonhomie dans la façon dont il reproche à
des religieuses d'être bavardes :
Si Notre
Seigneur faisait la visite dans ce monastère pour voir si le silence
est bien gardé... qu'est-ce qu'il y trouverait? Là, deux
petites amies, et ici trois autres en peloton, occupées à
causer et à s'entretenir ensemble à la dérobée,
tandis peut-être que l'on devrait être au choeur ou à
une autre observance. (Sur le silence. Instruction aux Ursulines de
Meaux, 1686).
Présentant à
Louis XIV un court tableau du misérable
état de la France, il sait
se contenter de l'expression sérieuse et nue :
Votre Majesté
ne l'ignore pas, et pour lui dire sur ce fondement ce que je crois être
de son obligation précise et indispensable, elle doit, avant toutes
choses, s'appliquer à connaître à fond les misères
des provinces et surtout ce qu'elles ont à souffrir sans que Votre
Majesté en profite, tant par les désordres des gens de guerre,
que par les frais qui se font à lever la taille, qui vont à
des excès incroyables. (Lettre à Louis XIV, 1er
juillet 1675).
2° L'imagination.
- Les derniers sermons montrent bien que c'est à la simplicité
qu'il tendait. Mais une imagination puissante
le soulevait. Quelquefois elle évoquait avec poésie un lever
de soleil :
Le soleil
s'avançait et son approche se faisait connaître par une céleste
blancheur qui se répandait de tous côtés; les étoiles
étaient disparues, et la lune s'était levée avec son
croissant d'un argent si beau et si vif que les yeux en étaient
charmés. (De la Concupiscence, ch. 32).
Ailleurs. elle tirait
d'un souvenir biblique « Je t'ai comparée à une belle
cavale » un vivant tableau du cheval fougueux qu'on dompte peu à
peu : «-Voyez
ce cheval ardent et impétueux, etc. » (Méditations,
La Cène, 2e partie).
Quand Bossuet débuta,
cette imagination donnait à son style une couleur trop crue comme
dans cette peinture du supplice de saint Gorgon :
Gorgon gisait
sur un lit de charbons ardents, fondant de tous côtés par
la force du feu, et nourrissant de ses entrailles une flamme pâle
qui le dévorait... Il s'élevait à l'entour de lui
une vapeur noire que le tyran humait pour contenter son avidité.
(Panégyrique de Saint Gorgon, 1649).
Dans sa maturité
elle lui fournit des images touchantes (Madame cependant a passé
du matin au soir, ainsi que l'herbe des champs, etc. Oraison funèbre
d'Henriette d'Angleterre); vigoureuses (Cette recrue continuelle du
genre humain, etc. Sermon sur la mort, 1er
point) ou d'un dramatique sombre (Venez considérer les saints
anges dans la chambre d'un mauvais riche mourant, etc. Sermon sur l'impénitence
finale, 3e point), etc. Ces images donnent
à l'idée une incomparable puissance d'émotion.
3° Le mouvement.
- Enfin, dans le style parlé, il faut, pour que l'accord entre le
fond et la forme soit soit complet, que le rythme accompagne la marche
de l'idée. On trouvera des apostrophes (O les dignes restes de
ta grandeur, etc., sermon sur l'ambition, péroraison); des répétitions
(vanité, néant, mots qui scandent le début
de l'Oraison funèbre d'Henriette d'Angleterre); des périodes
surtout dont la majesté égale celle du sujet. (On peut étudier
comme types le début de l'Oraison funèbre d'Henriette
de France : Celui qui règne dans les cieux, etc., ou
le développement sur Alexandre dans le Discours sur l'histoire universelle,
3e partie : Ce prince fit son entrée
dans Babylone, etc.).
Les successeurs de
Bossuet
Bourdaloue (1632-1704).
Le Jésuite
Bourdaloue fit ses débuts dans la chaire
au moment où Bossuet en descendait. On avait commencé par
le charger de l'enseignement; puis il eut de tels succès comme prédicateur,
en province d'abord, puis à Paris et à la cour où
il prêcha de nombreux avents et carêmes, qu'il fut et resta
jusqu'à son dernier jour un sermonnaire. C'était un homme
d'une grande droiture et d'une piété austère, comme
on en peut juger par la lettre qu'il écrivit au général
de son ordre pour lui demander d'être autorisé à prendre
sa retraite :
J'ai achevé
ma course; et plût à Dieu que je pusse ajouter, j'ai été
fidèle!... Qu'il me soit permis, je vous en conjure, d'employer
uniquement pour Dieu et pour moi-même ce qui me reste de vie, et
de me disposer, par là, à mourir en religieux.... Là,
oubliant les choses du monde, je repasserai devant Dieu toutes les années
de ma vie dans l'amertume de mon âme. (Bretonneau, Vie de Bourdaloue).
On a pu dire que Bourdaloue
était la meilleure réponse des Jésuites aux Provinciales.
Sa
conception de l'éloquence.
Les Lettres
de Mme de Sévigné sont pleines de témoignages enthousiastes
de l'admiration universelle que provoqua Bourdaloue (Lettres
des 11 et 13 mars 1671, 25 décembre 1671, 5 février 1674,
etc.). Pourtant nul ne s'attacha moins à plaire, ni même à
émouvoir.
1° Convaincre
la raison. - Il ne s'adresse pas au coeur des fidèles, mais à
leur raison :
On vous
a cent fois touchés et attendris par le récit douloureux
de la passion de Jésus Christ et je veux, moi, vous instruire; mon
dessein est de convaincre votire raison. (Sermon sur la passion).
Mais dans ce siècle
qui se voulait rationaliste une argumentation un peu serrée n'était
pas pour effrayer.
2° Diviser pour
prouver. - Sa méthode consistait surtout
à diviser chaque idée en ses éléments, puis
à démontrer chacune de ces parties. Dans le sermon sur la
Providence, par exemple, il veut prouver que si l'on n'y croit pas on est
: A) criminel, B) malheureux. Le premier point se subdivise en deux parties
: 1° On ne croit pas par athéisme; 2° On ne croit pas par
révolte de coeur. Puis le 1° se subdivise à son tour
: a) l'athée est au-dessous des sectes sauvages, b) il est en contradiction
avec sa propre raison, etc. De cette manière les preuves, numérotées
pour ainsi dire, s'accumulent; le sermon a quelque chose de harcelant qui,
selon le mot de Mme de Sévigné, « ôte la respiration
».
L'enseignement
moral.
C'est bien là
en effet le but que veut atteindre Bourdaloue. Il se croit, contrairement
à Bossuet, plutôt chargé de réformer les moeurs
que d'expliquer le dogme.
1°)
L'actualité. - Ses Sermons ont toujours en vue une leçon
précise dont le public mondain qui l'écoute devra faire immédiatement
son profit.
a) Les sujets.
Aux grands seigneurs, à l'affût des places et des dignités,
il fait voir que les honneurs du monde sont « de vrais assujettissements
à servir le prochain » (Sermon sur l'Ambition). Il
leur apprend qu'il faut payer ses dettes et fuir le jeu (Sur la Pénitence).
Aux pères de famille, il rappelle « qu'ils sont responsables
à Dieu du choix que font leurs enfants et de l'état qu'ils
embrassent » (Sur le devoir des pères). Aux riches,
qu'il faut donner (Sur l'Aumône); aux mondains qui daubent
dans les salons, que la médisance est criminelle (Sur la Médisance),
etc.
b) Les portraits.
Pour que l'avertissement porte davantage, Bourdaloue ne craint même
pas les allusions transparentes. Dans le sermon sur la Sévérité
évangélique, tout le monde vit qu'il s'agissait de l'orgueilleuse
retraite de M. de Tréville; dans le sermon sur la Prière,
de Fénelon; dans le sermon sur la Médisance, des Jansénistes
et de Pascal; dans le sermon sur l'Hypocrisie, de Molière
et du Tartuffe.
2° L'analyse psychologique.
- Rien n'échappait à Bourdaloue des plus secrets mouvements
du coeur. Il a, beaucoup plus que Bossuet, analysé
la psychologie humaine. Il note, par exemple, comment nous nous ingénions
à découvrir des défauts à un ennemi :
S'il est
dévot, nous l'accusons d'hypocrisie; s'il ne l'est pas, nous l'accusons
d'impiété; s'il est humble, nous regardons son humilité
comme une faiblesse; s'il est généreux, nous appelons son
courage orgueil. (Sur le jugement téméraire, 3e
point.)
N'y a-t-il pas là
comme une contre-partie du couplet célèbre de Molière
sur l'amour qui pare d'une grâce jusqu'aux défauts? (Misanthrope
II, 5). Et ce tableau de la médisance mondaine ne fait-il pas songer
au salon de Célimène?
Cet air
enjoué qu'elle se donne, ces bons mots qu'elle étudie, ces
termes dont elle s'applaudit, ces louanges suivies de certaines restrictions
et de certaines réserves, ces réflexions pleines d'une compassion
cruelle, ces oeillades qui parlent sans parler et qui disent bien plus
que les paroles mêmes! (Sur la médisance).
Là est, sans
doute, une des raisons principales du triomphe éclatant de Bourdaloue
auprès de ses contemporains. Son éloquence faite d'ordre
et de l'apparence d'une logique vigoureuse, de peintures exactes, et surtout
d'analyses pénétrantes du coeur de l'humain, correspondait
juste aux goûts dominants de son siècle.
Les derniers prédicateurs.
La grande supériorité
de Bossuet et de Bourdaloue tient à ce qu'ils dominaient leur public.
Mais, après
eux, l'éloquence religieuse s'est trouvée devenir un genre
littéraire. Trop souvent c'est le public qui domine le prédicateur.
On ne dédaigne pas de plaire. Et Fénelon, en faisant exprimer
à un auditeur son admiration, a eu soin de marquer combien l'art
prenait trop de place dans le sermon :
Le reste
du discours n'était ni moins poli, ni moins brillant; la diction
était pure, les pensées nouvelles, les périodes nombreuses;
chacune finissait par quelque trait surprenant. Il nous a fait des peintures
morales où chacun se trouvait : il a fait une anatomie des passions
du coeur humain qui égale les Maximes de M. de La Rochefoucauld.
Enfin, selon moi, c'était un ouvrage achevé. (Fénelon,
Dialogues sur l'éloquence, 1er
dialogue).
Sans doute cette critique
tombe surtout sur la masse des prédicateurs ordinaires. Mais les
plus grands de cette dernière époque n'y échappent
pas tout à fait.
Mascaron
et Fléchier.
Mascaron (1634-1703)
et Fléchier (1632-1710) sont célèbres
tous deux par une Oraison funèbre de Turenne (1675 et 1676).
Ils avaient fréquenté l'un et l'autre les salons. Fléchier
avait été l'un des derniers hôtes de l'Hôtel
de Rambouillet. Il était très fier de son style dont
il disait La nature y approche de l'art et l'art y ressemble à la
nature. (Portrait de Fléchier par lui-même en tête des
Grands Jours d'Auvergne).
Massillon.
Massillon
(1663-1742) se rapprocha davantage de la manière de Bossuet dans
le début célèbre de l'Oraison funèbre de
Louis XIV : Dieu seul est grand, mes frères, et dans ces
derniers moments surtout où il préside à la mort des
rois de la Terre, plus leur gloire et leur puissance ont éclaté,
plus, en s'évanouissant alors, elles rendent hommage à sa
grandeur suprême.
-
La vie humaine
« Hélas!
messieurs, que sont les hommes sur la terre? des personnages de théâtre.
Tout y roule sur le faux; ce n'est partout que représentations;
et tout ce qu'on y voit de plus pompeux et de mieux établi n'est
l'affaire que d'une scène. Qui ne le dit tous les jours dans le
siècle? Une fatale révolu. tion, une rapidité que
rien n'arrête, entraîne tout dans les abîmes de l'éternité
: les siècles, les générations, les empires, tout
va se perdre dans ce gouffre : tout y entre, et rien n'en sort. Nos ancêtres
en ont frayé le chemin, et nous allons le frayer dans un moment
à ceux qui viendront après nous. Ainsi les âges se
renouvellent; ainsi la figure du monde change sans cesse; ainsi les morts
et les vivants se succèdent et se remplacent continuellement. Rien
ne demeure; tout s'use, tout s'éteint. Dieu seul est toujours le
même, et ses années ne finissent point. Le torrent des âges
et des siècle coule devant ses yeux, et il voit, avec un air de
vengeance et de fureur, de faibles mortels, dans le temps même qu'ils
sont entraînés par le cours fatal, l'insulter en passant,
profiter de ce seul moment pour déshonorer son nom, et tomber, au
sortir de là, entre les mains éternelles de sa colère
et de sa justice. »
(Massillon,
Discours pour la bénédiction
des
drapeaux du régiment de Catinat).
|
Mais dans son Avent
(1699), dans son Grand Carême (1701), dans son Petit Carême
prêché devant Louis XV (1718), il se rattache plutôt
à Bourdaloue. Il enseigne une morale sévère et s'applique
à épouvanter les pécheurs, comme par exemple quand
il évoque devant eux le Jugement dernier
:
Si Jésus-Christ
paraissait clans ce temple, au milieu de cette assemblée, la plus
auguste de l'univers, pour nous juger, pour faire le terrible discernement
des boucs et des brebis, croyez-vous que le plus grand nombre de tout ce
que nous sommes ici fût placé à la droite? Croyez-vous
qu'il s'y trouvât seulement dix justes, que le Seigneur ne put trouver
autrefois en cinq villes tout entières? (Sur le petit nombre
des élus).
Fénelon
François
de Salignac de la Mothe-Fénelon (1651-1715) appartenait à
une famille de haute noblesse du Périgord,
mais nombreuse et pauvre. L'état ecclésiastique était
indiqué pour lui. Une foi très vive le lui fit embrasser
avec joie. A sa sortie du séminaire de Saint-Sulpice il fut nommé,
peut-être grâce à l'influence de Bossuet dont il s'était
fait le disciple, supérieur des Nouvelles Catholiques, sorte de
couvent où l'on évangélisait surtout de jeunes protestantes
nouvellement converties (1678). C'était pour Fénelon, à
Paris même, une sorte de mission. Aussi, après la révocation
de l'Édit de Nantes, fut-il chargé
d'aller en Aunis et en Saintonge
prêcher et convertir les protestants.
Le traité
de l'Education des filles (1687), écrit pour le duc et la
duchesse de Beauvilliers, révéla ses qualités de pédagogue.
Il fut nommé précepteur des ducs de Bourgogne, d'Anjou et
de Berry (1689). Mais le duc de Bourgogne, futur héritier du trône,
fut surtout l'objet de ses soins. Fénelon trouva en lui un élève
difficile, sur lequel il prit un très grand ascendant par son caractère
à la fois ferme, habile et souple. Selon la méthode de Bossuet,
il composa pour son élève différents ouvrages, entre
autres les Dialogues des Morts et Télémaque.
Il fut élu à l'Académie française (1693).
Deux ans après,
il était archevêque de Cambrai
et sacré par Bossuet. Il avait enfin une situation digne de sa naissance,
il savait que le futur roi ne serait pas ingrat. Mais l'affaire du quiétisme
(le quiétisme est la doctrine du pur
amour de Dieu, propagée eu France par Mme Guyon et que Bossuet fit
condamner), où il montra en même temps une adresse et une
obstination incroyables, lui valut sa disgrâce à la cour,
sa condamnation à Rome. La mort de son élève (1712)
ruina ses dernières espérances. Sa vie s'écroula au
moment où il croyait tenir sa revanche et le pouvoir. A part une
polémique contre le jansénisme et la rédaction de
sa Lettre à l'Académie, il ne s'applique plus qu'à
bien mourir (1715). `
Oeuvres.
Un certain nombre
des oeuvres de Fénelon sont posthumes;
d'autres comme le Télémaque ont été
publiées malgré lui. Elles comprennent principalement :
1° critique.
- Dialogues sur l'éloquence (1718), Lettre à l'Académie
française (1716).
• Dans
les Dialogues sur l'éloquence, Fénelon critique avec
sévérité les orateurs de son temps. Il fut lui-même
un prédicateur remarquable par sa facilité et son onction;
mais nous ne possédons de lui que deux discours officiels.
• La Lettre à
l'Académie fut écrite en 1713 à M. Dacier, et
publiée en 1716. Fénelon s'y montre sur certains points (éloquence,
histoire) un critique avisé. Il trahit sa préférence
pour les Anciens.
2° Education. -
Traité de l'Education des filles (1687-1789), Dialogues
des morts (1700-1712-1718), le Télémaque (1699).
• Dans
le Traité de l'éducation des filles, Fénelon
donne d'utiles et judicieux conseils aux mères de famille; il est
modéré, sensé, et devance sur plusieurs points la
pédagogie moderne.
• Fénelon
a composé pour le duc de Bourgogne des Fables, les Dialogues
des morts, et le Télémaque (1699), où il
résume presque toute la littérature grecque. Les contemporains
trouvèrent dans cet ouvrage une satire de Louis XIV et de son gouvernement.
3° Religion. - Sermons
(Sermon sur l'Epiphanie, 1685; pour le Sacre de l'Electeur de
Cologne (1707). Les Maximes des Saints (1695). Traité
de l'existence de Dieu (1712-1718).
• Le
Traité de l'existence de Dieu est une oeuvre de jeunesse, dont
la première partie est consacrée au développement
de la preuve par les causes finales, et la seconde à une démonstration
cartésienne de la Divinité.
4° Divers. - Examen
de conscience sur les devoirs de la royauté. Mémoires
concernant la guerre de la succession d'Espagne. Correspondance.
La séduction
de Fénelon.
Il semble que le
charme de Fénelon ait passé dans ses écrits, aussi
facile du reste à sentir que difficile à définir.
Complexité
de son art.
Car l'art y est
très complexe. Les Dialogues, comme le Télémaque,
sont d'un genre artificiel et faux. Les païens y parlent en chrétiens,
les anciens en modernes, et tous en pédagogues, si bien que le Télémaque
est, suivant le point de vue, un roman, un poème épique,
un pamphlet ou un traité. Mais cette complexité même
n'est pas sans agrément, surtout pour le lecteur cultivé
qui prend plaisir à retrouver toutes les allusions à l'Antiquité,
qui forment comme la trame soutenant ces éléments divers.
Pour prendre un exemple on peut, dans ce récit de la mort d'Hercule,
démêler des souvenirs des Trachiniennes de Sophocle
et des Métamorphoses
d'Ovide qui en forment le principal, mais aussi
une leçon destinée à Télémaque, et peut-être
une critique à l'adresse de Louis XIV :
Je le voyais
déraciner sans peine d'une main les hauts sapins et les vieux chênes
qui, depuis plusieurs siècles, avaient méprisé les
vents et les tempêtes. De l'autre main, il tâchait en vain
d'arracher de dessus son dos la fatale tunique : elle était collée
à sa peau, et comme incorporée à ses membres... Enfin
sa vertu surmontant sa douleur, il s'écria : « Tu vois, ô
mon cher Philoctète, les maux que les dieux me font souffrir, ils
sont justes; c'est moi qui les ai offensés; j'ai violé l'amour
conjugal. » (Télémaque, Livre XII).
Les
images vagues.
Fénelon surtout
tâche d'évoquer des images agréables. Les descriptions
sont faites à l'aide du vocabulaire poétique, et d'épithètes
vagues, dont l'accumulation doit donner comme ici une idée d'abondance
et de délices :
Télémaque
s'avança vers ces rois qui étaient dans des bocages odoriférants,
sur des gazons toujours renaissants et fleuris; mille petits ruisseaux
d'une onde pure arrosaient ces beaux lieux et y faisaient sentir une délicieuse
fraîcheur; un nombre infini d'oiseaux faisaient résonner ces
bocages de leur doux chant, etc. (Télémaque, XIV).
C'est un procédé
fréquent du Télémaque. On le retrouve
dans le Traité de l'Existence de Dieu. Il nous paraît
fade aujourd'hui, mais était une nouveauté pour l'époque.
-
Du vague
dans la peinture et dans l'éloge
« On a tant
de peur, dans notre nation, d'être bas, qu'on est
ordinairement sec
et vague dans les expressions. Veut-on louer un saint, on cherche des phrases
magnifiques; on dit qu'il est admirable, que ses vertus étaient
célestes, que c'était un ange et non pas un homme. Ainsi
tout se passe en exclamations sans preuve et sans peinture. Tout au contraire,
les Grecs se servaient peu de tous ces termes généraux, qui
ne prouvent rien; mais ils disaient beaucoup de faits. Par exemple, Xénophon,
dans toute la Cyropédie, ne dit pas une fois que Cyrus était
admirable; mais il le fait partout admirer. C'est ainsi qu'il faudrait
louer les saints en montrant le détail de leurs sentiments et de
leurs actions. Nous avons là-dessus une fausse politesse, semblable
à celle de certains provinciaux qui se piquent de bel esprit. Ils
n'osent rien dire qui ne leur paraisse exquis et relevé; ils sont
toujours guindés et croiraient trop s'abaisser en nommant les choses
par leurs noms. Tout entre dans les sujets que l'éloquence doit
traiter. La poésie même, qui est le genre le plus sublime,
ne réussit qu'en peignant les choses avec toutes leurs circonstances.
Voyez Virgile représentant les navires troyens qui quittent le rivage
d'Afrique, ou qui arrivent sur la côte d'Italie; tout le détail
y est peint. Mais il faut avouer que les Grecs poussaient encore plus loin
le détail, et suivaient plus sensiblement la nature. A cause de
ce grand détail, bien des gens, s'ils l'osaient, trouveraient Homère
trop simple. Par cette simplicité si originale, et dont nous avons
tant perdu le goût, ce poète a beaucoup de rapport avec l'Écriture;
mais l'Ecriture le surpasse autant qu'il a surpassé tout le reste
de l'antiquité, pour peindre naïvement les choses. En faisant
un détail il ne faut rien présenter à l'esprit de
l'auditeur qui ne mérite son attention, et qui ne contribue à
l'idée qu'on veut lui donner. Ainsi il faut être judicieux
pour le choix des circonstances; mais il ne faut point craindre de dire
tout ce qui sert; et c'est une politesse mal entendue que de supprimer
certains endroits utiles parce qu'on ne les trouve pas susceptibles d'ornements,
outre qu'Homère nous apprend assez par son exemple qu'on peut embellir
en leur manière tous les sujets.D'ailleurs il faut reconnaître
que tout discours doit avoir ses inégalités. Il faut être
grand dans les grandes choses; il faut être simple, sans être
bas, dans les petites : il faut tantôt de la naïveté
et de l'exactitude, tantôt de la sublimité et de la véhémence.
La plupart des gens qui veulent faire de beaux discours cherchent sans
choix, également partout, la pompe des paroles : ils croient avoir
tout fait pourvu qu'ils aient fait un amas de grands mots et de pensées
vagues. Ils ne songent qu'à charger leurs discours d'ornements;
semblables aux méchants cuisiniers qui ne savent rien assaisonner
avec justesse, et qui croient donner un goût exquis aux viandes en
y mettant beaucoup de sel et de poivre. La véritable éloquence
n'a rien d'enflé ni d'ambitieux; elle se modère et se proportionne
aux sujets qu'elle traite et aux gens qu'elle instruit; elle n'est grande
et sublime que quand il faut l'être. »
(Fénelon,
Dialogues sur l'éoquence, II, fin).
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La
facilité et l'harmonie.
Quand il ne recherche
pas ces effets, Fénelon a naturellement un style facile et élégant,
qui plaît par une harmonie un peu fluide. Les hiatus y sont rares
et les différents membres de la phrase s'y font équilibre
dans un rythme régulier, tantôt plus lent, tantôt plus
rapide et varié
Voilà
ce grand royaume si florissant sous un Roi qu'on nous dépeint tous
les jours comme les délices du peuple | et qui le serait en effet,
si les conseils flatteurs ne l'avaient point empoisonné. (Lettre
à Louis XIV).
Hélas! mon
bon duc, | Dieu nous a ôté toute autre espérance |
pour l'Eglise et pour l'Etat. | Il a formé ce jeune prince. | Il
l'a orné; | il l'a préparé pour les plus grands biens;
| il l'a montré au monde, et aussitôt, il l'a détruit.
| (Sur la mort du duc de Bourgogne, au duc de Chevreuse, 27 février
1712.)
Conclusion.
Fénelon,
écrivain aristocratique et attique, n'a pas les qualités
puissantes de Bossuet, qui s'imposent. Mais c'est un charmeur. Il a séduit
ses contemporains par sa personne et les grâces de ses ouvrages.
Il a enthousiasmé le XVIIIe siècle
par son amour de la paix, sa préoccupation constante du bonheur
des peuples, sa sensibilité, son image de prélat tolérant
et disgracié. Il irrite maintenant notre curiosité. Est-ce
un autoritaire ou un tendre, un ambitieux ou un apôtre, un aristocrate
ou un ami du peuple, un disciple de Ronsard ou
un précurseur de Bernardin de Saint-Pierre
et de Chateaubriand? Personnage merveilleusement
ondoyant et divers, il est tout cela en même temps; il tient au passé
et annonce l'avenir. (E. Abry / Ch.-M. Des Granges). |
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