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L'âge d'or de la littérature espagnole I - Le XVIe siècle |
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L'âge d'or de la littérature espagnole, s'étend du règne de Charles-Quint à l'avènement de la maison de Bourbon. On traitera dans cette page la partie de cette période qui se situe au XVIe siècle; ce qui concerne la littérature espagnole au XVIIesiècle est abordé dans une autre page. Poésie. Poésie lyrique. La tentative eut un succès inespéré, bien que les vers de Boscan, remarquables par la correction et l'harmonie, manquent de coloris, et se ressentent de l'affectation italienne. Garcilaso de la Véga (1503-1536), sans études classiques, aidé seulement de son talent et de son goût , tire tout à coup la poésie espagnole de l'enfance, la fait marcher sur les traces des Anciens et des Modernes les plus célèbres, et, l'ornant de grâces et de sentiments pris de son propre fonds, lui donne un langage doux, pur, élégant et harmonieux. Cependant il y a plus de véritable poésie dans telle de ses romances que dans ses vers italianisés, et l'on doit regretter qu'un homme si bien doué se soit borné à des imitations de Pétrarque et de Sannazar, mêlées à quelques souvenirs de Virgile, au lieu de puiser aux sources du génie national. Garcilaso fut l'exécuteur de la révolution poétique méditée par Boscan; il a fixé la langue de la poésie, et son tact exquis l'a si bien fait choisir dans le castillan, que les siècles n'ont pas vieilli son langage.
La réforme de la versification ne s'accomplit pas sans opposition : l'ancien système conserva des partisans, parmi lesquels on distingue Cristobal del Castillejo, remarquable par la grâce et le naturel avec lesquels il mania les anciens rythmes, mais dénué des fortes qualités nécessaires pour lutter heureusement contre les novateurs, qu'il flétrissait du nom de Pétrarquistes. Castillejo est de l'école de Santillana, avec un degré de correction de plus.
Le rival de Luis de Léon, Ferdinand de Herrera, surnommé le Divin, reçut, comme lui, les ordres sacrés. sujets, sentiments, pensées, images, tout en lui a de la grandeur : on voit que tel était le but où tendaient ses efforts, et la poésie, à son avis, devait se montrer toujours extraordinaire. Avec ce système, un génie vigoureux et beaucoup d'art, il semble qu'Herrera dût tenir le sceptre parmi les lyriques espagnols; mais, en visant sans cesse à la grandeur, il touche quelquefois à l'emphase. Herrera commença par payer le tribut d'admiration à Garcilaso, et composa des sonnets qu'une vive passion pour la princesse de Gelves lui inspira, mais qui ont quelque chose de la mollesse italienne. Son vrai génie brille dans l'ode à Don Juan d'Autriche, dans la cancion sur la bataille de Lépante et dans l'élégie sur la mort du roi Sébastien de Portugal. L'exemple de ces poètes lyriques, joint à l'extrême facilité d'aligner des vers en langue espagnole, a fait éclore une foule de rimeurs, qui ne méritent pas d'être cités. Nous en excepterons Lupercio Argensola, qui a joué le rôle de modérateur : il manqua de mouvement et de chaleur, mais fut homme de goût, et donna l'exemple de la perfection dans un rang secondaire. On a de lui de bons sonnets, et des épîtres morales qui lui ont valu le titre d'Horace espagnol. Poésie dramatique. Juan de la Encina, né en 1468, commença par traduire ou plutôt paraphraser les Églogues de Virgile. Puis il composa de petites pièces dialoguées en stances lyriques, intitulées Eglogas pastorales et Autos pastoriles, dont quelques-unes indiquent l'intention de représenter, ou plutôt de chanter les peines de l'amour. La plupart, religieuses par la couleur (l'auteur était prêtre), traitent de sujets relatifs à la mort et à la résurrection de Jésus. Dans deux pièces seulement, on remarque un commencement d'intention dramatique; ce sont : l'Ecuyer devenu berger, et les Bergers qui se firent courtisans. Quoique les pièces de Juan de la Encina ne soient, en général, que des essais informes, il mérite d'être regardé comme un grand poète, à cause de l'harmonie de sa versification, de la pureté et de l'élégance de son langage. On trouve dans ses Pastorales des morceaux dont les littératures les plus heureuses et les plus avancées pourraient s'enorgueillir. Le Portugais Gil Vicente, disciple de Juan de la Encina , cultiva le théâtre naissant avec un talent véritable. Ses pièces, quant à la forme et à l'intention dramatiques, ne sont guère plus avancées que celles de son prédécesseur; mais elles présentent plus de détails, une intention plus poétique, et surtout plus de variété dans la condition des personnages. Sa comédie d'El Viudo, et la Rubena, histoire d'une jeune fille séduite et abandonnée, méritent d'être citées; il y a des effets dramatiques d'une grande puissance. Gil Vicente a, le premier, consacré le nom d'Auto pour désigner particulièrement le drame religieux. Torres de Naharro était prêtre, et fut esclave à Alger pendant quelques années. C'est dans cette condition qu'il composa tous ses ouvrages. Sous le titre de Propaladia, il forma un recueil de pièces sacrées et profanes, ou l'on remarque un véritable progrès dramatique; telles sont : Soldadesca, Tinelaria, Aquilana, Calamita, Trofea, Himenea, Serafina, titres imités des comédies de Plaute. L'action régulière n'est pas créée encore, mais le poète la cherche, et il essaye de grouper ses inventions et ses caractères autour d'un sujet principal : il a une tendance manifeste à transporter dans le drame les personnages et les événements de la vie réelle. On doit une mention, dans le tableau des progrès du genre dramatique en Espagne, à la Célestine, bien que cette oeuvre n'ait pas été destinée à la scène. Lope de Rueda, né à Séville vers le commencement du XVIe siècle, comédien, directeur d'une troupe et auteur dramatique, passe pour le père du théâtre espagnol. Ses oeuvres sont de trois sortes : des dialogues entre bergers et bergères, à la manière de Juan de la Encina; de courtes scènes appelées pasos, coloquios, qui se passent entre laquais, rufiens, matrones, etc., tous personnages dépeints avec une rare perfection, et qui étaient représentées entre les actes ou journées des comédies, pour tromper l'impatience, toujours fort grande d'un public espagnol; enfin des comédies véritables sur un sujet donné. Lope de Rueda dut les progrès qu'il fit faire à l'art dramatique à l'étude de la Celestine et des comédies Torrès de Naharro : ses comédies tiennent de la Nouvelle, et sont, en partie, écrites en prose. Il perfectionna sensiblement la manière de développer les caractères. Les Espagnols admirent surtout le sel de sa plaisanterie, la vivacité de son dialogue, le tour châtié de sa phrase, l'harmonie de son style. C'est un des pères de la langue castillane, et nul écrivain, si ce n'est Cervantès, n'a possédé ces qualités au même degré. Le développement du théâtre national espagnol se trouva brusquement interrompu par une révolution littéraire qui menaça d'en changer pour toujours la forme et les destinées-: les Espagnols avaient rapporté d'Italie la connaissance et le goût de la littérature classique; ils reprirent avec passion l'étude des anciens modèles, et de nombreux érudits, Francisco de Villalobos, Simon Abril, Juan de Timonada, Juan Boscan, Fernand Perez de Oliva, s'exercèrent à les traduire ou à les imiter. C'est entre 1560 et 1580 que s'éleva ce théâtre rival, à côté de celui que Lope de Rueda avait légué à ses disciples. Les pièces qui se rapportent à cette époque appartiennent plus ou moins à l'imitation des formes antiques; les unes reproduisent les sujets de la littérature ancienne; les autres, en continuant de puiser leurs fables ou dans l'histoire ou dans les moeurs modernes, essayent de se rapprocher le plus possible des règles du drame classique. Nous avons, à partir de cette époque, un grand nombre de traductions et d'imitations des pièces les plus célèbres du théâtre grec et latin : Villalobos traduit l'Amphitryon de Plaute; Abril, le Plutus d'Aristophane, la Médée d'Euripide, et les six comédies de Térence; Juan de Timoneda imite les Ménechmes de Plaute, avec le Soldat fanfaron. On voit aussi des essais de tragédies par Vasco Diaz Tanco de Fregenal, Juan Boscanet Fernand Perez de Oliva. Ce dernier composa la Venganza de Agamemnon (Electre) et Hecuba triste. La plus régulière de ces pièces est la Didon de Cristobal de Viruès. Toutes celles qui ne sont pas de pures traductions ne peuvent être regardées que comme des drames informes où le faux goût domine : on y voit les images et les lieux communs classiques maladroitement associés aux allures romanesques du théâtre espagnol. Les deux ouvrages les plus célèbres de cette école sont les tragédies de Nise lastimosa (Inès infortunée) et Nise laureada (Inès couronnée), de Geronimo Bermudez. Quelques-uns des ouvrages dramatiques de Cervantès peuvent aussi se rapporter à cette période. Ce grand et clairvoyant génie sentait les défauts du drame populaire, que Lope de Véga allait faire définitivement prévaloir parmi les essais de tragédies qu'il écrivit pour donner à l'Espagne un genre qui lui manquait, nous citerons la Numantia, bel ouvrage qui a pour sujet la prise de Numance par les Romains. Cervantès lui préférait cependant Confusa, aujourd'hui perdue. Lupercio Argensola s'exerça aussi dans la genre classique. Ses tragédies, Isabela, Filis, Alejandra ne répondent pas au jugement favorable qu'en a porté Cervantès : malgré leur intention classique, elles renferment toutes les extravagances du drame populaire. Les essais de restauration classique ayant échoué, le théâtre national s'éleva rapidement à la hauteur qu'il devait atteindre. On fixe vers l'année 1590 ce retour à l'ancien théâtre, dont les plus notables progrès doivent être attribués à une école littéraire qui s'était formée à Valence. Les pièces du chanoine Francisco Tarrega, moins régulières que celles de ses compatriotes, présentent plus de beautés. Trois d'entre elles méritent une attention spéciale : la Fondation de l'ordre de la Merci, dont le sujet est à peu près le même que celui de la Zaïre de Voltaire; le Sang loyal des montagnards de Navarre, pièce fondée sur le même sentiment qui a inspiré les romances; l'Ennemie favorable, qui a un mérite égal. Guilhem de Castro est le plus fécond des poètes valenciens. Talent sérieux et grave, il s'étudie plus à émouvoir qu'à divertir. De tous les auteurs dramatiques de l'Espagne, il reste aussi celui qui a montré le plus de respect pour les traditions du pays. Son nom s'est répandu en France et partout où la gloire de Corneille a pénétré; mais ses ouvrages n'en sont pas plus connus, et la pièce même de la Jeunesse du Cid, qui a prêté à Corneille son chef-d'oeuvre, n'a été guère étudiée hors de l'Espagne. Guilhem de Castro a composé, sur la suite des événements de la vie du Cid, une seconde comédie, les Hauts faits du Cid, qui est peut-être plus belle que la première. Elle est surtout curieuse par l'emploi qu'a fait le poète des traditions et des romances populaires. Le sujet est le siège et la délivrance de Zamora, l'Ilion espagnol. Le Cid n'est plus ici un impétueux héros; c'est un sage qui dirige de ses conseils des actions des rois, et le plus parfait modèle de l'honneur espagnol. Citons encore, parmi les poètes dramatiques valenciens, Gaspardo Aguilar et Mira de Mescua, ce dernier, ami de Lope de Véga, qui composait avec lui des intrigues dramatiques. Lope de Véga, né en 1502, constitua le théâtre castillan d'une manière définitive : génie extraordinaire, les autres renommées s'effacent devant la sienne. Ses études ne furent jamais achevées; de là cette connaissance superficielle de l'Antiquité qui le dirigea sans doute vers la culture du drame national. Ses meilleures productions ne sont que des improvisations : pas une année sans poème, pas une semaine sans comédie. Lope gémissait de cette fécondité; mais l'horreur de la misère et le souvenir des difficiles années de sa jeunesse le poussèrent à travailler moins pour l'art que pour s'enrichir. Dans le genre dramatique seulement, il a laissé 2200 ouvrages authentiques, sans distinction de dates, ni de genres, et qui portent tous le nom de comédies : si l'on met de côté les Autos sacramentales (comédies sacrées), on distingue les pièces de Lope en comédies héroïques et en comédies de moeurs, quelquefois appelées de cape et d'épée, par allusion au costume de l'époque. Les premières roulent en grande partie sur l'histoire des temps héroïques de l'Espagne que Lope manie entièrement à sa fantaisie, en s'attachant de préférence aux traditions populaires consignées dans les romances. Cette catégorie de pièces répond en grande partie au genre appelé drame en France. Les pièces de la seconde catégorie sont des esquisses de moeurs analogues aux meilleures comédies-vaudevilles. L'imbroglio y tient une grande place; le Menteur de Corneille peut en donner une idée. Quelques-unes des pièces de cette espèce, imitation du drame pastoral italien, sont une copie de l'Aminta du Tasse et du Pastor fido de Guarini. Prose. Ecrivains moralistes, politiques et critiques. Guevara fut historiographe de Charles-Quint; son ouvrage le plus célèbre, Marc-Aurèle ou l'horloge des princes, est une espèce de roman politique et moral, où il se propose de tracer une image de Marc-Aurèle pour servir de modèle à Charles-Quint; mais il n'a produit qu'un portrait de fantaisie. Ce n'en est pas moins l'oeuvre d'un homme de bien et d'un esprit élevé : on trouve dans son livre quelque chose de la gravité imposante, particulière aux auteurs de l'Antiquité, des maximes et des sentences telles qu'on peut en attendre d'un homme distingué qui vécut toujours au milieu des plus grandes affaires. De là le succès de ce roman, qui fut traduit en latin, en italien, en français et en anglais. La traduction française, par Herberray des Essarts, était une des lectures favorites de La Fontaine, qui en a tiré sa belle fable le Paysan du Danube. Guevara noie trop souvent ses pensées dans un flot de paroles inutiles; il a de la redondance et de l'emphase. On cite encore de lui le Mépris de la cour, l'Éloge de la vie des champs, des Discours moraux imités du Cortigiano de Castiglione, et des Epîtres familières, traduites dans les principales langues de l'Europe, sous le nom d'Épîtres d'or. Antonio Perez, secrétaire de Philippe II, fut compromis dans le meurtre d'Escovedo, secrétaire de don Juan d'Autriche, se réfugia en France, et passa le reste de sa vie à Paris, occupé à rédiger des Mémoires justificatifs. Ses oeuvres politiques se composent des mémoires de sa vie (Relaciones), et des Commentaires sur ces Mémoires; il n a pas voulu écrire une histoire, son but unique est de se justifier. Mais le double sentiment de l'intérêt personnel et de la vengeance communique à son style une verité pleine de force. Ses Lettres, adressées pour la plupart au comte d'Essex, sont considérées comme des modèles du genre épistolaire. Perez, dont les Mémoires furent traduites dès leur apparition, a donné à la littérature française l'impulsion castillane, que la régence d'Anne d'Autriche fit, dominer jusqu'en 1650. Balzac en a tiré plus un aphorisme pompeux, ont allure n'est pas sans rapport avec l'éloquence de Corneille; et comment ne pas apercevoir dans les Lettres le modèle des Épîtres de Voiture? Nouvellistes ou romanciers. Le roman de chevalerie, qui avait pris naissance en France, semblait épuisé, lorsqu'il reparut en Espagne, vers la fin du XVe siècle, et opéra, en quelque sorte, une nouvelle floraison. L'Espagne avait conservé dans toute sa force l'enthousiasme militaire et religieux : ainsi s'explique comment naquit en ce pays un roman où des sentiments ailleurs effacés revivaient dans leur fraîcheur et leur énergie primitives, avec un air nouveau emprunté au climat et du sol natal. Ce roman est l'Amadis de Gaule, qui enfanta un type de chevaliers chantés à leur tour par d'autres écrivains. Une autre dynastie de chevaliers non moins féconde est celle des Palmerin. Les romans de chevalerie primitifs offraient la peinture des moeurs, des sentiments et des idées particuliers au Moyen âge. Les maladroits imitateurs de ces épopées romanesques tombèrent dans des écarts d'imagination inconcevables, et véritablement dangereux pour la raison et pour le goût. On se fatigua des grands coups d'épée, des géants vaincus et des monstres immolés. Alors le roman, exilé des camps, se réfugia au village, et la manie pastorale ne tarda pas à devenir à peu près aussi extravagante que la manie chevaleresque. Sannazar, Napolitain d'origine espagnole, imagina un récit en prose mêlée de vers, dizains et sonnets, où figurent des bergers imaginaires; il raconta sous leur nom l'histoire d'un amour malheureux qui absorba toute sa vie. Ce fut le premier exemple moderne du roman pastoral, le modèle que suivirent en Espagne Jorge de Montemayor, et en France Honoré d'Urfé. Montemayor ne s'inspire point de l'Antiquité, qu'il ignore : son talent est le fruit de sa veine. Il vécut sous l'empire d'une passion malheureuse, et dut à cette circonstance la langueur touchante qui caractérise le style de sa Diana. Les bergers qui y figurent cachent tous des personnages réels : l'auteur s'y est déguisé lui-même sous le nom de Sireno. C'est là une des causes du grand succès de cet ouvrage; l'autre tient à la perfection du style, à l'élégance des vers semés dans le récit. Montemayor laissa son oeuvre incomplète, et chargea du soin de l'achever un médecin de Salamanque, Alonzo Pérez, qui publia, en 1564, une seconde partie de la Diane, fort indigne de la première. Gil Polo a fait aussi une suite de la Diane, beaucoup mieux réussie. L'engouement pour le genre pastoral égala la passion pour les romans de chevalerie; Cervantès lui-même céda à cette nouvelle mode littéraire dans le roman de Galathée. Ses bergers expriment leur amour d'une manière trop souvent raffinée. Mais il avait l'esprit trop juste pour ne pas discerner les défauts d'un genre voué presque nécessairement à l'affectation. Il a consigné son jugement sur la pastorale en divers lieux du Don Quichote, et surtout dans son Dialogue de Scipion et Berganza, chiens de l'hôpital de Tolède. Lope de Vega a laissé aussi une Arcadie, où figure le géant Alastre, espèce de Polyphème amoureux de la jeune Chrysale; l'histoire est des plus bizarres; il y a quelques traits que Swift paraît avoir employés dans Gulliver. Citons enfin parmi les auteurs de pastorales romanesques : Antonio de Lofrasso, auteur de Los diez libros de Fortuna d'Amor; Luiz Galvez de Montalvo, qui publia, en 1582, El paslor de Filida; Bernardo Gonzalès de Bovadilla, à qui l'on doit les Nymfas y pastores de Henares. Les Espagnols, avons-nous dit, appellent Novelas toutes les productions du genre romanesque indistinctement le Don Quichotte de Cervantès n'est donc pas moins une nouvelle que les histoires courtes publiées par cet auteur sous le titre de Novelas ejemplares (Contes moraux). Le mérite principal de Mendoza et de ses successeurs serait donc d'avoir ouvert la voie qui conduisit Cervantès à la création de son chef-d'oeuvre : car Cervantès s'exerça d'abord dans les genres divers de la nouvelle, et le conte charmant des picaros Rinconete y Cortadillo a certainement précédé l'Histoire de Don Quichotte, puisqu'il y est fait allusion dans, la préface de cet ouvrage. Historiens. Après Fernand del Pulgar, on remarque parmi les chroniqueurs Florian de Ocampo, historiographe de Charles-Quint, et auteur d'une Chronique générale d'Espagne, dont il n'acheva que cinq livres, qui traitent des temps les plus reculés de la monarchie, ouvrage qui fut continué par Ambrosio de Moralès jusqu'à la réunion des royaumes de Castille et de Léon. Ces deux chroniqueurs ont peu de critique, de méthode et de style. Vers le même temps, Esteban de Garibay composa, en 40 livres, une histoire générale d'Espagne, sous le titre de Compendio historial; elle s'étend depuis les temps anciens jusqu'à la prise de Grenade; c'est un recueil fort savant et très bon à consulter. Nous en dirons autant des Anales de la corona de Aragon par Geronimo Zurita, et des Anales historicos de los reyes de Aragon par le P. Pedro Abarca. Zurita s'est principalement attaché à donner une idée exacte de la constitution d'Aragon, et à la décrire dans son origine et ses développements, mais l'art fait totalement défaut à ses vastes compilations. Tous ces essais d'histoire générale furent de beaucoup surpassés par l'oeuvre du P. Juan de Mariana, composition remarquable par la beauté de l'ordonnance et celle du style. II l'écrivit d'abord en latin, et la mit ensuite lui-même en castillan. L'Histoire générale d'Espagne parut en 1592, en 20 livres que l'auteur porta plus tard jusqu'à 30. II prit pour modèles Tite-Live dans le récit, Tacite dans les réflexions, et peignit de couleurs trop sombres certains personnages. On reproche à Mariana des inexactitudes, trop peu d'indépendance d'esprit, pour les préjugés de son temps, une incrédulité fâcheuse sur des faits certains, enfin des erreurs de chronologie. Malgré tout cela, on ne peut lui refuser une franche admiration, et il passe encore aujourd'hui pour le modèle du castillan classique. La renommée de Mariana a longtemps éclipsé d'autres historiens, qui, dans des sujets plus circonscrits, ont donné à leurs oeuvres plus de perfection. Au XVIe siècle, deux surtout méritent d'être connus : Hurtado de Mendoza et Diego Perez de Hita.( Ils seront suivis au XVIIe siècle par Francisco de Moncada et Francisco Manuel de Mello. D. Diego Hurtado de Mendoza (1503-1575), auteur d'une Histoire de la guerre de Philippe Il contre les Morisques de Grenade. La Guerre de Grenade est la dernière que les Maures soutinrent dans les montagnes des Alpujarras, de 1568 à 1570. Mendoza, prenant le sujet par son côté le plus sérieux, a voulu reproduire la manière des grands historiens de l'Antiquité; son modèle est visiblement Salluste. Favorisé par l'origine latine de l'espagnol, il en imite heureusement les tours et les sentences, quelquefois la concision et jusqu'à l'obscurité. Son style a un relief puissant, une force admirable mêlée quelquefois d'une pompe pardonnable à l'ancien ambassadeur de Charles-Quint. On sent que Mendoza n'aime pas les rigueurs exercées contre les Maures : tout son livre est un blâme indirect de la politique suivie par Philippe II. l'Histoire de l'expédition des Aragonais et des Catalansest un parfait modèle de narration historique. Nommons encore Diego Perez de Hita, auteur d'une Histoire des guerres civiles de Grenade, publiée en 1590, agréable mélange de l'histoire et de la poésie des romances. Florian l'a imitée dans son Gonzalve de Cordoue. (E. Baret). |
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