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Les lettres et les sciences
en Bourgogne
La Bourgogne a occupé très tôt une place dans l'histoire intellectuelle. Autun fut au Ier siècle de notre ère le centre des études littéraires et scientifiques dans la Lyonnaise. Ses écoles appelées Méniennes étaient fameuses, et dès le règne de Tibère les enfants des premières familles de la Gaule y venaient étudier en foule. Si Lyon n'avait pas d'écoles, elle avait des concours littéraires où rhéteurs se disputaient la palme de l'éloquence; c'est à l'empereur Caligula que la capitale de la Gaule devait cette institution. Après la conversion de la Gaule au christianisme, la Lyonnaise fut une des premières provinces qui vit apparaître des ouvrages de littérature sacrée. C'est ainsi que dès la fin du IIIe siècle, saint Retice, évêque d'Autun, écrivit contre l'hérésie de Novatien un ouvrage, perdu aujourd'hui, mais dont les anciens ne parlent qu'avec éloge le même prélat avait écrit un commentaire sur le Cantique des cantiques. Les écoles d'Autun étaient encore florissantes à cette époque; la direction en fut confiée, sous le règne de Constantin, à Eumène qui y enseignait l'éloquence, mais après la mort de cet illustre rhéteur, il semble que les écoles d'Autun aient perdu de leur éclat : l'histoire ne les mentionne plus. Les centres d'études s'étaient déplacés. Trèves et Toulouse attiraient les étudiants.

Dans les dernières années du IVe siècle naquit à Auxerre saint Germain, qui eut parmi ses contemporains un grand renom d'éloquence; au sortir des écoles des Gaules il était allé étudier le droit à Rome. Il se distingua d'abord dans les charges civiles, puis fut élu évêque d'Auxerre en 418. Il alla prêcher la doctrine orthodoxe dans la Grande- Bretagne où s'était développée l'hérésie pélagienne. A la fin du Ve siècle, la Bourgogne fut gouvernée par un prince ami des belles-lettres. Gondebaud, en effet, avait une grande pénétration d'esprit; il s'intéressait aux discussions religieuses, et, quoiqu'il fût arien, il connaissait la doctrine catholique. Il prit part aux discussions qui eurent lieu à Lyon en 499 entre les évêques catholiques et les ariens. Au VIe siècle naquit à Autun Marius, devenu évêque d'Avenches en 581, et qui écrivit une chronique s'étendant de 455 à 581. Au milieu des troubles qui agitèrent la Bourgogne à la fin du même siècle brilla le saint évêque d'Autun, Léger.

Au VIIIe, siècle, l'école de l'abbaye de Saint-Germain d'Auxerre commença à avoir quelque réputation. Mais elle atteignit son apogée au IXe siècle, époque où les rois de France y envoyèrent leurs fils pour y être instruits. C'est Ià que vécut le moine Héric, à qui Charles le Chauve confia l'éducation de son fils Lothaire. Poète, historien et théologien, il écrivit en vers latins une vie de saint Germain, et composa en prose deux livres des miracles du même saint; on lui doit encore plusieurs homélies. Il travailla avec deux chanoines d'Auxerre, Alagus et Raimogala, à l'histoire des évêques d'Auxerre, Gesta pontifacum Autissiodorensium, jusqu'à l'évêque Wala, mort vers 880. Cette histoire fut continuée par divers auteurs auxerrois jusqu'en 1278. C'est encore au IXe siècle que se place la composition des Annales de l'abbaye de Flavigny, qui s'étendent jusqu'à l'année 853.

L'un des disciples d'Héric d'Auxerre fut Remi, théologien; il fut appelé à Reims vers 885 ou 890 par l'archevêque Foulques pour rétablir les écoles de Reims; il professa aussi à Paris. La fondation de Cluny à la fin du Xe siècle provoqua une renaissance littéraire en Bourgogne. Bernon, le fondateur de Cluny, avait institué des écoles. C'est à l'abbé saint Odon qu'est adressé le prologue d'un poème d'Anselme, moine de Saint-Germain d'Auxerre. L'abbé saint Odilon a laissé des sermons et de nombreux écrits. C'est lui qui provoqua le moine Raoul Glaber à écrire son histoire qui s'étend de l'an 900 à l'an 1044. Saint Hugues, abbé de Cluny, passa pour l'un des meilleurs orateurs de son temps. A la fin du XIe siècle, Falcon, moine de Tournus, composa sur l'ordre de son abbé Pierre, une chronique latine de l'abbaye qui s'étend jusqu'en 1087. Un autre moine de Tournus, Garnier, écrivit au commencement du XIIe siècle un ouvrage sur la passion, la translation et les miracles de saint Valérien, Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, mort en 1156, augmenta considérablement la bibliothèque de son monastère. Il fut le contemporain d'un homme, à la fois orateur,  écrivain et politique, dont il suffira de rappeler le nom, saint Bernard. Un autre écrivain de la même époque, Gilbert, dit l'Universel, et pour qui saint Bernard avait une grande considération, naquit à Auxerre, et fut même maître des écoles de l'église de cette ville. Geoffroy d'Auxerre, qui avait étudié sous Abélard, fut moine à Clairvaux durant treize ans sous saint Bernard, à qui il servit de secrétaire. Garnier, abbé de Clairvaux, mort en 1199, composa des écrits théologiques. Vers le même temps, Alain, qui fut évêque d'Auxerre de 1152 jusqu'en 1167, puis se retira à Clairvaux, écrivit une vie de saint Bernard. Les monastères de Saint-Germain d'Auxerre, de Cluny et de Clairvaux n'étaient pas les seuls en Bourgogne où l'on cultivât les lettres. Vers 1125 furent composées les Annales de Saint-Bénigne de Dijon, qui commencent à l'année 564 et furent continuées jusqu'en 1285. A la fin du XIIe siècle le moine Jean, de l'abbaye de Bèze, composa les Annales de son monastère qui ne constituent un récit original qu'à partir de 1179; elles s'arrêtent à l'année 1474.

En 1212 mourut à Auxerre le moine Robert de Saint-Marien, qui avait composé une célèbre chronique universelle, imprimée pour la première fois en 1608 par Camuzat, chanoine de Troyes. Au XIIIe siècle nous n'avons guère à signaler que des théologiens, Pierre d'Auxerre, Guillaume d'Auxerre, Herbert d'Auxerre, Lambert dominicain d'Auxerre. Cependant Autun donna le jour à Jean de Blanasco, jurisconsulte qui a laissé un Ordo judiciarius, imprimé à Lyon en 1515, et un Tractatus de actionibus, imprimé dans la mérite ville en 1542. Gui, qui fut abbé de Saint-Germain d'Auxerre de 1285 à 1309, fut un des historiens les plus remarquables du XIIIe siècle. Il écrivit l'histoire des abbés ses prédécesseurs jusqu'en l'année 1290.

Les ducs de Bourgogne de la seconde dynastie se montrèrent protecteurs éclairés des lettres. Philippe le Hardi fut grand amateur de livres; il fonda cette bibliothèque des ducs de Bourgogne que ses successeurs augmentèrent et qui a été le noyau de la grande bibliothèque de Bruxelles appelée encore, en souvenir de son origine, bibliothèque de Bourgogne. Philippe le Hardi employa à la transcription et à l'ornementation de ses manuscrits des calligraphes et les meilleurs enlumineurs de son temps. On admire encore à la Bibliothèque nationale de Paris, sous le n° 167 du fonds français, une bible historiée dont ce prince avait confié la décoration en 1401 aux deux enlumineurs Polequin Manuel et Janequin Manuel. Jean sans Peur se préoccupa moins que son père d'enrichir sa bibliothèque. Mais Philippe le Bon eut pour les livres une véritable passion. 

« Nonobstant, dit David Aubert dans le prologue de la Chronique de Naples, que ce soit le prince sur tous autres garny de la plus riche et noble librairie du monde, si est-il moult enclin et désirant de chascun jour l'accroistre, comme il fait, pourquoy il a journellement et en diverses contrées grans clercs, orateurs, translatteurs et escripvains 'a ses propres gaiges, occupez à ce. » 
Charles le Téméraire augmenta encore la librairie de ses prédécesseurs. Les ducs ne se contentèrent pas de réunir des livres. Ils firent faire des résumés en prose des romans de chevalerie et des traductions des classiques grecs et latins. On lit dans un manuscrit de Bruxelles, provenant des ducs de Bourgogne, cette curieuse mention : 
« Ceste histoire a esté translatée de grec en latin et de latin en flamenc; depuis a esté transmuée en langaige franchois le desrain jour de mars l'an mil CCCCLVI. »
 C'est à la cour de Philippe le Bon que furent composées les Cent nouvelles nouvelles recueillies par Antoine de la Sale. Il se forma à la même cour une école historique d'un caractère officiel dont les plus illustres représentants sont Hugues de Tolins, Georges Chastellain d'Alost, Olivier de la Marche, historiographes de Philippe le Bon; et encore Jean du Clercq, Molinet, et Philippe de Commines

Les seules sciences que les ducs de Bourgogne aient encouragées ont été l'astronomie et l'astrologie. Les comptes ducaux mentionnent les noms de sept astrologues qui furent en relations avec les ducs. On relève aussi ces deux mentions intéressantes :

« A maistre Guillaume Hobit, astronomyen, pour l'ouvraige d'une mappemonde selon Ptolémée, où il a varquié l'espace de trois ans et demi... » « A maistre Henry Arnault de Zubolis (Zwollis), maistre en médecine et astrologie, demeurant à Dijon, la somme de mille francs, monnoie royal, laquelle pour cause de certain notable et subtil ouvrage que icelui seigneur lui a fait faire du mouvement de sept planettes et de la VIIIe et IXe sfère ».
Le poète Jean Regnier, bailli d'Auxerre, mort après 1463, a composé un grand nombre de poésies remarquables publiées en 1526 sous le titre de les Fortunes et Adversités de Jehan Regnier.

A partir du XVIe siècle les lettres furent surtout cultivées par les gens de robe. Le plus célèbre des avocats littérateurs en Bourgogne au XVIe siècle fut Etienne Tabourot dit des Accords (1549-1590), qui fut un homme d'esprit et d'érudition mais ne laissa que des oeuvres légères. D'autres avocats ont cultivé des genres plus sérieux. Pierre de Changy (1482-1543) a laissé divers ouvrages sur l'éducation et l'instruction des femmes. François Fustaillier, avocat à Mâcon, a écrit une chronique latine de sa ville natale imprimée en 1559, puis traduite en français et réimprimée en 1560. Citons encore le jurisconsulte Jean Despringles (1550-1626), avocat au parlement, à qui l'on doit des commentaires sur la coutume de Bourgogne et un recueil d'arrêts du parlement. L'un des premiers orateurs politiques de France, Pierre Jeannin (1540-1623), homme d'un esprit vigoureux, d'un caractère désintéressé et de moeurs antiques, était né à Autun. II conservera toujours la gloire de s'être opposé au massacre de la Saint-Barthélémy en Bourgogne.

L'une des familles parlementaires où le culte des lettres fut le plus en honneur au XVIIe siècle fut celle des Bouhier. Le premier du nom fut Etienne Bouhier, conseiller au parlement de Bourgogne qui s'illustra par son dévouement pendant la peste de 1629. Jean Bouhier, son fils (1605-1671) fut à la fois bibliophile, antiquaire et naturaliste; il n'a laissé que des oeuvres manuscrites dont la principale concernait le divorce de Philippe-Auguste. Son neveu (1655-1735) s'adonna à l'histoire et à l'étude du droit. Enfin le plus célèbre de tous fut Jean Bouhier (1673-1746), président à mortier, membre de l'Académie française. Un autre académicien, d'origine bourguignonne, fut Bernard de la Monnoye, avocat au parlement de Dijon, écrivain très fécond (1641-1728). Citons encore les avocats Louvan Géliot qui fit des poésies, et Jean Godran de Chasans (1606-1683), qui a laissé avec des poésies latines et françaises une histoire des chevaliers de la Toison d'or. Parmi les historiens nous mentionnerons Philibert de la Marc (1615-1687), conseiller au parlement, qui fut en relations avec les plus savants hommes de son temps et qu'on n'a pas craint de comparer à Dethou; et aussi Claude Fyot de la Marche qui publia en 1696 une histoire de l'église Saint-Etienne de Dijon. Les jurisconsultes furent nombreux : Charles Févret (1583-1661), Job Bouvot, Nicolas de Chevanes, etc. L'éloquence sacrée est représentée par le jésuite François Duneau (1599-1684). André Lasare Bocquillot, né à Avallon en 1649 et mort en 1728, curé de Chastellux, a laissé un grand nombre d'homélies et quelques notices historiques.

Le XVIIIe siècle fut surtout le siècle de l'érudition. Qu'il suffise de rappeler les noms célèbres du président de Brosses (1709-1777), de l'abbé Papillon (1666-1738), de Lacurne de Sainte-Palaye (1697-1781), de L'abbé Lebeuf (1687-1760), de l'abbé Courtépée (1721-1781), de l'abbé Gandelot (1714-1785), de Boullemier (1725-1803). En 1725 fut fondée par Pouffer, conseiller au parlement de Dijon, l'Académie des sciences, arts et belles-lettres de Dijon, définitivement constituée en 1740. Dissoute en 1793, elle fut reconstituée en 1798 sous le nom de Société libre d'agriculture, sciences et arts de Dijon; elle ne reprit son nom primitif qu'en 1802. En 1750, une société analogue s'était fondée à Auxerre sous la présidence de M. de Caylus; elle ne dura que vingt ans, car l'évêque M. de Cicé la fit supprimer par lettres de cachet, il craignait que le jansénisme, qu'il combattait, n'y trouvât un abri.

Les sciences furent aussi cultivées avec succès en Bourgogne au XVIIIe siècle. Le chirurgien Jean-Plilibert Maret (1705-1780) exerça la médecine à Dijon. Son neveu Hugues Maret (1726-1785) acquit plus de célébrité; il se déclara partisan de l'inoculation qui précéda la vaccine et fut l'un des trois professeurs qui en 1773 ouvrirent des cours publics dans le Jardin botanique créé par Legouz de Gerland. On doit à un autre chirurgien, Jean-Jacques-Louis Hoin (1722-1772), des mémoires remarquables. Au milieu du XVIIIe siècle le père Nicolas Grozelier, oratorien, publia des observations physiques qui eurent un grand succès. Enfin citons le botaniste auxerrois Laurent-Germain Mérat (1712-1790). (M. Prou).

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