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De
1689 à 1727.
C'est cette période qu'on désigne
généralement sous le nom de Siècle de la reine
Anne. L'école française
y domine. Le caractère commun de tous les écrivains qui y
figurent, c'est le bon sens, la correction et l'élégance.
Jamais la langue anglaise n'a été
employée avec plus de goût ni écrite avec plus d'art.
Les poètes n'ont rien de la pétulance
et de l'inégalité puissante qui distinguent les écrivains
du siècle d'Élisabeth. Ils
sont clairs, précis et sobres; ils suivent les règles de
l'Art poétique
de Boileau.
Le premier en date, c'est Prior, homme
politique, diplomate, représentant de la cour d'Angleterre
à Versailles. Au milieu de ses
travaux officiels, il trouve le temps d'écrire des odes,
des chansons, des épîtres,
des épigrammes et des contes.
Sa versification facile et harmonieuse, semée de traits piquants
et de vives images, fait penser à Horace,
qu'il avait pris pour modèle.
Pope se rapproche
encore plus du poète latin,
et mérite de lui être comparé pour la pureté
de son goût et l'élégance soutenue de son style. C'est
le plus classique des poètes anglais. Tout ce qui sort de sa plume
est délicat et châtié. L'école moderne l'a beaucoup
attaqué : mais elle n'a pu ébranler sa renommée; elle
n'a pu lui enlever le mérite d'avoir composé, dans des genres
divers, les oeuvres les plus achevées de la poésie anglaise.
il montre dans la Forêt de Windsor un sentiment vrai des beautés
de la nature, dans l'Epître d'Héloïse
à Abélard une sensibilité
touchante, dans l'Essai sur la critique un goût très
sûr, dans la Dunciade
le talent de la satire, et dans l'Essai
sur l'homme l'âme d'un philosophe et d'un sage; partout il a
l'imagination et le style d'un poète. Byron,
le plus grand des romantiques, témoignait pour lui une admiration
aussi grande que celle de Voltaire pour Boileau.
Dans l'opéra
et dans la pastorale, Gay
obtint un succès qu'il dut au naturel et à la grâce
aisée de son style. l'Hermite de Parnell, que Pope
appelait une oeuvre excellente, valut à son auteur une popularité
méritée. A côté de ces noms aimés du
public, donnons un souvenir aux noms plus obscurs de Green, de la comtesse
de Winchelsea, et de Sommerville.
La littérature
dramatique de cette période n'offre que des oeuvres de second
ordre : l'inspiration manque aux écrivains qui travaillent pour
le théâtre. Southerne, le successeur d'Otway,
qui rencontre quelquefois le pathétique dans la tragédie,
est trop inférieur par le langage à toute l'école
de Shakespeare pour mériter de lui
être comparé. Le Caton d'Addison,
composé dans le goût français, satisfait l'esprit par
une régularité classique, sans provoquer l'émotion
que fait naître la grande tragédie.
La comédie reproduit surtout l'image
des moeurs artificielles et dépravées de la cour; elle ne
s'élève pas jusqu'à la comédie de caractère,
mais elle dénoue gaiement l'intrigue espagnole
que Beaumont et Fletcher ont naturalisée en Angleterre.
Les pièces de Wycherley, de Congreve
et de Farquhar ne manquent ni de sel ni d'esprit.
La prose nous offre un genre nouveau de
littérature qui a été l'origine de la Revue moderne
: c'est l'Essai périodique, paraissant chaque semaine, et
consacré à peindre les moeurs nationales ou à reproduire
les traits généraux de la nature humaine. Le fondateur du
genre fut Steele, qui créa le Babillard; et l'écrivain
qui s'y illustra le plus fut Addison, dans
le célèbre Spectateur (Essayistes).
L'influence des Essais fut également
favorable à la langue. Addison particulièrement donna à
la prose une correction et une pureté élégante dont
on ne trouve avant lui que bien peu d'exemples.
En 1749, Daniel de
Foe, un des écrivains les plus féconds de l'époque,
inaugura le roman moderne dans la fiction si
populaire de Robinson Crusoé.
Mais nul, parmi les prosateurs de cette époque, n'égale la
verve et la puissance de Swift, qui appliqua à
l'observation et à la satire du monde l'esprit le plus incisif,
soutenu par un impitoyable bon sens. Il attaqua les préjugés
de ses comtemporains tantôt sous le voile de la fiction , comme dans
ses romans, tantôt directement et sous la forme du pamphlet,
comme dans ses Lettres d'un Drapier, où il défendit
la cause de l'Irlande.
Aucun écrivain ne ressemble plus à Rabelais,
dont il a l'ironie et le cynisme.
Autour de Swift
et de Pope se groupent des esprits distingués
qui partagent leurs opinions politiques et leurs goûts littéraires.
Dans les rangs de ces Jacobites mécontents, disgraciés et
enclins à la satire, on voit figurer le Dr Arbuthnot,
qui a ridiculisé le duc de Marlborough dans son Histoire de John
Bull, et Bolingbroke, homme d'État
malheureux et philosophe spirituel, dont la conversation valait mieux que
les écrits, et qui a emporté dans la tombe une partie du
secret de sa renommée. A la même époque, le style épistolaire,
que Cowper avait déjà employé
avec grâce, fut rajeuni par lady Montagu,
femme de l'ambassadeur d'Angleterre
auprès de la Porte Ottomane,
qui a daté de son voyage en Orient une série de lettres poétiques
et piquantes.
Dans ce siècle si littéraire
de la reine Anne, la philosophie
ne fut pas négligée. Elle eut pour représentant Shaftesbury,
auteur des Recherches sur la vertu et d'une lettre
célèbre sur l'enthousiasme, un des esprits les plus hardis
du XVIIe siècle, et Berkeley,
créateur d'un système idéaliste,
en vertu duquel les corps n'existent pas et n'offrent à nos regards
qu'une apparence mensongère. A la même époque appartient
le plus grand érudit de l'Angleterre, Bentley,
éditeur d'Horace, de Térence
et de Phèdre.
Dans la théologie, nous trouvons le
nom du célèbre docteur Clarke, l'adversaire
de Spinoza et de Hobbes,
et le correspondant de Leibniz, et, au-dessous
de lui, ceux de Leslie et de Doddridge.
De 1727 à
1780.
Ce n'est pas une des plus grandes époques
de la littérature anglaise;
mais c'est une des plus fécondes, c'est surtout celle où
les lettres font le plus de progrès dans le peuple et pénètrent
le plus avant dans les classes populaires. Le roman
y domine, et c'est là un des signes caractéristiques du temps;
car, de toutes les productions de l'esprit, c'est celle qui. s'adresse
au plus grand nombre de lecteurs.
La
poésie.
Pope vit encore
pendant une partie de cette période; mais à côté
de lui s'élèvent des renommées nouvelles. Blair
compose le poème sévère qu'il intitule le Tombeau.
Edward Young écrit ses Nuits,
qui ne respirent pas, comme l'ont cru des lecteurs superficiels, la mélancolie
douce du XIXe siècle, mais qui expriment
les déchirements douloureux d'une âme éprouvée
et blessée par la vie. James Thomson élève
le genre descriptif, dans les Saisons,
par la noblesse du sentiment moral, par la vivacité du patriotisme
et par l'amour de la liberté qui éclairent les scènes
qu'il emprunte à la nature. Collins écrit des Églogues
orientales et des Odes, plus remarquables par l'éclat
du coloris que par la nouveauté ou la force de la pensée.
Akenside prend pour sujet, dans un poème
trop souvent philosophique et abstrait les Plaisirs de l'imagination.
Les Odes pindariques de Gray sont comparables
aux plus beaux morceaux de poésie lyrique
qu'ait produits la littérature
anglaise. Son élégie du
Cimetière a été traduite dans toutes les langues.
Macpherson acquit, sous le nom d'Ossian, une popularité qu'il dut
en grande partie au mystère dont il entoura son oeuvre, mais qui
dure encore malgré la découverte de sa supercherie (Ossian).
Nous ne pouvons oublier, dans cette revue rapide des poètes du XVIIIe
siècle, Chatterton, mort à dix-huit
ans, après avoir écrit, dès l'âge de onze ans,
des vers éloquents, qu'il attribuait, pour leur donner plus de prix,
à un prêtre du XVe siècle.
Un marin, Falconer, décrivit, d'après
nature, dans ses poésies, toutes les émotions de la vie maritime
et les horreurs de la tempête. Charles
Churchill, dans la satire, approcha de
la vigueur et de l'originalité de Dryden.
Beattie, dans son poème du Ménestrel,
associa aux descriptions de la nature l'analyse des sentiments philosophiques
que la solitude fait naître dans l'âme humaine. Citons aussi,
pour mémoire, les noms de Merrick, de Cunningham
et de Christopher Austey.
Le
théâtre.
Le théâtre
subit, pendant cette période, l'influence du goût français;
il devient plus correct et plus régulier; la séparation du
tragique et du comique, que Jonson avait déjà indiquée
du temps de Shakespeare, mais qui depuis
n'avait pas été achevée, est posée, d'après
nous, comme une des lois fondamentales de l'art dramatique. II ne se produit
malheureusement pas d'oeuvres originales; mais le génie de l'acteur
Garrick donne la vie et la popularité
aux pièces qu'il interprète. Plusieurs des poètes
les plus connus du temps ont écrit des tragédies.
Young a fait la Vengeance, le Dr Samuel
Johnson une Irène, et Thomson une
Sophonisbe, un Agamemnon et un Coriolan. De toutes
ces oeuvres, la plus tragique est le Douglas de Home.
La comédie, plus heureuse que la tragédie,
fait, au contraire, quelques progrès dans le courant du XVIIIe
Elle se débarrasse de l'affectation et de la licence de Vanbrugh
et de Farquhar, et, entre les mains de Colman,
de Garrick et de Richard Cumberland, elle
devient, la peinture vive, piquante et naturelle des moeurs du temps. Tout
le monde connaît les jolies comédies de Sheridan, les pièces
les plus spirituelles et les plus gaies qui aient été écrites
en anglais.
Le
roman.
Mais l'observation profonde des caractères
et des moeurs semble avoir passé, à cette époque,
du théâtre dans le roman. Ce ne
sont plus les auteurs dramatiques, comme sous le règne d'Elisabeth,
ce sont les romanciers qui peignent le monde. Cinq d'entre eux tiennent,
parmi les prosateurs du XVIIIe siècle,
le rang le plus élevé.
Saluel Richardson
est le peintre du coeur humain; il a au plus haut degré le don du
pathétique. J.-J. Rousseau disait, en
parlant de son oeuvre principale (Clarisse
Harlowe)
:
"On
n'a jamais fait encore, en quelque langue que ce soit, un roman égal
à Clarisse, ni même approchant."
Henry Fielding,
moins touchant que Richardson, est le peintre spirituel et vrai de la société
et de la vie réelle. Il ne cherche pas à remuer les coeurs,
mais il intéresse vivement les esprits par la variété
et par l'exactitude des tableaux qu'il leur présente (Tom
Jones).
Smollett, poète, historien, traducteur
et critique, qu'on connaît surtout sur le continent comme le continuateur
de Hume, a laissé des romans très
populaires en Angleterre, où ils sont beaucoup plus estimés
que ses travaux historiques. Il y a peu de livres classiques que
les Anglais lisent plus que Rodrigue Random et Peregrine Pickle.
Ils y trouvent, avec la vérité des peintures, une gaieté
intarissable et une verve comique qui relèvent les moindres sujets.
Sterne, si connu en France, a exercé
une grande influence sur le goût de ses contemporains : il a mis
à la mode le mélange de sentiment et de badinage qui fait
l'agrément de ses oeuvres (Voyage
sentimental);
c'est, avec Thackeray, le plus célèbre
des humoristes anglais.
A l'école de Sterne appartient un
écrivain plus délicat, mais moins original et moins amusant
que lui, Henry Mackensie, l'auteur de l'Homme sensible, de l'Homme
du monde et de Julie de Roubigné.
Le roman le
plus aimable de cette glorieuse époque est encore le Vicaire
de Wakefield
de Goldsmith, où règne un ton
de bienveillance et de douce philanthropie qui en rend la lecture agréable
dans tous les temps et à tous les âges. Beaucoup d'étrangers
ne savent pas que Goldsmith a fait des vers, quoiqu'il en ait écrit
d'excellents; mais tout le monde sait qu'il a été romancier.
C'est son roman qui a fait vivre son nom.
Le goût de la fiction est si général
en Angleterre au XVIIIe
siècle, que les esprits les plus graves vont chercher un délassement
dans ce genre de composition. C'est ainsi que le Dr Samuel Johnson écrit
Rasselas, et Horace Walpole le Château
d'Otrante.
L'histoire.
L'histoire
est aussi représentée par de grands noms dans cette heureuse
période de la littérature
anglaise : elle s'inspire de l'esprit critique et pénétrant
de la philosophie moderne, en même temps qu'elle s'entoure de tous
les agréments du langage. En 1754 parut le premier volume de l'Histoire
de la Grande-Bretagne de Hume. C'est un ouvrage
qui, depuis longtemps, ne fait plus autorité au point de vue historique,
mais que la clarté élégante du style et l'art des
récits rendent toujours attachant et instructif. Robertson,
auteur de l'Histoire d'Ecosse n'a ni l'atticisme
ni la grâce de son rival; mais il est savant, ses vues sont larges
et libérales, et il arrive à l'éloquence par la sincérité
et par l'élévation morale du sentiment. Aux qualités
communes de ces deux historiens Gibbon joignit
des connaissances plus vastes; dans son Histoire de la décadence
et de la chute de l'empire romain, il embrasse un sujet plus grand
qu'aucun de ses prédécesseurs, et il y déploie une
étendue d'esprit que ni Hume ni Robertson n'ont égalée.
Mais son style tourne souvent à l'emphase, et, sans qu'il puisse
prétendre au mérite de l'impartialité, l'âme
de l'historien ne se fait pas assez sentir dans une oeuvre où l'esprit
de parti domine.
La
philosophie et la théologie..
Parmi les philosophes, nous retrouvons
le nom de David Hume, qui a attaqué l'idée
de cause et le rapport de cause à effet, et créé un
scepticisme d'un nouveau genre qui nous réduit
au nihilisme. Reid,
dont la philosophie
(L'école
écossaise) a eu tant de retentissement en France,
fut l'adversaire de Hume, et appliqua la méthode d'observation à
l'entendement humain. Le poète Beattie
entra aussi en lutte contre l'école sceptique, mais avec trop d'imagination
et sans s'astreindre aux formes rigoureuses de la logique.
A l'école philosophique du dernier siècle appartient encore
Adam Smith, aussi estimé comme moraliste
que comme économiste, et qui, dans sa Théorie des sentiments
moraux, explique toute la morale par la sympathie,
et, dans sa Richesse des nations, recommande la division du travail,
ainsi que la liberté entière du commerce et de l'industrie.
La théologie
excite alors des controverses dans lesquelles on déploie beaucoup
d'habileté et de science. Au nombre des théologiens, on compte
surtout Warburton, Whitefield, Wesley, le Dr Blair, plus connu encore comme
critique que comme auteur de sermons et le Dr Gerorge
Campbell, qui a écrit, en réponse à Hume,
une Dissertation sur les miracles.
Et
dans divers genres...
Les littérateurs purs, qui ne peuvent
se ranger dans aucune catégorie déterminée, forment
alors une classe nombreuse. A leur tête se place naturellement Samuel
Johnson, critique excellent, plein de vigueur et de goût : ses Vies
des poètes ont longtemps fait autorité. Burke,
si célèbre comme orateur et comme politique, a aussi composé
un ouvrage purement littéraire, son Traité sur l'origine
des idées du sublime et du beau, qui renferme des aperçus
neufs et élevés. En 1769 parurent les Lettres de Junius,
dont l'auteur n'est pas bien connu; c'est le plus incisif et le plus spirituel
des pamphlets. Dans le style épistolaire,
les lettres de lord Chesterfield à
son fils renferment d'excellents conseils, sinon de morale, du moins de
conduite et d'habileté diplomatique. Mais le maître du genre
en Angleterre, c'est Horace Walpole, dont la
Correspondance réunit toutes les qualités qui font
l'agrément du style familier, l'aisance, l'abandon, l'originalité
de l'esprit, et un enjouement qui égaye les sujets les plus arides.
On a aussi des lettres du grand orateur Chatham. L'éloquence parlementaire,
qui compte des noms tels que ceux de Chatham, de Burke, de Fox
et de Sheridan, n'est pas un des genres littéraires les moins remarquables
de cette remarquable époque. (AM) |
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