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Littérature > La France > Le Moyen âge |
La littérature courtoise du XIe au XVe siècle |
Constitution
de la société courtoise.
Dès le XIe siècle se constituent, surtout dans le Midi et le Sud-ouest de la France, en Provence, en Aquitaine, des centres de vie aristocratique. Là, dans la paix, les moeurs des nobles s'adoucissent sous l'influence des dames, qui prennent sur les seigneurs un ascendant de plus en plus marqué. Par suite de certains faits politiques, ces moeurs du Midi gagnèrent le Nord. Aliénor d'Aquitaine ayant épousé le roi Louis VII, avec elle et ses gens s'introduisirent à la cour de France des manières et des usages de leur pays. Ses deux filles épousèrent l'une, Alix, le comte de Blois, l'autre, Marie, celui de Champagne; il n'est pas étonnant qu'elles aient apporté dans leurs cours respectives les goûts raffinés qu'elles tenaient de leur mère. La comtesse Marie de Champagne surtout exerça sur son entourage une influence prépondérante. Enfin, dans les croisades, les barons du Nord se mêlant à ceux du Midi connurent et prirent leurs façons de vivre. A l'isolement où les seigneurs s'étaient longtemps tenus dans leurs châteaux, succède la vie en société, la vie de cour, qui réunit constamment dames et chevaliers. Des deux côtés on cherche à se faire valoir les dames veulent mériter les hommages, les chevaliers veulent plaire par leur fidélité et leur bravoure. En littérature, un tel public aimera des oeuvres moins rudes en leur fond et moins frustes en leur forme que ne l'étaient les chansons de geste; il goûtera une poésie qui exalte les dames, représente les chevaliers accomplissant pour elles des prouesses, exprime les sentiments de l'amour. Enfin ce public, plus instruit, lira les oeuvres qui lui seront offertes, et dont la forme sera plus soignée par les poètes. Ainsi, en même temps qu'elle s'initiait à la vie de cour sous l'influence du Midi, la société aristocratique du Nord se détournait des oeuvres qui l'avaient charmée jadis, les chansons de geste désormais passées de mode. Alors les trouvères lui présentent une littérature nouvelle, conforme à ses nouvelles aspirations. Elle se fait lire et lit des romans, elle écrit et chante des chansons : toujours, dans chansons et dans romans, c'est l'amour qu'il est question, et de chevalerie. Poésie narrative : les romansLe mot roman signifie à l'origine un récit, une narration, en vers et en langue vernaculaire (Les langues romanes) : c'est une oeuvre d'imitation ou d'invention. Le roman, qui se présente comme le récit d'une aventure plus ou moins fictive, s'oppose cette autre composition longue qu'est la chanson de geste, en ce que celle-ci a toujours, ou prétend avoir un fondement historique. Nous entrons ici dans la littérature proprement d'invention et d'imitation. La forme des romans est aussi plus soignée que celle des chansons de geste, avec des rimes, car ils sont destinés à être lus.Dans ces romans règne l'amour courtois, par opposition aux sentiments féodaux des chansons de geste. Tandis que celles-ci chantent la guerre contre les infidèles ou les luttes entre grands vassaux, ceux-là narrent les aventures de chevaliers qui, tantôt pour obéir à la dame de leurs pensées, tantôt pour accomplir un voeu, exécutent des prouesses merveilleuses. Caractères
essentiels des romans.
Les exploits accomplis par les chevaliers ne sont pas, comme ceux des héros de chansons de geste, pris dans la réalité et amplifiés; ils sont purement imaginaires et, au lieu d'avoir une utilité comme la destruction d'ennemis véritables, parfaitement vains. L'amour, qui dans les chansons n'apparaissait guère, tient ici une place considérable, non seulement comme « mobile » des actions (c'est l'amour qui inspire tout le Tristan et qui règle la vie de Lancelot), mais comme objet d'une étude parfois très subtile : qu'on lise par exemple, dans le Chevalier au Lion, les premières entrevues d'Yvain et de sa dame. Un attrait non médiocre de ces romans était sans aucun doute la peinture de la vie aristocratique : belles entrées princières dans les villes, riches intérieurs, toilettes soignées, somptueux festins, moeurs raffinées. Les Romans de
la Table ronde.
Légendes
Arthuriennes.
Légende
du Saint-Graal.
Les chevaliers d'Arthur, assemblés autour de la Table ronde ont une vision du Graal. Illustration d'une manuscrit de Lancelot du Lac de Gautier Map (XVe s.). Enfin l'enchanteur Merlin, introduit d'abord par Gaufrey, d'après Nennius, joue un rôle considérable dans plusieurs de ces romans; il y représente, avec les fées, une vieille mythologie très difficile à reconstituer, et que les auteurs de lais ou de romans ne comprennent déjà plus. Les
lais (XIIe siècle).
Sur les vingt lais bretons que nous avons conservés, quinze sont dus à une certaine Marie, qui a vécu en Angleterre au XIIe siècle, mais qui était née en France, et que l'on appelle Marie de France. La prédominance y est donnée soit au fabuleux, soit au féerique, soit à la peinture de l'amour. En voici un exemple, du dernier type : • Un chevalier vient tous les soirs contempler une dame accoudée à sa fenêtre; le mari de la dame lui demande ce qu'elle fait là; elle répond qu'elle écoute le rossignol; le mari, un brutal, fait tuer l'oiselet; la dame envoie le corps de la petite victime au chevalier, qui le garde en une boîte d'or.Le roman de Tristan et Yseult (XIIe siècle). On retrouve l'amour « plus fort que la vie et que la mort » dans la légende de Tristan. Les funestes amours de Tristan et d'Yseult (Iseult) furent un des sujets de romans les plus en faveur. Les deux rédactions principales sont de la seconde moitié du XIIe siècle (l'une est de Béroul, l'autre de Thomas). • Tristan, prince de Léonois ,est le neveu du roi de Cornouailles, Marc. En combattant un monstre qui désolait le pays, il est blessé à l'épaule. Emporté en Irlande sur une barque sans voile ni rames, il y est guéri par Yseult, la reine. Plus tard il est chargé par son oncle d'aller chercher cette même Yseult que Marc doit épouser. Sur le navire qui les mène d'Irlande en Cornouailles, Tristan et Yseult boivent par erreur un philtre (ou breuvage magique) destiné à lier Yseult et Marc d'un amour inaltérable. De là une passion fatale qui les unit l'un à l'autre, et qui les fait souffrir puisqu'ils ne peuvent s'épouser.La suite de l'histoire nous présente de nombreux épisodes où cette passion fait le tourment des trois personnages.Le dénouement varie selon les diverses formes prises plus tard par le roman : dans une version Tristan et Yseult sont tués par Marc; dans une autre ils sont guéris; la fin la plus intéressante est celle qu'imagine Thomas : • Tristan quitte le pays de Cornouailles pour la Bretagne et s'y marie. Blessé par une arme empoisonnée, il ne peut être guéri que par Yseult de Cornouailles. Aussi l'envoie-t-il chercher, à l'insu de sa femme, en recommandant au messager de mettre une voile blanche au navire s'il ramène Yseult, et une voile noire si la reine a refusé de venir (cf. la légende de Thésée et d'Egée). L'envoyé, Kaherdin, réussit dans sa mission, et Yseult revient avec lui; cependant Tristan, étendu sur son lit, attend avec anxiété le retour du navire, qui, presque en vue de la côte. est d'abord ballotté pendant cinq jours par la tempête, puis est retenu par un calme plat. La femme de Tristan, qui a surpris son secret, guette à la fenêtre l'apparition du navire. Elle l'aperçoit, voile blanche au vent : par jalousie, elle annonce à Tristan que la voile est noire. Alors Tristan, ne pouvant retenir sa vie plus longtemps, meurt de douleur. Yseult, arrivée trop tard, expire auprès de lui.Les oeuvres de Chrétien de Troyes (mort en 1195). De tous les poètes qui exploitèrent et adaptèrent au goût français la « matière de Bretagne », le plus célèbre est Chrétien de Troyes. On ne sait presque rien de sa vie. Il eut pour protectrice et pour inspiratrice une autre Marie de France (ou Marie de Champagne), femme du comte Henri Ier de Champagne, fille de Louis VIl et d'Aliénor d'Aquitaine. Les oeuvres de Chrétien ne sont pas toutes parvenues jusqu'à nous. Après Tristan (vers 1160), qui a été perdu, et Erec, il écrivit Lancelot ou le Chevalier à la Charrette (vers 1170), Yvain ou le Chevalier au Lion et Perceval (vers 1175). Ce dernier roman est resté inachevé, interrompu peut-être par la mort de l'auteur. Nous allons donner une rapide analyse des trois principaux poèmes. • Le Chevalier au Lion. - Voici le vrai roman arthurien. Yvain , de la cour d'Arthur, se rend dans la forêt de Brocéliande, où il découvre une fontaine, abritée par un pin et entourée d'un perron d'émeraude. Il prend de l'eau, dans une tasse d'or suspendue au pin, et la répand sur le perron. Aussitôt s'élève une formidable tempête, car la fontaine est enchantée. Un chevalier ayant paru, Yvain l'attaque, le blesse mortellement et le poursuit jusqu'en son château. Là, il assiste aux funérailles de son adversaire, grâce à un anneau magique que lui a donné une chambrière, et qui le rend invisible.Là se termine l'oeuvre de Chrétien. Les romans d'aventures.
On peut citer le Roman des Sept sages, Flor et Blanchefleur, Parténopeus de Blois, Jean de Paris, Robert le Diable, ainsi qu'un petit roman curieux par sa forme : Aucassin et Nicolette. • Roman des Sept Sages (ou Dolopathos). L'empereur Vespasien a un fils, que sa marâtre veut faire périr. Le jeune prince ne peut se justifier, parce que les sept sages, auxquels l'empereur a confié l'éducation de son fils, ont lu dans les astres que celui-ci périrait s'il prononçait une seule parole pendant les sept premiers jours de son arrivée au palais de son père. Alors, pour faire prendre patience à Vespasien, et pour occuper le délai au bout duquel le prince pourra parler et prouver son innocence, chacun des sept sages débite une histoire. Et le huitième jour, c'est la reine, la marâtre, qui est condamnée à être brûlée vive.Ce sont là des romans d'imagination et de sentiment, placés dans un cadre plus ou moins historique par les descriptions et par les détails de costume. Plus rapprochés de l'histoire (sans qu'il faille y chercher l'exactitude ni la vraisemblance) sont le Châtelain de Coucy et de la dame de Fayel (XIIIe siècle), Robert le Diable (id.), etc. Cette production continue sans interruption au XIVe et au XVe siècle, où l'on peut citer le Petit Jehan de Saintré, par Antoine de la Salle; et surtout Jean de Paris. • Jehan de Paris. - Jean ou Jehan, fils du roi de France, se rend en Espagne, pour y épouser l'infante Anne, avec laquelle il a été fiancé par son père. Sur sa route, il rencontre le roi d'Angleterre, qui prétend à la main de la princesse. Il se fait passer pour un riche bourgeois de Paris, et il étonne son rival par son luxe et par son esprit. Arrivé à Burgos, il fait une entrée éblouissante, charme le roi d'Espagne et toute sa cour, finit par se nommer, par rappeler les engagements pris avec son père, et il épouse l'infante.Il faut mettre à part un petit roman écrit mi-partie en prose, mi-partie en vers, une chante-fable (seconde moitié du XIIe siècle). Si la royauté de l'amour est caractéristique de la littérature romanesque, c'est bien un véritable roman que le chante-fable d'Aucassin et Nicolette, malgré son tour simplement fantaisiste, et non féerique. • Aucassin et Nicolette. - Nicolette est une jeune captive sarrasine, reconnue au dénouement pour la fille du roi de Carthage; elle est aimée d'Aucassin, fils du comte Garin de Beaucaire. Celui-ci contrarie leurs amours; il fait enfermer son fils et Nicolette dans des cachots; mais la jeune fille s'échappe et se réfugie dans la forêt voisine. Là, elle rencontre des bergers, à qui elle demande de prévenir Aucassin. Le comte, après la disparition de Nicolette, fait sortir son fils de prison; Aucassin monte à cheval, se dirige vers la forêt, y trouve les bergers qui lui parlent de Nicolette, et la cherche de tous côtés. C'est alors qu'il rencontre un pauvre serf, hideux, pleurant un boeuf qu'il a perdu : il y a là un dialogue d'un simple et admirable réalisme, qui forme contraste avec la gentillesse des autres épisodes, - comme la scène du Pauvre, dans le Don Juan de Molière. Enfin, Aucassin et Nicolette se rejoignent et, après quelques aventures, peuvent se marier.Ici la prose alterne avec les vers : il y a des couplets chantés et des parties de récit parlées; de là vient l'appellation de chante-fable. Cette oeuvre délicieuse, seul spécimen d'un genre qui dut être très goûté au Moyen âge, est sans doute d'origine orientale; elle nous serait venue par les Arabes d'Espagne. Les romans antiques. Les trouvères instruits, les clercs, veulent exploiter l'Antiquité pour varier les sujets de leurs romans. Mais ils n'imitent pas les oeuvres originales des anciens; ils s'adressent à des compilateurs gréco-byzantins. Rappelons qu'un classement conventionnel des épopées du Moyen âge range les romans antiques dans un troisième cycle (dont les deux premiers seraient celui de France et celui de Bretagne), que l'on intitule : cycle troyen ou de Rome la Grant. C'est la division donnée, au XIIIe siècle, par Jean Bodel : Ne sont que trois matières à nul homme entendant,Mais cette classification est aussi inexacte que possible. Il n'y a d'épopées que les chansons de geste; la matière de Bretagne et l'Antiquité n'ont fourni que des romans. Sources
et esprit des romans antiques.
Exemples
de romans antiques.
• Le Roman d'Alexandre. - Ce poème de vingt mille vers de douze pieds (dit alexandrins depuis leur emploi dans ce roman), attribué à deux poètes, Lambert le Tort et Alexandre de Bernay, a pour source principale un roman grec, écrit à Alexandrie vers le IIe siècle de notre ère, attribué à Callisthène. L'auteur de cet ouvrage en avait puisé les éléments essentiels dans l'historien latin Quinte-Curce, mais il y avait mêlé toutes sortes de fables orientales.L'épuisement de roman courtois. En subissant l'influence de la littérature romanesque, la chanson de geste avait fini par tomber dans l'invraisemblance et la plus folle fantaisie; c'est sur ce terrain que la rejoignît le roman. Le désir de toujours satisfaire la curiosité de leur public, de renchérir sur le connu en aventures extraordinaires et descriptions merveilleuses, poussa les poètes à accepter, des clercs qui les avaient lus dans les textes latins et des voyageurs qui les rapportaient d'Orient, toutes sortes de sujets, de fables, de contes, sur lesquels ils brodèrent à l'envi. Les romans de chevalerie et de courtoisie, comme les chansons de geste dont ils partagent la fortune, cessèrent bientôt non pas d'avoir des lecteurs, mais de se renouveler. Diffusion
et influence.
Lorsque , en France, la société courtoise refleurit, au XVIIe siècle, l'esprit chevaleresque reparut dans de nouveaux romans, cette fois en prose. Des adaptations par démarquage et délayage pullulèrent aux XVIIe et XVIIIe siècles, mais elles n'ont rien de « littéraire». C'est au XIXe siècle que la philologie a rendu, dans leur intégrité, les romans du Moyen âge. La poésie
allégorique.
L'idée vint à certains clercs, selon des exemples de l'Antiquité latine, de supprimer les aventures pour s'appliquer uniquement à la peinture de l'amour lui-même, en étudiant la façon dont il naît, se développe, est aidé, contrarié, et finit par être vainqueur. Les idées, les qualités, les sentiments deviennent des personnages, - c'est le procédé de l'allégorie. L'allégorie fait agir et parler, comme des personnes vivantes, des idées, des sentiments et, d'une manière plus générale, des abstractions. La peinture et la sculpture usent de l'allégorie, quand elles représentent la Paix, la Guerre, la Justice, la Charité, sous la figure d'êtres humains dont la physionomie, le geste, le costume et les attributs révèlent aux yeux la signification. Loin d'être un procédé primitif, l'allégorie fut, au Moyen âge, un raffinement, et comme une crise de préciosité, crise qui devait se renouveler dans la première moitié du XVIIe siècle. L'usage n'en fut si répandu et le succès n'en fut si grand que parce que l'allégorie ainsi pratiquée piquait la curiosité et flattait la vanité des lecteurs. L'allégorie est fort à la mode dans la littérature médiévale; c'est à tort qu'on en attribue parfois le premier emploi aux auteurs du Roman de la Rose. Ceux-ci n'ont fait qu'en consacrer et en autoriser l'usage par une oeuvre remarquable. Le
Roman de la Rose.
Ces deux parties sont très différentes, et par l'esprit qui les anime, et par le style. L'histoire du jeune chevalier qui, dans la première partie, veut cueillir une rose, et qui en est empêché par des allégories représentant des sentiments, se transforme, dans la deuxième partie, en une satire de la société. Seule la première partie appartient donc à la littérature courtoise, celle des châteaux; la seconde relève plutôt de la littérature bourgeoise et satirique, celle des villes, plus frondeuse, et à laquelle appartiennent aussi des oeuvres comme le Roman de Renart ou les fabliaux. • Analyse de la première partie du Roman de la rose. - Guillaume de Lorris prétend nous raconter un songe qu'il fit a il y a plus de cinq ans, lorsqu'il était dans sa vingtième année.La première partie du Roman de la Rose témoigne d'une réelle connaissance du coeur. L'amour ingénu, inquiet, tour à tour confiant jusqu'à l'imprudence et réservé jusqu'au mépris, y est très sûrement décrit Guillaume de Lorris est un ancêtre, très lointain, de Marivaux. Il est courtois comme Chrétien de Troyes; il nous repose de toutes les vilenies des fabliaux et des farces, sans sortir de la vérité psychologique. Enfin, considérée comme poème, la première partie du Roman de la Rose est un des chefs-d'oeuvre du Moyen âge. La langue en est souple, claire, élégante. Succès
du Roman de la Rose.
Poésie lyriquePour nous, depuis les chefs-d'oeuvre du lyrisme romantique, au XIXe siècle, l'épithète de « lyrique » s'applique généralement à l'expression des sentiments de l'auteur ou des idées qui lui sont chères, avec le secours de grandes et de vives images; au Moyen âge il signifie simplement « chanté ».Les formes lyriques sont très variées ; les principales sont la chanson d'histoire, l'aube, le rondeau, la pastourelle, la rotrouenge, toutes originaires du Nord. Du Midi, viennent le jeu-parti, la sirvente, la ballade, etc. C'est une poésie aristocratique par les sentiments qu'elle exprime (amour courtois, fidélité chevaleresque), et par la qualité des poètes, pour la plupart nobles et même souverains. Dans toutes ces poésies se retrouve l'amour courtois, sentiment conventionnel, que nous avons déjà signalé dans les romans de la Table ronde. Le poète chante son amour, discret et patient, pour une dame qui accepte cet hommage mais avec une fierté toujours en éveil, et qui exige du soupirant tous les sacrifices. Cet amour est considéré comme la source de toutes les vertus; il ne peut s'adresser qu'à un objet digne de lui. C'est déjà la théorie de l'amour fondé sur l'estime qui, après avoir passé dans la littérature espagnole, animera les tragédies de Corneille. De là, dans tous ces petits poèmes, une psychologie compliquée, délicate, presque mystique. Malgré ses obscurités ou ses exagérations, cette analyse du coeur est ingénieuse et piquante. Origine méridionale
de la chanson.
On distingue les poètes du Midi, les troubadours, et les poètes du Nord, les trouvères. Les uns et les autres furent le plus souvent, jusqu'au XIIIe siècle, des grands seigneurs. Tandis qu'en langue d'oïl les trouvères chantaient les exploits des barons, en langue d'oc les troubadours chantaient, pour une société où régnaient les dames, les sentiments amoureux des chevaliers. Lorsque le Nord eut pris le goût de la vie courtoise et que les deux aristocraties eurent appris à se connaître aux croisades, les trouvères se mirent à cultiver la chanson. Les genres d'origine
française.
La
chanson d'histoire.
On peut comparer
les chansons d'histoire aux romances modernes, qui exposent, nouent et
dénouent un petit drame, en plusieurs strophes terminées
chacune par le même refrain. Signalons comme type de chanson
d'histoire : la Belle Doette.
L'aube
Le
rondeau.
Le
lai.
Le
vireli.
La
rotrouenge.
• Du donjon où il est captif, un prisonnier adresse à ses amis, qui semblent l'oublier, un appel pour sa rançon. Il dit sa tristesse à la pensée que ses terres sont en souffrance; il parle de l'amitié, de la fidélité, naguère honorées, aujourd'hui sans partisans. Ces plaintes sont la rotruenge de Richard Coeur de Lion.La pastourelle. La pastourelle, avec des « paysanneries », est un mélange de rusticité convenue et de réalisme. Son thème ordinaire se trouve développé dans le Jeu de Robin et Marion, un divertissement que le poète bourgeois Adam de la Halle, d'Arras, écrivit pour la cour de Charles d'Anjou, roi de Naples : • Un chevalier propose son amour à la bergère Marion, qui le repousse parce qu'elle aime Robin. Le chevalier dépité enlève Marion aux yeux de Robin et de ses amis, qui n'osent rien dire. Mais la belle se débat tant que le chevalier la laisse aller, et les bergers célèbrent son retour par des réjouissances champêtres.Les parties chantées y alternent avec les parties récitées, comme dans un chante-fable et un moderne opéra-comique. Cette oeuvre relève à la fois de la poésie lyrique et de la poésie dramatique. Autre exemple de pastourelle : • Un chevalier rencontre une bergère (pastoure). Il lui offre son amour : elle sera dame dans un château. La pastoure repousse ces avances, préférant son humble bonheur à une fortune qui ne lui vaudrait que mépris. Cette pastourelle est de Jean de Brienne, roi de Jérusalem, puis empereur de Constantinople. (Première moitié du XIIIe siècle).La chanson de croisade. La chanson de croisade se présente sous trois formes : tantôt c'est une chanson de guerre, à refrain, exhortation lyrique à combattre les infidèles; tantôt une chanson d'amour, plainte d'une femme ou d'une fiancée, dont le chevalier est à la croisade; parfois, enfin, c'est un chevalier qui regrette la dame laissée au pays. • Un croisé partant pour l'Orient (1191) se lamente d'être obligé de quitter sa « loyale compagne », sa « dame, compagne et amie ». Il ne peut ôter de son coeur l'amour, et pourtant il faut quitter celle qu'il aime! Ce croisé est le Châtelain de Coucy.Les genres d'origine provençale. Une poésie lyrique plus savante et plus raffinée s'était développée, dès la fin du XIe siècle, dans le Midi de la France. Le centre en était à Toulouse, dont les comtes étaient protecteurs du gai savoir, et souvent poètes eux-mêmes. La guerre des Albigeois vint brusquement ruiner cette civilisation brillante. Dans toutes ces poésies se retrouve l'amour courtois, sentiment conventionnel que nous avons déjà signalé dans les romans de la Table ronde Le poète chante son amour, discret et patient, pour une dame qui accepte cet hommage mais avec une fierté toujours en éveil, et qui exige du soupirant tous les sacrifices. Cet amour est considéré comme la source de toutes les vertus, il ne peut s'adresser qu'à un objet digne de lui. Or la poésie provençale, dès la seconde moitié du XIIe siècle, exerça une très profonde influence sur la poésie du Nord, grâce surtout à Marie de Champagne, fille d'Aliénor d'Aquitaine. Les genres propres au Midi étaient : Le
salut d'amour.
La
tençon.
La
sirventé.
La
ballade.
La
chanson courtoise.
La
sotte chanson.
Principaux poètes lyriques. Les
Troubadours.
• Guillaume IX (ou Guillaume de Poitiers), comte de Poitiers et duc d'Aquitaine (mort en 1127); • Jofroy Rudel, prince
de Blaye, qui, devenu amoureux de la comtesse de Tripoli, sur la seule
renommée de sa beauté et de ses vertus, se croisa en 1147,
et arriva gravement malade à Tripoli,
ou il mourut sous les yeux de la comtesse. Cette romanesque et véridique
histoire, tout à fait caractéristique de l'amour courtois,
a été mise à la scène par E.
Rostand, dans la Princesse lointaine;
• Bertrand de Born (1145-1215), seigneur de Hautefort en Limousin, qui célébra l'amour et la guerre. Il fut mêlé aux luttes des fils de Henri Il Plantagenet, et prit parti contre Richard pour Henri le Jeune; à la mort de celui-ci, il se réconcilia avec Richard, qu'il soutint à son tour contre Philippe-Auguste. Ses plus belles poésies sont des sirventés, dont l'accent satirique est d'une singulière violence, mais qui respirent aussi un enthousiasme lyrique, au sens le plus complet du mot. • Richard Coeur de Lion, roi d'Angleterre et croisé, et accessoirement auteur et interprête de chansons. • Peyrols est connu pour avoir été une voix courageuse, qui s'éleva pour flétrir la conduite déloyale de l'empereur Henri VI envers Richard Coeur de Lion qu'il avait pris en otage contre rançon, et surtout envers l'Église. Il préférait, comme il l'avoue lui-même, la vie facile des cours, où il était accueilli, aux glorieuses fatigues qu'enduraient les défenseurs du Saint-Sépulcre; cependant il partit pour la croisade, et c'est en Syrie qu'il écrivit le texte plein d'énergie auquel nous reproduisons à la page sur les sirventes. Parmi les autres troubadours dont les noms ont survécu, citons Arnaud Daniel, gentilhomme du Périgord, et Sordel, au coeur noble et généreux : Dante les nomme tous deux avec honneur dans son Purgatoire; Pierre Cardinal, qui, par ses violentes satires, se fit le Juvénal de cette poésie, dont Bertrand de Born avait été le Tyrtée; enfin Giraud Riquier, auteur d'une supplique adressée en 1275 au roi de Castille, pour le conjurer de relever les jongleurs de leur supposé avilissement : cette pièce est comme le dernier soupir de la muse provençale. On peut dire que cette poésie mourut d'inanition : la guerre des Albigeois interrompit, il est vrai, ses chants; mais, d'un autre côté, ayant épuisé le fonds d'idées romanesques et superficielles qui l'avaient nourrie pendant deux siècles, elle devait forcément expirer. Les
Trouvères.
« Ici, dit Villemain, je crois voir un chevalier troubadour qui, du haut de son coursier, chante des vers de guerre ou d'amour; là, un bourgeois malin qui, dans les rues étroites de la cité, devise avec son compère et se raille des choses dont il a peur. »Cette remarque fait assez entendre que le genre satirique rencontra parmi les trouvères plus d'un interprète. Ils racontèrent aussi, s'élevant même au ton de l'épopée. Ces compositions de longue haleine, préparées à loisir, et non plus improvisées, comme la poésie à fleur d'émotion des troubadours, étaient redites à la cour des princes et dans les manoirs féodaux. Jusque dans leurs expéditions lointaines, les preux chevaliers aimaient à s'entendre bercer de ces récits merveilleux : Robert Guiscard emmenait en Italie des jongleurs normands qui lui répétaient, à clère voix et à doux sons, les prouesses des guerriers de France. Jongleurs et ménestrels chantaient également, s'accompagnant de la vielle ou de la rote; les poètes se produisaient peu par eux-mêmes, ce qui fait que leurs noms nous ont à peine été transmis. Les ménestrels, mieux considérés que les jongleurs, formèrent au moyen âge une corporation jouissant de certains privilèges. Parmi les trouvères, il faut retenir les noms suivants : • Conon de Béthune (mort en 1220) fréquenta la cour de Champagne, et fit partie du groupe de poètes courtois inspirés par Marie, fille d'Aliénor. Il a pris part à la troisième et à la quatrième croisade, et Villehardouin, dans sa Conquête de Constantinople, lui attribue des discours aussi courageux qu'éloquents; • Gui II, châtelain de Coucy (mort en 1204), compagnon d'armes de Conon dans la quatrième croisade, a moins de force et plus de grâce. • Blondel de Nesle (fin du XIIe siècle) est celui dont la légende a fait le fidèle ami de Richard Coeur-de-Lion. • Gace Brulé (mort au commencement du XIIIe siècle), chevalier champenois, a de l'élégance et d'heureux rythmes; • Jean Bodel (mort en 1207?) d'Arras (que l'on connaît surtout comme poète épique pour sa Chanson des Saisnes, et comme poète dramatique pour son Jeu de Saint-Nicolas a écrit un Congé, pièce lyrique dans laquelle, au moment de quitter Arras pour entrer dans une léproserie, il dit adieu à ses amis. • Thibaut
IV de Champagne (mort en 1253) est aussi célèbre par
ses exploits que par ses vers. Il prit part à la croisade contre
les Albigeois, à la coalition de la noblesse contre Blanche
de Castille, régente pendant la minorité de Louis
IX. Celle-ci, d'un regard, avait obtenu sa soumission; et Thibaut la
chanta dans des vers d'une délicatesse courtoise jusqu'à
la préciosité. Il fit également des chansons de croisade,
des tensons, des pastourelles. Son style tient à la fois du roman
wallon et du provençal; c'est une espèce de lien entre ces
deux langues, qui se séparent pour toujours à partir de cette
époque.
• Rutebeuf prend rang parmi les poètes lyriques du XIIIe siècle par un grand nombre de pièces d'un accent personnel, et qui font de lui un ancêtre direct de Villon. • Colin Muset (fin du XIIIe siècle) est le type du pauvre trouvère, obligé de faire appel à la générosité de ses protecteurs; par sa situation comme par la grâce aimable et spirituelle de ses chansons, il est comparable à Marot. • Enfin, nommons Adam de la Halle (mort en 1288), d'abord poète dramatique, mais qui a aussi chanté son foyer et écrit un Congé. Le lyrisme au
XIVe et au XVe
siècle.
Eustache
Deschamps.
Poètes
lyriques du XVe siècle.
• Alain Chartier (1386-1449) était frère de Guillaume Chartier, évêque de Paris (mort en 1472). II entra à la cour comme secrétaire du Dauphin (plus tard Charles VII). Ses poésies, très nombreuses, sont dans le genre allégorique et leur prodigieux succès est fait pour nous étonner. On peut citer en particulier : le Livre des quatre dames (sorte de débat à la fois courtois et patriotique sur la bataille d'Azincourt). Son meilleur ouvrage en prose est le Curial, satire puissante de l'homme de cour. Ses contemporains l'avaient surnommé le père de l'éloquence française. On raconte que Marguerite d'Écosse, dauphine de France, déposa un baiser sur le front du vieux poète endormi. • Charles d'Orléans (1391-1465). - Fils de Louis d'Orléans et de Valentine de Milan père de Louis XII, Charles fut mêlé dans sa jeunesse aux plus terribles catastrophes. Pris à Azincourt (1415), il fut mené en Angleterre, où il subit, pendant vingt-cinq ans, une stricte captivité. Délivré en 1440, il se retira à Blois, où il se composa une cour aimable et spirituelle. Le manuscrit de ses poésies ne fut retrouvé et publié qu'en 1734. Avec Charles d'Orléans, nous revenons à la poésie courtoise d'un Thibaut de Champagne. Mais Charles d'Orléans y introduit une grâce nouvelle une discrétion mélancolique, une préciosité mondaine, qui font songer à Marot, à Voiture et aux poètes du XVIIIe siècle. (Ch.-M. Des Granges/ L. Joliet). |
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