| L'empereur a une part de la puissance législative. Auguste, qui avait reçu le pouvoir constituant, y renonça quand il rétablit l'ordre de choses régulier, ce qu'on appela la restauration de la République, et que nous appelons le commencement de l'Empire. Comme par le passé, l'initiative des lois appartient aux magistrats supérieurs, la puissance législative proprement dite à l'assemblée du peuple. Le prince a le droit d'initiative en vertu de sa puissance tribunicienne; les lois qu'il propose ont le caractère de plébiscites. D'ailleurs, les empereurs usent fort peu de ce droit; les exemples qu'on peut citer sont ceux d'Auguste, de Claude, de Nerva, pour une loi agraire; à l'origine, ils laissent plutôt aux autres magistrats l'initiative apparente des propositions de loi, et à partir du milieu du règne de Tibère, sauf trois propositions de Claude et une de Nerva, on n'en peut citer aucune. La compétence législative de l'assemblée du peuple, dernier vestige de son ancienne souveraineté, disparaît; on ne la réunit plus que, lors de chaque changement de prince, pour le vote de la loi sur la puissance tribunicienne. Le droit de casser les lois ou de dispenser de leur observation appartenait, en principe, aux comices; il avait été, dès la République, transféré au Sénat; il lui fut confirmé dans le Ier siècle de l'Empire, et c'est là une des limitations les plus nettes de l'autorité impériale. Le droit de grâce - non celui de remettre la peine à une date indéterminée ou d'en dispenser, droit que possédait à Rome le juge qui avait prononcé cette peine - le droit de grâce, attribut de la souveraineté, appartenait jadis au peuple et se manifestait par la provocatio ou appel au peuple; à l'époque impériale, il passe au Sénat, pour la forme, du moins; en fait, c'est le prince qui l'exerce. La dispense des conditions d'éligibilité est conférée d'abord aux candidats par le Sénat, mais le prince s'en empara bientôt en vertu de son droit de vérifier la qualification des candidats. Le triomphe est accordé par le Sénat; il est vrai qu'à partir de Vespasien, il ne le décerne que sur la proposition du prince, saut lorsqu'il s'agit de celui-ci. Quant à la consécration, l'admission d'un dieu nouveau parmi le cercle des dieux romains, il faut une décision sénatoriale, qu'il s'agisse d'un dieu étranger ou de l'apothéose d'un empereur défunt; c'est seulement au IIIe siècle que ce droit fut enlevé au Sénat; il était important parce qu'il impliquait le jugement des actes du souverain décédé. Le Sénat conférait le patriciat, concurremment avec les censeurs; après Trajan, ce droit passa à l'empereur. Auguste avait supprimé le droit d'association, ne tolérant d'exceptions qu'en Italie et après autorisation du Sénat; celui-ci a en effet la surveillance des municipalités italiennes; les associations qu'on tolère étaient limitées au territoire d'une cité. Le droit de tenir des marchés était accordé par le Sénat; de même, celui de s'affranchir des restrictions mises aux jeux de gladiateurs. La législation d'Auguste était très dure pour les célibataires et les gens sans enfants; pour s'affranchir des charges et des incapacités qu'elle édictait, on s'adressait au Sénat, et même les empereurs ou les membres de leur famille s'adressent à lui. Vers le temps de Vespasien, cette prérogative passa à l'empereur; il venait de recevoir l'administration du trésor public (aerarium) auquel étaient attribuées les ressources prélevées sur les célibataires et gens sans enfants. En principe donc, dans le Haut Empire, le pouvoir législatif reste à l'assemblée du peuple, le pouvoir de dispenser des lois au Sénat; néanmoins, dans un certain nombre de cas, on reconnut au prince le droit de prendre, au nom du peuple, des décisions constituant des privilèges. Autrefois, c'étaient bien les magistrats qui, sous le contrôle du Sénat, décidaient de la situation des cités sujettes ou vassales, mais la décision revenait à l'assemblée du peuple lorsqu'on voulait soit créer une cité nouvelle, soit lui donner le droit latin, le droit de cité romaine, soit changer une colonie en municipe ou réciproquement, etc. Tous ces droits revinrent exclusivement au prince en vertu de son droit de décider les questions de paix, de guerre, d'alliance, d'administrer sans contrôle les biens de l'Etat. C'est le prince qui fonde les nouvelles colonies, définit la condition juridique de chacune, concède le droit latin aux cités sujettes, le droit romain aux cités latines, transforme les colonies en municipes et réciproquement. Ces pouvoirs impliquent celui de donner aux cités leur constitution et de la modifier; de conférer le droit de cité aux individus soit au moment de la fondation d'une colonie, soit en qua lité de général aux soldats qui ont accompli leur service, soit même dans tout autre cas. L'empereur ne pouvait pas au Ier siècle retirer le droit de cité, sauf en agissant comme censeur. Il a le droit d'accorder l'ingénuité, c.-à-d. d'assimiler à un homme né libre un homme de classe servile, un affranchi; il y faut l'agrément du patron. Les rapports officiels du prince avec le Sénat sont les suivants. Il est, depuis le premier recensement fait par Auguste, « prince du Sénat », c.-à-d. inscrit en tête de la liste des membres du Sénat; il siège et vote dans cette assemblée, votant soit le premier, soit le dernier. Il a, comme les autres magistrats, le droit de convoquer Ie Sénat et de lui soumettre des propositions, non seulement au nom de sa puissance tribunicienne, mais par une décision spéciale inscrite dans la loi rendue à son avènement. Le prince fait au Sénat des propositions, mais sans avoir, à cet égard, de compétence spéciale, distincte de celle des autres magistrats; il fait contrôler les procès-verbaux par un délégué. Il prend, à l'occasion, pour le conseiller, une commission de sénateurs Auguste et Tibère s'étaient ainsi adjoint un conseil formé de 20 sénateurs et des magistrats en fonctions; cette institution, si elle exit persisté, aurait conduit à une collaboration complète du prince et du Sénat. Mais elle disparut après Tibère et ne fut reprise qu'un moment par Alexandre Sévère. En dehors des actes officiels accomplis avec le concours du peuple ou du sénat, le prince prend une série de décisions qui ont une valeur législative; ce sont ses constitutions. Il leur donne la forme de l'édit , comme les anciens magistrats, de décrets ou jugements, on de lettres (epistulae subscriptiones). La loi de Vespasien nous a transmis la formule donnant à l'empereur le droit et le pouvoir de faire tout ce qu'il jugera bon pour l'Etat : Uti quaecumque exusu reipublicae majestateque divinarum humanarum publicarum privatarumque rerum esse censebit ei agere facete jus potestasque sit ita uti divo Augusto. Dans le serment imposé aux fonctionnaires au moment de leur entrée en charge, renouvelé par les sénateurs et eux au 1er janvier, ils juraient d'observer, outre les lois, les actes (acta) de César et des princes; plus tard même, on ajouta a mention des actes à venir du prince régnant. Cet usage est bien caractéristique de la puissance absolue; cependant, au point de vue formel, il convient de faire des réserves; en somme, le prince est autorisé à prendre toute mesure qui n'exige pas de loi ou ne va pas à l'encontre d'une loi. Sauf dans les matières où on lui a concédé exceptionnellement la compétence législative, ses décisions sont toujours révocables et valables seulement pendant la durée de son gouvernement; elles ont un caractère provisoire, ne lient ni lui-même ni ses successeurs. Il y a donc lieu de distinguer dans les actes législatifs du prince ceux qui sont irrévocables et ceux qui ne le sont pas. Sont irrévocables : 1° ceux qu'il a exécutés en vertu des pouvoirs analysés ci-dessus, par exemple l'octroi du droit de cité à une ville ou à un individu, les traités conclus avec un Etat voisin; 2° les décisions judiciaires; 3° les interprétations authentiques des lois existantes, en particulier par la voie du rescrit (rescriptum) au IIe siècle; 4° les mesures relatives aux propriétés de l'État, contrats, assignations de terres. En revanche, certaines décisions sont nulles lorsque l'empereur n'est pas compétent pour les prendre; par exemple l'octroi du patriciat héréditaire, au temps où on ne l'avait pas encore autorisé à le donner; et, d'une manière générale, toutes les mesures législatives dont les conséquences dépassent forcément la durée de sa vie. Plus on avance dans l'histoire de l'Empire, plus ce cas se présentera rarement, attendu que le principat se transforme en monarchie. Sont révocables toutes les décisions que le prince prend en vertu de son autorité propre; les nominations aux emplois militaires et civils; dans les premiers temps, elles prenaient sans doute fin avec le prince qui les avait faites et il fallait que son successeur les renouvelât. La concession de droits utiles (beneficia) à des individus ou à des collectivités dut être renouvelée à chaque changement de souverain; Titus se contenta de les confirmer en bloc; ses successeurs suivirent cette méthode, et il en résulta une plus grande stabilité et une analogie croissante avec le système monarchique, En somme, les actes du gouver-même ou après lui; ils conservent le caractère personnel qu'avaient jadis ceux des magistrats, et c'est là une différence bien tranchée entre le principat et la monarchie dans celle-ci on admet que la volonté du monarque régulièrement énoncée a force de loi; c'est la théorie du Bas-Empire. Comme les autres magistrats, l'empereur est exposé à ce qu'après sa sortie de charge ses actes soient cassés à la suite d'un jugement au criminel. Cette cassation (actorum rescissio) s'est produite plusieurs fois après la mort des empereurs; ce fut le cas pour Tibère, Galba, Othon, Caracalla; leurs décisions ne sont pas mentionnées dans la formule du serment cité plus haut (in leges et acta principum). Les bénéfices concédés par eux peuvent aussi être annulés; ainsi Claude soumit à éevision ceux de Caligula, Vespasien ceux de Néron et des trois empereurs venus ensuite. Vespasien prononça même la cassation des procès de majesté intentés sous le règne de Néron. Les règles suivies pour la nomination des fonctionnaires se rapprochent beaucoup de celles qui sont relatives aux décisions législatives. Nous y retrouvons trois catégories celle où le peuple intervient directement, celle où, il intervient indirectement, celle qui résulte du choix direct du prince. Les magistrats proprement dits sont élus par l'assemblée du peuple; des fonctionnaires analogues sont pris par l'empereur dans les rangs du Sénat; enfin, d'autres sont nommés par l'empereur à sa fantaisie et généralement pris en dehors du Sénat. L'élection des magistrats par les comices, suspendue pendant le triumvirat, fut rétablie en l'an 27 av. J.-C. Après la mort d'Auguste, pour la plupart des élections, le Sénat fut substitué au peuple; ce mode d'élection indirecte laissa subsister tous les droits de contrôle donnés à l'empereur. Celui-ci a, d'une part, le droit de vérifier l'éligibilité du candidat, d'autre part, celui de le recommander. La vérification de l'éligibilité (le terme technique est nomination) continuait d'appartenir, concurremment avec le prince, au magistrat qui présidait les comices électoraux; mais il va de soi que les candidats désignés par l'empereur avaient l'avantage; et couramment il n'en nomme qu'un nombre égal à celui des places. De plus, l'empereur a droit de recommandation, c. -à-d. qu'il peut indiquer au corps électoral des choix que celui-ci doit ratifier; sous la République, on admettait déjà qu'un homme politique important pesât sur l'élection; mais ici le passage au régime monarchique se manifeste parce que la recommandation devient un acte légal et juridique qui supprime la liberté électorale. Auguste se présentait encore avec les candidats qu'il recommandait; bientôt l'empereur se contenta d'aviser par écrit le Sénat de son choix; enfin, au IIIe siècle, on déclare franchement que c'est l'empereur qui élit. Le consulat ne figure pas parmi les magistratures pour lesquelles César et Auguste reçurent le droit de recommandation. C'est seulement au temps de Vespasien que ce droit fut étendu à la plus haute magistrature, pour laquelle on avait continué jusqu'alors de faire élire les titulaires par l'assemblée du peuple. Quant aux autres magistratures (préture, questure, édilité, tribunat de la plèbe), le système de la recommandation a pour conséquence de partager la désignation entre le prince et le Sénat; c'est seulement une partie des magistrats qui sont désignés par le prince et se distinguent par le titre de candidati principis. A partir de ce règne, les consuls furent directement nommés par l'empereur sans simulacre d'élection. Au IIIe siècle, il arrive que l'empereur désigne tous les magistrats. Cependant encore au IVe siècle, dans la monarchie organisée par Dioclétien et Constantin, les consuls suppléants, les préteurs et les questeurs, seuls magistrats conservés dans le nouveau régime, sont toujours choisis par les Sénats de Rome et de Constantinople et simplement confirmés par l'empereur. Le droit de recommandation était tombé en désuétude et avait disparu. Le prince, n'élisant pas les magistrats, ne pouvait les déposer; il devait provoquer une décision du peuple à cet effet; mais, au nom de la puissance tribunicienne, il pouvait les suspendre, les inviter à démissionner. Les employés de l'empereur, nommés par lui sans réserves, sont affectés soit à son service privé, soit à des services publics; ce sont des auxiliaires qu'il emploie comme bon lui semble. Mais quelques-uns ont le caractère de magistrats les légats pro praetore, par exemple. On établit même une hiérarchie régulière où ils prennent place. Cela est d'autant plus utile que la grande majorité des fonctions sont dans ce cas, toutes les fonctions militaires, la plupart des fonctions civiles, administratives ou financières. Ceux des fonctionnaires qui sont de rang sénatorial sont assimilés aux magistrats proprement dits, à l'exception des militaires. Le principal effet de la constitution d'une hiérarchie méthodique et de règles d'avancement dans l'ordre civil et militaire, était de limiter l'arbitraire da prince. La nomination des sénateurs est une question d'importance capitale; car le pouvoir étant partagé entre le prince et le Sénat, si c'est le prince qui nomme le Sénat, ce partage est illusoire. Mais jusqu'à la fin du Ier siècle de l'Empire, il n'en fut pas ainsi. On entrait au Sénat quand on avait rempli une des magistratures principales auxquelles on arrivait par le choix du Sénat ou par celui du prince; en second lieu, par la désignation des censeurs (adlectio) inscrivant sur la liste du Sénat des membres nouveaux; Auguste, Claude, Vespasien, Titus l'ont fait en qualité de censeurs. Mais à la fin du Ier siècle, en l'an 84, Domitien prit la censure à vie, de sorte que le droit d'inscrire sur la liste du Sénat des membres nouveaux appartint à l'empereur; ceux qui suivirent conservèrent ce droit. Ils y joignirent celui de rayer les membres indignes; ils procédaient à une révision annuelle de la liste; après Domitien, ils purent la faire à tout moment. Le souci de l'administration publique appartient essentiellement à l'empereur; en sa qualité de premier magistrat, il faut qu'il agisse personnellement. Cette action personnelle, qui est le fait capital de tout le gouvernement de l'Empire, nous échappe en grande partie. L'empereur donne l'impulsion à cette énorme machine et sa tâche est immense. Il n'a pour l'aider dans ce travail central que les auxiliaires qu'il prend autour de lui; rien qui ressemble aux états-majors de nos administrations centrales. Dans l'ordre militaire, il n'y a pas de plus haut fonctionnaire que le légat provincial; dès qu'une guerre dépasse Ies limites d'une province, il faut que l'empereur en prenne personnellement la direction ou se décharge sur un délégué spécial; cela est vrai dans tous les ordres. Rien ne fait mieux ressortir la distance entre le principat et une monarchie, telle que l'organisa Dioclétien, avec tout le personnel et la hiérarchie de l'administration centrale. Le Haut-Empire n'a qu'un prince, lequel est à la fois seul ministre et seul général en chef pour tout le territoire romain. Il ne nomme guère de fonctionnaires extraordinaires, ne charge même pas les fonctionnaires ordinaires de traiter les affaires extraordinaires; il se les réserve presque toutes et les décide avec l'aide de ses conseillers personnels. Les fondations de colonies, les vastes travaux publics exécutés aussi bien dans les provinces qu'à Rome, sont dirigés par l'empereur, auquel seul en reviennent la charge et l'honneur. On ne peut entrer ici dans de grands détails, d'autant plus que les informations nous manquent, mais il faut retenir que le Haut-Empire est peut-être le régime politique le plus personnel que l'histoire rencontre. Ce ne fut pas une des moindres causes de la ruine de l'empire romain. | |