|
. |
|
Lemnos, Limnos, Stalimène, est une île de la mer Egée, à l'Est de la Grèce. Elle est située sous le 23e degré de longitude et par 39° 20' de latitude nord. C'est la plus considérable des îles qui occupent le fond de la mer Égée, dans le voisinace des côtes de la Thrace. Pline lui donne cent douze milles de circonférence; elle a environ quinze lieues de longueur, d'Orient en Occident, sur cinq à six de large, du Nord au Sud. Elle est en face de Ténédos à l'Est, et du mont Athos à l'Ouest. Plusieurs auteurs anciens ont observé que l'ombre de cette montagne s'étend jusqu'à l'île de Lemnos, et qu'au jour du solstice elle vient sur la place de Myrine, la principale ville de l'île dans la partie du couchant. Le voyageur francais Bélon a observé ce phénomène, au XVIe siècle. " L'île est étendue plus en longueur qu'en largeur, dit-il, d'orient en occident, de sorte que quand le soleil se va coucher, l'ombre du mont Athos qui est à plus de huit lieues de là, vient respondre sur le port, et dessus le bout de l'isle qui est au côté sénestre de Lemnos; chose que observasmes le deuxième jour de juin. Car le mont Athos est si haut qu'encore que le soleil ne fût bien bas, néanmoins l'ombre touchoit la sénestre corne de l'île."Il n'y a dans tout ce passage qu'un point inexact, c'est l'évaluation de la distance du mont Athos à Lemnos, que Bélon a beaucoup trop réduite. De leur côté les auteurs anciens ont été au delà de la réalité : Pline évalue cette distance à quatre-vingt-huit milles, et Plutarque à sept cents stades. "Je sais bien, dit Plutarque dans un de ses Dialogues, que ni l'un ni l'autre de nous n'a esté en l'île de Lemnos, mais aussi que l'un et l'autre a bien souvent ouï dire ces vers :Le vers cité ici par Plutarque, était devenu proverbial, et s'appliquait il tous ceux qui tàchaient d'obscurcir la gloire et la réputation des autres par leurs calomnies.Le mont Athos couvrira le côtéCar l'ombre de cette montagne atteint l'image d'un boeuf de bronze, qui est en Lemnos, s'étendant une longueur par dessus la mer non moindre que de sept cents stades. " L'aspect de cette île est fort diversifié. Le terrain y est très inégal; le rivage est couvert de rochers, l'intérieur parsemé de collines et de montagnes. On y trouve aussi des champs assez vastes et bien cultivés. Les montagnes de Lemnos ont peu de hauteur : on remarque seulement de loin deux sommets s'élevant au-dessus de la surface de l'île, qui, vue de la mer, paraît basse et unie. L'une de ces hauteurs est le mont Mosychle, nommé par Hésychius et Nicander, et qui vomissait des flammes. Il est souvent question, chez les Anciens, de l'ardente, de la brûlante Lemnos. Aussi avait-elle été appelée Aethalie (aethô = brûler ), à cause de sa nature volcanique. « Nous aperçûmes du côté de Lernnos, dit l'auteur du Voyage d'Anacharsis, des flammes qui s'élevaient par intervalles dans les airs. On me dit qu'elles s'échappaient du sommet d'une montagne; que l'île était pleine de feux souterrains; qu'on y trouvait des sources d'eaux chaudes, et que les anciens Grecs n'avaient pas rapporté ces effets à des causes naturelles. Vulcain, disaient-ils , a établi un de ses ateliers à Lemnos ; les Cyclopes y forgent les foudres de Jupiter. Au bruit sourd qui accompagne quelquefois l'éruption des flammes,le peuple croit entendre les coups de marteaux."Cette île n'a pas de rivières, mais quelques ruisseaux et de nombreuses sources. L'une d'elles, voisine de la ville capitale, appelée Lemno Limio , ou Stalimène , jaillit d'un rocher d'où elle tombe en cataracte, se répand ensuite dans la campagne, qu'elle arrose en divers sens, et coule jusqu'aux murs de la ville et à la mer, où elle vient se perdre. Productions de l'île de Lemnos. "Je demeurai presque pendant tout le siège de Troie, seul, sans secours, sans espérance, sans soulagement, livré à d'horribles douleurs, dans cette île déserte et sauvage, où je n'entendais que le bruit des vagues de la mer qui se brisaient coutre les rochers. »La partie du couchant et du midi est mieux arrosée et plus verdoyante. En général, l'île est fort dépourvue de bois de chauffage et de construction. Les habitants faisient du feu avec des tiges d'asphodèles et d'autres plantes desséchées. A défaut de forêts, les arbres fruitiers y viennent bien : on y trouve des liguiers, des noyers, des amandiers, mais fort peu d'oliviers. Dans le voisinage du village de Rapanidi vers la pointe nord de l'île, se trouvent des hêtres qui forment le seul bois de l'île, et dont les insulaires tirent cette espèce de tan qu'on appelle la vallonée. Les champs cultivés de Lemnos produisent en abondance du vin, des céréales et des légumes. Le bétail y est nombreux ; mais plusieurs espèces de serpents y infestent les campagnes. Terre sigillée sigillée ou de lemnos. "Quelques-uns, ajoute Pline, ont prétendu que la sinopis n'était qu'une rubrique de seconde qualité; ils ont en effet regardé comme rubrique de première qualité la terre de Lemnos : celle-ci approche beaucoup du minium, et elle a été très vantée chez les Anciens, ainsi que l'île qui la produit; on ne la vendait que cachetée; ce qui la fit appeler sphragis. On l'emploie en couche sous le vermillon, ou en mélange. En médecine on en fait grand cas. En liniment autour des yeux, elle adoucit les fluxions et les douleurs de ces organes; elle empêche le flux de l'égilops; on l'administre à l'intérieur, dans du vinaigre, contre l'hémoptysie; on la fait boire aussi pour les affections de la rate et des reins, et pour les pertes; on l'emploie de même contre les poisons et contre les blessures faites par les serpents terrestres et marins; aussi entre-t-elle dans tous les antidotes. »Dioscoride et Galien se sont aussi occupés des propriétés de la terre de Lemnos, sous le rapport médical. Galien même se rendit dans cette île pour étudier l'extraction, la nature et les applications de cette terre, et il reconnut qu'elle avait la propriété de guérir les plaies invétérées, les morsures des vipères, et qu'elle avait de puissantes vertus pour remédier à certains cas d'empoisonnement. - Carte de Lemnos. On trouvait la terre sigillée dans une colline située à quatre portées de trait de la ville d'Héphustia, dans la partie orientale de Lemnos. Cette colline était célèbre par la tradition qui rapportait qu'elle avait reçu Héphaistos précipité du ciel. L'extraction de cette terre se faisait avec certaines cérémonies auxquelles présidait un prêtre de'Héphaistos. Au temps de Dioscoride, on la mêlait avec du sang de bouc, qui lui donnait la consistance d'une pâte dont on formait des petits pains, sur lesquels on imprimait avec un cachet la figure d'une chèvre. Cette empreinte ne fut pas toujours la même, et elle varia selon les temps; à une certaine époque on y avait marqué l'image de Diane. Mais jusque dans les temps modernes, l'extraction de la terre sigillée est restée pour les Lemniens une sorte de solennité religieuse. Bélon ne put en être témoin, parce que cette cérémonie n'avait lieu qu'une fois l'an, le 6 août; il se contenta de visiter le colline du sein de laquelle on tirait ce précieux produit. Cette colline est près du village de Cochino et d'une petite chapelle, appelée Sotira. Mais il se fit raconter tous les détails de cette fête parles gens du pays, et il les reproduit de la manière suivante : « Les plus grands personnages et les principaux de l'isle s'assemblent, tant les Turcs que les Grecs, prêtres et caloières, et vont en cette petite chapelle, nommée Sotira, et en célébrant une messe à la grecque, avec prières; vont tous ensemble accompagnez des Turcs, montent sur la colline, qui n'est qu'à deux trajets d'arc de la chapelle et font beicher la terre par cinquante ou soixante hommes, jusques à tant qu'ils l'ayent découverte, et qu'ils soyent venus à la veine : et quand ils sont venus jusques à la terre, alors les caloières en remplissent quelques turbes ou petits sacs de poil de bestes, lesquels ils baillent aux Turcs qui sont là présents, savoir eu soubachi ou au vayvode; et quand ils en ont prins autant qu'il leur en faut pour cette fois, alors et dès l'heure même ils referment et recouvrent la terre par les ouvriers qui sont encore là présents. En après le soubachi envoye la plupart de la terre qui a esté tirée, au Grand Turc à Constantinople. Le reste il la vend aux marchands [...]. Ceux qui assistent quand on la tire de sa veine en peuvent bien prendre chacun quelque petite quantité pour leur usage; mais ils n'en oseroyent vendre qu'il fust sceu. Les Turcs sont moins scrupuleux que les Grecs et que beaucoup d'autres nations. Ils permettent que les Grecs chrétiens facent leurs prières sur la terre scellée en leur présence, et eux mesures assistent et aydent aux Grecs. Et s'il est vray ce que nous en ont dit les plus vieux, telle façon de faire d'avoir éleu un seul jour en un an , leur fut introduite du temps que les Vénitiens dominoyent à Lemnos et aux isles de la mer Egée.-"Comme au temps des Anciens, cette terre, réduite en petits pains, est marquée du sceau du Grand Seigneur; et du sérail elle se répand, par cadeaux ou par commerce, dans toute l'Europe. Géographie politique. "Le labyrinthe de Lemnos, dit Pline, est semblable aux trois autres; seulement, il est plus remarquable, à cause de ses cent cinquante colonnes, dont les fûts dans l'atelier étaient si parfaitement suspendus qu'un enfant suffisait pour faire aller le tour où on les travaillait. Il a été construit par les architectes Smilis, Rhaecus et Théodore. Il en subsiste encore aujourd'hui des restes, misérables il est vrai, mais ceux de Crète et d'Italie ont entièrement disparu. "Au temps de Bélon, au XVIe siècle, il ne restait plus aucun vestige du labyrinthe de Lemnos. Cochino a un fort beau port. On y voit, écrivait Dapper au XVIIe s., un vieux château, qui est presque entièrement démoli, et dont les murailles, battues par les flots de la mer, tombent tous les jours en ruine. La capitale de l'île, appelée Lemno, Limio ou Stalimène, est située sur le penchant d'une colline qui vient se terminer au bord de le mer, et qui en est environnée des deux côtés. Le coteau sur lequel la ville est bâtie est environné de vieilles murailles, et porte à son sommet un château autrefois séjour de la garnison turque et du gouverneur. L'accès de ce château est très diffici!e, de sorte qu'il est beaucoup plus fort par son assiette que par ses fortifications. Les coteaux qui environnent la ville sont couverts de vignes, dont l'aspect justifie l'épithète d'ampeloessa, donnée à Lemnos par Quintus Calaber. Au temps de Bélon cette île était bien peuplée et très florissante; on y comptait soixante-quinze villages, habités par des Grecs, riches, laborieux, et adonnés à l'agriculture. Ses ports étaient fréquemment visités par les négociants italiens, et sa géographie moderne est plus connue que l'ancienne et a une plus riche nomenclature. Les Anciens ne nous ont conservé que le nom du cap Hermaeum, qui est la pointe septentrionale de l'île; c'est aujourd'hui le cap Blava. Les voyageurs et géographes modernes nous donnent les noms du cap Stala au sud-est, du cap Koudia au sud-ouest et de la pointe Palaeo-Castro au nord-ouest. Ils donnent à la montagne qui est près de Lemno le nom de Therma, et ils énumèrent les ports Paradis au nord-est, Koudia au sud , qu'une presqu'île formée par le mont Saint-Antoine sépare du port Saint-Antoine, vaste golfe qui creuse profondément la côte sud de Lemnos et qui la sépare presque en deux parties. Myhologie. Après cela, comme le feu et les arts viennent du ciel, Homère pouvait très bien supposer ou répéter la légende qui racontait comment Héphaistos était tombé du ciel. C'est ce qu'il fait deux fois et de deux manières différentes. L'une de ces traditions rapporte que Héra, honteuse de la difformité de son fils, le précipita du ciel; qu'Eurynome et Thétis, filles de l'Océan, le cachèrent sous les eaux, et le sauvèrent, Ailleurs il est dit, dans l'Iliade, que Zeus prit Héphaistos par le pied, qu'il le jeta hors du ciel, et qu'étant descendu tout le jour, le dieu tomba dans l'île de Lemmos au coucher du soleil; qu'il était à demi mort, et que les habitants lui donnèrent desseins et le ranimèrent. Valerius Flaccus, dans ses Argonautiques, reproduit cette dernière tradition, qui devint populaire, et dont les Lemniens racontèrent encore à Bélon, en 1548, les principaux détails. Crimes des Lemniennes. Les Argonautes. Les descendants des Argonautes et des Lemniennes s'appelèrent les Minyens, nom d'une tribu pélasgique établie à Iolcos en Thessalie et à Orchomène en Béotie , et dont il est naturel de retrouver le nom dans tous les lieux où elle fonda des colonies. Philoctète à Lemnos. " Il n'y a ni port, ni commerce, ni hospitalité, ni homme qui y aborde volontairement. On n'y voit que les malheureux que les tempêtes y ont jetés, et on n'y peut espérer de société que par des naufrages; encore même ceux qui venaient en ce lieu n'osaient me prendre pour me ramener; ils craignaient la colère des dieux et celle des Grecs. » (Fénelon, Télémaque, I.)Jamais en réalité Lemnos n'était devenue un si affreux désert; mais quel puissant moyen pour émouvoir sur l'abandon et les douleurs de Philoctète que le triste tableau de cette terre inhospitalière, où le héros délaissé gémit pendant dix ans loin du commerce de ses semblables. Et cependant cette île sauvage, si repoussante tant que Philoctète y souffre, il la regrette quand il doit la quitter, et l'art de l'écrivain sait presque nous la rendre aimable et chère par ces plaintifs et touchants adieux : "Adieu, cher antre! Adieu, nymphes de ces prés humides : je n'entendrai plus le bruit sourd des vagues de cette mer! Adieu, rivage où tant de fois j'ai souffert les injures de l'air! Adieu, promontoires où Écho repéta tant de fois mes gémissements! Adieu, douces fontaines qui me fûtes si amères. Adieu, ô terre, de Lemnos! »Tyrrhéniens s'établissent à Lemnos. Les premiers habitants de Lemnos sont appelés par Homère et Strabon les Sintiens : c'était une tribu d'origine thrace, qui parlait une langue que le poète qualifie de barbare. Les Minyens, descendants prétendus des Argonautes, qui dominèrent ensuite à Lesbos, appartiennent aussi à la même population. Enfin, quelque temps après la guerre de Troie, Lemnos reçoit une nouvelle colonie, qui portent le nom particulier de Tyrrhéniens. Selon Hérodote, ce gens de ce peuple, qui avait construit la muraille de la citadelle d'Athènes, ayant outragé les filles des Athéniens, furent chassés par ces derniers, et allèrent se réfugier dans l'île de Lemnos. L'arrivée de ces nouveaux colons força les Minyens à émigrer; ils se retirèrent en Laconie, où ils furent accueillis avec hospitalité, en considé ration de Castor et Pollux, les héros tyndarides qui avaient fait partie de l'expédition des Argonautes, et qui comptaient parmi les ancêtres revendiqués par ces Myniens. Lemnos ne fut pas la seule contrée où les Tyrrhéniens s'établirent. Il paraît certain qu'une nation appelée les Tyrrhéniens, et à laquelle on donne souvent l'épithète de Pélasgique, avait occupé autrefois les côtes occidentales de l'Asie Mineure et les îles voisines. Strabon prouve, par les témoignages d'un grand nombre d'auteurs, que les contrées de l'Asie voisines de la Lydie, qui reçurent plus tard tant de colonies helléniques, avaient eu d'abord des Pélasges pour habitants. Ces Pélasges s'appelaient les Tyrrhéniens ou Tyrséniens. Anticlide, cité par Strabon, disait que c'étaient les Pélasges de Lemnos et d'Inibros qui avaient suivi Tyrrhénus en Italie. Porphyre, dans la Vie de Pythagore, disait que Mnésarque, père de ce philosophe, était originaire de cette nation tyrrhénienne qui occupait Lemnos, Imbros et Scyros. On pourrait prouver encore par d'autres témoignages l'existence de cette tribu pélasgique des Tyrrhéniens établie au nord de la mer Egée nation maritime, industrieuse, commercante, qui eut sans doute d'étroites relations avec la dynastie lydienne des Atyades, et dont elle accompagna l'un des princes en Italie, où l'on retrouve une puissante nation tyrrhénienne, évidemment d'origine asiatique. Ce qui nous permet d'introduire ici ces considérations générales, qui paraissent étrangères à l'émigration des Pélasges de l'Attique, c'est que Plutarque les appelle des Tyrrhéniens, et que c'est toujours ce nom qui domine toutes les fois qu'il est question dans les anciens auteurs de la population primitive de Lemnos et des îles circonvoisines. Ces Pélasges tyrrhéniens de Lemnos, irrités contre les Athéniens , qui les avaient chassés, cherchèrent les moyens de se venger d'eux. « Comme ils connaissaient très bien leurs jours de fête , dit Hérodote, ils équipèrent des vaisseaux à cinquante rames, et, s'étant mis en embuscade, ils enlevèrent un grand nombre d'Athéniennes qui célébraient la fête d'Artémis dans le bourg de Brauron. Ils remirent ensuite à la voile, et les menèrent à Lemnos, où ils les prirent pour leurs concubines. De ces unions illégitimes naquirent beaucoup d'enfants, à qui leurs mères apprirent la langue et les usages d'Athènes. Ces enfants ne voulaient pas, par cette raison, avoir aucun commerce avec ceux des femmes des Pélasges; et si quelqu'un d'entre eux venait à en être frappé, ils accouraient tous à son secours, et se défendaient les uns les autres. Ils se croyaient même en droit d'être leurs maîtres, et ils étaient bien plus forts. Le courage et l'union de ces enfants firent faire de sérieuses réflexions aux Pélasges. Quoi donc! se disaient-ils dans leur indignation, s'ils sont déjà d'accord pour se donner du secours coutre les enfants des femmes que nous avons épousées vierges, s'ils tâchent dès à présent de dominer sur eux, que ne feront-ils pas quand ils auront atteint l'âge viril! Ayant pris là dessus la résolution de tuer tous les enfants qu'ils avaient eus des Athéniennes ils exécutèrent ce projet, et massacrèrent aussi les mères en même temps.-"Tel fut le second de ces crimes atroces qui ont rendu proverbiale la cruauté des Lemniens. Après ce massacre, la colère des dieux ne tarda pas à se faire sentir. « La terre cessa de produire des fruits, continue Hérodote, et les femmes et les troupeaux devinrent stériles. Affligés par la famine et par la stérilité de leurs femmes, les Lemniens envoyèrent à Delphes prier le dieu de les délivrer de leurs maux. La Pythie leur commanda de donner aux Athéniens la satisfaction que ceux-ci jugeraient à propos d'exiger. Les Pélasges se rendirent à Athènes, et promirent de subir la peine qu'on leur imposerait en réparation de leur crime. Les Athéniens dressèrent un lit dans le Prytanée avec toute la magnificence possible, et, ayant couvert une table de toutes sortes de viandes et de fruits, ils dirent aux Pélasges de leur livrer l'île de Lemnos dans le même état où était cette table. Nous vous la livrerons, reprirent les Pélasges, lorsqu'un de vos vaisseaux arrivera par un vent de nord-est de votre pays à Lemnos, en un seul jour. Ils firent cette réponse, parce que l'Attique étant située au midi de Lemnos, et a une distance considérable de cette île, il leur paraissait impossible de faire un si long trajet en un jour par un vent de nord-est."Conquête de l'île de Lemnos par les Athéniens (510). Pour le moment les choses en restèrent là, et les Tyrrhéniens continuèrent à occuper Lemnos jusqu'au temps des guerres médiques, sans que pendant cette longue suite de siècles il soit jamais parlé d'eux et de leur île. Mais les Athéniens n'oublièrent ni la vengeance qu'ils avaient à tirer des Pélasges de Lemnos, ni la prédiction qui leur avait été faite, et qui devait se réaliser d'une façon singulière. Pendant la tyrannie de Pisistrate, Miltiade l'ancien, fils de Cypsélus, riche Athénien qui remporta aux jeux Olympiques le prix de la course des chars, et qui descendait d'AEacus, avait fondé une principauté dans la Chersonèse de Thrace. A sa mort, en 531 , son neveu Stésagoras , fils de Cimon, lui succéda dans le gouvernement de cette possession importante, par laquelle Athènes commentait l'établissement de son empire maritime. Quelque temps après, Stésagoras ayant péri de mort violente, les Pisistratides envoyèrent dans la colonie son frère Miltiade pour le remplacer (515). C'était bien malgré eux qu'ils confiaient un tel pouvoir à un homme dont ils avaient assassiné le père; mais la famille de Miltiade était trop bien affermie dans la Chersonèse pour que la jalousie des Pisistratides pût songer à l'en déposséder. Cependant Miltiade, sachant tout ce qu'il avait à craindre de ses puissants et soupçonneux ennemis, résolut de se mettre à l'abri de toute tentative, et de se donner en Chersonèse une autorité égale à celle des Pisistratides à Athènes. C'était un homme aussi rusé que brave, et qui, avant de remporter la victoire de Marathon, s'était signalé plutôt par des traits d'adresse que par des actions d'éclat. Dès qu'il fut arrivé en Chersonèse, il songea donc à s'emparer de la tyrannie. Sous prétexte C'est alors que Miltiade se vit en état de remplir la condition, en apparence impossible, que les Lemniens avaient mise à leur soumission, et de satisfaire la vengeance de ses compatriotes. La Chersonèse de Thrace, où régnait depuis longtemps sa famille, pouvait être appelée une terre athénienne, et elle se trouvait à peu d'heures et au nord des îles d'Imbros et de Lemnos. Il passa donc en un jour, à la faveur des vents étésiens, de la ville d'Éléonte dans l'île de Lemnos, et il somma les habitants de sortir de leur île. Ceux d'Héphaestia obéirent; mais ceux de Myrine, ayant répondu à Miltiade qu'ils ne reconnaissaient pas la Chersonèse pour l'Attique, ils soutinrent le siège jusqu'à ce qu'ils se vissent forcés de se rendre (510). Peu après, Miltiade se vit enlever sa conquête. Darius, roi de Perse, ayant échoué dans son expédition contre les Scythes, avait chargé son général Mégabase, et après lui Ota. nès, de lui soumettre toute la partie orientale de l'Europe, c'est-à-dire la Thrace et la Macédoine. Otanès ne se borna pas à ces conquêtes sur le continent; il soumit aussi les îles du nord de la mer Égée. Avec l'aide d'une escadre fournie par les habitants de Lesbos, il attaqua les îles d'Imbros et de Lemnos, dont la population était encore toute pélasgique. Lemnos ne se rendit pas sans nue vive résistance : elle fut remise à Lycarète, frère de Maeandrius, tyran de Samos. Miltiade, trop compromis avec les Perses pour rester dans la Chersonèse, fut obligé de se réfugier à Athènes, qui perdit momentanément ses possessions de Thrace et des îles. Mais après leurs grandes victoires de Marathon et de Salamine, les Athéniens s'emparèrent de l'empire de la mer Égée, et ils n'eurent pas de peine à se rétablir dans Lemnos et Imbros, qui furent dès lors comme des annexes du territoire de l'Attique. La population de ces deux îles devint tout athénienne de langage, de moeurs et de coutumes. Les Tyrrhéniens furent expulsés entièrement ou se mélèrent aux colons qui vinrent d'Athènes. A partir de cette époque les îles de Lemnos, d'Imbros, et même de Scyros, restent invariablement rattachées à la domination d'Athènes, qui ne perdit ces possessions que lorsqu'elle cessa elle-même d'être une cité libre. Dans la guerre du Péloponnèse, les soldats d'lmbros et de Lemnos sont de toutes les entreprises des Athéniens. Ils servent dans le siège de Mytilène, dans l'expédition de Sphactérie, dans les campagnes en Chalcidique contre Brasidas, dans la grande expédition de Sicile. Après Aegos-Potamos, 405, Lysandre enlève ces îles aux Athéniens, et Conon les leur rend après la bataille de Chide (396). Aux négociations du traité d'Antalcidas, les Athéniens obtinrent qu'on leur laisserait la possession de ces trois îles. Lemnos, Imbros et Scyros furent exceptées en leur faveur de cet affranchissement général de toutes les cités grecques que proclamait la politique perfide de Sparte et de la Perse (387). Dans la guerre Sociale, Lemnos et Imbros restèrent fidèles, ainsi que les colons samiens. Les alliés les en punirent par des ravages. Cent vaisseaux de Cos, de Rhodes, de Byzance et de leurs auxiliaires parcoururent la mer Égée, maltraitant partout ceux qui persévérèrent dans leur attachement aux Athéniens. Lemnos, Imbros et Samos furent les îles qui souffrirent le plus de cette expédition. Après la guerre Lamia que (322), où ils furent vaincus par Antipater, les Athéniens perdirent tout ce qui leur restait de leurs possessions extérieures. Leurs colons furent chassés de Samos, et on leur enleva Lemnos, Imbros et Scyros. Détachée d'Athènes, Lemnos eut beaucoup à souffrir des prétentions des divers princes qui se disputaient la suprématie de la Grèce, et cherchaient à asservir tout en lui promettant la liberté. Elle changea plusieurs fois de mains, occupée tantôt par Cassandre, fils d'Antipater, tantôt par Démétrius fils d'Antigone. Enfin elle resta à la Macédoine. Après la défaite de Persée (168 avant JC), les Athéniens, qui étaient en faveur auprès des Romains, se firent rendre leur possession de Lemnos, réclamation que Polybe trouve très fondée, puisque Lemnos leur avait appartenu autrefois. Bientôt après (146), la Grèce fut réduite en province romaine; Athènes perdit encore sa possession de Lemnos, et cette fois c'était pour ne jamais la recouvrer. On ne connaît aucune médaille qui porte le nom de Lemnos; celles que Choiseul-Gouffier a fait graver sont d'Héphaestia. Deux de ces médailles représentent un tête de femme et un bélier; au revers de la troisième est une torche entre deux bonnets, symboles de Castor et de Pollux. Lemnos dans les Temps modernes. Lemnos, appelée communément Stalimène par les auteurs du Moyen âge, fit partie de l'Empire grec jusqu'à l'époque de la quatrième croisade. Ensuite elle fut disputée aux Byzantins par les Vénitiens et les Génois. Au XIVe siècle, elle fit partie du petit état que les Gateluzi avaient fondé à Métélin. Mais alors les Turcs Ottomans commençaient à infester l'Archipel et à piller toutes les îles grecques. Les papes excitaient continuellement les princes chrétiens à se réunir et à s'armer pour repousser les infidèles, lis n'étaient entendus que par ceux qui étaient intéressés à ces guerres, comme les Génois et les Vénitiens. Seuls, les chevaliers de Rhodes étaient animés du zèle de la religion, et combattaient comme soldats de la foi. Leurs galères parurent souvent dans les eaux de Lemnos et des îles voisines, et y eurent de fréquents engagements avec l'ennemi. En 1457, l'expédition dirigée par Louis , patriarche d'Aquilée, à l'instigation de Callixte III, ne put empêcher la chute des Gateluzi, que Mehemet Il dépouilla en 1462. Les Vénitiens défendirent Lemnos encore pendant quelques années. Les Turcs l'assiégèrent l'an 1475 , et furent contraints de lever le siège. Ce fut alors qu'éclata le grand courage d'une jeune fille nommé Marulla. « Moreri, écrit Bayle, en a fait mention; mais il a cru faussement qu'elle vivait dans le quatorzième siècle. II ajoute que Mehemet II enleva cette île aux Vénitiens. Cela n'est point exact, puisqu'il ne l'obtint que par un traité de paix , l'an 1478. Les Vénitiens la conquirent l'an 1656; les Turcs la reprirent l'année suivante, après un long siège. »Après la destruction de la flotte ottomane à Tchesmé (1770), l'escadre russe, repoussée des Dardanelles, alla former le siège de la citadelle de Lemnos. Hassan-bey, qui fut ensuite capitan-pacha, la délivra par un coup de main d'une audace extraordinaire. Sans bâtiment de guerre, sans une seule pièce de canon, il s'engage dans cette téméraire entreprise avec trois mille volontaires déterminés, montés comme lui sur de frêles barques. Une seule frégate d'observation suffisait pour détruire cette escadre singulière. Mais les Russes n'avaient pris aucune précaution pour surveiller la mer. Hassan débarque sans être aperçu, et marche au camp des assiégeants, qu'il culbute aussitôt. Rien ne lui résiste, il poursuit jusqu'au port Saint-Antoine les fuyards, qui se précipitent dans leurs vaisseaux, et les Turcs, maîtres du terrain, voient l'escadre ennemie lever l'ancre et s'éloigner à toutes voiles. C'est dans Choiseul-Gouffier que se trouvent les renseignements qui suivent sur l'île de Lemnos à la fin du XVIIIe siècle : « L'île de Lemnos, dit-il, est une des mieux peuplées de l'Archipel, en raison de son étendue; et, d'après des renseignements assez probables, si je ne puis dire parfaitement sûrs, il paraît que l'on peut porter jusqu'à trente mille le nombre de ses habitants. Le port de Myrina, ou de Lemnos , offre tous les avantages que l'on peut désirer; la ville l'entoure et un fort avancé le protège. On y construit des bâtiments de toutes espèces, et même des vaisseaux de guerre avec des bois apportés des côtes de la Thrace et de la Macédoine. Le fort est ordinairement occupé par une très faible garnison turque : le reste de l'île jouit assez paisiblement des abondantes productions du sol le plus fertile; et de nombreux troupeaux se multiplient dans toutes les parties qui ne sont pas aussi favorables a la culture. De vastes prairies s'étendent au nord du port de Moudros; ce sont sans doute ces pâturages que Strabon appelle Euboea, nom qui indique un endroit propre à nourrir des boeufs. A l'orient de cette prairie sont des terrains montueux, couverts de vignes, où l'on rencontre plusieurs villages, qui n'ont pas été déterminés sur le terrain, et que l'on n'a pas placés sur la carte. » (Choiseul-Gouffier, Voyage pittoresque de la Grèce, 1782) (L. Lacroix). |
. |
|
| |||||||||||||||||||||||||||||||
|