| Chaldée, parfois utilisé simplement comme synonyme de Babylonie, est le nom classique d'une contrée de l'Asie dont l'origine et l'étendue première ne sont pas faciles à déterminer. Dans le sens le plus large du mot les auteurs anciens et la Bible l'emploient pour la partie méridionale de la Mésopotamie; tandis que le sens le plus étroit c'est la région voisine de l'embouchure du Tigre et de l'Euphrate, la région alluviale baignée de ce côté par le golfe Persique. La forme classique provient du mot assyrien Kaldi par lequel les rois de Ninive désignent cette contrée; il n'a jamais été employé comme terme géographique par les inscriptions d'origine babylonienne. Les Assyriens l'emploient pour déterminer la contrée la plus méridionale, autrefois nommée Sumer, et distinguent Kaldi du pays d'Akkad formant la partie septentrionale de ce que les auteurs classiquent nomment la Chaldée. On emploie aussi le terme Kar-Dunias pour cette contrée; le nom de Sennaar peut être identique à Sumer dont la signification s'est plus tard étendue au nord. La Bible emploie la forme de Kasdin qu'on a mal à propos comparée à Kesed ou à Arpachsad; quant à l'identification avec Kilmad, le Kalwada, elle se soustrait à toute critique. Il est possible que le nom hébreu 'Casdim provienne d'un mot sumérien signifiant les deux eaux. L'identification qu'on a souvent mise en avant avec les Carduques des Grecs, les Kurdes d'aujourd'hui, ne repose sur aucun fonds sérieux, et avec cette étymologie tombe aussi la légende de l'immigration des Casdim venus des montagnes de l'Arménie. Il est pourtant possible que les Chaldéens originaires aient été apparentés aux Sumériens. Diodore de Sicile dit expressément que les Chaldéens appartenaient aux plus anciens habitants de la Babylonie, et l'hypothèse qu'ils soient venus en Mésopotamie au milieu du VIIe siècle av. J.-C. en descendant des montagnes du Nord, ce qu'on trouve souvent exposé dans des études exégétiques, repose uniquement sur une fausse interprétation d'un verset d'Isaïe (XXIII, 43). Tout aussi aventureuse est l'opinion qui assimile les habitants de la Chaldée aux Céphènes, nom originaire des Perses, selon Hérodote (VII, 61); rien dans ce passage ne justifie une pareille hypothèse. Plus tard le nom de Chaldéens s'emploiera dans un sens spécial (voyez l'encadré ci-dessous et la page sur l'astronomie mésopotamienne, autrefois connue sous le nom d'astronomie chaldéenne). Ici nous ne nous étendrons que sur le sens géographiqùe que revêt le mot Chaldée. Les Chaldéens Les habitants de la Chaldée dans le sens propre du mot se rencontrent déjà comme terme ethnographique et figurent dans ce sens dans une des dynasties antiques de Bérose comme ayant gouverné en Assyrie; cet historien compte 49 rois ayant régné de 2059 à 160. Le Livre de Daniel (V, 30 et IX, 1) emploie encore ce terme dans la signification ethnographique, mais à coté de ce sens de nombreux passages (II, IV et passim) en révèlent l'acception qui depuis s'est attachée spécialement dans l'Antiquité au nom des Chaldéens. Ils sont classés avec les magiciens, les astrologues et les devins et le même écrit biblique (I, 4) par le expressément de la langue et de la sagesse des Chaldéens. Les Chaldéens, chez les auteurs anciens depuis les temps d'Alexandre, forment une classe à part dans la population babylonienne et désignent la caste des prêtres prédisant l'avenir. Arrien (VII, 7) fait une distinction entre les Babyloniens et les Chaldéens; ceux-ci déconseillent aux conquérants macédoniens l'entrée de Babylone, avis qu'Alexandre écarte par le vers d'Euripide : Est le meilleur devin celui qui prédit de belles choses. Bérose, l'historien de I'Assyrie, vivant un demi-siècle après Alexandre, est nommé par Tatien (Or. adv. Gr., 58) un Chaldéen. Strabon (XVI, 1) parle des Chaldéens comme d'une classe de Babyloniens qui s'occupent d'astronomie, d'horoscopes et de mathématiques; cet auteur et d'autres parlent des différentes sectes et écoles ayant chacune ses opinions et ses dogmes particuliers. Parmi ces écoles différentes on cite surtout celles de Sippara, Borsippa et Orchoé. L'affirmation de Strabon que les Chaldéens étaient une tribu habitant surtout les bords du golfe Persique et du côté de l'Arabie semble sans fondement; et rien dans les textes cunéiformes ne distingue les habitants de la contrée méridionale des autres régions babyloniennes. Dans les inscriptions assyriennes on trouve bien le mot de Kaldaï, mais seulement appliqué au roi Suzub de Babylone, adversaire de Sennachérib. Il est possible que cette mention presque unique du nom de Chaldéen s'applique à un homme originaire du bas Euphrate. Quelques auteurs ont proposé de faire une distinction entre Chaldéen et Babylonien au point de vue des dynasties et des aspirations politiques. Nabopolassa et Nabuchodonosor auraient fondé la dynastie, non pas babylonienne, mais chaldéenne. Cette distinction n'a pas d'importance, et il est sans doute préférable, un fois pour toutes, de renoncer, comme c'est devenu l'usage de nos jours, à ce vieux terme de Chaldéens, au sens trop fuyant pour être utile, et de s'en tenir à celui de Babyloniens pour parler de la même chose. | La Chaldée dans le sens général du mot occupait le terrain compris entre le 33° et le 29° de latitude Nord, borné au nord par une ligne qui va de Hit sur l'Euphrate, à Tikrit sur le Tigre. Ptolémée (V, 20), nomme en dehors de Babylone les contrées d'Amordacia et d'Amoritis. On distinguait du temps des Grecs et des Romains, en allant du Nord au Sud, les contrées d'Apolloniatis, de la Parapotamie, de la Mésobatène, de la Mesène et de la Characène qui formaient plus tard, pendant plusieurs siècles, des royaumes à part. Le pays, situé entre deux grands fleuves, devait à un système d'irrigation sa merveilleuse fertilité. Depuis les temps les plus antiques, ce pays de Kar -Dunias (peut-être Gaon-Dunias), «-fort de Dunyas », nom d'un dieu élamite, était sillonné par un système de canaux. Ce réseau était composé de plusieurs cours d'eau transversaux qui joignaient en allant à peu près d'Est à Ouest les deux grands fleuves qui donnent le nom et la vie à la Mésopotamie; d'autres, du Nord au Sud, croisaient ces canaux et répandaient partout l'eau de l'Euphrate et du Tigre. Le premier de ces cours principaux était le grand canal royal, le Nahr Malcha de Bérose, qui quittait l'Euphrate à Périsaboras et qui est presque identique au Saklawyeh moderne; il se jetait non loin de Bagdad dans le Tigre. La seconde grande tranchée, également nommée « fleuve royal » Nahr Malcha, amorçait l'Euphrate près de Divanivé et débouchait du côté de Séleucie. Au nord, la rivière de Kutha passait à Musaib et joignait le Tigre entre Bagdad et Séleucie. A la même hauteur de l'Euphrate se détachait le plus important de tous, le Pallacopas d'Arrien qui allait traverser du Nord au Sud le pays de la Babylonie en passant par Borsippa et arrosait l'Ouest de la Mésopotamie. D'autre part, du coté Ouest de l'Euphrate, un canal allait du côté de Musaib, non loin du Sippara ancien et longeait l'Ouest de l'Euphrate jusqu'au Chatt-el-Arab. Le Sud de la Chaldée était traversé par un autre réseau très nourri et composé d'une multitude de petits cours d'eau qu'il est très difficile de déterminer aujourd'hui d'autant plus qu'on ne saura pas toujours distinguer dans les berges actuelles les oeuvres des Chaldéens, de celles de leurs successeurs musulmans. Parmi les noms cunéiformes, il s'en trouve une quantité dont la situation géographique n'est pas à déterminer; il n'y a pas de rois qui ne se vantent d'avoir creusé des canaux pour augmenter la fécondité du sol natal. Déjà au XXIVe siècle avant l'ère chrétienne, le roi Hammurabi creusa un canal qu'il nomma, d'après son père, Nahar-Sin-mubanit; tous les monarques de la Chaldée travaillaient à cette oeuvre vitale. Ce fut surtout l'oeuvre de la dernière dynastie chaldéenne à partir de Nabopolassar qui compléta l'oeuvre de ses prédécesseurs. Les inscriptions de Nabuchodonosor s'étendent longuement sur le creusement des cours d'eau. Un vaste réservoir, oeuvre gigantesque, garantissait le pays contre les dangers d'inondation. En dehors des canaux, la Chaldée possédait un lac naturel, le lac près de Meschhed-Aly ou Nadjaf, aujourd'hui long de 55 kilomètres, et qui est joint à l'Euphrate par une rivière naturelle aujourd'hui nommée Chatl-el-Atchan. Au Sud, il y a les marais de la Chaldée, surtout du côté Ouest de l'Euphrate, dont parlent Strabon et Arrien (liv. VII), où Alexandre courut de sérieux dangers. Plusieurs de ces cours d'eau étaient navigables. De nos jours le canal de Hindiyeh traverse toute la contrée. Dans le Sud, près du golfe Persique, il y avait les tranchées de Térédon et le Fossé d'Hyspasinon qui donnait le nom à la Characène. Le sol naturellement fertile des alluvions, alimenté par un système de canaux si développé, donnait à la Chaldée une fertilité proverbiale. Hérodote (I, 193), remarque déjà qu'il pleuvait peu dans cette contrée et que ce manque, d'eau était compensé par la circonstance que le pays était partout coupé par des canaux. Il dit qu'en fait de blés c'était le pays le plus fertile qu'on connaissait de son temps; d'après d'autres, le froment y croissait à l'état sauvage. Le file donnait deux cents à trois cents fois son produit en grains. L'orge, le sésame, une quantité de fruits y prospéraient. D'après Pline, on récoltait le blé deux fois par an, ce qui du reste est confirmé par de nombreux textes cunéiformes. Une véritable providence était le palmier qui fournissait aux habitants une nourriture abondante et dont on faisait des boissons fermenteés, du vinaigre et une sorte de pain. On employait le bois comme moyen de chauffage. Dans les documents juridiques il est question d'énormes quantités de dattes qui figurent comme marchandises. Le pays donnait en outre des olives, des figues, des raisins, et le vin semble y avoir été très abondant. Nous rencontrons, parmi les produits naturels, des bêtes à cornes, des chèvres, des brebis, des chevaux, des ânes et des mulets. D'après Ammien Marcelin (XXIV, 2), l'armée de Julien traversa une suite continuelle de jardins. Cette fertilité se maintint à travers le Moyen âge, le voyageur arabe Ibn-El-Djobeïr comparait la contrée également à un jardin. Aujourd'hui le pays de l'intérieur est presque désert. Les bords seuls des fleuves sont garnis de dattiers, de grenadiers, d'oliviers et de figuiers. Les marais ont en même temps envahi la contrée. La Chaldée, densement peuplée, comptait un très grand nombre de villes dont quelques-unes remontent à une très haute antiquité, parmi lesquelles nous mentionnerons en dehors de Babylone, Sippara, la ville du Soleil, aujourd'hui Abou-Habba, au Nord, Sippara de la planète Vénus (Anunit), probablement Sofeirah; Agadé « ville du feu éternel », sémitisée en Akkad qui a donné le nom à toute la région vis-à-vis de Sippara ou Sippar, ville du Soleil; puis Cutha, en sumérien Tig-gaba, le Digba de Ptolémée; Dur-Kurigalzi, probablement la ruine Akarquf d'aujourd'hui et Sittace des Anciens; Pase, Dur-et, Apak, puis Dilbat plus tard en vogue sous les Arsacides, Avadj d'aujourd'hui; Harsag-Kalama, Kis, Kullab, Nipar, aujourd'hui Nuffar. Dans le Sud de la Chaldée il y avait les villes célèbres de Ur, aujourd'hui Mugheïr, Uruk, Erech de la Bible, Orchoé des Grecs aujourd'hui Warka; Sirtella, le Telloh d'aujourd'hui connu comme cité du roi Gudéa; Laarsa aujourd'hui Senkéreh; Larrak, le Larancha de Bérose et beaucoup d'autres dont l'emplacement ne peut pas être déterminé. Des villes s'élevaient successivement sur les bords de l'Euphrate et du Tigre et sont citées par les auteurs grecs : Is, le Hit moderne connu par ses sources de bitumes, Abara, Thamara, Cybate, Donantila, Chuduca, Aserga, Ratta, Anar et Teredon, sont citées par les Anciens. La ville parthe de Vologesia était située sur le Pallacopas. Le Tigre baignait une quantité de villes moins illustres pourtant dans l'Antiquité, mais plus connues dans les époques modernes. A partir d'Upè, Opis d'Hérodote, ville florissante et située sur les confins de l'Assyrie, nous citons Bagadata, dénomination perse remplaçant un nom antique, et parvenue à une splendeur exceptionnelle sous le nom de Bagdad; puis la capitale du monde séleucide, Séleucie, remplacée après sa destruction par l'empereur Vérus par la double cité séparée par le Tigre, Coché et Ctétsiphon. Ces deux dernières villes ont été illustres comme capitales des Sassanides et sont connues par leur nom arabe collectif, Et-Modaïn, « les villes ». Au Sud de ce côté se trouvait la ville connue d'Apamée, fondée par Antiochus et probablement voisine de la ville de Kurnah. Dans le Bas-Tigre, le Pasitigris des Anciens, se trouvait à une époque plus reculée le pays Gambul avec la capitale éphémère de Duryakin, connue par le grand siège que soutint Merodach-Baladan en 710 av. J.-C. Nous bornons là l'énumération des localités chaldéennes et nous n'empiétons pas sur la nomenclature toute différente qui s'est formée depuis la conquête musulmane. (J. Oppert). | |