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Malgré
la haute antiquité de l'histoire de la
Chine, on ne peut faire remonter d'une manière précise,
à une époque plus reculée que cent cinquante ans avant
notre ère, la connaissance que les Chinois ont eue des régions
qui s'étendent à l'occident de leur vaste empire. Nous ne
comprenons donc pas, dans cet exposé de la géographie
des Chinois, les descriptions de leur empire, car alors il faudrait faire
remonter leurs connaissances géographiques au XXIIIe
siècle avant notre ère,
date du Chon-king, livre canonique de morale
et d'histoire, dont un chapitre, intitulé
Jû-koung,
comprend la description de la Chine, divisée en neuf arrondissements
(tcheou), à savoir : Ki, Yen, Tsing Su, Yang, King, Yu, Leang
et Yong.
La
connaissance du monde qu'avaient les anciens chinois.
Ce ne fut que sous
l'empereur Hiao-wou-ti, qui régna depuis l'an 142
jusqu'à l'an 87
avant que la Chine
commença à avoir des rapports réglés avec les
pays de l'occident. Les Chinois connaissaient les Hioung-nou ( Les
Huns), qui différaient des Ou-siun et des autres nations tatares,
en ce qu'ils vivaient dans des villes et s'adonnaient à l'agriculture.
A l'ouest de ce peuple et au sud des Ou-siun, on comptait trente-six États
dont les princes avaient été soumis anciennement aux Hioung-nou,
mais qui ne payaient plus à ceux-ci qu'un tribut honorifique. Le
roi des Hioung-nou ayant forcé les Youeï-chi vaincus à
porter leurs établissements au loin, l'empereur conçut le
projet d'entrer en relations avec ceux-ci, afin de parvenir à ruiner
les Hioung-nou. Le général chinois Tchhangkian fut chargé
de cette mission. Cet ambassadeur part accompagné de quelques officiers
et d'une suite de cent personnes; mais les Youeï-chi, après
s'être emparés du pays des Saï, qui s'étaient
réfugiés dans celui des Hian-tou, avaient été
forcés par les Ou-siun de s'établir dans le Ta-wan ou Schasch,
puis dans le Ta-hia ou pays des Daces, et s'étaient
enfin fixés au bord de l'Oxus. Tchhangkian, se dirigeant vers la
Transoxiane ,
est pris par les Hioung-nou, qui avaient pénétré ses
desseins; cependant, après dix années de captivité,
il s'échappe, arrive dans le Ta-wan dont les habitants l'accueillent
et lui facilitent les moyens d'aller dans le Kong-kiu ou la Sogdiane ,
d'où il se rend chez les Youeï-chi qu'il ne peut déterminer
à revenir dans leurs anciennes possessions pour faire la guerre
aux Hioung-nou. Tchhangkian, après avoir échoué dans
sa mission, revient par le Tibet ,
afin d'éviter ces peuples; mais comme leurs courses s'étendaient
jusque dans cette contrée, il retombe entre leurs mains, et ne parvient
qu'à la faveur des troubles causés par la mort de leur
roi à retourner en Chine, après une absence de treize années,
suivi d'un seul de ses anciens compagnons. Il rapporta de son voyage des
connaissances géographiques tout-à-fait nouvelles pour les
Chinois; il leur fit connaître les Indiens
sous le nom de Chin-tou, et leur apprit que les habitants du Sset-chhouan
venaient commercer aux Indes, et jusque dans la Bactriane ,
en traversant des montagnes par une route beaucoup plus courte que celle
qu'il avait prise.
Le voyage de Tchhangkian
inspira aux empereurs de la dynastie des Han le désir
de porter leurs armes dans les contrées qu'il avait parcourues.
Ce projet réussit. Vers le commencement de notre ère, la
Tatarie
occidentale forma cinquante-cinq petits États dont les princes étaient
tous vassaux de l'empire; la Chine
exerçait en outre une sorte de protectorat sur la Sogdiane
et sur la Bactriane .
Deux routes traversaient d'abord la Tatarie occidentale; on s'empressa
d'en tracer une troisième. Dans le courant du Ier
siècle, plusieurs Chinois voyagèrent en Inde
dans le but de recueillir et de rapporter dans leur pays des livres relatifs
à la religion de Bouddha .
Vers la fin du même
siècle, la puissance chinoise fut un moment ébranlée;
ses conquêtes dans l'Ouest faillirent lui échapper. Les Hioung-nou
s'étaient emparés du pays des Ouïgours;
mais cet échec fut bientôt réparé; on reçut
même la soumission des Tadjiks, ou de la Perse ,
des A-si, ou de la Boukharie ,
et de tous les peuples qui habitaient jusqu'aux bords de la mer Caspienne .
Un général chinois reçut alors la mission de visiter
ces nouvelles possessions; son voyage procura une foule de connaissances
géographiques qu'on n'avait pas eues sous les précédentes
dynasties.
Les expéditions
des Chinois vers la mer Caspienne avaient
principalement pour but le commerce entre la Chine et le Grand T'sin, ou
l'empire romain .
Abel
Rémusat en trouve la preuve dans un auteur
chinois qui prétend que les princes de cet empire avaient toujours
eu le désir d'entrer en relations avec la Chine, mais que les A-si,
qui vendaient leurs étoffes à ceux du Grand T'sin, tenaient
soigneusement secrets les chemins à suivre et les moyens qui pouvaient
favoriser les relations directes entre les deux empires. D'après
ce même auteur , ce doit être vers l'an 166
de notre ère qu'arriva en Chine par Ji-nan, c'est-à-dire
par le Tonkin ,
la première ambassade envoyée par An-thun, roi du Grand T'sin.
Ainsi le témoignage
d'un auteur chinois fournit la preuve positive de la connaissance que les
anciens avaient de la Chine .
Ce roi Au-thun ne peut être que l'empereur Antonin.
Il mourut en 161; c'est donc après un voyage de plus de quatre années
que ses ambassadeurs arrivèrent chez les Chinois.
-
Les Chinois
sur les mers
Klaproth
(dans un travail intitulé : Lettre à M. le baron de Humboldt
sur l'invention de la Boussole, 1 vol. in-8°, Paris, 1834), a prouvé
que dès le milieu du IIIe siècle de notre ère,
les Chinois, qui onze siècles avant J.-C. connaissaient l'aiguille
aimantée, dirigeaient leurs navires d'après des indications
magnétiques. Au commencement du VIe siècle, ils commencèrent
à entretenir des relations avec l'archipel de Lieou-Khieou, qu'ils
connaissaient précédemment. Aux VIIe et VIIIe siècles,
ils faisaient de longues courses maritimes : ils partaient de Canton, traversaient
le détroit de Malacca ,
allaient à Sri-Lanka ,
au cap Comorin, à la côte de Malabar, aux bouches de l'Indus
et jusqu'à l'Euphrate.
S'aidant de la boussole,
mais aussi des étoiles (en utilisant notamment comme repère
l'étoile Véga, dans la Lyre ),
ils naviguaient non seulement dans toute l'étendue de l'Océan
Indien ,
mais ils fréquentaient même les côtes de l'Arabie et
de l'Égypte ,
et entrenaient même des relations commerciales avec la côte
Swahili ,
c'est-à-dire le Sud-Est de l'Afrique .
Il résulte
évidemment de ces faits que l'on attribue à tort à
Flavio
Gioia, né dans les environs d'Amalfi vers la fin du XIIIe
siècle, l'invention de la boussole; que probablement il ne fit
que la perfectionner, puisque cent ans avant lui elle était connue
en Europe .
Les Arabes la possédèrent à peu près à
la même époque; ils la reçurent directement ou indirectement
des Chinois. Ce fut aux Arabes que les Francs
l'empruntèrent à l'époque des premières croisades .
D'après les
ouvrages chinois compulsés par Klaproth,
il est certain que l'ancienne boussole chinoise était ce qu'on appelle
la boussole aquatique, bien qu'ils se servissent depuis très longtemps
de la boussole à pivot, qu'ils fabriquaient avec une perfection
qui la mettait au-dessus de celles des Européens. |
Vers la fin de la
dynastie des Qin, c'est-à-dire l'an 399
de notre ère, plusieurs Samanéens chinois, excités
par le désir d'aller étudier les originaux des préceptes
du bouddhisme, entreprirent un voyage en Asie
centrale, l'Afghanistan ,
le Baloutchistan
et l'Inde .
Partis de Si-an-fou,
nos pèlerins passent le mont Loung, et arrivent à Koua-tcheou,
près du grand désert, s'arrêtent aux environs du lac
de Lop, dans le royaume de Chen-chen; ils y trouvent le bouddhisme
établi et des livres sanscrits,
fait assez curieux, qui prouve quelle était à la fin du IVe
siècle l'extension de l'influence
indienne au nord du Tibet .
Après un mois de séjour dans ce royaume, ils se rendent chez
les Ouïgours et dans le royaume de Kao-tchhang, du côté
de Tourfan; c'est le point le plus septentrional de leur voyage; le bouddhisme
y était également établi. Après quarante-cinq
journées de marche, ils arrivèrent dans la ville de Khotan,
où plusieurs des voyageurs restèrent pour assister à
une cérémonie bouddhique qui se pratiquait vers le solstice
d'été. Ceux-ci se rendirent ensuite en vingt-cinq jours dans
le royaume de Tseu-ho, pays situé à l'ouest de Khotan. Ils
entrèrent dans les montagnes Bleues; c'est ainsi que les Chinois
nomment les chaînes détachées de l'Himalaya qui courent
du sud au nord : mais Fa-hian, le chef de nos voyageurs, désigne
sous ce nom le massif principal. (Suivant un géographe de la dynastie
des Tang, les montagnes Bleues sont situées au midi et à
l'ouest de Tseu-ho : ainsi Tseu-ho est au nord et à l'est de la
branche septentrionale du Caucase indien, ou de ce que l'on nomme ordinairement
Belour-Tagh).
Ils marchent ensuite
pendant trente jours pour arriver dans le royaume de Kieï-tcha, ou
de Cachemire .
Ce royaume est au milieu des montagnes Bleues; le climat y est froid et
la terre ne produit d'autre grain que le blé .
Les habitants de tout le pays situé à l'orient, c'est-à-dire
du petit Tibet, portent des vêtements grossiers, mais semblables
à ceux de la terre de T'sin. En avant des montagnes tout change;
les herbes, les arbres, les fruits, sont d'espèces toutes nouvelles.
Trois végétaux seulement sont semblables à ceux de
la Chine
: le bambou, le grenadier et la canne à sucre .
"Cette remarque
du voyageur indique assez précisément le point où
nous le voyons parvenu. Revenant sur la région montagneuse qu'il
vient de parcourir Les montagnes bleues, dit-il, sont couvertes de neige
l'été comme l'hiver; on est, en les traversant, arrêté
par toutes sortes d'obstacles : des dragons venimeux, le vent, la pluie,
la neige, les sables volants, les galets; il y a dix mille chances contre
une pour qu'on n'échappe pas à tous ces dangers. Les habitants
se nomment les hommes des montagnes de neige. Ces derniers mots sont la
traduction exacte de celui d'Himalaya." (A. Rémusat).
C'est après avoir
marché pendant quarante-cinq jours que les voyageurs arrivent, en
se dirigeant vers le sud-ouest, au bord du Sin-theou, le Sind de nos jours,
et dans le royaume de Ou-tchang, dont le nom ne se trouve plus maintenant
parmi les dénominations géographiques de ces contrées
: fait très facile à concevoir après les nombreuses
révolutions qui les ont bouleversées depuis quatorze siècles.
Les Anciens ont pratiqué une route jusqu'au fleuve, en perçant
les rochers; ils y ont placé des échelles qui ont 700 degrés,
et du haut desquelles une corde suspendue sert à passer d'une rive
à l'autre à la distance de quatre-vingts pas. Au pays d'Ou-tchang
succède, dans la direction du sud, le petit Etat de Sicou-ho-to,
absolument inconnu. En cinq journées on va de ce pays dans celui
de Kian-tho-weï, qui, suivant un géographe chinois plus récent,
doit être le Kian-tho-lo. Abel Rémusat fait remarquer que
ce pays présente de l'analogie avec celui des Gandari de Strabon,
le Gandhara des Puranas ,
et le Kandahar
des géographes musulmans, nom qui est resté affecté
à une ville célèbre.
Traversons rapidement
avec nos voyageurs le royaume des Fé-leou-cha, qui correspond
au pays des Beloud-chys, le royaume de Na-kieï, aussi difficile à
préciser que la ville de Hi-lo, sa capitale; et les deux petits
pays de Lo-yi et de Po-na; et après avoir passé de nouveau
l'Indus, traversons le Ma-theoulo, le Mathoura de nos jours.
"Tout ce
qui est au-delà des sables et de la rivière (Djumna), dit
Fa-hian, forme les royaumes de l'Inde occidentale. Les rois y sont attachés
à la loi de Fô, et témoignent un si grand respect pour
les religieux, qu'ils n'osent pas, devant eux, prendre place sur un siège."
Le tableau que Fa-hian
fait de l'Inde ,
qu'il nomme le royaume du Milieu, d'après la signification
de son nom sanscrit Madhyadesa, est digne de fixer l'attention, quoiqu'il
soit un peu trop embelli.
"Le climat
offre un mélange tempéré de froid et de chaud; la
neige est inconnue. Le peuple jouit abondamment de tout ce qui est nécessaire
à la vie. On ne sait ce que c'est que rôle d'impôts
et recensement de population. Il n'est nul besoin de juges : la liberté
appartient à tous. Les rois ne font aucun usage des supplices :
les fautes sont punies par des amendes. En cas de récidive, on se
borne à couper la main du criminel. On ne donne point la mort aux
êtres vivants, et l'on ne boit pas de vin. Il faut excepter les Tchan-tcha-la
(Tchandalas), sorte de misérables qui ont des habitations séparées,
et qui , lorsqu'ils entrent dans une ville, sont obligés de frapper
sur un morceau de bois pour avertir les habitants d'éviter leur
approche. Ils sont aussi les seuls qui aillent à la chasse. Du reste,
il n'y a dans les marchés ni boucheries ni boutiques de marchands
de vin. Le commerce se fait avec des coquilles ou des dents, etc. "
Nous ne détaillerons
pas les petits royaumes qui divisaient alors l'Inde ;
notre voyageur y remarque une foule de lieux célèbres par
les miracles de Bouddha ,
et par des temples consacrés à son culte. Il parle avec admiration
des établissements scientifiques et religieux réunis dans
la ville de Patna, de ses hôpitaux, de ses académies, enfin
de l'industrie et de la moralité de ses habitants; il visite la
ville de Bénarès ,
qu'il appelle Po-lo-naï; on lui apprit qu'il existait au sud de cette
ville un pays qu'il nomme Tha-thsin, c'est-à- dire le Dakschin,
aujourd'hui le Deccan; il donne une description pompeuse de ces temples
taillés dans le roc par Gaya, premier successeur du patriarche Çâkya-mouni,
neuf siècles avant notre ère, et que le Wilson croyait être
d'une date postérieure au VIIIe
ou au IXe
siècle.
Fa-hian descendit
le Gange jusqu'à son embouchure dans le royaume de To-ma-li-ti,
dont le nom se retrouve dans le canton et la ville de Tamlouk, aujourd'hui
à peu de distance de Calcutta. De
là il s'embarqua sur un grand vaisseau marchand qui, faisant route
vers le sud-ouest, arriva, après une navigation de quatorze jours
et autant de nuits, dans le royaume des Lions, c'est-à-dire
à Sri-Lanka .
Dans la description qu'il fait de cette île, il mentionne les deux
empreintes du pied de Fô qui se voyaient, l'une au nord de la ville
royale et l'autre au sommet d'une montagne; il décrit une magnifique
tour haute de 400 pieds et chargée d'ornements en or et en argent;
près de là un monastère habité par 5000 religieux
et renfermant une chapelle dans laquelle on voyait une statue de Bouddha
en jaspe vert, haute de vingt pieds, et tenant un diamant d'un prix inestimable.
Il vante la beauté des rues et la magnificence des édifices
de la capitale de Sri-Lanka. Il assista à la grande cérémonie
qui avait lieu à l'équinoxe de printemps et dans laquelle
on exposait à la vénération publique une dent de Bouddha,
probablement la même qui, plus de mille ans plus tard, fut détruite
par les Portugais.
Après un séjour
de deux ans dans l'île, employé à rassembler une importante
collection de traités religieux en langue sanscrite, Fa-hian s'embarqua
pour retourner dans son pays; il éprouva une violente tempête,
et après une navigation de quatre-vingt-dix jours il aborda à
Java, qu'il appelle royaume de Ye pho-ti. Il séjourna cinq mois
dans cette île, puis monta sur un navire qui se destinait pour Canton
et qui avait des provisions pour cinquante jours. C'était beaucoup
pour un pareil voyage; cependant les tempêtes ainsi que les accidents
qui en furent la suite nécessitèrent quatre-vingt-deux jours
de navigation. Fa-hian arriva à Si-an-fou après douze années
d'absence, c'est-à-dire en 414
de notre ère. Il avait fait par terre une course de plus de 1200
lieues et de plus de 2000 par mer, et avait visité plus de trente
royaumes.
«
Une excursion si lointaine, entreprise à une pareille époque,
est, par elle-même, dit avec raison Abel Rémusat, un fait
assez remarquable. D'autres faits du même genre, reconnus depuis
quelques années, ont déjà fort ébranlé
les préjugés qu'on avait anciennement adoptés sur
l'ignorance des Chinois à l'égard des nations étrangères;
mais on ne se serait peut-être pas attendu à voir les relations
de leurs voyageurs jeter du jour sur l'histoire religieuse des provinces
orientales de la Perse
et servir à compléter les matériaux contenus dans
les ouvrages sanscrits sur la géographie
ancienne de l'Inde. »
Ce fut à cette
époque que plusieurs peuples turco-mongols,
tels que les Tou-kou-hoen, les Jouan-jouan et les Turks,
profitant des troubles qui agitaient l'intérieur de l'empire, commencèrent
à acquérir une grande puissance. Cependant les connaissances
géographiques continuèrent à se répandre :
la dynastie des Wei, originaire de la Sibérie ,
qui régna depuis l'an 398
jusqu'en 534
sur la plus grande partie de la Tatarie ,
conserva des relations avec les tribus qui habitaient au-delà du
lac Baïkal jusqu'à l'Obi et aux contrées voisines de
l'océan Glacial .
«
Jamais, dit Abel Bémusat, le nord de l'Asie
ne fut mieux connu des Chinois. Un grand
nombre de tribus sibériennes furent alors décrites avec beaucoup
de soin; celles du nord-ouest, en tirant vers l'occident, le furent aussi
quoiqu'avec moins de détails. On eut des rapports multipliés
avec les pays de Schaschon, de Koueï-chan, avec les Sou-te ou Alans,
avec les Persans, les A-si de Boukhara ,
les Ou-siun, les habitants de Balkh
et de Kandahar
et plusieurs peuples de l'ouest. Des officiers envoyés par Taï-wou-ti
dans les contrées occidentales rapportèrent qu'elles étaient
partagées en trois iu ou régions, dont la première
était comprise entre la partie du Gobi
qu'on nomme les sables mouvants, et les monts Bleus ou la chaîne
de Kashghar; la seconde comprenait le pays de Bisch-balikh et s'étendait
au midi jusque chez les Youei-chi , et la troisième, comprise entre
les deux mers (la mer Noire et la mer Caspienne), n'était bornée
au nord que par les vastes marais que les géographes chinois placent
dans la partie septentrionale du Kaptchak .
»
La
géographie chinoise du VIIe siècle au XVIIIe siècle.
Du VIIeau
VIIIe
siècle, sous la dynastie
des Tang, les Chinois eurent une grande
influence jusque dans des contrées fort éloignées
des limites naturelles de leur empire. La Perse
est la plus occidentale avec laquelle ils aient eu des rapports. Entre
Kashghar et le Cachemire ,
les géographes chinois placent deux pays qu'ils appellent le grand
et le petit Polin (Pourout). Ces pays, habités par des Tibétains,
acquirent de l'importance au VIIIe
siècle.
Fa-hian eut aussi
un digne successeur, au VIIe
siècle, en la personne de Hiouen-Tsang.
Ce pèlerin bouddhiste, admis comme
novice, à l'âge de treize ans, au monastère de Tsing-Tou,
était devenu moine à vingt ans, après avoir voyagé
quelque temps de monastère en monastère. Hanté du
désir de contempler les sites témoins de la vie de Çâkya-mouni,
il entreprit à son tour, en 629,
le pèlerinage de l'Inde .
Il revint en 645,
de son voyage dans le royaume de Samarcande
( Boukharie ,
et Le Kharezm et les khanats ouzbeks ),
le Pendjab et le Cachemire ,
etc., rapportant six cent cinquante ouvrages bouddhiques indiens, à
la traduction desquels il consacra le reste de sa vie. Il a laissé
de son voyage un récit détaillé et remarquablement
exact, qui a permis de découvrir le site et les ruines de Kapilavastou
et du jardin de Loumbini, où, selon la légende, naquit le
Bouddha Çâkya-mouni.
Du VIIe
jusqu'au XVIIe
siècle, plusieurs auteurs chinois
ont donné la description géographique et historique du Cambodge ;
l'une d'elles, écrite en 1295
par un officier chinois, offre des détails si intéressants
sur ce pays, qu'Abel Rémusat a cru rendre un service à la
géographie
en en donnant une traduction fidèle. Vers la même époque,
un auteur chinois nommé Ma-tou-lin composa, sous le titre de Recherche
approfondie des anciens monuments, un recueil historique regardé
comme le plus utile à consulter. Il renferme une description historique
et ethnographique des contrées connues des Chinois, et des notions
très curieuses sur les peuples de la Tatarie ,
de la Boukharie ,
du Tibet ,
de l'Hindoustan et des îles orientales de l'Asie .
Cette géographie historique est pour l'Asie ce qu'est la géographie
de Strabon pour les contrées occidentales de l'ancien continent.
Parmi les peuples
dont il décrit le pays et les moeurs, nous citerons, à l'ouest
du Tibet et au sud du Khotan, les Yang-thoung, qui, pour suppléer
l'écriture, font des noeuds à des cordes ou des crans à
des morceaux de bois; les habitants du Nipho-lo ou du Nipol, qui rasent
leurs cheveux et leurs sourcils, et portent des pendants d'oreilles, et
qui se livrent au commerce et à l'agriculture; ceux du royaume de
Ki-pin, ou de l'ancienne Cophène, industrieux, habiles à
ciseler, à bâtir et à fabriquer toutes sortes d'objets
de luxe; à l'ouest des montagnes Bleues, les A-si, ou Ases de Strabon,
qui épousent leurs soeurs et même leurs mères; les
Tahia, ou Dahae de Strabon et de Pline, chez lesquels
chaque ville a son prince particulier; les grands Youeï-chi, les Massagetes
des Anciens, peuple nombreux et redoutable
à la guerre; les An-thsai, ou Asii et Asiani, qui confinent à
l'ouest de l'empire romain ,
et qui comptent plus de cent mille archers; les Yetha, ou Gètes,
originaires des pays au nord de la grande muraille, et qui ont les mêmes
moeurs que les Turks : chez eux les frères
épousent en commun une même femme, et celle-ci porte un bonnet
qui a autant de cornes qu'elle a de maris. Ces peuples sont nomades : ils
suivent le cours des rivières pour trouver des pâturages,
et s'y construisent des maisons en feutre.
Au commencement du
VIIIe
siècle, les Chinois avaient des
renseignements précis sur le Cachemire ,
qu'ils appellent Ko-chy-my, et que, suivant une antique tradition, ils
regardaient comme ayant été un lac rempli de dragons, qui
se dessécha par la suite des siècles. C'était une
vaste contrée entourée de montagnes , assez peuplée
pour pouvoir mettre sous les armes des troupes nombreuses, composées
d'infanterie, de cavalerie, et d'hommes montés sur des éléphants .
Il est à remarquer que ces derniers animaux ne sont plus connus
dans le Cachemire. Parmi les dépendances de ce riche pays, qui envoya
plusieurs ambassades en Chine ,
on comptait cinq tribus fières et courageuses, habitant les montagnes
et formant cinq Etats distincts, quoiqu'elles fussent sans princes et sans
chefs.
Nous voici arrivés
à l'époque où la Chine étant gouvernée
par des Mongols, et la Perse
par un prince de la même famille, l'empire chinois ne connut pour
ainsi dire plus de limites du côté de l'occident. Cette étendue
démesurée dut avoir une grande influence sur les connaissances
géographiques des Chinois relatives à l'Asie, et même
à une partie de l'Europe .
Plusieurs ouvrages chinois attestent l'exactitude des notions qu'ils possédaient
sur le centre de l'Asie .
On y trouve des itinéraires détaillés, depuis les
frontières de la Chine
jusqu'aux différentes villes des États qu'ils considéraient
comme soumis ou tributaires. C'est de ces ouvrages que Abel Rémusat
a tiré les matériaux de celui qu'il a publié sous
le titre suivant : Histoire de la ville de Khotan, tirée des
annales de la Chine, et traduite du chinois; suivie de Recherches
sur la substance minérale appelée par les Chinois pierre
de Iu , et sur le jaspe des anciens, in-8°, Paris, 1820.
Cependant, vers la
fin de la dynastie des Ming, c'est-à-dire
du XVIe
au XVIIe
siècle, les rapports des Chinois
avec les nations étrangères furent tellement restreints,
que c'est de cette époque que date chez eux le déclin de
la science géographique. Mais l'on notera ici, que la géographie
est en Chine une science qui embrasse tout : tropographie, hydrographie,
histoire naturelle, antiquités, beaux-arts, industrie, agriculture,
commerce, population, statistique, gouvernement, histoire spéciale,
biographie et bibliographie. Aussi le recueil de toutes les descriptions
de la Chine par provinces et rédigé sous la dynastie des
Ming, forme-t-il 260 gros volumes qui offrent des détails aussi
complets que ceux que l'on possédait alors sur les pays les mieux
connus de l'Europe. Ce recueil se trouve à la Bibliothèque
nationale de Paris. Il est à regretter
que les auteurs chinois n'aient pas employé un système descriptif
aussi étendu relativement à la Tatarie, au Tibet et à
la partie de l'Inde qu'ils ont bien connue.
Comme leurs connaissances
scientifiques ne sont que le résultat d'une étude pratique
subordonnée aux besoins de l'administration, il s'ensuit que, depuis
qu'ils n'ont plus d'influence sur les grandes nations de l'Asie, la géographie
a été complètement négligée. Il n'est
donc pas étonnant que les Européens, qui commencèrent
seulement dès cette époque à connaître la Chine ,
aient pris une idée très défavorable de ses connaissances
géographiques; idée que justifient en effet les ouvrages
qui furent publiés vers la fin de la dynastie des Ming, et qui firent
penser que les Chinois ont nommé leur empire, Royaume du Milieu,
parce qu'ils le croient au milieu de la terre, entouré seulement
de quelques cen taines d'îles qui forment le reste de l'univers.
En effet, la plupart de leurs cartes de cette époque placent l'Océan
glacial arctique
à peu de distance de la grande muraille. Toutefois, quoique les
Chinois n'aient jamais su appliquer la géométrie
et l'astronomie
à la géographie, ils possédaient des cartes assez
exactes des côtes de leur empire, et de la position respective des
villes de l'intérieur.
La géographie
japonaise.
Quelques mots sur
les cartes des géographes japonais,
peuple qui a tant de rapports et de points de ressemblance avec les Chinois,
termineront cet exposé. Cependant nous devons faire observer que,
bien que disciples des Chinois, les Japonais
témoignent moins de préventions contre les notions qui leur
viennent des étrangers. Leurs ouvrages descriptifs ne sont pas moins
étendus qu'en Chine; ils se renouvellent d'ailleurs fréquemment
par suite des variations perpétuelles qu'éprouvent les noms
de lieux et de provinces, et qui font que tous les cinquante ans la plupart
de ces noms sont méconnaissables. Leurs cartes ne sont généralement
que des imitations incomplètes ou infidèles des cartes européennes.
On conserve au British
Museum de Londres une mappemonde japonaise
qui paraît avoir été faite vers la fin du XVIIe
siècle. L'auteur s'est évidemment
servi pour la dresser de quelque carte européenne; cependant il
faut qu'il se soit attaché à ne pas copier exactement, ou
qu'il ait cru rectifier les renseignements qu'il consultait, puisqu'elle
diffère d'une manière essentielle des cartes occidentales.
Un grand continent qui s'avance à peu de distance de l'Afrique ,
de l'Asie
et de l'Amérique ,
occupe le bas ou la partie la plus méridionale de cette mappemonde;
une presqu'île de ce continent, qui s'avance vers l'équateur,
paraît représenter l'Australie. En Europe ,
la péninsule italique n'a ni la forme ni les dimensions qu'elle
présente sur les cartes européennes; la Hollande ,
qui porte le surnom de pays des poils rouges, y est représentée
comme la contrée la plus vaste de cette partie du monde, probablement
par suite de la haute idée de puissance que les Chinois et les Japonais
avaient des Hollandais à l'époque où cette carte fut
faite. L'Afrique, étroite et très allongée, est représentée
comme un assemblage de grandes îles et de grandes presqu'îles.
En Asie, le Ta-ta-koue, ou pays des Tatars ,
est situé à l'est de la Sibérie
et s'étend depuis le désert de Chamo jusqu'à l'Océan
glacial; l'Amérique est le continent dont la représentation
est la moins fautive dans son ensemble.
Les géographes
japonais ont mieux réussi dans la représentation de leur
propre pays. J. Klaproth, dans ses mémoires
relatifs à l'Asie, donne quelques éclaircissements sur une
carte chinoise et japonaise fort curieuse dont il présente une copie.
Cette carte confirme ce que nous avons dit
ci-dessus relativement à l'ignorance dans laquelle les Chinois sont
tombés sous le rapport de la géographie, depuis qu'ils n'ont
plus la prépondérance dont ils jouissaient en Asie sous la
dynastie mongole. Quoiqu'elle porte un titre écrit en chinois et
en japonais, et qu'elle soit cependant bien japonaise, Klaproth a reconnu,
à la nature des mesures itinéraires qui y sont employées,
qu'elle a été copiée d'après une carte chinoise.
Elle doit avoir été faite au XVe
siècle, mais d'après des
matériaux dont plusieurs datent du VIIe,
et qui prouvent qu'à cette époque les Chinois
connaissaient assez bien le centre de l'Asie et même l'Inde. On cite
aussi une grande carte du Japon ,
réimprimée avec corrections en 1744,
qui passe pour un beau monument géographique ; un atlas de cinq
cartes publiées à Yedo (Tokyo )
en 1785,
comprenant la description générale des pays voisins du Japon
celle de Yeso (Hokkaïdo), de la Corée ,
des îles Lieou -khieou, Madjikosima et Taïwan, enfin d'un groupe
d'îles appelées en Japonais Bo-nin Sima, ou îles inhabitées,
nom qu'ils donnaient depuis longtemps à ces îles. (C.
Malte-Brun / J. H.). |
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