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Les calendriers
Les ères indiennes
Inde et Népal
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La multiplicité des ères qui coexistent ou qui ont existé simultanément en Inde atteste à la fois et l'extrême morcellement de la vie politique et le goût persistant des études astronomiques. La tradition populaire associe toujours à la fondation d'une ère l'idée d'une victoire remportée sur les Sakas, les envahisseurs scythiques, dont l'ère la plus répandue porte encore le nom; elle compte six grands triomphateurs qui méritent d'attacher leur nom à une ère : dans le passé, Youdhichthira, Vikramâditya, Sâlivâhana; dans l'avenir, Vidjayâbhinandana, Nâgârdjouna et Bâli. Mais cette énumération est loin d'épuiser la liste des princes qui ont aspiré au même honneur. En outre, plusieurs communautés religieuses ont choisi pour point de départ de leur comput propre un événement considérable de leur histoire. Enfin les astronomes ont cherché dans les mouvements périodiques des corps célestes des systèmes de comput invariables. Les ères indiennes peuvent ainsi se partager en trois classes : ères politiques (historiques, légendaires, administratives); ères religieuses; ères astronomiques.
Ères politiques

Les princes indiens paraissent avoir emprunté à leurs voisins helléniques l'idée de perpétuer leur souvenir dans le calendrier par la création d'une ère dynastique. Chandragoupta, l'allié de Séleucus et le fondateur de la dynastie Maurya, semble avoir créé une ère partant de la chute des Nandas, ses prédécesseurs. Le point de départ doit se placer probablement en 312 av. J.-C., concordance étrange avec l'ère des Séleucides (Les ères grecques et romaines) qui part de cette même année. La durée deux fois séculaire d'un royaume grec ou de principautés helléniques à proximité de l'Indus (L'histoire de la Bactriane) vulgarisa dans l'Inde du Nord l'emploi du calendrier séleucide. Même au Ier siècle de l'ère chrétienne, les inscriptions indiennes donnent aux mois les noms macédoniens adoptés par Séleucus et à peine altérés par la transcription. Peut-être même, mais c'est là une hypothèse qui reste à démontrer, faut-il interpréter le chiffre des années selon le comput séleucide, en supposant une omission systématique des centaines comme dans le Loka-kâla (ci-dessous).

L'an 57 av. J.-C. est le point initial d'une ère qui porte le nom de Vikrama ou Vikramâditya et qui s'emploie aujourd'hui encore en Inde presque tout entière en concurrence avec l'ère Saka. La tradition hindoue prétend qu'elle fut fondée en commémoration d'une victoire remportée par Vikramâditya, roi d'Oudjjayini, sur les Sakas en 57 av. J.-C. Mais l'histoire ne connaît pas de prince qui ait porté ce nom à l'époque voulue, tant à Oudjjayini qui, dans aucune autre partie de l'Inde. Fergusson interprétant une donnée vague d'Al-Birouni supposait que le Vikramâditva de la tradition désignait le roi Harcha d'Oudjjayini, vainqueur des Sakas à la bataille de Korur (Kahror), près de Moultan, en 544 de J.-C. Max Müller adopta cette hypothèse. Mais la découverte de plusieurs inscriptions antérieures à 544 a ruiné l'ingénieuse hypothèse de Fergusson. Une étude délicate des inscriptions datées en cette ère a montré que le nom de Vikramâditva n'était jamais lié à l'ère avant le XIe siècle ap. J.-C. Elle est désignée dans les documents antérieurs comme le samvat (comput), Mâlava-samvat ou Vikrama-samvat; la marche qu'elle a suivie atteste qu'elle est originaire du Mâlava (Malwa, Inde centrale). Son point de départ fixé à l'entrée de l'automne (premier jour de la quinzaine claire du mois Kârttika) dans le comput méridional, le plus ancien (le comput du Nord part du 1er Chaitra, mars-avril, à l'imitation de l'ère Saka), semble la caractériser comme une ère belliqueuse en opposition avec l'ère Saka des brahmanes, l'automne étant la saison classique des expéditions guerrières. Ainsi s'expliquerait le nom de Vikrama, c.-à-d. énergie militaire, donné à ce comput. En fait, les clans guerriers du Rajpoutana ont adopté, l'ère Vikrama dès le principe et lui sont restés fidèles. Les Djaïnas ont également une prédilection pour l'ère Vikrama. Dans ce comput, comme dans la plupart des calendriers indiens, le chiffre exprimé désigne l'année expirée et non l'année courante.

L'ère Saka ou ère de Sâlivâhana, postérieure de 135 ans à l'ère précédente, est en usage sur un domaine aussi étendu. L'époque de l'ère se place en 77-78 ap. J.-C., et l'an 1 de ce comput (en réalité la deuxième année, puisque l'année courante porte le chiffre de l'année expirée) va du 3 mars 78 an 20 février 79 ap. J.-C. L'origine de l'ère est expliquée par des traditions diverses. Al-Birouni raconte qu'un roi Vikramâditva, différent sans doute du précédent,  à en juger sur l'intervalle des deux ères, vainquit à cette époque un prince nommé Saka, qui régnait en despote sur l'Indus et la mer. La légende djaïna de Kâlaka rapporte que ce saint personnage, offensé par Gardabhilla, roi d'Oudjjayini, alla chercher un vengeur au pays de Sakakoula, où régnait un prince nommé Sâhânou Sâhi; il en ramena un membre de la famille royale, accompagné de quatre-vingt-quinze nobles, qui attaqua Oudjjayini, renversa Gardabhilla; Vikramâditya expulsa l'usurpateur, mais, 135 ans plus tard, un descendant du Saka remonta sur le trône et fonda l'ère Saka. Le roi de Pratichthâna, Sâlivâhana, dont Pline (76 ap. J.-C.) semble avoir entendu et conservé le nom, est aussi mis fréquemment en rapport avec cette ère, soit qu'elle rappelle sa naissance, soit qu'elle commémore une victoire éclatante remportée précisément sur Vikramâditya d'Oudjjayini. Oldenberg, sur la foi d'une chronologie hypothétique et d'un document surfait, a rattaché la fondation de l'ère à l'avènement du grand roi indo-scythe Kanichka, et son système a obtenu une fortune peut-être excessive. La vulgarisation de l'ère Saka semble être due aux astronomes qui la substituèrent dans leurs calculs à l'ère du Kali-Youga dans le cours du VIe siècle ap. J.-C.

L'ère de Chédi ou Kalachouri n'a jamais eu qu'un usage local, limité à l'Inde centrale, au temps de la prépondérance des rois de Chédi. Elle a pour époque 248-249 ap. J.-C., et l'an 1 (c.-à-d. la deuxième année courante) part du 28 juillet 249 ap. J.-C.

L'ère des Gouptas porte le nom d'une dynastie qui ravit aux Indo-Scythes et aux Kchatrapas l'hégémonie de l'Hindoustan vers le IVe siècle. Al-Birouni, qui en fixe l'époque à 319 ap. J.-C. semble en rattacher l'origine à la chute des Gouptas, et son témoignage a soulevé de vives discussions. Le point de départ de l'ère a été placé par divers savants en 78, en 166, en 190 ap. J.-C. Fleet a, par une discussion serrée des données épigraphiques, fixé l'époque de l'ère à 319-320; l'an 1 (deuxième année) part du 25 février 320 ap. J.-C. Elle paraît être d'origine népalaise, et les Gouptas l'ont sans doute empruntée aux Licchavis du Népal, leurs alliés.

L'ère de Valabhi est identique à l'ère Goupta.

L'ère de Sri Harcha, fondée par le roi Harchavardhana de Canoge et employée par la famille royale des Thâkouri au Népal part de l'avènement de Harcha, 605-606 ap. J.-C. L'an 1 s'étend de 606 à 607.

L'ère Newar ou du Népal est propre à ce royaume où elle a été introduite par Radja Râghava Deva en 878-879. L'an 1 (deuxième année) part du 20 octobre 879 ap. J.-C. Elle a été abolie en 1768 par le conquérant gourkha Prithivi Nârâyana, qui l'a remplacée par l'ère Saka.

L'ère Chaloukya n'a eu qu'une courte fortune, malgré l'éclat de la longue dynastie Chaloukya. Fondée par le roi Vikramâditya VI (Tribhouvana Malla), elle avait pour jour initial le sacre de ce prince, 14 février 1076 ap. J.-C. Elle disparut cent ans après, à la chute des Chaloukyas (1162).

L'ère de Lakchmana Sena, en usage dans le Tirhout, est pourtant assez mal établie. Les documents anciens qui en placent l'époque en 1118 sont en contradiction avec les almanachs modernes, qui partent de 1106. La véritable époque semble bien être 1118-1119, et le premier jour de l'an 1 expiré) serait alors le 7 octobre 1119 ap. J.-C.

Le goût d'Akbar pour les innovations valut à l'Inde, sous prétexte de simplification, deux ères nouvelles : l'ère Fasli et l'ère Ilâhi. L'une et l'autre partent de l'avènement d'Akbar, 14 février 1556 ; elles ne diffèrent que par les détails internes du calendrier.

L'ère Chahour, d'origine musulmane, commence en l'an 743 de l'hégire, 1342 ap. J.-C. et marque sans doute la fondation d'une principauté musulmane dans le Deccan. 

Enfin les Mahrattes ont une ère spéciale, le Râdjâbhishéka, datée de l'avènement de Sivadji, le glorieux fondateur de l'empire mahratte, en 1664 ap. J.-C.

Ères religieuses

Si la religion impersonnelle des Brahmanes est demeurée étrangère à la chronologie, les grandes sectes rivales le bouddhisme et le jaïnisme ont essayé de perpétuer par le calendrier la date de leur fondation. L'une et l'autre ont choisi pour point de départ le Nirvâna, l'extinction de leur créateur. La chronologie de Ceylan, où le bouddhisme jouit d'une suprématie vingt fois séculaire, fixe le Nirvâna du Bouddha à 543 av. J.-C., et cette date a longtemps fait autorité parmi les savants occidentaux. Le bouddhisme du Nord (Népal, Tibet, Chine) ne s'est pas arrêté à une date définitive et présente un choix d'au moins vingt dates, séparées par un écart extrême de 2000 ans (de 250 av. J.-C. à 2422 av. J.-C.). La date d'Ashoka, le Constantin du bouddhisme, établie par un synchronisme irréfutable, a révélé les erreurs de la chronologie cinghalaise, trop longtemps acceptée; les premiers savants qui se sont intéressés à la question ont élevé sur les témoignages épigraphiques combinés avec les traditions divergentes de la littérature des échafaudages chronologiques fort instables. Max Müller et Bühler ont proposé de placer le Nirvâna vers 480 av. J.-C.; Kern et Westergaard, vers 388 av. J.-C.

L'ère du Djina Mahâvira est, sinon plus solide en fait, du moins maintenue avec plus d'uniformité par la tradition. Les Svetambaras placent le Nirvâna du maître en 527 av. J.-C., les Digambares en 603 av. J.-C. L'écart de 135 ans entre les deux dates correspond à l'intervalle entre l'ère Vikrama et l'ère Saka et s'explique manifestement par une confusion volontaire ou non entre ces deux ères. Jacobi a signalé une erreur probable, résultant d'un chiffre répété dans les détails du comput, et il porte après correction le Nirvâna du Djina en 467 av. J.-C., tout près de la date proposee par  Max Müller pour le Nirvâna du Bouddha (477).

Ères astronomiques 

L'ère du Kali Youga, anciennement employée par les astronomes et supplantée dans la suite par l'ère Saka, commence en 3102 av. J.-C.; l'an 1 (deuxième année) correspond à 3101. Le point initial marque l'ouverture du présent âge, qui doit durer 432 000 années. La légende associe l'origine de l'ère à la grande guerre des Bhâratas. Le triomphe de Youdhichthira et des Pândavas, ses frères, marque le début du Kali-Youga.

L'ère des Saptarchis ou ère populaire (Loka-kâla), en usage dans une partie du Cachemire, est un cycle de 2700 ans, divisé en 27 périodes centennales, qui répondent respectivement au séjour des Saptarchis (la Grande-Ourse) dans chacun des vingt-sept signes du zodiaque lunaire. Elle est antérieure au Kali-Youga de 975 ans et commence par conséquent en 4077 av. J.-C. Le témoignage des historiens d'Alexandre semble prouver que cette ère était déjà en usage quand le conquérant macédonien envahit l'lnde. La vaste étendue du cycle a introduit l'usage de mentionner l'année sans exprimer le chiffre des mille ni des centaines.

Le cycle de Jupiter (Brihaspati) en usage dans plusieurs régions de l'Asie dès la plus haute antiquité, est constitué par cinq révolutions de la planète ayant une durée totale de soixante années, désignées chacune par un nom spécial. Une année de Jupiter, correspondant au passage de Jupiter à travers un signe du zodiaque, diffère de 4 jours 13/60 d'une année solaire; il se produit ainsi en 86 ans une année de retard. Pour maintenir le cycle en accord avec le mouvement héliocentrique de la planète, on retranche une année tous les quatre-vingt-six ans.

Un autre cycle, de douze ans, et correspondant à une seule révolution de Jupiter , est également en usage. Les années portent dans ce cycle le nom des signes du zodiaque lunaire où Jupiter se lève, et elles se suivent dans le même ordre que les mois lunaires.

Deux autres cycles ont encore étés employés par les astronomes dans le Sud de l'Inde. Le cycle de Parasourama, appelé aussi ère de Quilon, est un cycle de mille ans qui commencé en 1176 av. J.-C. Le dernier cycle expiré commençait le 25 (ou 29) août 825 ap. J.-C.

Le cycle de révolution des planètes (Graha-Parivritti) est un cycle de 90 ans dont le point de départ est l'an 3078 du Kali Youga, 24 av. J.-C. (Sylvain Lévy).

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