Aperçu | Le début du Paléocène (Cénozoïque) dont l'époque danienne représente le premier terme a été marqué par de grands changements dans la géographie terrestre. A cette date, en Europe, la mer se présente, en effet, nettement en retrait, c.-à-d. plus circonscrite que celle du sénonien qui précède et correspond à la plus grande phase d'extension des mers crétacées. En même temps les dépôts, sauf en Belgique et dans le bassin de la Baltique, perdant partout le caractère crayeux, se développent sous des faciès très différents suivant les régions. C'est ainsi qu'on les remarque saumâtres et lignitifères en beaucoup de points du bassin du Rhône où disparaît le régime pélagique qui avait si largement prévalu aux époques antérieures; et quand reparaissent plus au Sud, de part et d'autre des Pyrénées, les formations marines de cet âge, elles se traduisent le plus souvent par une récurrence bien marquée des bancs à rudistes si développés dans les assises crétacées de la région, mais alternant cette fois, soit avec des couches lacustres, soit avec des calcaires remplis de foraminifères (Milioles) dont les affinités tertiaires sont bien prononcées. Il en est de même dans le nord-est de l'Adriatique où ces alternances de barres à rudistes avec des calcaires à milioles, bien développés, viennent attester que ce faciès spécial semble avoir dominé dans toute la zone méditerranéenne, notamment dans les points où comme, dans les environs de Trieste, il s'établit une liaison continue entre les assises crétacées et tertiaires. Dans le bassin de Paris, où les conditions littorales ont prévalu pendant toute la durée de l'étage, ce sont des gastéropodes et des acéphales appartenant à des espèces souvent bien voisines de celles du même type tertiaire qui dominent dans les calcaires dits pisolitiques. C'est ensuite plus au nord en Belgique et surtout au Danemark, où le danien est assez développé pour que Desor et d'Orbigny aient choisi cette région comme type, qu'il faut venir chercher, avec une persistance du faciès crayeux, des formations marines plus homogènes dans leur composition. Le Danien dans le nord de l'Europe. Le bassin de la Baltique offre un type bien complet de ce faciès crayeux; en combinant les observations faites par Hébert en divers points de la Scanie et du Danemark (Faxoë et l'île de Saltholm) on obtient pour le danien les subdivisions suivantes : - Danien supérieur (Garumnien) | Calcaires à silex de Saltholm et tuffeau de Faxoë (Nautilus danicus, Baculites faujasi). | Danien Inférieur (Maastrichtien) | Craie de Köpinge, de Balsberg et d'Ignaberga à Belemnitella subventricosa. | Sur la craie blanche sénonienne à Belemnitella mucronata identique à celle de Meudon, durcie et perforée comme elle au sommet, les premières assises daniennes sont représentées en Scanie, à Balsberg et à Ignaberga par une craie grise noduleuse qui renferme avec quelques espèces sénoniennes persistantes, B. mucronata, Ostrea vesicularis, Terebratula carnea, des formes nouvelles dont les principales sont : Belemnitella subventricosa, Baculites anceps, Ostrea larva, O. acutirostris, Crania Ignabergensis, Fissurirostra Palyssi, Magas costatus, Terebratula longirostris; des Hemipneustes avec Cidaris Faujasi s'observent ensuite dans cette même craie à Köpinge au Danemark. Le danien supérieur, plus variable dans sa composition, peut être tantôt un calcaire compact rempli de gros silex (Salthom-kalk), tantôt à grain fin friable (Limsteen), le plus souvent formé de coraux et de bryozoaires (Faxökalk); quoi qu'il en soit, la faune reste toujours la même et caractérisée par un certain nombre d'échinodermes, Ananchytes semiglobus, A. sulcata, Themnocidaris Danica, Cidaris Forchhammeri, avec de nombreux gastéropodes, cyprées, cerithes, volutes d'aspect tertiaire, et surtout Nautilus danicus, Baculites faujasi (Ammonites). La persistance dans ces niveaux élevés des espèces sénoniennes précédemment citées, celle aussi, par places, de nombreux crabes (Dronica rugosa) est un fait intéressant à noter. En Belgique la mer, qui occupait alors tout le Limbourg, en se poursuivant vers l'Est dans le Hainaut sous la forme d'un golfe étroit passant à gauche, a partout déposé au début une craie tendre blanche ou jaunâtre dite tuffeau, remarquable par la finesse et l'égalité de son grain qui la rendent facile à tailler et très propre aux constructions. Dans le Limbourg, cette roche, bien connue sous le nom de tuffeau de Maastricht, et largement exploitée dans les carrières célèbres de la montagne Saint-Pierre et de Fauquemont, se montre exceptionnellement riche en fossiles. Parmi ces espèces maastrichtiennes figurent de grands reptiles, Mosasaurus Camperi, M. gracilis, des tortues (Chelonia) des crocodiles, des crustacés et des poissons. Avec un grand nombre de bryozoaires (Eschara, Idmonea, etc.), il convient ensuite de mentionner : Baculites anceps, B. Faujasi, B. Belem. B. mucronata, Ostrea frons, O. larva, Crania Ignabergensis, Thecidea papillata, Dentaliumrnosce, Holostoma ponticum, Hemiaster prunella, Hemipneustes striatoradialus, Cidaris Faujasi, enfin plus rarement des rudistes, Hippurites radiosus, Sphaerulites Faujasi. Dans le Hainaut, ce tuffeau dit de Ciply devenu peu fossilifère, se trouve séparé d'une craie grise, riche en petits grains de phosphate de chaux, et exploitée comme telle, par des lits de gros nodules phosphatés et de fossiles roulés, agglomérés en poudingues (P. de la Malogne, P. de Cuesmes), où on rencontre à l'état de moule les espèces de Maastricht. Dans les assises supérieures de ce tuffeau on observe ensuite avec des brachiopodes et de nombreux bryozoaires maastrichtiens, des gastéropodes et des bivalves parmi lesquels figurent de grands cérithes, et des espèces du calcaire grossier parisien (Eocène moyen) telles que Voluta elevata, Natica Parisiensis, Cardita planicosta. Toutes ces espèces se trouvent ensuite réunies en grand nombre, dans un calcaire grossier jaunâtre situé dans le bassin de Mons, entre la craie sénonienne et les sables landéniens éocènes, et qui par suite a été, dans le principe, attribué à la série tertiaire. On s'accorde maintenant pour synchroniser ce calcaire grossier de Mons avec les couches supérieures du tuffeau de Ciply, de les placer au sommet du danien où ces assises viennent représenter, sous le nom de montien, un terme de passage entre le crétacé de l'éocène. La faune de ce dépôt d'estuaire intéressant, dont l'existence, dans le sous-sol de Mons, n'a été révélée que par des sondages entrepris pour la richesse de la houille, renferme en effet deux éléments distincts : des gastéropodes et des lamellibranches dont les affinités tertiaires sont incontestables; des espèces spéciales, Cerithium inopinatum, Pseudotiva robusta, Cornetia Briarensis avec des formes crétacées nombreuses, Lima texta, Pecten faujasi, Janira quinquaecosta, Terebratulina striata, Cidaris distincta, G. Forchhamreri, Goniopygus minor; quarante espèces de bryozaires maastrichtiens complètent ensuite cette faune remarquable. Dans la région parisienne la distribution du calcaire pisolitique disposé par lambeaux isolés, le plus souvent adossés à une falaise crayeuse, atteste que leur dépôt s'est effectué dans un golfe étroit très encaissé. Tel est celui de Laversine, près de Beauvals, où le calcaire, limité à un affleurement de 100 m de long sur 40 m de large avec 10 à 12 m de hauteur, presque tout entier formé de fossiles brisés (Lima carolina, et radioles de Cidaris Tombecki), semble formé au pied d'un escarpement fourni par la craie à micraster; il en est de même pour le lambeau de calcaire concrétionné de Vigny. On l'observe ensuite plus épais et plus homogène près de Vertus, à Falaise, Chavot et surtout au mont Aimé, où le calcaire blanc et chargé de silex renferme avec des poissons, des reptiles en particulier, Gavialis macrorhynchus. A Montainville, la roche devient plus dure; enfin plus près de Paris, à Bougival, et surtout à Meudon le calcaire jaune et rempli de débris de fossiles, directement superposé, appliqué sur la craie sénonienne durcie et criblée de tubulures, se présente au sommet décalcifié et passe à l'état de marnes blanches qui renferment des espèces montiennes bien caractérisées, telles que Cerithium inopinatum, Cornelia Briarensis, Pseudoliva robusta. La faune de ces calcaires, bien différente de celle de la craie sous-jacente, comprenant ensuite avec des moules de grands cérithes qu'on ne peut attribuer au G. giganteum du calcaire grossier, cette association de formes daniennes et de mollusques éocènes qui devient le trait le plus caractéristique du calcaire de Mons, permet d'attribuer au danien supérieur tous ces lambeaux. Leur dépôt essentiellement littoral s'est effectué ainsi après une phase d'émersion correspondant au maastrichtien, phase pendant laquelle, dans notre région parisienne, la surface de la craie durcie s'est montrée couverte, par places, de grandes forêts. Les tubulures, si nombreuses au sommet de cette craie, à Meudon, ne sont autres en effet que des traces laissées par les grands arbres de l'époque. C'est ensuite bien loin au delà du centre du bassin, sur sa bordure orientale dans le Cotentin, près de Valognes, qu'il faut venir chercher la trace des assises supérieures du danien. En ce point, en effet, qui marque le terme extrême atteint dans le Nord par la mer danienne (l'Angleterre qui fait face en étant complètement privée), on observe des affleurements encore clairsemés et tous isolés, d'un calcaire à baculites où se présentent encore nombreuses des espèces maastrichtiennes (Hemiaster prunella Cranie Ignabergensis), associées cette fois à des mollusques et à des bélemnitelles de la craie de Meudon (D. vesicularis, Janira quadricosta, Crania antiqua). Fresville, Picauville, Orglandes, Golleville, Néhou marquent tout à la fois les points où se présentent les affleurements exploités de ces calcaires et les limites de l'espace qu'ils occupent sous les calcaires éocènes en s'y montrant souvent soudés, tandis qu'ils sont séparés, des grès verts cénomaniens sur lesquels ils reposent, par un lit de poudingues dont les galets, bien roulés, sont fournis par les roches anciennes de la région. Les céphalopodes, si rares dans le crétacé du bassin de Paris, deviennent abondants dans ces calcaires où ils sont représentés avec le Baculites anceps, par Scaphites constrictus et des ammonites du groupe important des Pachydiscus (P. fresvillensis, P. jacquoti, P. colligatus). En même temps on y observe le Mosasaurus camperi de Maastricht et de nombreux bryozoaires. Le Danien dans les régions méridionales. A peine a-t-on franchi, dans l'Ouest, le col du Poitou pour gagner les Charentes qu'apparaît, dans le danien, le faciès à rudistes destiné à prévaloir, comme aux époques crétacéesantérieures, dans toute la zone méditerranéenne d'Europe. Cette apparition commence à se manifester dès Royan, dans la falaise de Meschers par l'intercalation de bancs à grands rudistes (Hippurites radiosus, Var. major, Sphaerulites et Radiolites) dans les grès et les calcaires dolomitiques dordoniens qui couronnent les calcaires crayeux sénoniens peuplés d'oursins. Dans les Pyrénées centrales ces mêmes hippurites développés par bancs lenticulaires puissants dans les calcaires jaune nankin à orbitoïdes d'Ausseing, de Gensac et de Roquefort-sur-Garonne (Haute-Garonne), se localisent dans le danien inférieur. Alors se présente pour terminer l'étage un facies mixte caractérisé par une succession de couches alternativement saumâtres, lacustres, puis marines qui donnent naissance au Garumnien de Leymerie, et s'étend largement dans toutes les petites montagnes qui bordent les Pyrénées dans le voisinage de la Garonne. Sur le versant espagnol des Pyrénées, en Catalogne, la composition du danien avec son facies garumnien terminal reste la même, mais il en est tout autrement dans la direction opposée : quand on quitte la chaîne pour s'engager dans les Basses-Pyrénées et les Landes, on voit nettement prédominer le régime marin dans toute une série de calcaires marneux bien réglés où se présentent à la base, avec des Stegasters, les céphalopodes des calcaires à baculites du Cotentin (Pachydiscus fresvillensis, P. colligatus, P. jacquoti), tandis qu'au sommet le Nautiles danicus de Faxoë se trouve associé à une faune remarquable d'oursins dont les espèces caractéristiques sont surtout fournies par le genre Coraster. Toutes autres sont les conditions de dépôt dans les Pyrénées-Orientales, où dès le début de cette dernière époque crétacée des symptômes d'émersion se sont manifestés; déjà dans l'Ariège le calcaire de la base à hémipneustes se transforme en un grès jaunâtre (grès d'Alet), où on ne rencontre plus, avec des empreintes végétales, que des mollusques côtiers (Pecten, Cardium, Venus), puis finalement, dans les Corbières, le garumnien devenu exclusivement lacustre, n'est plus représenté que par des argiles rutilantes, gypsifères, sans fossiles, alternant au sommet avec de petits bancs calcaires où se tiennent des physes, des cyclostomes, des paludines, des sauriens et des tortues. Cette bande danienne se poursuit ensuite, en passant par le Languedoc, jusqu'en Provence où de véritables couches de houille et des lignites dans les bassins de Fuveau, du Plan d'Aups et de Piolenc deviennent le produit direct du transport, puis de l'accumulation, dans les eaux pures des lagunes garumniennes, de végétaux palustres et fluviatiles parmi lesquels dominent des Rhizocaulées. Par places, comme dans la mine de Trest, d'innombrables feuilles d'un Lotus, analogue à celui qui peuple les lagunes des grands fleuves- chinois, se pressent sur la surface des lits charbonneux. Cette remarquable série lignitifère, puissante d'environ 400 m, débute à Aix par des marnes et des calcaires bitumineux remplis de mélanopsis et de cyrènes (M. galloprovincialis, G. globosa); au-dessus viennent les couches de charbon épaisses de 1 m à 1,5 m, au nombre de dix-sept à Fuveau où elles se montrent encaissées dans un système de schistes bitumineux et de calcaires propres à la fabrication du ciment. Dans ces lits charbonneux la fréquence d'ossements de reptiles atteste que des crocodiles et de grands dinosauriens (Rhabdodon hypselosaurus) habitaient les rives d'une contrée verdoyante d'où la mer était exclue. D'abord occupée par de vastes lagunes alimentées par les crues périodiques d'un grand fleuve, la Provence s'est vue ensuite couverte par un grand lac où sont venus se déposer les calcaires de Rognac à Lychnus et à Physes (P. galloprovincialis) si développés dans les Bouches-du-Rhône, puis finalement des couches puissantes d'argiles rutilantes qui s'accompagnent sur les bords du bassin de brèches calcaires et de conglomérats; formations détritiques qui témoignent de l'importance prise par les agents d'érosion au moment où les mouvements du sol se résolvaient par une émersion complète de la Provence. De ce nombre sont, sur le flanc même de Sainte-Victoire, les brèches anciennement arrachées aux escarpements de la montagne, puis cimentées ultérieurement par un limon ferrugineux qui ont donné lieu au marbre exploité, bien connu sous le nom de brèche de Tholonet. Quant aux équivalents marins de ces dépôts fluvio-lacustres, c'est vers le Sud, au delà de la Méditerranée, en Algérie, dans la région des hauts plateaux, en Tunisie, dans la Tripolitaine (Libye) et jusque dans les déserts de la Libye, qu'il faut venir les chercher. Dans ces régions, en effet, l'extension prise par des marnes et des calcaires franchement marins et leur superposition directe sur le sénonien atteste que ces régions n'ont pas participé aux mouvements d'émersion qui successivement ont atteint l'Espagne orientale, les Corbières, le Languedoc et la Provence. En même temps, des circonstances éminemment favorables au développement des huîtres et des oursins ont fait naître, dans toute cette étendue, un faciès spécial propre à la région saharienne désigné par Zittel (Beitr. zur geologie der Libyschen Wüste; Kassel, 1883) sous le nom d'africano-syrien. En Algérie, notamment sur la lisière méridionale de l'Atlas, dans ces calcaires daniens qui atteignent 160 m d'épaisseur, les Echinobrissus, en nombre considérable avec des caractères tout particuliers, fournissent un groupe d'espèces très remarquables; un genre nouveau, Heterolampas, y apparaît, et avec lui de nombreux Leisama, Cyphosoma, Codiopsis, etc. Les huîtres très abondantes et de formes variées sont principalement représentées par O. Villei, O. Peroni, O. Overwegi, avec les espèces du danien du Nord, O. larva, O. Matheroni. Dans le désert de Libye ces couches redevenues crayeuses (craie blanche de Bâb-el-Jasmund) renferment des Ananchytes et des Micrasters. On rencontre ensuite le Nautilus Danicus de Faxoe dans les argiles feuilletées intérieures qui séparent cette craie danienne du sénonien. (Ch. Vélain). | |