| Pendant les trente premières années du XIXe siècle on donna le nom de dandys à un groupe de jeunes gens appartenant à la haute aristocratie de Londres qui avaient su s'arroger le pouvoir de donner le ton et de régler la mode en fait de costumes et de manières. Le dandysme est dans son principe exclusivement anglais : le dandy est celui qui exerce la royauté de la mode. Le mot fut inventé du temps de George Brummell, qui fut le véritable créateur de cette science singulière. Il a énoncé quelques-uns des principes du dandysme : « Pour être bien mis, il ne faut pas être remarqué. » Brummell avait soin d'éviter toute excentricité dans sa toilette; il perfectionna la sobre élégance qui convient au costume moderne; il ne se distinguait que par un soin extrême, qui en faisait l'homme le mieux mis de Londres; portant beaucoup de goût et d'esprit dans sa toilette, il devint en peu de temps l'arbitre de la mode, le roi des tailleurs et des dandys, « ceux qui font les habits et ceux qui les portent ». Il avait avant tout « la frivolité majestueuse » (Barbey d'Aurevilly). Voici la règle de conduite qu'il recommandait. « Dans le monde, tout le temps que vous n'avez pas produit d'effet, restez; dès que l'effet est produit, retirez-vous. » Il aimait mieux étonner que plaire. Brummell fut le type du parfait dandy, et c'est sur lui-même qu'il faut en étudier les caractères. Il entendait merveilleusement l'impertinence polie, et excellait dans le sarcasme à froid; il avait dans la conversation une ironie glaciale et continue. Ses manières froides et languissantes ajoutèrent des nuances à l'impertinence. Ce qui le distinguait, a-t-on dit, c'était une imperturbable assurance, ce genre de fatuité dont tout le sel est dans l'excès même de l'affectation, et qui devient spirituelle et inoffensive à force d'exagération. « Le dandy, dit Paul de Saint-Victor, c'est le Prince Noir de l'élégance, regardant le monde d'un oeil vitreux comme son lorgnon, souffrant d'un pli de sa cravate dérangée, indifférent au cheval qu'il monte, à l'homme qui l'aborde et qu'il parcourt un instant du regard avant de le reconnaître, portant écrite sur son front - en anglais - cette insolente inscription : « Qu'y a-t-il de commun entre vous et moi? » L'orgueil, l'indifférence, l'ironie sont les trois vertus théologales du dandy. L'enthousiasme, l'admiration, l'amour même, tous les sentiments qui pourraient rompre la glace dont il s'enveloppe comme d'une armure, lui sont interdits. Il regarde et il se fait voir. Son attitude dans le théâtre du monde est celle d'un spectateur dédaigneux sur lequel les acteurs même ont les yeux fixés. Il juge d'un mot, il blâme d'un regard; une convention mystérieuse lui attribue l'infaillibilité sur les choses frivoles. » Le terme de dandysme s'est beaucoup élargi : on n'entend plus seulement par là l'art de la mise en scène « une heureuse et audacieuse dictature en fait de toilette et d'élégance extérieure » (Lemaître); c'est cela, mais c'est aussi bien davantage. On peut être dandy avec un habit râpé. Le dandysme est toute une manière d'être. Le dandysme est le fruit suprême de la vanité; il renferme une certaine affectivité, le désir de plaire aux autres, pour soi, il est vrai, et non pour eux. Quand la vanité satisfaite se montre, elle devient fatuité : le dandysme est la forme la plus parfaite de la fatuité inventive. « Un dandy, dit Byron, n'existe pas en dehors d'une exquise originalité. » C'est en effet un des principaux caractères du dandysme d'être indépendant, de produire toujours l'imprévu. C'est pourquoi les hommes qui, aux différentes époques de notre histoire, se sont montrés servilement élégants, les marquis, les petits-maîtres, les roués, les incroyables, les lions, les fashionables, n'étaient pas réellement des dandys. Barbey d'Aurevilly a très bien exprimé ce caractère en disant : « Le dandysme, c'est la libre pensée en fait de manières et de convenances du monde. » Avec la hardiesse dans la conduite, l'impertinence somptueuse, la préoccupation continue de l'effet extérieur, dit Lemaître, le dandysme implique un extrême sang-froid. Le dandy doit produire la surprise en gardant l'impassibilité; mais, pour plaire à ce jeu compliqué, il faut un don individuel, indéfinissable; il faut la grâce. L'oeuvre que se propose le dandy est très paradoxale et très difficile. Généralement on ne domine les autres que par la puissance matérielle, par le génie des arts ou des sciences. Les agréments extérieurs, l'élégance des habits, la politesse des manières, tout cela passe pour des avantages très inférieurs à l'esprit, aux talents et à la valeur morale. Or le dandy entreprend de modifier du tout au tout cette opinion. Délibérément, il fait son tout de ces avantages prétendus futiles. C'est aux choses qui ont le moins d'importance qu'il se pique d'en attacher le plus. Et cette vue volontairement absurde du monde, il arrive à l'imposer aux autres. Il réussit à faire croire à la partie oisive de la société que d'innover, en fait d'usages mondains, d'habits, de manières, c'est aussi rare, aussi méritoire que d'inventer et de créer en politique, en art, en littérature. Il spiritualise la mode. D'un ensemble de pratiques insignifiantes et inutiles, il fait un art qui plait et séduit comme un ouvrage de l'esprit. Il se fait avec rien une supériorité mystérieuse que nul ne saurait définir, mais dont les effets sont aussi réels et aussi grands que ceux des supériorités classées et reconnues par hommes. Le dandy est donc une sorte d'artiste : sa vie est son oeuvre. De même que l'écrivain plaît par ses livres, il plaît par les apparences qu'il donne à son être physique. En outre, la délicatesse des soins extérieurs est une présomption réelle et sérieuse en faveur de la délicatesse de l'esprit. C'est comme le cachet de la personnalité qui marque ses manières d'un chiffre à elle. On peut apprécier le dandysme, mais à condition qu'il ne soit pas une profession, une spécialité exclusive. La préoccupation de son habit ne doit pas empêcher le dandy de voir qu'il y a autre chose au monde. Enfin, il ne faut pas qu'il soit dupe de lui-même; il doit avoir conscience du paradoxe et de l'ironie de son oeuvre. (Ph. B.). | |