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(Grottes) |
Sous ce nom de
cavernes
ou de grottes, viennent se ranger de grandes cavités souterraines,
capricieusement ramifiées, le plus souvent composées d'une
série de chambres spacieuses, voûtées en forme de dôme,
et ne communiquant entre elles que par d'étroits couloirs, parfois
étranglés à ce point qu'on ne peut les franchir qu'en
rampant. Très fréquentes dans les grands massifs de roches
calcaires, ces excavations naturelles ont de tout
temps fixé l'attention, en éveillant chez tous les peuples
un grand nombre de préjugés bizarres et d'erreurs superstitieuses.
Bien longtemps, en effet, avant que la géologie ne vienne expliquer
leur origine et les faits nombreux qui s'y rattachent, les cavernes, avec
leur obscurité mystérieuse, leur profondeur inconnue, leurs
bruits souterrains, les cours d'eau qui s'y engouffrent
pour ne reparaître qu'à une grande distance, étaient
devenues un objet de terreur et de superstition.
Aussi, après les épithètes d'immanis, d'inferna,
d'atra, etc. prodiguées par les poètes anciens dans
leurs descriptions de ces cavités naturelles, ces dénominations
de grottes des fées, du Diable, du Dragon qui
leur restent souvent encore appliquées, semblent continuer la tradition
païenne ; à ces temps anciens, et vraisemblablement à
la langue celtique,
doit se rapporter celle de balme ou de baume généralement
usitée dans la Provence, le Dauphiné, la Bourgogne, la Franche-Comté,
et qui se poursuit ensuite jusqu'en Suisse.
Quant au nom de grotte (grotta, crotticella, en italien), employé aussi souvent que celui de caverne, son origine est plus moderne, et se rattache à des idées chrétiennes. Introduit d'abord dans la langue italienne, dont les meilleurs écrivains, tels que Dante ou Boccace, l'ont employé, il paraît n'être qu'une forme altérée du mot crypta, qui servait à désigner, suivant la coutume de la primitive Église, les chapelles souterraines dans lesquelles on plaçait les corps des saints et des martyrs, et dont on voit l'usage longtemps continué dans la plupart des grands édifices religieux du Moyen âge. On trouve, en effet, dans la basse latinité les expressions de Crotta, Crot, Crotum, Croterium, Crouste, Croutel, Crosum, Crosa, pour désigner des cavités du sol, intérieures ou superficielles. Les trouvères français des XIIe et XIIIe siècles les ont employées dans leurs poésies; c'est ainsi qu'on lit dans le roman de Garin : « Ne treuve crotes que il ne face emplir. »Et dans le roman d'Atys et de Profilias; « Dehors les murs d'antiquitéOn a aussi donné quelquefois le nom de grottes aux chambres funéraires des dolmens, ou monuments mégalithiques. Ce n'est pas seulement comme théâtres mystérieux, propres à l'exercice de certaines pratiques religieuses et comme retraites assurées pendant les temps de persécution, que les cavernes jouent un rôle dans l'histoire; on ne les y voit pas moins figurer comme lieux d'habitation, de refuge pendant les guerres, et surtout comme sépultures. Ces souvenirs une fois évoqués,
nous nous préccuperons ici, avant tout, des phénomènes
qui ont donné naissance aux cavernes, en cherchant à bien
établir leurs relations avec la nature et l'état plus ou
moins grand de dislocation des roches où
elles sont creusées. L'histoire, en effet, de ces grandes excavations
souterraines se rattache intimement aux grands faits qui ont présidé
à la formation des montagnes et l'on
peut dire aussi à ceux qui ont présidé au creusement
des vallées; les formes si variées des cavernes, en effet,
sont l'oeuvre exclusive d'une érosion
souterraine exercée par l'eau courante et leur creusement, singulièrement
facilité par l'état plus ou moins fissuré de la roche,
doit être attribué, en dernier lieu, à une action purement
torrentielle. Ces faits établis, il importe ensuite de se souvenir
que leur remplissage a pu être fait par des dépôts postérieurs
à leur formation, et c'est alors que se présente un des faits
les plus intéressants de l'histoire des cavernes, celui relatif
à la présence dans les graviers ou dans le limon rouge qui
en tapissent le fond, d'ossements d'animaux, assez nombreux pour transformer
en brèche ossifère ce dépôt.
La coexistence de l'humain avec ces espèces, détruites ou
émigrées, qui fréquentaient autrefois ces cavernes,
aujourd'hui attestée par tant d'exemples, méritera ensuite
de fixer notre attention.
La grotte de Tham Ting, près de Louangphrabang, au Laos. Elle contient des milliers de statuettes de Bouddha. Images : The World Factbook. Mode de formation
des cavernes et des cavités analogues.
Telles sont; en Franche-Comté, les sources de la Loue (commune d'Ouhans) et du Lison du Doubs qui s'échappe d'une belle grotte dans le roc vif, et forme une cascade de 10 m de haut, alimentant un moulin; en Charente, au pied de grands escarpements taillés à pic dans les calcaires jurassiques, la Touvre d'Angoulême jaillit en bouillonnant, en prenant de suite, avec une largeur de 80 m, tous les caractères d'une grande rivière; nombreuses aussi sont ces sources, toujours vives et limpides, dans les Alpes-Maritimes près de Grasse; de même près de Toulon, celle bien connue de Saint-Pons peut, dès sa sortie, porter des bateaux. Dans le bassin du Rhône,
la célèbre fontaine de Vaucluse, qui alimente la Sorgues,
n'a pas d'autre origine. Lors de la fonte des neiges
au printemps, son débit peut atteindre de
20 à 25 m3/s, elle s'épanche
alors en large nappe, par-dessus le seuil de la caverne, devenue inaccessible;
par contre, au mois d'octobre, les eaux devenant basses, on peut pénétrer
sous la voûte, et contempler le vaste bassin où viennent s'alimenter
les eaux bleues de la rivière souterraine. Avant qu'elle ne s'élance
au dehors, rien n'altère alors le calme parfait, ni la transparence
cristalline de sa surface; les eaux, pendant cette période de calme,
s'échappent par les milliers de fissures qui traversent la roche
calcaire de ce bassin, en donnant lieu à d'innombrables petits ruisseaux
bruyants qui rebondissent en cascades sur les rochers.
Plan de la fontaine de Vaucluse. Il serait facile de multiplier ces exemples qui tous viennent attester la fréquence, sous les plateaux calcaires fissurés, de cours d'eau souterrains, représentant le volume total de l'eau de pluie tombée à leur surface ou de celle qui résulte de la fonte des neiges dans les régions de grande altitude; circonstance qui a pour effet de rendre ces régions calcaires arides et sèches. Tout ce que leur versent les nuages est immédiatement absorbé soit par des milliers de fissures presque invisibles, soit par de larges crevasses, au fond desquelles s'ouvrent de grands canaux souterrains. C'est ensuite, bien loin au pied des falaises qui les bordent, ou dans le fond des profondes entailles qui entament ces plateaux, que l'onde reparaît mugissante et se précipite en cascades tumultueuses. Tout ce que le plateau a bu par mille gorgées est ainsi rendu, dans un seul flot, par de véritables fontaines jaillissantes, et c'est alors que renaît la verdure, et avec elle la gaieté et la vie. Le trait saillant de ces sources, toujours abondantes, c'est, avec la limpidité des eaux, la fraîcheur et l'uniformité de leur température, leur persistance; elles subissent sans doute, dans leur débit, des variations sensibles suivant l'abondance des pluies, mais ne tarissent en aucune saison. La fontaine de Vaucluse, mentionnée plus haut, en offre l'exemple le plus remarquable; par les plus grandes sécheresses, son débit ne descend pas au-dessous de 5,5 mètres cubes par seconde. Cette source puissante, capable de déverser dans la saison pluvieuse 120 mètres cubes par seconde, trouve des conditions d'alimentation très favorables dans de puissants massifs calcaires néocomiens, qui constituent, au pied du mont Ventoux, un plateau élevé occupant un espace de 165,000 hectares. Des mesures ont indiqué le chiffre de 0,55 m comme hauteur moyenne de la pluie tombée annuellement dans cette région; en comparant ce chiffre avec celui du débit moyen de la fontaine qui a été de 17 mètres cubes par seconde pendant la même période, on voit que la part qui revient aux infiltrations peut être évaluée aux trois quarts de la pluie tombée. Il est alors à remarquer que cette pénétration profonde et pour ainsi dire complète des eaux pluviales dans les parties basses de ces grandes nappes calcaires, est singulièrement facilitée par la fréquence, sur ce vaste plateau, de puisards naturels souvent insondables, les avens, qui permettent aux eaux de ruissellement de s'engouffrer rapidement et de venir s'accumuler en profondeur dans les canaux souterrains. Indépendamment des fissures multiples qui les traversent, les massifs calcaires sont en effet fréquemment entamés par des gouffres profonds, dans lesquels viennent se perdre, avec les eaux sauvages, les ruisseaux et de petites rivières. Disposées le plus souvent en forme d'entonnoir, ou de puits cylindriques à parois corrodées, pénétrant verticalement à de grandes profondeurs dans les roches ainsi perforées, ces cavités naturelles varient beaucoup d'aspect et portent, suivant les pays, les noms les plus divers indiquant leur forme ou quelque particularité remarquable. Ce sont les emposieux, les creux, les pots, les entonnoirs du Jura, les soucis de la Saintonge, les mares ou mortes de la Lorraine dans les calcaires du Muschelkalk, les embues, abîmes, goules, boit-tout, avens, anselmoirs, ragagés, etc., des régions calcaires de la France méridionale, les aiquigeois de la Belgique, les dolinas de la Carinthie, les katavothres de la Grèce, les inglutidos du Frioul. D'autres, comme les puisards de Normandie, désignés sous le nom de bétoires, se montrent remplis de sable ou de graviers où cette absorption des cours d'eau superficiels se fait plus lentement. Très fréquents dans les terrains crayeux et dans les terrains calcaires de divers âges, ces gouffres absorbants, disposés souvent par séries, jalonnent au jour le trajet des rivières souterraines et représentent des affaissements circulaires occasionnés par la rupture de la voûte des cavités creusées par ces cours d'eau cachés; circonstance qui se réalise quand la portée de ces cavernes, agrandies progressivement par les eaux qui circulent au-dessous d'un plateau, est devenue trop grande pour le poids qu'elle supporte. La pénétration rapide des
eaux pluviales dans le sous-sol dans les conditions que nous venons de
définir, c.-à-d. sous l'influence de ces fentes multiples
qui traversent les roches, ou mieux encore des gouffres de la surface,
amène en effet la formation, sous les plateaux calcaires fissurés,
de véritables rivières cachées, qui reproduisent souterrainement
tous les phénomènes d'érosion des eaux courantes superficielles;
rivières qui se traduisent ensuite extérieurement, soit par
des sources très abondantes, comme celle de Vaucluse, soit par des
torrents impétueux poursuivant, à l'air libre, l'oeuvre d'érosion
qu'ils viennent d'accomplir en profondeur. D'autres fois leur sortie se
fait directement, sous la mer, par des canaux souterrains
qui ne viennent s'ouvrir qu'à une certaine distance du rivage; il
en est ainsi sur les côtes de la Méditerranée,
entre Nice
et Gênes,
où l'on peut constater la présence d'un grand nombre d'affluents
d'eau douce sous-marins dont le débit a pu être évalué
à 19 mètres cubes par seconde (Villeneuve-Flayosc, Description
géologique du Var). Quelques-uns ne s'échappent qu'à
des profondeurs dépassant 100 m; près de Cannes,
une de ces sources, jaillissant à une profondeur de 162 m, donne
naissance à un courant de surface qui entraîne au loin les
corps flottants; l'orifice de celle de San-Remo est situé à
291 m, enfin à 6 km dans le sud du cap Saint-Martin, entre Monaco
et Menton,
un de ces ruisseaux d'eau douce débouche à une profondeur
de 700 m. Ces faits montrent que ces nappes d'eau souterraines peuvent
acquérir une pression considérable.
Dans les célèbres grottes du Han, en Belgique, par exemple, encore parcourues par la Lesse sur un trajet de 1100 m, les salles immenses et de même les galeries étroites se développent sur le trajet de grandes fentes, qui restent encore bien visibles au plafond de toutes ces cavités, alignées suivant leur longueur. De là une division naturelle du calcaire en blocs qui s'éboulent avec facilité dès que leur base est affouillée. Or le torrent qui mine encore le pied des voûtes est là pour indiquer la cause qui détermine ces éboulements. Ailleurs, comme dans les grottes non moins remarquables d'Arcy-sur-Cure (Yonne), ce sont, sur les parois des couloirs, des rainures profondes en forme de gouttières, polies par le frottement des matériaux transportés, ou bien, sur le plancher des grandes salles, des cavités taraudées, comme des marmites de géant, qui viennent témoigner, à leur tour, d'une usure mécanique exercée par l'eau courante. A tous ces faits, déjà bien
expressifs, il faut joindre la tendance bien marquée des galeries
à suivre la direction des grandes fentes, sans s'écarter
sensiblement de l'horizontale. Dès lors, la formation des grottes
apparaît bien comme devant être attribuée à des
érosions souterraines exercées par des eaux courantes dont
le travail surtout mécanique a été singulièrement
facilité par l'état fissuré des roches. C'est, en
effet, non par creusement direct, mais par affouillement et écroulement
progressif des parois fracturées que s'est fait l'élargissement
des grandes cavernes. C'est au moment où se produit une grande crue,
quand ces rivières souterraines, gonflées par des pluies
abondantes, peuvent non seulement remplir ces cavités jusqu'au plafond,
mais monter à une grande hauteur dans les gouffres de la surface,
que tous ces effets peuvent se produire avec une réelle intensité;
elles ont alors acquis une pression suffisante pour amener la rupture des
cloisons qui les encaissent et des barrages qui s'opposent à leur
écoulement; en même temps chacune de ces débâcles
a pour résultat de déblayer les blocs éboulés,
et l'on sait que, dans ce transport, la puissance de l'eau torrentielle
s'augmente de toute la masse des matériaux solides qu'elle charrie.
Disposition et plan des cavernes d'Arcy-sur-Cure. Dans de pareilles conditions, ces rivières peuvent devenir de puissants agents d'érosion, aussi quand on se reporte, par la pensée, à cette époque voisine de la nôtre et désignée sous le nom de pléistocène, où, par suite d'un changement momentané de climat, les pluies étaient incomparablement plus abondantes qu'aujourd'hui, on comprendra sans peine que de pareilles actions s'exerçant dans des conditions de rapidité plus grandes aient pu donner naissance à des grottes qui, comme celles célèbres de Mammouth (Mammouth's cave) du Kentucky, avec un développement total de 250 km, présentent des salles immenses atteignant en moyenne 40 m de haut. Quant aux actions chimiques qui peuvent contribuer par voie de dissolution à entraîner certaines parties moins compactes des massifs calcaires, leur rôle est toujours faible et la formation des cavernes doit être en définitive rapportée à des actions torrentielles dont le début vient se placer à une époque antérieure où les mêmes forces étaient en jeu mais avec une activité plus grande. En Europe occidentale, c'est dans les grands plateaux calcaires des Causses de la France méridionale que ce phénomène des grottes est le plus développé. La perte des eaux de surface et leur réapparition vauclusienne, dans le fond des vallées, au pied des falaises qui les bordent, constitue un des traits les plus saillants de l'hydrographie des causses, et dans ce parcours souterrain ces eaux, profitant des nombreuses cassures qui entament ces puissants massifs calcaires, accomplissent rapidement leur travail d'érosion, en creusant des grottes larges et profondes. Telle est la célèbre grotte de Dargilan qui débouche dans la vallée de la Jonte près de Meyrueis (Lozère); Martel (Comptes rendus de l'Académie des sciences, 3 décembre 1888) a montré qu'elle comprenait vingt salles distribuées en trois branches dont toutes les ramifications atteignent 150 m de profondeur et 2800 m de développement; des stalagmites et des stalactites splendides les décorent; l'une d'elles, le clocher, s'élançant à plus de 20 m de haut, dans une salle qui n'a pas moins de 70 m de hauteur avec 190 m de large, peut compter comme l'une des plus grandes connues. C'est ensuite dans les Alpes calcaires de la Carniole et de l'Istrie qu'il faut chercher les plus remarquables exemples de ces grottes souterraines encore parcourues par des rivières très actives, qui continuent, avec leurs eaux mugissantes et leurs cascades tumultueuses, leur travail d'érosion et de transport. Ici encore, la cause principale de l'alimentation de ces rivières cachées doit être cherchée dans les gouffres qui nombreux traversent la surface de ces plateaux arides et secs; l'eau de pluie, rapidement absorbée par ce sol crevassé, disparaît comme dans les trous d'un crible. Revêtement
des cavernes; grottes à stalactites.
Les eaux pluviales pouvant renfermer jusqu'à
2,50% d'acide carbonique, soit une proportion qui leur permet de dissoudre,
à l'état de bicarbonate, 1 g de calcaire par litre, elles
peuvent s'en charger, dans leur circulation souterraine, d'une quantité
notable; en filtrant, goutte à goutte, le long des voûtes
et des parois, l'acide carbonique en excès s'évapore et le
calcaire se dépose sous la forme d'un enduit concrétionné,
formé de couches concentriques, d'où pendent des stalactites
dans tous les points où s' effectuent les suintements. En tombant
sur le sol, ces gouttelettes d'eau calcaire viennent ensuite constituer,
sur le fond, sous la forme d'un plancher stalagmitique, un revêtement
épais, se modelant sur toutes les inégalités du sol
et présentant une surface mamelonnée d'où s'élèvent
des stalagmites.
Stalagmites et stalactites de la grotte de Luray, en Virginie. Photo : Carol M. Highsmith. Quand ces protubérances qui marquent les points de chute des eaux d'infiltration parviennent à rejoindre les pendentifs du plafond, il en résulte de véritables colonnes qui semblent soutenir la voûte. En même temps, sur le trajet des fentes, ces incrustations, chaque jour accrues par de nouveaux suintements, prennent l'apparence de draperies largement plissées, reproduisant toutes les sinuosités des fissures. Ainsi naissent, par le lent et progressif travail des eaux venues de la surface, toutes ces formes concrétionnées bizarres, variées à l'infini et figurant les apparences les plus diverses, qui donnent aux grottes calcaires leur célébrité. Formation des
cavernes dans les dolomies, le gypse et les grès.
En Allemagne,
à Krostritz (Saxe), au voisinage des grands gîtes exploités
d'argiles salifères et gypseuses du permien
et de même dans le Hartz, aux environs d'Ostende
on en remarque qui, nombreuses et très étendues, offrent,
à l'exception des revêtements stalagmitiques, toutes les particularités
des grottes calcaires. C'est ensuite en Thuringe, près d'Eisleben,
où les gypses salifères du Zechstein prennent une grande
extension, que ces cavités, creusées en forme de cirques
et le plus souvent transformées par effondrement en entonnoirs à
contours déchiquetés prenant l'aspect de cratères
volcaniques,
se présentent nombreuses et très étendues. 460 parties
d'eau suffisant pour en dissoudre une de sulfate de chaux, on comprend
que l'action dissolvante des eaux d'infiltration s'exerçant pendant
des siècles, puisse faire naître d'importantes cavités
dans les massifs gypseux; cavités dont les dimensions vont sans
cesse en augmentant, sous l'influence d'un agent dont le travail ne peut
être entravé par un revêtement d'incrustations calcaires.
Aussi ces cavernes sont-elles destinées à s'effondrer par rupture de la clef de voûte devenue trop faible pour le poids qu'elle supporte. Ces effondrements fréquents dans les régions gypseuses et salifères se traduisent par des ébranlements du sol, par des secousses locales qui déterminent à la surface la formation de fentes ou dépressions profondes quand le plafond d'une de ces cavités vient tout entier à céder. Les tremblements de terre de faible amplitude, fréquemment ressentis en Suisse, dans les environs de Neuchâtel et surtout dans la vallée de Visp, en Valais, n'ont pas d'autre origine. Etant donné que dans cette vallée une vingtaine de sources séléniteuses enlèvent annuellement chacune au sol près de 200 mètres cubes de gypse, on conçoit aisément qu'on puisse attribuer à ce gigantesque travail de dissolution la cause principale des effondrements et des tremblements de terre qui s'ensuivent. La fréquence et surtout l'étendue de pareilles cavités dans les massifs dolomitiques, cette fois plus stables et en tous points comparables à celles creusées dans les roches calcaires, doivent être attribuées aussi à ce fait que l'action chimique des eaux peut intervenir avec efficacité dans leur mode de formation en venant s'ajouter au travail d'érosion. Le carbonate de chaux, beaucoup plus soluble que celui de magnésie, est seul entraîné par les eaux chargées d'acide carbonique et, quand il est complètement éliminé, la roche, devenue caverneuse, se montre creusée de parties cloisonnées, faciles à désagréger. Ici encore, par conséquent, cette action, toujours à l'oeuvre, peut, par sa continuité, produire des effets sensibles. Cavernes par éboulement.
Remplissage des
cavernes; grottes à ossements.
Ces dépôts sont surtout bien
développés et bien caractérisés dans ces cavernes
qui s'échelonnent à diverses hauteurs sur le flanc de certaines
vallées calcaires et se montrent comme ayant été creusées
successivement à mesure que la vallée s'approfondissait;
ces cavités, limitées le plus souvent à une chambre
unique s'ouvrant à l'extérieur et bien éclairée,
deviennent les grottes à ossements par excellence. Ce sont en même
temps celles qui ont été le plus particulièrement
recherchées par les humains, à cette époque dite Magdalénienne,
où l'établissement d'un régime froid et sec a entraîné
la retraite des grands herbivores, tels que l'Elephas
primigenius et le Rhinoceros tichorhynus
qui, jusque-là, avaient peuplé l'Europe, pendant toute la
durée des phases chelléenne et moustérienne au début
de la période pléistocène. C'est alors qu'avec des
ossements humains on rencontre toutes les variétés de silex
nécessaires pour couper, râcler et percer (lames ou couteaux,
grattoirs, pointes fines, etc.), associées à de nombreux
instruments en os finement sculptés et gravés, dans une terre
rouge qui devient, par places, une véritable brèche ossifère.
Parmi les ossements d'animaux figurent alors des espèces émigrées
dans la zone glaciale arctique, le Renne (Rangifer
tarandus) et le Glouton (Geoluscus), ou bien retirées dans les sommets
des Alpes et des Pyrénées,
telles que le Chamois (Antilope rupicapra), la
Marmotte (Arctomys marmota), qui vivaient alors dans ces régions,
et que l'humain chassait pour sa nourriture. Ce limon rouge des cavernes,
identique à celui complètement dépourvu de calcaire
qui forme ces terres rubéfiées (terre à briques, terre
à betteraves du Nord), largement répandues sur les plateaux,
les pentes et les fonds des vallées, tapisse également d'une
couche uniforme, parfois épaisse, le plancher stalagmitique d'un
grand nombre de cavernes et de grottes ou abris sous roche. L'ère
des dépôts, sables, graviers et incrustations stalagmitiques
dans ces cavités, avait alors cessé. Par suite de l'établissement
d'un régime climatique très froid et très sec, les
infiltrations ne pouvant se produire, le phénomène des incrustations
calcaires devait forcément être suspendu; et c'est alors,
vraisemblablement au moment du dégel, pendant la saison chaude,
que la terre rouge des plateaux, transformée en bouillie limoneuse,
a pu pénétrer par les fentes et gouffres du terrain dans
l'intérieur des grottes, empâtant dans sa masse, avec les
ossements, tous les objets épars sur le sol. Ainsi s'est constituée
la terre des cavernes, à une époque où le renne dominait.
(Ch. Vélain).
La grotte d'Azur, à Capri (Golfe de Naples, Italie).. Anthropologie.
Pendant la période caractérisée
par la présence en France de l'Elephas antiquus, et l'usage par
l'humain de la hache massive dite de Saint-Acheul ou de Chelles, la présence
de traces humaines dans les grottes est rare. Le climat est en France plus
doux qu'aujourd'hui et l'humain erre sans doute sur les plateaux et dans
les forêts. A la période suivante, au contraire, période
pluvieuse plus froide, l'homme rentre, se réfugie plus volontiers
sous terre et ne vit plus guère qu'à l'état de petites
colonies familiales éparses le long des petits cours d'eaux aux
rives abruptes creusées d'abris et de cavernes.
Nous connaissons plusieurs cavernes qui, depuis la seconde époque pléistocène ou époque du Moustier, ont été occupées successivement à toutes les époques subséquentes. Les résidus du long séjour de l'humain y forment d'énormes amas. Telles sont les grottes de Laugérie-Haute sur la Vézère; dans la grotte de Gourdan, dans les Pyrénées, les foyers de l'âge du renne seul forment plusieurs assises; et à ces foyers sont encore superposés des foyers de l'âge néolithique et des foyers de l'âge du bronze. Au Néolithique, un très grand nombre de cavernes furent encore fréquentées, surtout dans le centre de l'Europe. Mais dans les régions plus occidentales, elles servaient dès lors plutôt de sépultures et d'ossuaires, quelquefois pour des villages entiers, et des tribus en creusaient même d'artificielles dans la pierre tendre. Ce n'est que bien exceptionnellement qu'elles furent occupées pendant l'âge du bronze. Les villages y cherchèrent toutefois des refuges en tout temps et jusqu'aux temps modernes, pendant les périodes de guerre et de dévastation, quand ils ne creusèrent pas de vastes souterrains à cet effet. Elles sont encore un peu partout mises à profit par l'humain. Entre les grottes artificielles et les maisons creusées encore aujourd'hui tout entières dans le rocher, il n'y a que des différences de degrés. Les pueblos des Anasazis, comme à Mesa Verde, au Sud-Ouest des Etats-Unis étaient des villages communistes formés de petits logements creusés souvent par étages superposés sur le flanc de collines (Les Indiens Pueblos). Les grottes naturelles et les souterrains ne servent plus en général chez nous que de caves ou de chaix. Mais l'Antiquité a connu des peuplades de troglodytes, et il en existe encore. Nous avons dit que les Guanches (Canaries), ont habité des cavernes presque jusqu'à nos jours. Hérodote et Diodore de Sicile nous parlent de troglodytes dans l'Ethiopie et le Nord de l'Afrique. Etaient troglodytes encore les Cosséens de l'Assyrie, des Ligures, les indigènes des Baléares, les montagnards de la Sardaigne. On en a signalé à l'époque moderne dans le Sud de l'Arabie, au Nord-Ouest de l'Inde, sur les côtes de la presqu'île malaise, dans certaines îles Aléoutiennes, etc. (Zaborowski). |
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