| Le mot bailliage a eu plusieurs sens : 1° « On prend souvent dans le palais le mot de bailliage pour signifier province, ce que le judicieux Coquille reprend fort mal à propos, à mon advis, en la préface de la coutume » (Loyseau, Des seigneuries, chap. VIII). Aussi les grands baillis sont-ils appelés Baillis des Provinces. 2° Dans les assises de Jérusalem il est synonyme de bail (garde des mineurs). 3° Dans son acception la plus usuelle et qui sera la seule étudiée ici, il désigne le territoire livré à l'administration d'un bailli et par extension le tribunal du bailli. A l'origine, la justice du bailli était ambulante, il devait aller tenir ses assises successivement dans les diverses parties de son ressort (in circuitu bailliaiarunn suarum), mais les plaideurs prirent vite l'habitude (favorisée par lui-même) de ne pas attendre le retour de sa tournée; on obtenait de lui la permission de traduire à sa résidence habituelle, ou à une de ses résidences les plus fréquentes, ou devant des lieutenants qu'il instituait dans certains centres éloignés. Les tournées subsistèrent, mais furent de moins en moins consacrées à la tenue des assises de justice. Auprès de chaque siège principal ou particulier se forma tout un personnel d'hommes de lois dont quelques-uns étaient appelés par le bailli lui-même on son lieutenant à lui servir de conseils. Cette pratique amena la création d'offices de conseillers, puis de procureurs, de greffiers, etc., et le siège, en gardant son nom, devint tribunal, dans le sens que nous donnons au mot aujourd'hui. Les bailliages royaux Les premiers bailliage-royaux ne nous sont pas connus. Le testament de Philippe-Auguste dit qu'il a placé des baillis « in terris nostris quae propriis nominibus distinctae sunt ». Il entend sans doute par là ce que l'on appelle des pays, c. -à-d. de ces territoires qui, traditionnellement et sans qu'il soit toujours facile de dire pourquoi, sont considérés comme des unités et ont un nom géographique à eux. Loyseau assure que les premiers grands baillis furent à Vermond, Sens, Mâcon et Saint Pierre-le-Moutier (Traité des Seigneuries, chap. VIII, n° 40). Mais Brussel (Usage des fiefs, p. 686), et l'abbé Bertin (Mém. de l'Acad. des inscript., ancienne série t. XXIV, p. 737) en doutent. En 1302, il existait 28 grands bailliages ou sénéchaussées et le nombre en augmenta sans cesse jusqu'à ce qu'ils eussent gagné la France entière. Leurs limites ont été longtemps assez mouvantes (V. par exemple Bibl. de l'Ecole des Chartes, 1860, 185; Lefèvre, les Baillis de la Brie). Il semble qu'à origine surtout ils aient à peu près coïncidé avec les comtés carolingiens, même quant à leurs chefs-lieux, ce qui est naturel. La règle est du reste loin d'être sans exception, l'importance relative des villes ayant varié. (V. Annuaire historique, 14, 1850, une liste des bailliages et sénéchaussées majores et minores, vraies divisions administratives ou simples expressions géographiques). Rôle des Bailliages Dans l'organisation administrative de la France, le bailliage fut d'abord une unité territoriale importante à tous points de vue : politique (élection des députés aux Etats généraux), administratif proprio sensu, militaire. financier, judiciaire; après le déclin des pouvoirs des baillis il resta encore important au premier et surtout au dernier de ces divers points de vue (La liste des bailliages ci-dessus mentionnée donne l'indication du rôle de chacun d'eux). Il n'est pas du reste, en général, l'unité territoriale élémentaire, et au point de vue judiciaire en particulier (sans compter les prévôtés, châtellenies, etc., et autres sièges inférieurs qui peuvent exister en lui) il peut contenir des sièges particuliers de bailliage ayant leur ressort distinct de celui du siège principal, et ressortissant, au point de vue de l'appel, non à ce siège, mais purement an parlement (V. par exemple Joly, liv. lll, p. 1106, Arrest des Grands jours de Clermont, 16 octobre 1582). Le rôle et l'importance de tous ces sièges de bailliage ont énormément varié de leur création jusqu'à la Révolu tion. Au début, ils sont en réalité les dispensateurs suprêmes de la justice là où ils existent; lors même que le parlement eut établi son droit de recevoir les appella tions de leurs jugements, ces appels furent relativement peu fréquents, jusqu'à l'apparition des parlements provinciaux qui rapprochèrent des plaideurs la juridiction d'appel. Cette création porta un coup sensible à l'importance des bailliages; elle les fit descendre en fait au rang qu'ils avaient en droit de juridiction de deuxième ordre, d'autant plus qu'ils ne jugeaient en dernier ressort qu'au Civil et pour les intérêts ne dépassant pas 25 livres en capital. Un coup plus grave encore leur fut porté en 1551. Les parlements étant encombrés par la multitude des appels, au lieu d'élever le maximum de la compétence des bailliages en dernier ressort, la royauté, préférant sans doute une institution nouvelle qui lui permettait la vente de nouveaux offices, créa des sièges présidiaux qui devaient juger en dernier ressort au criminel pour toutes affaire et civil pour les affaires engageant des intérêts de 250 livres en capital ou 10 livres de rente. Ces présidiaux avaient leurs conseillers, avocat et procureur du roi, distincts de ceux du bailliage, mais les lieutenants généraux et particuliers du bailli y siégeaient comme conseillers. Cette création faite pour tous les sièges principaux et particuliers du bailliage fut restreinte aux premiers dès 1566. Il y eut donc des sièges de bailliage avec présidiaux et des sièges sans présidiaux (sans compter les petits bailliages ressortissant à un bailliage supérieur). Sous l'empire de cette législation, la compétence des bailliages devient assez difficile à préciser. On peut cependant noter que d'une façon générale elle garde surtout les causes qui rappelaient l'époque où ils étaient nés (matières féodales, bénéficiales, procès des nobles, des églises ayant des lettres de garde gardienne, etc.). Les causes nées de questions de droit commun lui échappent presque toutes. Par la suite, le royauté, qui, par la création des présidiaux, avait compliqué l'oganisation judiciaire, tendit au contraire à la simplifier, en supprimant des degrés de juridiction inutiles, et ses réformes tournèrent an profit des bailliages. C'est ainsi qu'ils héritèrent des prévôtés, châtellenies, prévôtés foraines, vicomtés, vigueries et hantes juridictions royales établies dans les villes où il y avait un siège de bailliage (édit avril 1749). Ils devenaient ainsi, pour le ressort des sièges supprimés, des tribunux de 1re instance. Enfin à la veille de la Révolution (mai 1788), une ordonnance (Isambert, t. XXVIII, p. 534) divisa les bailliages et présidiaux en deux classes; les uns, qui durent désormais s'appeler présidiaux, jugeaient en dernier ressort au civil jusqu'à concurrence de 4000 livres et eu première instance au criminel (les présidiaux ainsi transformés y perdaient, les bailliages y gagnaient); les autres s'appelèrent grands bailliages; cha cun fut divisé en deux chambres : l'une, dite seconde chambre, faisant l'office d'un présidial pour le ressort qui avait jusque-là appartenu au siège transformé en grand bailliage; l'autre, dite première chambre, recevant les appels des jugements des présidiaux et de la seconde chambre et jugeant en dernier ressort, au criminel, en tous procès (saut contre les ecclésiastiques, gentilshommes et autres privilégiés, qui conservaient le droit d'être jugés en dernier ressort par la cour en matière criminelle) et au civil pour les intérêts ne dépassant pas 20,000 livres. Les parties avaient le droit au civil de passer toute juridiction seigneuriale ou toute juridiction royale inférieure et d'arriver directement devant le présidial. Les degrés inférieurs étaient pour eux facultatifs. Au criminel les juges seigneuriaux étaient de même presque réduits à un rôle de simples officiers de police; ils pouvaient constater les délits, opérer les arrestations, commencer l'instruction, puis l'affaire allait au présidial. Dans cette organisation, les bailliages, sous le nom de présidiaux et de grands bailliages, devenaient pour la presque totalité des procès les seuls tribunaux de France. Le personnel des sièges de bailliage Le personnel de chaque siège de bailliage comprend : 1° Le bailli qui reste le propriétaire de la justice, et son lieutenant général d'épée quand il en a un. Ce dernier titre donne, en l'absence du bailli, tous les droits du bailli lui-même et les mêmes prérogatives. Ainsi le bailli mort, c'est au nom du lieutenant d'épée que les jugements sont intitulés. Ce titre fut créé par édit d'octobre 1703 dans chaque juridiction royale ressortissant nuement aux parlements. La plupart de ces offices n'ayant pas été levés, un édit de 1753 supprima ceux qui restaient vacants et permit aux officiers de chaque siège de racheter les autres. 2° Les lieutenants de robe longue qui sont regardés comme les chefs de la juridiction. Dès le XIIe siècle les baillis avaient eu l'habitude de se nommer à eux-mêmes des lieutenants, soit à leur chef-lieu et pour être plus libres de ne pas résider, soit dans d'autres centres de leur bail-liage et pour éviter de se déplacer. La royauté lutta, sans un succès complet, contre cette pratique (1302, 1318, 1351, 1356). En 1453, an contraire, Charles VII la rendit obligatoire pour le service de la justice en leur imposant un lieutenant général et un lieutenant particulier de robe longue, ce dernier ayant pour fonction de remplacer le lieutenant général au cas d'absence. Souvent il y eut des lieutenants pour remplacer le bailli dans une ville autre que celle de sa résidence; on trouve ainsi quelquefois des titres de lieutenant général particulier, lequel lieutenant général pouvait lui-même, pour le même siège particulier, être secondé par un lieutenant particulier. Une déclaration du 15 janvier 1522 (Lambert, XII, 197), créa un lieutenant criminel dans chaque siège ressortissant aux cours de parlement. Le lieutenant général prit alors le nom de lieutenant civil. Quelques lieutenants généraux réussirent à se faire pourvoir de l'office de lieutenant criminel ou à le faire supprimer à leur profit; mais Henri II tint la main à une exécution plus complète de l'ordonnance de François ler, et sauf dans quelques pays tardivement réunis, notamment en Lorraine, les lieutenants généraux à la fois civils et criminels sont une exception. Quelques bailliages d'abord et presque tous ensuite eurent en outre un lieutenant criminel particulier, l'autre devenant lieutenant civil. (Ces lieutenants criminels qui étaient de robe longue durent avoir des lieutenants criminels de robe courte (1554) destinés à remplacer les prévôts provinciaux supprimés. Mais ce sont déjà des officiers de moindre importance.) Cette division des lieutenants en civils et criminels n'était réelle qu'au point de vue de l'instruction des affaires, les deux lieutenants généraux étant conseillers dans toutes affaires, chacun d'eux premier conseiller dans les affaires de sa spécialité, et chacun des deux lieutenants particuliers étant de même conseiller assesseur, le lieutenant civil au criminel, et le lieutenant criminel au civil. Il ne faut pas confondre tous ces lieutenants avec les officiers nommés vis baillis et vis sénéchaux (vice-baillis et vice-sénéchaux), qui ne sont que les prévôts des maréchaux « ainsi nommés en aucunes provinces » (Edit août 1564. V. Joly, t. III, p. 1154). 3° Des enquêteurs établis près des juridictions royales par une ordonnance de février 1514 et un édit de mars 1583, dont les offices non remplis furent supprimés, puis rétablis en 1693 (Isambert, XX, 203); il y en avait deux dans chaque bailliage; leurs fonctions, prises sur celles des lieutenants, consistaient à « faire les enquêtes, examens et recollemens et informations des parties litigantes, afin que les baillifs et seneschaux on leurs lieutenants eussent opportunité d'entendre diligemment à la visitation, décision et jugement des procès ». 4° Des conseillers dont le nombre, très restreint d'abord, s'augmenta sans cesse par la création d'offices nouveaux (20 dans les grands bailliages au XVIIIe siècle). Ils eurent droit de juger en l'absence des lieutenants, puis voix délibérative avec eux dans les cas où la coutume ou les ordonnances royales exigèrent la présence de plusieurs juges. Il y eut aussi dans chaque bailliage, par édit dit 27 décembre 1633, un office de conseiller honoraire, héréditaire et cessible, dont la jouissance passait même aux veuves et enfants. 5° Enfin deux avocats du roi, un procureur du roi, deux greffiers en chef, et un nombre variable de procureurs et d'avocats, ces derniers, dans les petits bailliages, autorisés à remplir le rôle des premiers, sans compter les agents inférieurs, huissiers, sergents, etc. On ferait un assez gros recueil avec les seuls édits et arrêts portant règlement de conflits entre tous les officiers cités plus haut, dont les fonctions étaient en effet toujours prises sur les offices déjà existants. (G. Gavet).
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