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La découverte du monde > Le ciel
L'astronomie indienne
À la différence des Chinois, les Indiens se sont préoccupés des sciences à un autre point de vue que celui de leurs applications. On peut dire qu'avec les Grecs, ils se sont partagé le vaste domaine des mathématiques. Laissant aux Hellènes la géométrie pure, où ils ont été si loin, les habitants de la vaste péninsule asiatique se sont surtout occupés de la théorie des nombres; ils y ont fait des découvertes considérables. Aryabhatta, par exemple, qui vivait au VIe siècle de notre ère, et dont la renommée s'est étendue jusqu'en Occident, où on l'appelait Ardubarius, s'occupa particulièrement de l'analyse indéterminée, et il eut des disciples qui portèrent cette branche de la science a un haut degré de perfection. Si les travaux de ces mathématiciens avaient été connus plus tôt en Europe, l'analyse algébrique et les recherches sur les propriétés des nombres, qui ont fait tant de progrès depuis trois siècles, en auraient fait encore de plus remarquables.

Ils nous ont rendus d'autres services, dont nous profitons tous les jours, le plus souvent sans nous en douter. C'est Ă  tort, en effet, que nous attribuons l'origine de nos chiffres usuels aux Arabes. Ceux-ci, Ă  ce point de vue, n'ont Ă©tĂ© que les intermĂ©diaires entre les Indiens et nous; et ce qui leur fait le plus d'honneur, c'est qu'ils ont eu les premiers l'idĂ©e de donner aux chiffres indĂ©pendamment de leur valeur proprement dite, une valeur de position, et on leur doit aussi notre usage actuel du zĂ©ro, que les Grecs, dans leur numĂ©ration sexagĂ©simale, n'employaient que pour marquer l'absence des degrĂ©s, minutes ou secondes. Leur arithmĂ©tique, qui est la nĂ´tre, Ă©tait infiniment supĂ©rieure par la commoditĂ© Ă  celle des Grecs et des Romains, ce qui n'empĂŞche pas que son introduction en Occident, au Moyen Age, n'a pas Ă©tĂ© sans difficultĂ©s, si bien que ceux qui Ă©taient habiles dans la pratique des calculs de l'arithmĂ©tique dĂ©cimale, jouissaient de l'admiration gĂ©nĂ©rale, et qu'on les honorait de la qualification d'algorithmistes. Au XIVe siècle, un habile calculateur, nommĂ© Paolo Dagomari, fut surnommĂ© Paolo dall Abbaco. 

Ajoutons que les Indiens ont aussi le mĂ©rite d'avoir introduit la notion des quantitĂ©s nĂ©gatives, qu'ils assimilaient au doit, par comparaison avec l'avoir. Les Grecs n'ont pas Ă©tĂ© jusque lĂ  et quand ils trouvaient comme solution d'un problème une quantitĂ© nĂ©gative, ils s'attachaient Ă  modifier la forme de l'Ă©noncĂ© de façon Ă  se dĂ©barrasser de cette solution gĂŞnante. 

En comparaison, l'astronomie de l'Inde laisse un bilan beaucoup plus maigre. La science astronomique, chez les anciens Indiens, n'a jamais pris un essor bien remarquable. Elle avait fini par se rĂ©duire Ă  des recueils de recettes permettant d'arriver machinalement Ă  dĂ©terminer, pour une Ă©poque indiquĂ©e, les positions apparentes du Soleil, de la Lune, et des planètes, d'indiquer les dates et les phases principales des Ă©clipses de Soleil et de Lune, enfin, donnant le moyen de faire des prĂ©dictions astrologiques, ce qui, de tout temps a Ă©tĂ© une chose de la plus haute importance pour les Orientaux encore plus que pour les EuropĂ©ens. 

Les anciennes conceptions de l'univers.
Durant la période védique, on imagine la Terre comme un monde entouré par l'Océan (Aittirêya-Brâhmana); le ciel porte parmi ses étoiles les sept rishis (la Grande Ourse); les chevaux du Soleil le parcourent en un jour; il est éloigné de la Terre d'une longueur de 100 yojanas.

Les nakshatras forment les signes du zodiaque. Le zodiaque est marqué par vingt-sept ou vingt-huit étoiles ou constellations dans le plan de l'écliptique, associées à la Lune, qui passe chaque jour dans un nakshatra nouveau.

L'annĂ©e se compose de trois cent-soixante jours, et se divise en douze mois de trente jours chacun. 

Durant la période moyenne, les renseignements relatifs aux données astronomiques nous sont fournis par les Védangas, les commentaires des diverses Samitass, le Panchasiddhantikâ de Varâha-Mihira (VIe s.) et quelques écrits jaïnas.

La terre est conçue comme une plaine circulaire, avec, au centre, le mont Méru où habitent les dieux. Autour de la montagne se répartissent les diverses parties du monde, entre autres le Jambû-dvîpa-dnîpa (l'île du Laurier rose, c'est-à-dire l'Inde) qui est une île entourée d'eau salée. Au delà, six autres îles (dvîpas) qui se déroulent en forme d'anneaux concentriques autour du mont Méru : Plaksha, Çalnmâlo, Kuça, Kraânça, Sâka, Pushkara; les mers qui les séparent sont alternativement de jus de canne sucre, de vin, de ghî (beurre clarifié), de lait sûri, de lait, d'eau pure. Le continent extrême est entouré d'une chaîne de montagnes (Lokâloka) jusqu'où parviennent les rayons du soleil; au delà, s'étend une région ténébreuse. Le pâtâla - ou enfer -se trouve sous la Terre.

Les astres - situés dans le ciel qui recouvre la Terre - circulent en cercles concentriques autour du mont Méru. Tous les corps célestes sont doubles : les uns brillent dans la contrée du nord (Bharata Varsha), les autres éclairent notre monde.

Chaque année solaire est de trois cent soixante-six jours; cinq années solaires égalent soixante-sept révolutions de la lune (Jyotisha-Vedanga) et elles forment un yuga. Soixante-sept révolutions lunaires équivalent à soixante-deux conjonctions de la Lune et du Soleil, donc à soixante-deux mois lunaires synodiques. Les mois ont vingt-neuf jours seize trente-et-unième (donc, en réalité, un peu plus de trente jours). Le jour est divisé en trente muhurta ou soixante nâdika. Le nâdika se subdivise à son tour en dix kalâ plus un vingtième (le temps du passage de la Lune dans un nakshatra en un jour contient six cent trois et six cent dix kalâs).

Les nakshatras sont au nombre de vingt-sept (Jyotisha Védanga) ou de vingt-huit (Surya-prajnapati); mais un zodiaque de douze signes (au lieu de vingt-huit) est superposé aux mansions lunaires.

Les mouvements des planètes sont moins bien connus. On sait cependant que la révolution synodique de Jupiter est de douze ans; mais on signale aussi un cycle Jovien de soixante ans, divisé en douze lustres (saras). On parle peu des étoiles qui n'appartiennent pas aux nakshatras.

Ces données, issues de l'expérience et de l'observation directe aboutissent à une notion du temps assez exacte. Tout autre est la notion mythique fournie par les Brâhmanas et qui, d'ailleurs, se superpose à celle-ci, sans que l'opposition irréductible des deux méthodes n'ait semblé gêner.

Suivant les Ă©crits thĂ©ologiques, l'univers est bornĂ© dans son existence Ă  l'Ă©tendue d'un Jour de Bramâ qui, se composant de mille Kalpas, divisĂ©s eux-mĂŞmes en quatre Yugas ou Ages (le Krita - ayant une durĂ©e de 4800 annĂ©es divines -; le TrĂ©tĂ  - de 3600  -; le Dvâpara - de 2400 -; le Kali - de 1200) Ă©quivaut en dĂ©finitive Ă  4.320.000.00) annĂ©es, puisque un jour des Dieux Ă©gale une annĂ©e humaine.

Parvenu à ce terme, le monde entre en dissolution; séparés, ses éléments constitutifs restent à l'état de repos durant le temps d'une Nuit de Brahmâ qui occupe la même durée qu'un Jour de ce dieu; l'ensemble du jour et de la Nuit de Brahmâ compose un Mâhâ Kalpa (grand Kalpa).

Quatorze monarques divins - les Manus - sont chargés de gouverner le monde au cours du jour de Brahmâ. On nomme Manvantaras leurs règnes, égaux en durée.

Le Kalpa actuel a déjà vu sept Manus dont le dernier Manu Vaivasvata, fils du Soleil, a présidé à la résurrection de l'espèce humaine après le Déluge. (Ce mythe ne figure pas dans les Védas auxquel il est postérieur).

Les Siddhânta.
Parmi les oeuvres les plus importantes de la pĂ©riode allant du .IVe au XIe siècle de notre ère, on compte les Siddhânta, cinq traitĂ©s astronomiques dont le plus ancien est le SĂ»rya-Siddhânta  (ce titre signifie : VĂ©ritĂ© certaine, rĂ©vĂ©lĂ©e par Surya, c'est-Ă -dire par le Soleil), dont l'auteur est inconnu, et qui date du IVe ou Ve siècle après J.-C. Les autres sont : le Vâsishta, le Laurya, le Pauliça, le Romaka-Siddhânta.

Les livres astronomique étaient rédigés en vers, ce qui n'était pas fait pour donner de la précision au langage, et ces vers étaient appris par coeur. Les brahmanes arrivaient ainsi à calculer des éclipses avec exactitude et rapidité; ils ne méritent pas pour cela d'être honorés du titre d'astronomes. On connaît cependant les noms de queqlues vrais astronomes : Ayabhata, qui nous a laisse le Lâghu-âryabhatîya, Varaha-Mihira Aryabhata II, auteur de l'Aryabhata. Siddhânta; Lalla, qui écrivit vers 638 le Cishyadhîvriddhidantantra; Brahmagupta (628), célèbre par son : Brahmâ sphuta, et Bhaskar, qui composa vers 1114 le Bhâskarâchârya.

Les conceptions cosmologiques de cette époque sont énoncées pour la plupart dans le Sûrya-Siddhânta; mais, avec Aryabhata et Bhâskara, on constate un progrès dans les méthodes de calcul. Elles se résument en ceci :

Les astres tournent autour du globe terrestre. Les anciens dvîpas sont devenus des continents et des îles situés dans l'Océan. Au pôle nord s'élève une montagne d'or : le Méru ; au pôle sud, un second Méru céleste habité par les Apsaras. Près de l'équateur, un certain nombre de villes : Lankâ, Komaka, Siddhapura, Yannakoti, se trouvent réparties à égales distances les unes des autres.

Le jour sidĂ©ral est divisĂ© en soixante nâddikas, subdivisĂ©s eux-mĂŞmes en soixante vinâdikas. Parmi les mois, on distingue le mois sidĂ©ral (composĂ© de 30 jours sidĂ©raux,  il est annoncĂ© par l'entrĂ©e du Soleil dans un signe du zodiaque) commun (sâvana) lunaire et solaire. Douze mois solaires donnent une annĂ©e. Quatre millions trois cent vingt mille annĂ©es Ă©galent un Mâhâyuga, divisĂ© en quatre parties Ă©gales.

Les mouvements des planètes sont expliquĂ©s, comme chez les Grecs, par des Ă©picycloĂŻdes (paridhi). On compte douze constellations zodiacales. Au-dessus du MĂ©ru du pĂ´le nord, brille l'Ă©toile polaire (dhruva) Ă  laquelle rĂ©pond une Ă©toile analogue au-dessus du pĂ´le sud. 

Outre ces données, celles de l'astrologie sont très développées. Trois chapitres du Sûrya-Siddhanta sont consacrés aux calculs astrologiques.
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La precession des Ă©quinoxes

L'auteur du Surya-Siddhânta s'était fait une singulière idée de la précession des équinoxes, idée qui se retrouve en Europe chez certains astronomes du Moyen Age. Pour lui, l'équinoxe ne se déplace pas le long de l'écliptique continuellement dans le même sens, mais c'est, pour ainsi dire, un mouvement oscillatoire qui fait que l'équinoxe marche, d'abord de l'ouest à l'est, puis de l'est à l'ouest autour de l'étoile Dzêta Pisces. L'amplitude de ce mouvement pendulaire est de 27°, qui sont parcourus en 1800 ans. Il ne semble pas d'ailleurs que cette idée soit due aux Indiens. Certains Grecs avaient eu la même opinion, que Ptolémée avait cru devoir désapprouver.

Les influences.
On a cru trouver dans les Siddhântas la trace d'emprunts aux Grecs et surtout Ă  PtolĂ©mĂ©e. De fait, l'auteur du Surya-Siddhânta  n'avait peut-ĂŞtre pas lu PtolĂ©mĂ©e, son livre n'en semble pas moins, Ă  certains points de vue, un reflet des ouvrages des astronomes hellènes antĂ©rieurs Ă  celui-ci. Il ne faut pas oublier que depuis l'expĂ©dition d'Alexandre, les relations commerciales et autres, entre Grecs et Indiens, Ă©taient frĂ©quentes, et que mĂŞme des colonies grecques habitaient au milieu de ces derniers. La question reste indĂ©cise, et l'on pourrait tout aussi bien se demander si ce ne sont pas les astronomes indiens qui ont influencĂ© les Grecs.

Toujours est-il que les astronomes de l'Inde semblent avoir Ă©tĂ© de mĂ©diocres observateurs. Qu'on en juge leurs instruments, tels que, nous les connaissons d'après les descriptions qu'eux-mĂŞmes nous en donnent, Ă©taient grossièrement construits, et, Ă  vrai dire, Ă©taient des appareils propres Ă  donner une idĂ©e Ă  peu près exacte des phĂ©nomènes Ă  des Ă©coliers, mais non pas Ă  les mesurer avec exactitude, et il est tout Ă  fait impossible que, grâce Ă  eux, ils aient pu dĂ©terminer les Ă©lĂ©ments les plus dĂ©licats des mouvements cĂ©lestes, assigner les instants des Ă©quinoxes, fixer le lieu prĂ©cis du point Ă©quinoxial, etc. Il est donc probable qu'ils ont travaillĂ© surtout sur les observations des anciens astronomes chaldĂ©ens et grecs, plus tard, ils ont ressenti l'influence des astronomes chinois. 

Leur Astronomie, selon Biot, "était une science telle que les Hindous la conçoivent : érudite, livresque, comme dirait Montaigne; s'occupant à rédiger des almanachs populaires, à composer des thèmes de nativité, à calculer, par des règles toutes faites, des annonces d'éclipses, et nullement occupée à perfectionner les observations dont elle n'avait nul besoin. »
Si l'on veut parler de manière assurée d'une influence des Occidentaux sur l'astronomie indienne, il faut attendre bien après l'époque de la rédaction des Siddhânta. Par exemple jusqu'au temps du rajah Sawaï Jaï-Singh. Ce prince, qui vivait au XVIIe siècle, avait fait bâtir cinq observatoires, dont les vestiges restaurés se voient encore dans les villes de Benarès, Muttra, Ujjain, Delhi et Jaïpur. Dans ces établissements, on faisait usage de procédés d'observation qui n'étaient pas sans rapports avec ceux qui étaient en usage à l'Observatoire de Paris à la même époque, Jaï-Singh était au courant de la science européenne, ou, du moins, il avait connaissance des tables de La Hire, alors tout nouvellement publiées.

C'est seulement au XIXe siècle, que les Anglais ont importĂ© en Inde (pour leur propre compte, il est vrai) l'astronomie moderne; Taylor, Jacob et Pogson, Ă  Madras, Wilkox Ă  Lucknow, ont fait des travaux qui ont fait date. (Les instruments de l'observatoire de Lucknow, ainsi que les manuscrits de Wilcox, ont pĂ©ri pendant la rĂ©volte des Cipayes). Il n'est pas inutile aussi de noter que Subrahmanyan Chandrasekhar,  l'un des plus grands astrophysiciens du XXe siècle, bien que formĂ© en Angleterre et ayant menĂ© sa carrière aux Etats-Unis, Ă©tait d'origine indienne. (E. Doublet).

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