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Il serait impossible
d'écrire l'histoire particulière des arts
décoratifs et des métiers d'art sans y joindre celle de l'art
tout court, l'Antiquité
ne connaissant pas les subtilités de classement adoptées par les esthéticiens
modernes.
L'Egypte antique.
D'après les théories modernes, les Egyptiens
auraient été de très habiles décorateurs parce qu'ils ont revêtu
les murailles de leurs temples et des tombes royales de sculptures
et de peintures
retraçant les fastes historiques de leurs monarques,
les scènes mythologiques de leur panthéon
religieux et, ce qui est plus précieux pour nous, les usages et les
occupations de la vie civile aux bords du Nil. On ne peut refuser à toutes
ces compositions d'être conçues dans un style simple et délicat et par
suite de produire un effet très satisfaisant, mais ne serait-il pas plus
exact de dire que cet effet était la conséquence du goût particulier
que l'antique Egypte
professait pour la polychromie dont elle
connaissait toutes les règles, sans que ses ouvriers décorateurs aient
vraisemblablement reçu une instruction spéciale les séparant des artistes
ordinaires. L'art égyptien est essentiellement décoratif, et les monuments
grandioses qu'il a produits, de même que les objets les plus infimes du
mobilier rentrent dans un système absolu de décoration. Les obélisqnes,
les pyramides, les statues
colossales et les grandes baies de leurs temples, dont les profils géométriques
se découpent si franchement sur l'horizon illimité des plaines sablonneuses,
ne pourraient être isolés sans perdre une partie de leur caractère;
nulle autre architecture n'ayant établi plus rationnellement la place
que chacun des ornements doit occuper
dans l'effet général de l'ensemble.
L'architecture
égytienne est théocratique. Tout y est soumis
à un canon hiératique qui vise la vie future continuant le passage de
l'humain dans la vie. De là cette importance prépondérante donnée Ã
la construction des tombeaux. Dans ces catacombes le défunt était entouré
du mobilier dont il avait fait usage et les peintures des chambres sépulcrales
représentaient toutes les actions auxquelles il avait pris part. Le sol
de la contrée les ayant conservées intactes, nous y retrouvons les renseignements
les plus intéressants sur les coutumes, sur les moeurs et sur les croyances
des anciens Egyptiens. On comprend le
rôle important qui était dévolu aux arts
décoratifs dans cette société séculaire, en apercevant les ouvriers
occupés à modeler la terre des vases, les sculpteurs modelant ou polissant
les statues de matières dures, les peintres dessinant les traits du destinataire
du sépulcre, les ébénistes entaillant
ou marquetant les meubles,
les tisserands exécutant les étoffes ou composant des tapis aux nuances
multicolores dont l'Orient avait déjà accaparé la fabrication. On connaît
les procédés employés pour la décoration de ces anciens monuments.
L'exécution d'ensemble était dirigée par un artiste qui commençait
par tracer légèrement des lignes régulières se coupant à angles droits
et formant des carrés d'égale dimension. Dans ces carrés l'artiste indiquait
les points où devaient passer les contours principaux des figures. Un
autre peintre arrêtait les traits au pinceau et le sculpteur gravait
ensuite la pierre en suivant les lignes du dessin
ou modelait en relief les figures indiquées par un simple trait. Le peintre
terminait enfin ce travail en revêtant ces bas-reliefs
ou ces intailles d'enluminures de diverses
teintes.
Les hypogées
du Nil ont conservé dans son intégrité tout un mobilier dont les pièces
diverses sont uniformément revêtues d'une couche brillamment coloriée.
Les principaux motifs en sont toujours fournis par la nature; ce sont des
fleurs
de lotus ou des figures d'animaux traitées
avec un grand sentiment de vérité. L'architecture
elle-même trahit cette origine primitive et les colonnes
rappellent les trous des palmiers qui soutenaient les anciens temples,
avant de recevoir une forme plus classique d'où l'ordre
dorique est sorti. L'emploi des lignes droites et des plans nettement
indiqués contribue puissamment au style simple et noble des monuments
égyptiens auquel une longue frise composée
de deux feuilles de lotus affrontées donnait un aspect particulièrement
grandiose.
Mésopotamie,
Iran antique.
On constate les mêmes principes de décoration
chez les peuples des vallées du Tigre et de l'Euphrate. Les palais de
Ninive
et de la Babylonie
contenaient une suite de salles et de galeries dont les murailles étaient
revêtues de bas-reliefs qui sont absolument
des oeuvres de sculpture décorative. On
y voit se dérouler des théories d'officiers, de soldats et de captifs
qui escortent le souverain victorieux. Des animaux
gigantesques représentant des taureaux ailés à figure humaine annoncent
l'entrée du palais; on débouchait sur de vastes terrasses où de longues
frises
figuraient soit des peuplades vaincues, soit des scènes de chasse au lion
d'un caractère très dramatique. Le temps a fait disparaître les brillantes
couleurs dont ces bas-reliefs étaient revêtus. Cet ensemble polychromique
était complété par des voussures et des
grands caissons de faïence peinte et émaillée
dont les musées ont recueilli de nombreux échantillons.
Cette fabrication si éminemment décorative
persista longtemps après la chute des empires ninivite et assyrien.
Le Louvre
possède une série de grandes figures peintes sur des carreaux émaillés
et représentant les archers du roi Artaxerxès,
qui proviennent des ruines du palais de Suse
en Perse .
Ces admirables compositions montrent avec quelle habileté les artistes
achéménides
employaient des procédés de fabrication que n'auraient pas osé mettre
en oeuvre les ouvriers occidentaux. C'est certainement à leur école que
les céramistes musulmans sont redevables
du secret des inimitables faïences qui parent les mosquées
d'un éclat si harmonieux. Rappelons aussi que l'Orient fournissait, dès
cette époque, les tissus destinés aux vêtements de luxe, et les tapis
brodés de vives couleurs qui étaient si recherchés dans la Grèce
et dans l'Italie .
Ce ne sont pas les seules preuves qui nous restent de l'habileté industrielle
des artistes du Proche-Orient et du Moyen-Orient. Nous pourrions encore
citer des portes monumentales ornées de larges
bandes de bronze finement ciselé, des coffrets
d'ivoire et des coupes ornées de frises d'animaux.
Dans toutes ces oeuvres on remarque une constante préoccupation décorative,
unie à une exécution d'une énergie réaliste qui va parfois jusqu'Ã
la rudesse.
Grèce antique.
La Grèce ,
héritière sur de nombreux points des civilisations de l'Orient, se montra
tout d'abord fidèle aux traditions artistiques de ses précurseurs. C'est
chez elle et principalement à Athènes que
fut créée la formule d'un art
dont les principes ont perduré jusqu'au seuil de l'époque contemporaine.
Cette culture, passionnée pour les manifestations du beau - peut-être
jusqu'Ã son expression la plus tragique, si l'on veut suivre Nietzsche
-, développa toutes les ressources de la composition décorative pour
rehausser l'aspect de ses édifices publics. Que sont en effet les incomparables
marbres
du Parthénon, sinon des parties détachées
de la symphonie décorative confiée au ciseau de Phidias.
N'est-ce pas à l'unité de conception et d'exécution que ces groupes
et ces bas-reliefs doivent le style simple
et large qui les distingue? Nous ajouterons que la polychromie
employée avec la discrétion attique venait augmenter l'effet de ces productions
consacrées par l'admiration universelle.
Maîtres en fait de goût, les Grecs ont
abordé et porté au plus haut point de perfection tous les sujets qui
pouvaient se trouver en contact avec l'art. Le temps n'a rien épargné
des sculptures en ivoire
qui décoraient l'intérieur de leurs temples; nous ne connaissons plus
que par la description des auteurs anciens les tableaux qu'avaient exécutés
leurs peintres dont les noms, sinon les oeuvres, sont demeurés classiques;
il ne reste plus que le souvenir des meubles
précieux et des ciselures sur métal qui
enrichissaient les sanctuaires de Delphes,
d'Olympie et du Parthénon où ils avaient
été envoyés par la piété des monarques
de l'Asie
et des républiques helléniques. Mais des
découvertes chaque jour plus nombreuses nous ont livré une foule de monuments
tirés de matières moins précieuses, auxquels l'art a donné une valeur
inappréciable. Rien ne surpasse l'élégance du style des figures de bronze
recueillies dans les musées publics ainsi que dans les grandes collections
et qui composent toute une théogonie dont les statues romaines ne sont
que de médiocres imitations. Il en est de même pour les candélabres,
les vases et les miroirs qui décèlent toute
la finesse attique. Des nécropoles grecques de Tanagra,
de Miryna, de Cymé, sont sorties des milliers
de statuettes et de bas-reliefs en terre
cuite coloriée qui montrent la jeunesse antique dans son charme le plus
pénétrant et nous offrent des motifs d'une fraîcheur inépuisable.
Plus nombreux encore, les vases en terre
cuite recouverte de peintures et
parfois même d'ornements dorés sont décorés de sujets tracés d'une
main si sûre et si légère qu'ils semblent l'oeuvre d'artistes consommés.
La plupart sont consacrés aux traditions
mythologiques des dieux ou des héros de l'Antiquité ;
d'autres représentent toutes les scènes de la vie antique. C'est le plus
exact renseignement que l'on puisse consulter pour connaître l'aspect
intérieur des maisons athéniennes ainsi que les moeurs et les usages
de leurs habitants. On retrouve un témoignage des préoccupations artistiques
des Grecs dans une série spéciale de vases
peints qui retracent des sculpteurs, des peintres, des céramistes, des
graveurs, des ébénistes et des ciseleurs travaillant dans leurs ateliers.
Rome antique.
Les Romains,
moins artistes que les Grecs, furent
par contre plus curieux des oeuvres d'art; après avoir enlevé à la Grèce
la majeure partie de ses richesses, ils appelèrent les artistes du pays
subjugué. Rome ne fit donc que continuer Athènes,
mais on sait que les productions d'un sol perdent toujours à être transplantées.
Sous ce rapport la nouvelle capitale de l'ancien monde resta bien au-dessous
de sa devancière vaincue. Un cataclysme historique, l'éruption du mont
Vésuve
survenue dans le premier siècle de notre ère, a permis de retrouver la
cité entière de Pompéi, dont la population
était en partie d'origine hellénique. Tout le mobilier exhumé des cendres
volcaniques est de style grec, et ce caractère est confirmé par les inscriptions
tracées par les artistes sur diverses oeuvres d'art qui décoraient la
ville campanienne .
Il n'est pas de pièces de cet ameublement
qui ne méritent, par la pureté du style et par le fini de l'exécution,
d'être mises sous les yeux des artistes industriels auxquels elles ont
fréquemment servi de modèles.
Plus heureuse que les villes de Grèce ,
Pompéi
a conservé les peintures murales dont
ses maisons étaient ornées. Une partie a été détachée pour être
transportée au musée de Naples, le reste
est demeuré en place. On ne saurait demander à ces compositions sommaires
la perfection qui signalait les chefs-d'oeuvre des grands peintres de l'Antiquité ,
mais la noblesse des attitudes et la largeur de l'exécution s'y distinguent
toujours. De nombreux panneaux représentent des paysages,
des fruits et des fleurs, ainsi que des ornements
d'architecture. Une charmante série
montre des petits génies sculptant, peignant, modelant ou se livrant Ã
diverses occupations industrielles. Toutes ces peintures sont traitées
avec une connaissance profonde des lois de la décoration qui exigent la
soumission du détail à l'effet d'ensemble. Plusieurs peintures antiques
d'un goût délicat ont été retrouvées également à Rome;
mais ce que la Ville éternelle offre de plus remarquable en ce genre,
ce sont les bas-reliefs en stuc peint qui
ornent les voûtes des thermes de Titus
et de plusieurs sépulcres.
-
Mosaïque
romaine (Musée de Chemtou, Tunisie). Photo :
© Angel Latorre, 2008.
Les antifixes et les métopes
de terre cuite que le temps nous a conservés en grand nombre sont également
des modèles de style décoratif. Les édifices romains ne sont que des
monuments grecs amplifiés pour répondre à la puissance de ce vaste empire.
Les dimensions restreintes des temples qui suffisaient aux républiques
multiples de la Grèce
n'auraient pas répondu à l'étendue de la nouvelle capitale du monde
dont le nombre d'habitants égalait celui de nos grandes agglomérations
modernes. Ce développement imprévu entraîna un déclin de l'art. On
remplaça la pureté des lignes et la délicatesse des ornements par la
richesse des matières employées et par la profusion des motifs.
Il faut reconnaître cependant que les
architectes romains avaient le sentiment du grandiose et qu'ils ont laissé
des temples, des cirques, des thermes, des amphithéâtres
et des ponts dont on admire les belles proportions. Leurs ornemanistes
entaillaient dans le marbre des frises et des
chapiteaux
du style corinthien le plus efflorescent.
Sous le régime des empereurs Flavius, époque
la plus brillante de l'histoire de son art, Rome
présentait un caractère de magnificence qui ne sera jamais surpassé.
Les basiliques étaient peuplées de statues
enlevées à la Grèce; des colonnes triomphales
et des obélisques en granit d'Egypte
figuraient au milieu des places et des arènes
de la cité impériale. Les carrières de l'Orient et du monde entier avaient
été mises à contribution pour former sur les bords du Tibre un mobilier
public qui constituait une sorte de musée en plein air. Ce goût pour
la décoration s'étendit de la capitale à toutes les provinces de l'empire;
il ne s'arrêta que devant les invasions germaniques qui vinrent tarir
toutes les sources de prospérité publique. L'Italie
et Rome furent vouées à la solitude et à l'abandon. Les artistes émigrèrent
à Constantinople où les empereurs
d'Orient
leur offraient un refuge; d'autres se retirèrent à Ravenne
où survécut longtemps la domination byzantine.
Le Moyen âge.
L'art décoratif revêtit par suite de
cette translation un caractère oriental témoignant, cependant, par quelques
points d'attache, qu'il n'avait pas oublié son origine première, On retrouve
en effet dans les monuments exécutés à cette époque un souvenir éloigné
des peintures et des ornements
de la Grèce ,
transformés par une civilisation nouvelle. La plupart des productions
artistiques de Byzance furent anéanties lors de la conquête faite par
les musulmans, mais ce qui en a été conservé
est suffisant pour conception et dans l'exécution que l'on doit les grandes
dualités de style qui distinguent toutes les oeuvres artistiques du Moyen
âge ,
soit qu'il s'agisse de la sculpture d'un
portail,
de la disposition d'un tombeau, de la peinture
d'une voûte et d'une verrière, de la ciselure
d'un reliquaire ou de la menuiserie d'une rangée de sièges choraux. Comme
au temps de Phidias, il s'établissait, par suite d'un accord commun, deux
parts dans l'exécution de l'ouvrage; celle qui était du métier et celle
qui était création personnelle et originale. A côté de l'ouvrier artiste,
maître de l'oeuvre conduisant l'entreprise, travaillaient des maîtres
ouvriers, acceptant, malgré leur habileté, une tâche leur assurant le
gagne-pain journalier en concourant ainsi au mérite collectif de l'oeuvre.
Le caractère de l'art aux XIIIe
et XIVe siècles est presque exclusivement
religieux. Sous le règne de Charles V, le pouvoir
royal étant mieux assis, on commença à entreprendre les vastes hôtels
et les élégants châteaux destinés Ã
remplacer les sombres forteresses des seigneurs féodaux. L'architecture
devint civile et le luxe, qui faisait chaque jour des progrès, se répandit
sur tous les objets de la vie intérieure. Les monarques et les princes
de leur famille, ayant à leur disposition de nombreux trésors métalliques
qui n'avaient pas alors l'occasion d'entrer dans la circulation fiduciaire,
s'en servaient pour la fabrication de pièces d'orfèvrerie
destinées à retourner fréquemment au creuset d'où elles étaient sorties.
Nulle part cette activité ne fut aussi grande qu'à la cour des ducs de
Bourgogne ,
princes français établis dans les Pays-Bas
qui disposaient d'immenses richesses et encourageaient puissamment les
arts .
Bien que les règlements qui régissaient
les corporations fussent toujours observés fidèlement dans les rapports
des maîtres et des ouvriers, on vit apparaître dès cette époque les
premiers germes d'une scission entre l'art et l'industrie. Séduits par
les talents de quelques hommes, les rois et les seigneurs les attachèrent
à leur service, en leur donnant des emplois qui faisaient d'eux des personnages
à part, et les mettaient en dehors des travailleurs ordinaires de leur
corporation. Mais si l'on voit parmi ces familiers des peintres,
des imagiers et des maîtres des oeuvres, on y retrouve aussi des noms
d'orfèvres, de brodeurs,
de tapissiers, d'armuriers et de gens de
métiers. Le même titre de valet de chambre octroyé à tous ceux que
le souverain employait aux travaux de l'ordre le plus élevé, de même
qu'au plus inférieur, depuis la décoration des palais jusqu'à la confection
des vêtements et des ustensiles les plus vulgaires de la vie privée,
fait comprendre qu'il n y avait dans cette innovation qu'une simple mesure
de convenance personnelle sans aucune intention d'affaiblir les maîtrises.
Il n'entrait pas dans les idées d'alors, non plus d'ailleurs que dans
celles de l'Antiquité ,
de considérer le travail manuel comme une occupation d'ordre inférieur,
et de distinguer un art élevé, anoblissant l'humain, d'une industrie
vulgaire et susceptible de le dégrader. Ces fausses conceptions, inconnues
du Moyen âge ,
ne devaient se produire que plus tard, sous l'influence prépondérante
d'artistes privilégiés.
L'Allemagne
n'était pas restée en arrière de ce mouvement artistique dont les premiers
germes lui avaient été inoculés par les ouvriers grecs que l'empereur
Charlemagne
avait appelés de Byzance
pour les établir à Aix-la-Chapelle
et dans la Lotharingie. L'école rhénane a produit un nombre considérable
d'objets d'orfèvrerie, des ivoires
sculptés et des émaux champlevés qui rivalisent
avec ceux fabriqués à Limoges. Jusqu'au
XIIIe siècle, la production des deux rives
du Rhin resta sans différence notable, mais l'esprit allemand recula devant
les grandes conceptions gothiques créées par les artistes français,
les trouvant trop hardies. A ce moment s'établit une séparation caractéristique
entre le faire artistique des deux contrées. La Germanie s'attacha principalement
à accuser la solidité de l'ensemble et à atteindre l'extrême fini dans
le détail, tandis que la France
recherchait avant tout l'aspect seyant et gracieux. Cette réserve faite,
il est juste d'ajouter que la Germanie a compté une longue série d'artistes
qui se sont signalés dans toutes les branches de l'art
décoratif. Les ateliers de Nuremberg
et d'Augsbourg ,
villes dans lesquelles le commerce avait concentré de nombreuses richesses,
jouissaient d'une célébrité qu'ils ne perdirent qu'à la suite de la
guerre de Trente ans.
La Renaissance.
La Renaissance
italienne
était accomplie depuis longtemps dans les villes de la péninsule quand
elle fut importée en France ,
à la suite des expéditions de Charles VIII
et de Louis XII. Son berceau primitif avait
été la Toscane ,
où Pise ,
Sienne
et Florence s'en disputaient la paternité.
Il n'est pas douteux qu'au XIIIe siècle les monuments français n'aient
servi de modèles aux architectes primitifs de la Toscane, mais leur principal
maître fut l'étude des sculptures et des édifices antiques.
L'Italie.
Pendant que l'art gothique s'immobilisait
après avoir jeté une lueur incomparable, la sculpture
et la peinture italiennes arrivaient
à la perfection sous la direction de Brunelleschi,
de Donatello, de Michel-Ange,
de Léonard de Vinci et de Raphaël.
Le mouvement créé en Toscane s'étendit bientôt dans toute l'Italie
et principalement dans les villes de la Lombardie
et de l'Etat vénitien .
L'art italien du XVe siècle s'appuie sur
l'étude de la nature, et il montre sur ce point la même préoccupation
que l'art de la Flandre ;
mais pendant que celui-ci insiste parfois lourdement sur le détail extérieur,
le premier sait sacrifier tout ce qui pourrait diminuer le style noble
de la composition. Les monuments et les églises
de l'Italie
ont conservé, grâce à son merveilleux climat, une série de fresques
qui sont à la fois des chefs-d'oeuvre de peinture
et des pages exquises de décoration.
On les appelle groteschi par suite
de l'obscurité des monuments sur les murailles desquels ils sont placés.
Raphaël
Sanzio et ses élèves, Polidore de Caravaggio
et Pierino del Vaga, ont été les dessiner pour s'en inspirer dans la
peinture des chambres et des galeries du Vatican.
A leur exemple, les compositeurs d'ornement les ont reproduits à l'infini,
en appropriant leur caractère suivant le goût particulier de chaque époque.
-
Exemples
de motifs décoratifs utilisés à la Renaissance.
Les sculpteurs toscans et milanais, praticiens
inimitables grâce à l'abondance des marbres
existant dans le pays, ont élevé des tombeaux et des monuments dont on
ne se lasse pas d'admirer le pureté des lignes et le fini de l'exécution.
La sculpture tendit même à empiéter sur le domaine de l'architecture
qui ne la suivait que de loin, et à prendre le rôle prédominant. Sur
la façade de nombreux monuments, on voit
des frises de marbre,
de longs bas-reliefs de terre cuite peinte
et émaillée, ainsi que des portes
et des groupes de bronze qui viennent recouvrir
la nudité des murailles, en leur donnant un caractère tout nouveau de
magnificence. Parfois l'accessoire décoratif constitue la partie principale
et il existe d'immenses édifices du nord de l'Italie construits en terre
cuite, dont les détails d'architecture et les ornements ont été modelés
et exécutés par les meilleurs artistes.
Le XVe
siècle a été une époque très prospère pour l'Italie
qui servait alors d'entrepôt au commerce entre l'Orient et le reste de
l'Europe .
C'est à cette cause que l'on peut attribuer l'importance qu'avaient alors
certaines villes aujourd'hui éloignées des routes commerciales et déchues
de leur prospérité. A ce moment l'art était partout
et était appliqué à tout. Florence se
maintenait à la tête de ce mouvement, et rien ne prouve mieux l'intensité
de sa production industrielle qu'en voyant les membres nombreux de la corporation
de ses orfèvres, devenir peintres,
sculpteurs,
graveurs,
brodeurs,
architectes, et être appelés à Rome,
à l'étranger et partout ou il y a des oeuvres d'art à exécuter. Les
peintres les plus habiles enrichissaient les pièces de mobilier ou les
vases de faïence
de compositions allégoriques; d'autres
fournissaient de modèles les brodeurs et les armuriers ou faisaient des
cartons pour être reproduits en tapisserie.
Les sculpteurs ne dédaignaient pas d'esquisser des maquettes pour l'industrie
ou d'entailler les boiseries des palais et des choeurs
des églises. Pendant ce temps une légion
de moines travaillait obscurément à enluminer les feuillets des manuscrits
ou à juxtaposer patiemment les cubes des mosaïques
et les lamelles imperceptibles de la tarsia sur bois.
Ce grand mouvement, parvenu à son point
culminant, arriva bientôt à son déclin et, fait particulier, à mesure
que l'art décroissait, la position sociale des artistes augmentait. Rome
et Florence établirent des académies,
avec l'espoir de maintenir leur supériorité générale en réunissant
dans un corps privilégié les artistes renommés, mais cette mesure ne
pouvait rien contre l'abandon des principes simples et vrais qui avaient
vivifié l'ancienne école. Chaque jour la recherche du nouveau et du colossal
faisait de nouveaux progrès, et bientôt l'art italien, engagé dans cette
voie, aboutit à la banalité et à la bizarrerie.
La
France.
La France
avait adopté avec empressement les modèles de la Renaissance
italienne et elle les suivit tout d'abord sans modification. Il est parfois
difficile de reconnaître si tel panneau de bois
ou tel bas-relief de marbre
entaillé à l'antique provient d'Italie
ou s'il a été exécuté en France, soit par des ouvriers italiens, soit
par des ouvriers du pays travaillant avec eux. La mode nouvelle se portait
vers les beautés de l'art antique que la France ignorait. L'école française,
avec son esprit d'assimilation, comprit bien vite dans quelle mesure il
convenait de s'approprier ce style, et elle combina très habilement les
dispositions originales du style gothique
avec l'élégance des ornements ultramontains. Les artistes français franchirent
à leur tour la frontière des Alpes pour étudier directement les monuments
antiques de Rome, et recueillir sur place les
traditions de Vitruve. Les grands architectes
Jean Ballant, Pierre Lescot et Philibert
Delorme suivirent ce chemin et ils en rapportèrent un style noble
et élégant auquel nous devons les édifices classiques de la Renaissance
française.
Les sculpteurs Jean
Goujon et Germain Pilon, leurs collaborateurs
ordinaires, s'inspirèrent des mêmes principes pour créer une manière
nouvelle, pleine de goût et de grâce. Aux pilastres revêtus d'arabesques
toujours fines, mais trop uniformes, succédèrent des colonnettes élancées
supportant des frontons légers, tandis que les panneaux des boiseries
étaient ornés de bas-reliefs dont la faible saillie laissait transparaître
la délicate afféterie. Les compositions de Ducerceau,
d'Etienne Delaune et de Boyvin, les termes de Hugues Sambin et les illustrations
dessinées par les libraires, mirent à la disposition de l'industrie une
suite de modèles qu'elle s'empressa de reproduire. En peu de temps l'art
français égala l'art italien, si même il ne le surpassa à certains
égards. Plus longtemps que celui-ci il sut résister à l'invasion du
mauvais goût en s'appuyant sur l'originalité protectrice de ses architectes
et de son école de sculpture. Plus longtemps aussi la France conserva
les fraternelles traditions du travail des anciennes corporations qui entretenaient
chez les artistes et chez les artisans une émulation mutuelle et féconde.
Les
autres pays.
L'histoire artistique des Pays-Bas
se confondit dans une certaine mesure avec celle de l'Allemagne
lorsqu'ils tombèrent dans la possession des empereurs; mais, malgré ces
rapports politiques, cette contrée avait conservé un souvenir de l'ancienne
domination des princes français et, de plus, elle était trop voisine
de la frontière française pour être complètement absorbée par l'esprit
germanique. Même au moment où son originalité disparaît sous la lourdeur
septentrionale, on y perçoit encore une tendance vers la simplicité qui
n'a pas la force nécessaire pour se manifester ouvertement. La Flandre
qui avait remporté des triomphes de si bon aloi, alors que son école,
dès la fin du Moyen âge, était placée
sous la direction des van Eyck, de Rogier
Van der Weyden et de ses admirables maîtres réalistes, obtint un
regain de succès en suivant les modèles de Rubens,
qui fut non seulement un grand peintre, mais aussi un admirable décorateur.
Pendant près d'un siècle, l'Europe
entière rechercha les meubles et les cabinets
d'ébène ou de bois exotiques revêtus de pierres dures ou d'inscrustations
en os et en ivoire que la ville d'Anvers travaillait
avec un fini que les ateliers de Nuremberg
et d'Espagne
ne pouvaient égaler. L'Allemagne
et la Flandre
ont possédé, au reste, un nombre considérable de dessinateurs et de
graveurs d'ornement qui ont composé des modèles destinés à l'industrie.
Le plus célèbre de tous est Holbein qui, après
avoir peint ses admirables portraits, exerçait
son talent à tracer des projets d'édifices, de verrières, de pièces
d'armures et d'ameublement.
Les Temps modernes.
Les troubles religieux de la seconde moitié
du XVIe siècle entraînèrent un temps
d'arrêt dans la production artistique de la France .
Les grands artistes étaient morts sans laisser de remplaçants pour continuer
les leçons de style indispensables au maintien de l'industrie. La mode
se désintéressa des oeuvres de l'art
pur et des belles sculptures
qui décoraient les meubles de la
Renaissance
pour s'adresser aux fabriques étrangères qui lui envoyaient des pièces
plus rares et plus précieuses, mais d'un ordre inférieur. Les ouvriers
français se virent réduits à aller dans les Flandres ,
y apprendre des procédés qui leur étaient inconnus et qu'ils imitèrent
à leur retour. Les ministres Richelieu et
Mazarin,
héritiers des desseins de Henri IV, essayèrent
de ranimer notre industrie décorative en appelant des ouvriers de l'Italie
et du Nord. Mieux inspiré, le surintendant Fouquet
eut le mérite de distinguer le talent du peintre Lebrun,
le plus grand décorateur que la France ait produit. Louis
XIV résolut de mettre à profit les établissements artistiques de
son ministre tombé en disgrâce et de les faire concourir à l'éclat
de son règne. Sur les conseils de Colbert il
acheta à Paris l'hôtel des frères Gobelin
et il y établit une manufacture royale ( Manufacture
des Gobelins )
où furent centralisés les ateliers de tapisserie
qui travaillaient sur divers points de Paris, en même temps qu'on y exécutait
toutes les pièces de l'ameublement des palais qu'il faisait construire.
L'établissement fut placé sous la direction de Lebrun; des logements
y furent accordés au ciseleur Domemio Cucci,
au sculpteur sur bois Philippe Caffieri, aux mosaïstes
florentins Migliarini, Branchi et Giacetti, aux brodeurs
Balland et Fayette, aux peintres d'ornements Bailly et Bonnemer, aux orfèvres
qui ciselaient les grandes pièces d'orfèvrerie fondues à l'époque de
la guerre d'Espagne et enfin au peintre Van der Meulen. Un seul des artistes
royaux manquait à cette réunion, c'était André-Charles
Boulle qui travaillait aux Galeries du Louvre
où il était installé depuis longtemps. La double présence de Lebrun
à la présidence de l'Académie royale de peinture et de sculpture créée
par le roi, et à la tête de la maison des Gobelins où il se trouvait
en contact journalier avec des artistes spécialement appliqués à reproduire
ses dessins et ses modèles, montre dans quelle estime, on tenait alors
l'art décoratif et tous ceux qui concouraient
à sa perfection. La direction de Lebrun, parfois exigeante, mais toujours
féconde, valut à l'industrie française une supériorité qu'elle conserva
pendant de longues années. Ce fut l'époque héroïque des art décoratifs
et nul artiste ne sut mieux trouver la forme noble et gracieuse qui répondait
à l'éclat pompeux de la cour de Versailles.
Les compositions de Lebrun et les oeuvres exécutées sous son influence
doivent servir de modèles à tous ceux qui recherchent l'élévation du
style unie à la variété inépuisable de l'ornementation.
Cette impulsion vigoureuse survécut Ã
Lebrun
et au règne de Louis XIV, mais, la direction
en étant devenue moins autoritaire, le caractère général de la décoration
s'inspira davantage de la grâce et de la légèreté. Le principal auteur
de cette évolution fut l'architecte Robert de Cotte,
intendant général des bâtiments, et l'un des plus féconds dessinateurs
de l'école française. Toutes ses compositions portent la trace d'un style
charmant qui n'a déjà plus l'emphase un peu lourde du style de Louis
XIV, sans avoir encore la capricieuse bizarrerie de l'époque de Louis
XV. Auprès de lui travaillait l'architecte
Boffrand,
connu surtout par les délicieux motifs d'ornementation qu'il fournissait
aux décorateurs des palais et des hôtels. Les lambris, les meubles
et les panneaux exécutés d'après ses dessins égalent par leur perfection
les chefs-d'oeuvre des anciens menuisiers de la Renaissance ;
ils prouvent que l'art du bois sera florissant en France ,
chaque fois qu'il se rencontrera une personnalité assez vigoureuse pour
le guider dans la voie de l'élégance. En même temps les peintres Gillot
et Watteau créaient une suite d'arabesques
délicieuses au milieu desquelles ils plaçaient des scènes galantes,
tracées avec un crayon français et coloriées avec un pinceau flamand.
La décoration des appartements sous le
règne de Louis XV prit un aspect d'élégance
et de grâce inconnu jusqu'alors. C'est un art radiné ne visant qu'Ã
la coquetterie
et que l'on ne saurait imiter sans tomber
dans le chimérique ou dans le fantasque. Les lignes pures des formes,
les règles classiques de la composition furent remplacées par des ornements
chantournés et des enroulements en rocaille dont l'exécution spirituelle
pouvait seule faire pardonner la conception baroque. Mais les artistes
sauvaient par le brio de l'exécution le dessin superficiel de leurs ouvrages.
L'école française ne compte pas de plus charmant décorateur que François
Bouclier, qui a laissé dans ses toiles et dans ses cartons de tapisserie
toutes les grâces maniérées du XVIIIe
siècle; en même temps travaillaient le sculpteur Bouchardon,
les ciseleurs Caffieri, les vernisseurs Martin et les peintres sur pâte
tendre de la manufacture de porcelaine
de Sèvres.
Vers la fin du long règne de Louis
XV, on se fatigua du style rococo; Ã
son tour, le bon goût se réveilla et l'on recommença à étudier les
monuments antiques auxquels il faut toujours revenir comme à la source
inépuisable du beau absolu. Les ouvrages de Winckelmann
et de l'abbé Barthélemy avaient mis à la
mode l'art romain que l'on appelait alors l'art grec, et avaient formé
un monde nouveau d'amateurs. Il en résulta la création d'une manière
différente qui se constitua sans repousser absolument les qualités d'originalité
et de fantaisie des maîtres de la période antérieure. Une heureuse fusion
s'opéra entre les oeuvres antiques et celles des sculpteurs Pigalle, Houdon,
Falconet,
Pajou qui, plus que leurs devanciers, s'attachèrent à traduire la perfection
des formes. Dans la peinture, Vien, Greuze,Lagrenée
et David s'efforçaient de ramener l'art Ã
un sentiment plus vrai de la nature. Les artistes ornemanistes entrèrent
dans cette voie nouvelle, et les terres cuites de Clodion, de même que
les ciselures de Gouthière semblent inspirées par l'art grec. Les dessinateurs
qui ont puissamment favorisé cette rénovation sont les architectes Ledoux
et Bellangé, Dugoure et Gondouin, dessinateurs du Garde-meuble et du cabinet
de Monsieur, Cauvet, Prieur, Delalonde, Salembier, Delafosse et Forty.
Leurs compositions étaient admirablement traduites par les ébénistes
Riesener, Benneman, Carlin, par les ciseleurs Hervieux et Duplessis et
par cette foule de sculpteurs et de modeleurs qui portèrent si haut, Ã
cette époque, la perfection de l'ornementation française.
Le
XIXe siècle, en France.
La Révolution
modifia radicalement les conditions d'existence des métiers d'art, en
abolissant les maîtrises héritières des anciennes corporations qui conservaient
les traditions transmises par les siècles, et en décrétant la liberté
du travail sans établir aucune mesure pour maintenir la qualité de l'exécution.
Dans la période qui suivit, le goût allait se détourner de tout ce qui
était riche, gracieux et élégant, pour se porter vers l'imitation glaciale
et mal comprise, de l'art antique. La production
artistique allait pratiquement disparaître, n'étant plus encouragée;
les artistes se désintéressèrent de sa direction et l'industrie resta
seule maîtresse du marché.
Après la Terreur,
les parvenus qui avaient acheté des hôtels les firent restaurer dans
le goût du jour, qui était grec ou romain : tout était alors «-Ã
l'antique ». L'art s'était fait républicain,
en haine de la monarchie. Bientôt, la restauration
des résidences impériales comporta une série de grands ouvrages décoratifs
en bronze, travaillés par Thomire, qui servaient
de candélabres, de torchères, de supports. La tapisserie
subit les effets de ces changements de goût, d'idées et de gouvernements.
Les sujets furent demandés aux grandes scènes et aux actes héroïques
de la Révolution, jusqu'au jour où
les motifs révolutionnaires firent place, à leur tour, aux peintures
militaires retraçant les divers épisodes de l'épopée impériale. Les
bijoux
sont des copies littérales des bijoux grecs représentés sur les vases
ou les bijoux romains découverts Ã
Pompéi.
La céramique, la manufacture de Sèvres
en particulier, s'inspira de la Grèce
pour la décoration de ses produits.
Au lendemain du jour où l'état de la
société française venait d'être une fois encore profondément modifié
en toutes choses, il était inévitable que la restauration réagisse violemment
contre les tendance de la Révolution et de l'Empire. Sous Louis
XVIII et Charles X, le style gothique, puis
celui de la Renaissance
française, furent remis en honneur par le romantisme;
mais, en même temps, commençait cette recherche passionnée, dont la
vogue dure encore, de toutes les productions des siècles précédents.
Le « style Louis-Philippe » fut sans caractère. Sous le second Empire,
les industriels s'appliquèrent plutôt s'inspirer des formes en usage
au temps de Louis XIV, de Louis
XV et de Louis XVI ou des formes néo-grecques
qu'à créer un style qui traduisît l'esprit du temps, ceux qui demandaient
des conseils à la nature et s'essayent à créer furent plus rares que
les imitateurs du passé.
L'architecture ,
dont dépendent tous les arts décoratifs,
trahit la même indécision. Tout est construit suivant des formules empruntées
à d'autres âges. On mélange, sans y prendre garde, le byzantin
et la Renaissance, le gothique et
le Louis XIV. L'Opéra Garnier ,
à Paris est l'exemple le plus saisissant de
cette cacophonie. L'application de la céramique
à l'architecture date de l'Exposition universelle de 1878. Aujourd'hui
encore, dans beaucoup de maisons de campagne, la terre émaillée vient
rompre la monotonie de la pierre grise, ou se marier avec la brique : c'est
un héritage de cette époque.
La découverte de la porcelaine
avait fait abandonner presque complètement les faïences. Cependant, sous
la Restauration, les peintres de Sèvres s'adonnèrent à l'exécution
de médaillons proprement dits ou à la reproduction de portraits,
de tableaux, de paysages encadrés de rinceaux
et d'ornements. Avec Louis-Philippe, vint
la mode de peindre les châteaux royaux sur
les vases, les plats et les assiettes.
Le goût de la cour de Napoléon III ramena
Ies céramistes au style Louis XVI, et,
ce qui caractérisera désormais la production de Sèvres, c'est la recherche
d'une variété qui s'emprunte le plus souvent à tous les styles qu'aux
choses naturelles. Mais d'un autre côté, il a été donné à la fin
du XIXe siècle de rendre à la faïence
et au grès, grâce aux procédés mécaniques de peinture employés, la
place qui leur est due.
Il y eut, vers 1830, une sorte de rénovation
de la peinture sur verre. On songea, durant
l'époque romantique, à réparer les verrières
du XIIe et du XIIIe
siècle, puis on exécuta des copies d'anciens vitraux.
Ces copies manquent généralement de puissance et d'éclat, parce que
Ies verres étaient, trop parfaits pour obtenir de vigoureux jeux de lumière.
Au début du XXe siècle, les peintres
verriers abandonneront les sujets anciens, car les vitraux ont passé des
édifices religieux dans les maisons particulières, et même jusque dans
les cabarets.
A partir du premier Empire, l'industrie
du verre ne cessa point de progresser, pour la pureté de la matière et
I'élégance des formes. Le cristal fut coloré en teinte unie et parfois
rehaussé d'or, ou bien encore taillé dans un double but de décoration
et d'utilité. Les cristalleries de Baccarat, de Clichy
et de Pantin
ont créé, dans ce genre, des productions parfaites. Mais la science,
qui avait contribué aux progrès de la verrerie par les perfectionnements
apportés à l'outillage et à la préparation des matières premières,
ne fut pas sans lui nuire, lorsqu'elle remplaça l'adresse de l'artiste
par le travail mécanique. Malgré cela, les formes, comme la coloration
de la matière, n'en sont pas moins à signaler.
Dans le même temps, les importations de
la Chine
et du Japon
favorisaient la renaissance de l'émaillerie
cloisonnée dans les fabrications de jardinières, de vases, de coffrets,
de garnitures de cheminée, offrant comme
sujet, des animaux fantastiques courant dans
des rinceaux, des plantes, des feuillages, des fleurs de glycine, d'acacia,
de pécher, de cerisier, se détachant sur des fonds noirs ou bleus. Ici
encore, c'est l'éclectisme qui préside à l'ornementation.
Dans la joaillerie,
l'Empire n'avait admis que des grecques et des zigzags peu gracieux. A
partir de la Restauration, on adopta l'imitation des fleurs et des
feuillages en diamant et pierreries, pour la coiffure et les bouquets de
corsage.
En même temps, l'usage des bronzes
devint de plus en plus à la mode, à cause de leur bas prix qui les rendait
accessibles à tous. On se servit d'abord de ces motifs en faveur sous
Louis
XV, puis on s'aventura dans des créations d'une grâce sentimentale
et froide, grossièrement fondues, revêtues d'une dorure éclatante, du
reste purement industrielles. Le bronze doré céda la place au bronze
d'art posé sur un socle, qui semble dissimuler le cadran de la pendule.
Les progrès de la fonderie se constatent par l'emploi du bronze pour la
décoration de l'appartement, par le nombre sans cesse croissant des statues,
des vases, des animaux de grandeur colossale qui se voient sur les places,
dans les jardins. Les fontes de fer et de
zinc remplacèrent le bronze pour la décoration. Mais les progrès des
sciences ne servent l'art que par exception. Ainsi la fonte a nui sans
contredit à la serrurerie et à la ferronnerie. Aux grilles monumentales
et capricieuses a succédé un alignement monotone de barreaux pointus.
A partir de la Restauration, l'industrie
du meuble s'est bornée à copier tous
les styles, sans créer un genre nouveau. Une particularité à signaler
est la tendance à emprunter les sujets de décoration à la nature. En
dehors de l'ameublement, la sculpture sur
bois
est remplacée par le carton-pierre, et aux cadres en bois sculpté ont
succédé les bordures en plâtre doré.
En 1824, les métiers de basse lisse avaient
été relégués à Beauvais, et la haute
lisse seule resta en usage aux Gobelins ,
où fut transporté l'ancien atelier de tapis, genre savonnerie, qui ne
fournit plus au seuil du XXe siècle que
des tapis de pieds ou de grandes portières. Pendant longtemps, la production
des Gobelins fut presque exclusivement bornée à l'interprétation de
tableaux français ou italiens. Il devait appartenir à la troisième République
de ne donner à interpréter que des modèles conçus en vue d'une destination
arrêtée d'avance, tels que les panneaux composés pour l'Opéra ,
le musée céramique de Sèvres, la Bibliothèque nationale ,
le palais de l'Elysée ,
etc. A la manufacture de Beauvais, on produisit panneaux de dimensions
restreintes. On y fabriqua aussi des sièges,
des dossiers et des écrans. Les vieilles fabriques de la Marche exécutèrent
des tapisseries sur lesquelles se virent, pendant la Restauration et I'Empire,
des sphinx, des génies, des vases antiques et des brûle-parfum. Puis
l'usage des meubles tissés tomba en désuétude
pour ne reparaître qu'un peu avant le second Empire, et on s'adonna Ã
la copie des tons rompus et passés des anciennes peintures. Aubusson
et Felletin
devinrent les centres les plus importants pour la fabrication de la tapisserie.
Les machines produisaient alors les travaux autrefois exécutés à la
main; il en fut de même pour les broderies et les dentelles. Imprimées
ou tissées, les étoffes d'ameublement se ressentaient des influences
qui ont été signalées : copie du passé, application des principes décoratifs
de l'extrême Orient; les motifs qui se répètent le plus souvent sont
les fleurs et les fruits, les pastorales Louis XV, les arabesques aux contours
variés, et parfois même ces différents éléments d'ornementation combinés.
Pour s'être surtout développée pendant
le XIXe siècle, l'industrie du papier
peint n'en a pas moins été en progressant sans cesse. On a vu ainsi paraître
les papiers satinés et veloutés, puis reproduire les moyens naturels
de décoration : sculpture, boiserie, peinture, étoffe, faïence, tapisserie,
nattes de Chine; estampé et gaufré, le papier imitait le cuir. La chromolithographie
s'est considérablement développée durant les dernières années du siècle,
mais plutôt au point de vue commercial qu'au point de vue artistique.
(A.
de Champeaux / NLI). |
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