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Dans l'Antiquité
et pendant une grande partie du Moyen âge,
les fenêtres étaient closes,
soit avec de la toile térébenthinée ou enduite de
cire, soit avec du papier huilé, des pierres sélénites
ou des parcelles de nacre, ainsi que cela s'est pratiqué jusqu'à
une époque récente en Chine,
où les coquilles qu'on utilisait étaient des Placuna placenta,
imbriquées dans les châssis des
fenêtres. On en était même à se demander si les
anciens avaient connu le verre à vitres
les découvertes d'Herculanum et
de Pompéi ont montré que les
Romains
avaient employé le verre à cette destination . A partir du
IIIe siècle par exemple, les auteurs
profanes et les écrivains chrétiens,
les Chroniques des abbayes et les Vies
des personnages illustres énumèrent avec grand soin, au milieu
des richesses des monuments qu'ils écrivent, les fenestrages de
verre placés à grands frais dans les palais et dans les basiliques
qui s'élèvent. Lactance (De
Opifecio Dei, c. VII), saint Jérôme (Commentaire
sur Ezéchiel, c. XLI), Prudence (Carmina,
hym. XII), célèbrent les baies ornées de verre; vers
le milieu du Ve siècle, Galla Placidia,
fille de l'empereur Théodose, fait garnir
de verrières les fenêtres orientales de l'église
de Saint-Jean qu'elle vient de faire construire à Ravenne (Spicilegium
Ravennatis historiae, ap. Muratori, Rer.
Ital. script., t. I, p. II, p. 568). Au VIe siècle,
Sidoine
Apollinaire, évêque de Clermont,
parle des merveilleuses verrières de l'église bâtie
à Lyon vers 450 par saint Patient (Histoire
littéraire la France, 1735, II, 550); Fortunat
(Vigne, P. L.; t. LXXXVIII, De ecclesia Parisiensi, lib. II, col.
105) chante les vitrages de la basilique de Saint-Vincent, plus tard Saint-Germain
des Prés,
élevée par Childebert, qui
l'orna des richesses enlevées à Tolède; Grégoire
de Tours, enfin, nous apprend, dans son Histoire des Francs
(lib. VI, ap. Duchesne,
Hist.
Franc. script., t. I, p. 859), qu'il fit garnir de verrières
les baies de la basilique de Saint-Martin de Tours, et qu'un soldat brisa
une des fenêtres de verre de l'église de Brioude,
pour emporter le métal qui enchâssait le verre (Lib, miracul.,
lib. I, c. LIX). Ces vitraux primitifs étaient certainement, dans
la plupart des cas, comme encore actuellement en Orient, sertis dans un
réseau de plâtre ou de pierre, comme la fenêtre de Sainte-Marie
in Via Lata, à Rome (Venturi, Storia dell'arte italiana,
t. I, p. 455) : ceux de Brioude nous font donc connaître une étape
nouvelle dans l'art de la vitrerie.
A Byzance,
parallèlement, au VIe siècle,
les fenêtres de Sainte-Sophie étaient
garnies de verres minces (Paul le Silentiaire, Descript. S. Sophiae,
v. 408, ap. Migne, P. G., t. LXXXVI), et Procope
(De Aedificiis [éd. de Bonn], lib. I, p. 175) célébrant
cette merveille nouvelle, croit voir le jour prendre naissance sous les
voûtes
mêmes du temple.
Dans toutes ces descriptions, il n'est
assurément encore question que de verre
unicolore : le Spicilège de Ravenne, même, est formel;
et lorsque Sidoine Apollinaire et Prudence
parlent des verrières « qui brillent de figures de diverses
couleurs, comme au printemps les prés émaillés de
fleurs », on ne saurait y voir que des figures géométriques
en verres de couleurs variées, et non pas des vitraux peints, comme
l'ont supposé certains archéologues; le mot latin figura,
n'ayant jamais été synonyme d'effigies, représentation
humaine.
Les premiers vitraux.
Aucun texte plus précis ne permet
d'affirmer que la peinture
sur verre ait été découverte
avant la fin du Xe siècle. C'est
en vain qu'on voudrait interroger les Chroniques, les Vies des
saints et des hommes illustres; ni Alcuin,
ni Eginhard, ni Ermold-le-Noir, ni le Moine
de Saint-Gall
n'ont dit un mot des verrières peintes. Ils ont signalé les
admirables constructions de Charlemagne,
les peintures, les mosaïques, les sculptures,
les bronzes dont il enrichit les basiliques
qu'il fit élever, aucun ne parle de vitraux. Harculfe, au XIe
siècle, dans la Chronique de Saint-Riquier, décrit
les trois églises reconstruites par
Angilbert,
gendre de Charlemagne, mais il ne fait mention d'aucune peinture sur verre.
Et entre ces deux limites extrêmes, ni les évêques d'Auxerre,
Aaron, qui avait accompagné Charlemagne en Italie,
Angelolme et Heribald ses successeurs, pourtant si jaloux de la décoration
de leur cathédrale, ni Louis
le Débonnaire, dont Thégan, chorévêque de
Trêves (835), nous rapporte la munificence, ni les papes, dont le
Liber
Pontificalis mentionne toujours si scrupuleusement les donations, ni
Charles le Chauve, ni les abbés
de Saint-Bertin, ni Hincmar, l'évêque
de Reims, dont Flodoard
a consigné les importants travaux exécutés dans sa
cathédrale, n'emploient à la décoration de leurs verrières
autre chose que des verres de diverses couleurs. Il faut arriver à
la Chronique de Richer, de la fin du Xe
siècle, pour trouver le premier passage qui pourrait s'appliquer
aux verrières peintes - représentant plusieurs histoires
lumineuses - données par Adalbéron
d'Ardenne, archevêque de Reims (968-985), à sa cathédrale.
Mais, en réalité, le texte très clair, le plus ancien,
qui fasse mention d'un vitrail véritable,
est celui de la Vieille Chronique de Saint-Bénigne de Dijon,
dans lequel l'historien, parlant de sainte Paschasie, rapporte qu'elle
fut condamnée à la peine capitale,
«
comme on le voit sur une élégante peinture sur verre anciennement
(antiquitus) faite, et qui a subsisté jusqu'à nos
jours (1052) ».
En admettant que cet « anciennement
» représente soixante ans, cela nous reporte à la fin
du Xe siècle, au temps d'Othon II
ou d'Othon III, d'Adalbéron, dont il
vient d'être parlé. De ce qu'il était fils de Godefroy,
comte des Ardennes, d'un texte découvert par F. de Lasteyrie, qui
met au rang des plus anciennes verrières les fenêtres
données par le comte Arnold, à la fin du Xe
siècle, à l'abbaye de Tegernsée
en Bavière
(F. de Lasteyrie, Quelques mots sur la peinture sur verre, p. 155),
du vitrail de saint Timothée, datant du XIe
siècle, découvert à Neuwiller (Alsace)
par Boeswilwad, et parce qu'enfin il faut arriver en 1058, à Didier,
abbé du Mont-Cassin,
pour trouver dans un pays autre que les provinces Rhénanes, la mise
en
place de verrières peintes (Chronique du Mont-Cassin, lib.
III, c. 10. Luigi Tosti,
Histoire
de Naples,
1842, t. I, in-8), quelques archéologues ont cru pouvoir conclure
que cet art de la peinture
sur verre avait pris naissance en Allemagne.
La chose est parfaitement possible : d'autant que là se trouvaient
de brillantes écoles d'émailleurs,
absolument maîtres de leur feu, ayant depuis longtemps l'habitude
des teintures et le tour de main nécessaire pour diriger la cuisson.
Et pourtant, aucune des Chroniques qui consignent si minutieusement
les travaux de Willegis, archevêque de Mayence
(976-1001), de saint Bernward, évêque d'Hildesheim
(992-1022), du bienheureux Richard, abbé de Saint-Vanne de Verdun
(1004-1046), ne fait mention de vitraux. Cependant, si, même sans
être encore répandus, ils avaient été simplement
connus, assurément ces promoteurs de l'art dans les provinces allemandes
n'auraient pas manqué d'en embellir leurs églises,
qu'ils enrichissaient d'objets si précieux. Il est, on le voit,
bien difficile de rien préciser d'après les documents écrits;
c'est bien plutôt à l'ensemble de l'état artistique
de cette époque qu'il faut réclamer les renseignements qui
nous font défaut.
Avec le XIe
siècle commence, justement dans le Nord-Est de la France,
la transformation de l'architecture. Aux étroites fenêtres
basses, en plein cintre, de l'époque
romane, sorte de meurtrières, qui éclairent d'un jour absolument
insuffisant les longs panneaux de murailles couverts de fresques
ou de mosaïques, vont succéder
bientôt les lancettes élancées : les longues histoires,
les théories de saints,
véritable Bible illustrée des illettrés, alors
si nombreux, vont se trouver morcelées, découpées,
par cette lumière qui tombe sur le dallage blanc, que nous allons
voir prochainement remplacé par ces carrelages historiés
vernissés, qui ne tarderont pas à se répandre dans
toutes les abbayes; c'est alors que la mosaïque
remontera aux murailles, mais pour devenir lumineuse : tel cet ancien échantillon
que nous possédons, le vitrail de saint Timothée, à
Neuwiller. Il nous montre qu'au XIe siècle,
un personnage unique, debout, encadré dans une riche bordure, occupait
seul la verrière. On a compris comment, à cette époque,
le vitrail était fixé dans l'ouverture de pierre, quand Sauvageot
a découvert en 1891, dans une fenêtre murée de la nef
de l'église de Notre-Dame de Château-Landon,
un châssis en bois, datant évidemment du XIe
siècle,
qui nous donne les plus précieuses indications sur la disposition
de la verrière qui a dû remplir la baie actuellement dégagée.
Mais voilà qu'avec le XIIe
et le XIIIe siècle les fenêtres
s'ouvrent, les murailles s'évident, les roses étalent aux
portails
des basiliques la splendeur de leur dentelle
de pierre; dans ces baies immenses, un seul personnage ne saurait, du moins
dans les étages inférieurs, occuper toute une verrière;
autour des nefs, à la portée du
peuple, elle va lui montrer, dans une suite de petits médaillons
ronds, symétriquement disposés sur un fond de fleurs foncées,
encadrés d'une riche bordure, faciles à saisir - et c'est
là une des caractéristiques de l'art du XIIe
siècle - les plus intéressants chapitres de la Légende
dorée, comme aussi les gracieuses légendes de l'Ecriture
sainte, des Evangiles
apocryphes et les hauts faits des héros des Croisades;
telles ces belles verrières que Suger fit
exécuter pour son abbaye, sur lesquelles
étaient représentées les divers épisodes de
la Chanson d'Antioche.
Mais le vitrail n'est encore que simplement décoratif; le XIIIe
siècle, avec son arc ogival plus élancé,
ouvrira un champ plus vaste aux artistes verriers : sans modifier leur
technique, ils vont être obligés de se conformer au nouvel
art de bâtir; leur système doit répondre à la
nouvelle économie, concourir à l'effet général
du monument. |
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