| On entend par peinture d'histoire celle qui se donne pour objet la représentation de grandes scènes empruntées, soit à l'histoire même, soit à la religion, à la mythologie; les allégories, les symboles sont du domaine de la peinture d'histoire, et aussi la reproduction de tel ou tel fait mémorable, pourvu que le style ou ce qu'on appelle ainsi y jette le premier rôle, c.-à-d. que l'auteur y poursuive une vérité typique et idéale et ne soit pas seulement préoccupé de reproduire et d'imiter exactement. Le talent du peintre d'histoire, différent en cela de celui du peintre de genre, consiste à choisir le trait le plus intéressant, l'épisode la plus caractéristique, l'instant décisif d'une action. L'Antiquité. Sans remonter jusqu'à l'antiquité égyptienne, dont les artistes peignirent mainte scène historique sur les murs des hypogées et des palais, on sait que la légendaire guerre de Troie, fut pour les peintres comme pour les poètes de la Grèce un thème inépuisable. Polygnote était un peintre d'histoire; Zeuxis, Parrhasios représentèrent également divers épisodes de l'histoire de leur temps. Protogène, l'ami et le contemporain d'Apelle, exécuta une Bataille d'Alexandre et le Sac d'une ville. Enfin, Timanthe de Sicyone, Métrodore et Aétion cultivèrent le même genre à une époque plus tardive. Les Romains, dont les succès militaires devaient flatter la passion belliqueuse, ne semblent guère, toutefois, avoir pratiqué le grand art de la peinture d'histoire, si l'on en juge par les monuments d'Herculanum et de Pompéi. Durant le Moyen âge, en dehors de la peinture des sujets religieux, des ouvrages furent assez fréquemment exécutés pour commémorer les faits importants de tel ou tel règne; d'autre part, les miniatures de beaucoup de manuscrits sont, à leur façon, de naïves et curieuses représentations historiques. L'Italie. Mais c'est à l'époque de la Renaissance que les peintres ont fait revivre, en les rajeunissant, les traditions de la grande peinture d'histoire. La Bible et les légendes inspirent Giotto et plus d'un maître fameux de l'Italie, du XIIIe au XVe siècle; et les faits illustres de l'Antiquité, ceux même de l'époque contemporaine, sont retracés avec éclat par les Ghirlandajo, les Mantegna, les Carpaccio, les Bellini, etc. Le Triomphe de Jules César, par Mantegna, cette frise superbe, qui n'a pas moins de 27 m de long sur 3 m de hauteur, évoque tout le monde romain, qui défile processionnellement avec une pompe dont la majesté n'exclut nullement le charme et le naturel : c'est une oeuvre d'une noblesse vraiment héroïque, à laquelle sont mêlés de la façon la plus heureuse des détails pris sur nature, pour humaniser, en quelque sorte, la solennité du spectacle. Puis, Raphaël porta la peinture d'histoire à son apogée avec les admirables créations dont il enrichit le Vatican et divers autres palais de l'Italie. A leur tour, les Vénitiens racontèrent la gloire de Venise dans de vastes peintures destinées au palais des doges ils y apportèrent, sans doute, une ordonnance moins digne et un style moins grave, mais ils firent oeuvre de peintres et de poètes, et rien n'égale l'éclat et la fougue de leurs représentations. Les Pays-Bas et l'Allemagne. Se signalant en général par un goût très prononcé pour le réalisme, les artistes des écoles germaniques ne se sont pas souciés, d'ailleurs, d'introduire dans leurs compositions historiques la vérité du costume : c'est le vêtement, c'est le paysage des Pays-Bas et d'Allemagne qui s'étalent naïvement dans les tableaux religieux de Van Eyck et de ses disciples, on dans les allégories d'Albrecht Dürer. Chez Rubens, une éblouissante fantaisie revêt la réalité des choses; la mythologie se mêle sans façon à l'histoire de Marie de Médicis, et Mercure, l'Arc-en-ciel, le Zodiaque, le Sagittaire viennent, dès le début, lui donner l'air d'un splendide conte de fées. La France. En France, Nicolas Poussin se complaît au spectacle des héros agissants, à la représentation des grands drames humains ou l'esprit trouve à s'amender, le coeur à s'attendrir : nul ne mit dans l'interprétation des sujets de l'Antiquité plus de grâce et de sévérité tout ensemble; par l'élévation du bon sens, par le tour ingénieux que prenait sa haute raison pour se faire comprendre, par ses conceptions claires et fortes, il mérite vraiment d'être appelé le chef de l'école française. Charles Lebrun sut imprimer un caractère épique aux Batailles d'Alexandre, tandis que celles de Louis XIV, exactement reproduites par le consciencieux Van der Meulen, sont des documents de stratégie plutôt que de véritables pages d'histoire. Au XVIIIe siècle, la grande peinture s'affaiblit et se corrompt; les frivolités du règne de Louis XV lui font oublier son caractère. Louis David entreprit de le lui rendre, on sait par quelle abstraite transposition littéraire. Pour lui, point de peinture d'histoire en dehors du dogme académique et des formes statuaires, auxquelles il veut ramener jusqu'au moderne : la grande esquisse du Serment du Jeu de paume, conservée au Louvre, nous montre tous les personnages préparés en académies d'atelier, nus de pied en cap. Il admet difficilement, lui, l'admirable portraitiste, que la vie moderne ait des droits sur l'histoire; et pourtant, il peignit cet admirable chef-d'oeuvre de sincérité et d'expression la Mort de Marat. De l'insipide fatras héroïco-mythologique ou se débattit l'art du XIXe siècle se détachent deux peintres éminents, élèves de David, Gros, et Gérard, le premier surtout. Sous les pinceaux de Gros la vie éclate, une vie héroïque et pourtant humaine, doublement expliquée par la forme en action et la couleur brillante; les Pestiférés de Jaffa et la Bataille d'Eylau sont de nobles ouvrages, d'une intensité d'action, d'une grandeur de vue étonnantes. On sent que l'auteur a subi l'émotion de ce qu'il peignait, et d'un fait, qui l'émeut, il tire toujours un parti émouvant. Mais Gros n'ose pas propager ces principes parmi ses élèves; il a peur de se montrer infidèle aux traditions classiques, et il meurt, dévoyé et découragé. Sous la Restauration, les sujets antiques et mythologiques sont toujours en grande faveur, et en même temps le goût se prononce pour les sujets à costumes dits "épisodes chevaleresques", pour les imaginations gothiques, pour les ressouvenirs du Moyen âge, pour les scènes à cottes de mailles, à panaches, à blasons. Toutefois, la convention classique possède un champion solide et tenace, ardent, agressif et respectable en la personne d'Ingres. Tout sujet lui est, en soi, indifférent. L'amour de la beauté physique, désintéressée de toute action, le domine et l'étreint. Parmi les indisciplinés, Géricault et Delacroix commencent à poser le problème de la peinture moderne : le Radeau des naufragés de la Méduse (1818) marque une véritable audace de novateur, et Delacroix, plus lyrique d'ailleurs que réaliste, poursuit et atteint l'allure véhémente, le geste d'expression saisissant. Le Moyen âge lui fournit l'Entrée des croisés à Constantinople, les Batailles de Nancyet de Taillebourg; l'Antiquité lui suggère la Justice de Trajan, Persée et Andromède, la Mort de Sardanapale; le catholicisme, Jésus entre les deux larrons, le Maryre de saint Etienne, Saint Georges, Saint Sébastien. Paul Delaroche se signala comme le créateur de la peinture archéologique, intermédiaire entre le genre et l'histoire, et Horace Vernet plut encore davantage à la bourgeoisie par les qualités médiocres de son talent facile. Quelques noms sont particulièrement à citer, parmi les peintres de la fin du XIXe siècle, qui ont aimé la peinture pour elle-même et qui ont transporté sur la toile des morceaux de réalité historique : Th. Ribot, Léon Bonnat, J.-P- Laurens; le romantique et symbolique Gustave Moreau, talent inégal, raffiné, tourmenté, prodigua le trésor de ses rêveries dans le Jeune Homme et la Mort, la Jeune Fille de Thrace retrouvant la tête d'Orphée, Hercule tuant l'hydre, Salomé. Dans la descendance d'Ingres /Hippolyte Flandrin, Bouguereau, Hébert, Jules Lefebvre, et le gracieux et sincère Paul Baudry, dernier héritier de l'aimable tradition de la Renaissance, méritent d'être notés avec honneur. Quant à Puvis de Chavannes, faut-il le regarder comme un peintre d'histoire à la recherche de la pure expression? Son art transporte les corps dans le domaine de l'immatériel. La peinture historique proprement dite a compté encore à la même époque, parmi ses meilleurs maîtres : les peintres militaires Bellangé, Charlet, Raffet, Yvon, Pils, Philippoteaux, etc.; et avec Ary Scheffer, Robert Fleury, Léon Cogniet, Picot, Eugène Lami, Chassériau, Thomas Couture, Barries, etc., l'art se tourne de plus en plus vers l'observation de la nature et vers l'étude des moeurs; on s'efforce de peindre des hommes vrais et des milieux vrais. N'est-ce pas une manière aussi, et qui n'est pas la moins bonne peut-être, de faire "l'histoire" de son siècle? | |