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Panorama
(du grec pan = tout, et orama = vue, spectacle), vaste tableau
circulaire, développé sur la paroi intérieure d'une
rotonde couverte d'un comble en coupole ou en cône; il imite tout
à fait l'aspect général d'une ville ou d'un site,
vu à tous les orients, et jusqu'aux profondeurs des lointains où
l'oeil cesse de rien distinguer. Les Panoramas sont des spectacles
de jour, éclairés par en haut, au moyen d'une grande zone
de vitres dépolies, ménagée dans la partie inférieure
du comble, et versant sa lumière spécialement sur le tableau.
Le spectateur est placé au centre de la rotonde, sur une tribune
ou galerie circulaire, qui est censée une tour, une colline ou une
éminence, et dont la hauteur est calculée de manière
que l'oeil du spectateur debout se trouve de niveau avec l'horizon du tableau.
Un vaste parasol, suspendu au comble, à 3 mètres environ
au-dessus de la tribune, la couvre entièrement et la déborde
de son demi-diamètre, de façon à ne point laisser
voir d'où vient la lumière, et à tenir le spectateur
un peu dans une pénombre. On arrive à cette tribune par des
corridors peu éclairés, afin de faire trouver plus brillante
!a lumière répandue sur la peinture.
Dans le même but, le parasol est d'un ton gris foncé, qui
contraste avec les tons lumineux du ciel. Le
parasol cache la lisière supérieure du tableau, et le diamètre
de la tribune cache la lisière inférieure, ce qui laisse
dans l'imagination du spectateur l'idée d'une profondeur immense.
Divers avant-corps en relief ou demi-relief
relient, par l'effet de la perspective, le plateau de la tribune aux premiers
plans de la composition. Les Panoramas sont peints à l'huile, sur
une toile à tableau, préparée à trois couches.
Un fort cercle de bois retient cette toile par en haut; elle s'enroule
par en bas sur une immense bague de fer, d'où pendent des poids
qui rendent sa tension constante. Un panneau de cette volée prenant
toujours vers son milieu une courbure convexe prononcée, la bague
a un peu moins de diamètre que le cercle; cela ramène un
peu en avant la partie inférieure de la toile, et diminue l'effet
d'ombre qui s'y produit, le jour tombant d'en haut.
Robert Barker, peintre de portraits
à Edimbourg, inventa la chose et
le nom de Panorama, et s'en assura la propriété par un brevet
pris à Londres en 1796. Néanmoins
ce ne fut que 3 ou 4 ans après qu'il exposa son premier panorama,
qui représentait la ville de Londres. Depuis il donna la Vue
de la ville et du port de Portsmouth, celles de plusieurs autres
villes d'Angleterre, des marines, des actions navales, etc. Fulton,
depuis si célèbre comme ingénieur-mécanicien,
et qui était peintre, importa en France
le panorama, et prit, à cette occasion, un brevet d'invention et
de perfectionnement, daté du 6 floréal an VII (26 avril 1799).
On lui construisit une rotonde de 14 m de diamètre, sur le boulevard
Montmartre, à côté du passage qui garde encore
le nom des Panoramas, parce que, peu après une deuxième rotonde
fut élevée en paralèle, puis une troisième.
Là, Fulton exposa son premier panorama, qui était une Vue
de Paris, prise de la plate-forme supérieure du pavillon central
des Tuileries. Cette exposition
obtint un très grand succès. Fulton dirigea l'exécution,
qui fut l'oeuvre des peintres Fontaine, Prévost, et Constant Bourgeois.
Le deuxième Panorama fut la Vue de Toulon,
prise du haut du fort Lamalgue, en 1793, au moment où les Anglais
étaient obligés d'abandonner cette place, en incendiant la
flotte et le port. Prévost et Bourgeois peignirent ce Panorama,
qui fut jugé supérieur à celui de Paris.
Prévost peignit ensuite les Panoramas du Camp de Boulogne,
de Tilsit,
de la bataille de Wagram,
de Rome, d'Amsterdam, de Naples;
ces derniers et le Camp de Boulogne demeurèrent exposés
à la fois jusqu'en 1814, dans les rotondes du boulevard Montmartre,
et les Panoramas de Rome et de Naples, jusqu'en 1831 , époque où
on les démolit. Vers 1810, Prévost, pour augmenter l'effet
du Panorama, fit bâtir une rotonde de 31 mètres de diamètre
et 16 d'élévation, sur le boulevard des Capucines, près
la rue de la Paix, et y exposa, au mois de mai 1812, la ville, le port,
et les chantiers d'Anvers;
ensuite il y montra, en 1824, Jérusalem;
en 1824, Athènes, etc. Ces deux derniers surtout obtinrent un immense
succès.
L'année même où disparaissaient
les petits Panoramas du boulevard Montmartre, le colonel Langlois, peintre
de batailles, en entreprit un plus grand même que le dernier de Prévost,
et choisit le sujet de la Bataille de Navarin.
II l'exécuta dans une rotonde de 38 mètres de diamètre
et 15 de hauteur, bâtie à Paris,
rue des Marais Saint-Martin. L'exposition eut lieu en 1831, et il eut l'idée
très neuve, très heureuse et très hardie, de placer
les spectateurs dans l'action même du tableau : la tribune fut la
dunette d'un vaisseau de haut bord, et l'on pouvait s'avancer jusqu'au
mât d'artimon; de là, divers objets en relief, demi-relief,
ou peints en trompe-l'oeil, reliaient, de degré en degré,
l'extrémité du navire au tableau développé
tout autour. Langlois a continué de pratiquer ce système
dans toutes ses autres vues panoramatiques. II exposa, dans la même
rotonde, les Panoramas d'Alger, en 1833,
et de la Bataille de la Moskova,
en 1835; puis, dans une nouvelle rotonde élevée prés
du ci-devant grand carré des Champs-Elysées,
et un peu plus grande encore que la précédente (40 m sur
15), il fit voir, en 1839, l'Incendie de Moscou
pendant l'occupation française en 1812, tableau d'un effet saisissant;
en 1843, la Bataille d'Eylau, et, en
1853, la Bataille des Pyramides,
où l'on admirait la vérité de l'action et celle du
site. Cette rotonde ayant été prise pour l'exposition universelle
de l'industrie, en 1855, et démolie ensuite, Langlois en a fait
élever une troisième de mêmes dimensions, en 1800,
près et à l'Ouest du Palais de l'Industrie,
aux Champs-Élysées, dans lequel il a peint, avec sa vérité
habituelle, la Bataille et la Prise de Sébastopol, en 1855,
par une armée anglo-française.
Les premiers panoramas étaient exécutés
d'une manière un peu mécanique, et plusieurs de leurs effets
les plus surprenants s'obtenaient, en partie, par des moyens étrangers
à l'art du peintre. On peut croire avec toute vraisemblance, bien
qu'on ne puisse pas l'affirmer, que les procédés employés
pour le primitif Panorama de Paris, et probablement
pour celui de Londres, furent les mêmes que Fulton dut indiquer à
Prévost, et qui sont ceux-ci : sur une toile de canevas, on collait
du papier qui, après un léger ponçage, recevait la
peinture. Les tons du tableau se faisaient par une soixantaine de gammes
de couleur, appliquées par bandes horizontales, à la manière
des impressions du papier de tenture, puis la brosse fondait les deux nuances
posées bord à bord. Les effets de jour, les accidents de
lumière, les veloutés ou les tons chauds d'atmosphère
s'obtenaient en couvrant la zone vitrée, alors en verres non dépolis,
de couches plus ou moins transparentes de blanc, sur les points où
cela semblait nécessaire. Mais afin que le contraste de cette lumière
factice ne pût être remarqué du spectateur, il n'arrivait
dans le Panorama que par de longs couloirs entièrement privés
de jour, où la lueur crépusculaire de quelques petites lampes
éclairait un peu les ténèbres. Aussi, pour voir ces
Panoramas, il fallait un ciel très clair; et lorsque le temps devenait
sombre ou qu'il y avait du brouillard, on fermait ou on n'ouvrait pas l'exposition.
Ensuite les Panoramas Fulton-Prévost
étaient toujours des vues prises à vol d'oiseau, ce qui dispensait
des premiers plans, grande difficulté des Panoramas perfectionnés
par M. Langlois, qui sont éclairés par la lumière
naturelle uniformément tamisée à travers une vitre
dépolie. Enfin, la convexité de la toile, que le Panorama
actuel dissimule avec les seules ressources du pinceau, était un
avantage dans les anciens Panoramas, parce que la courbure leur donnait
des fuyants naturels, et des tons dégradés qui aidaient à
la perspective, prise de si haut.
Le tableau en Panorama est la plus grande
peinture, et, par sa facilité à être comprise, la plus
populaire que l'on ait jamais imaginée. Napoléon
1er étant
venu voir le panorama de Tilsitt, vers 1810 ou 1811, jugea aussitôt
que de pareils tableaux pourraient servir à populariser sa gloire
: il commanda qu'un projet lui fût présenté pour élever,
dans le grand carré des Champs-Elysées,
sept Panoramas, dont les sujets auraient représenté les grands
faits de son règne. Le gouvernement devait se réserver le
droit d'acquérir chaque tableau au prix de 45 000 F, pour en faire
répéter l'exposition dans les principales villes de l'Empire.
L'architecte Célérier dressa le projet demandé par
l'empereur; mais vinrent les désastres de 1812 et années
suivantes, et rien ne fut exécuté.
L'invention des Panoramas surpasse de beaucoup
tout ce que les Anciens ont rapporté de leur grande peinture murale.
Un tableau de 120 m de développement, sur 14 ou 15 de hauteur, comme
ceux du colonel Langlois, exigerait 36 ans de la vie d'un artiste, s'il
voulait l'exécuter seul; lorsqu'il a fait son étude et ses
esquisses, il lui faut environ 14 mois, avec des auxiliaires, pour peindre
le tableau à sa grandeur d'exécution. Quant à l'effet
général, dû à une profonde entente de la perspective
linéaire et aérienne, à un sentiment parfait de la
couleur dans ses milliers de toits, Il est d'une telle puissance, que plus
on regarde un Panorama, plus l'illusion augmente, plus on s'imagine avoir
la réalité devant soi. (C. D-Y.). |
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