| La chute de l'empire d'Occident ne marqua pas de façon brutale le commencement du Moyen âge proprement dit et l'influence de l'art antique survécut au monde qui l'avait vu naître, se développer et décliner; mais c'est alors qu'entrent définitivement en scène les éléments nouveaux qui allaient transformer la société et l'art. L'imposition du christianisme d'un côté, l'invasion des Germains de l'autre, en bouleversant l'ancien ordre de choses, en changeant la nature des rapports politiques, toutes les idées, le fond même de la nature humaine, ne pouvaient manquer de donner naissance à des formes différentes et à un art renouvelé. La transformation fut pourtant plus progressive dans l'art que dans les faits. Il se passa longtemps avant que, de la religion nouvelle, se dégageât nettement l'art nouveau qui devait l'exprimer. La société chrétienne grandit au sein de la société païenne en déclin : les procédés, les modes de représentation et le style de ses premiers artistes ne différent pas sensiblement de ceux des artistes païens; dans les peintures des catacombes comme sur les sarcophages sculptés, les symboles de la foi nouvelle se mêlent à l'ornementation païenne; il arrive même que les deux légendes se confondent et qu'Orphée charmant les animaux aux sons de la lyre figure la prédication du Christ. Lorsque Constantin eut assuré à l'Eglise une position officielle et que le culte s'exerça en plein jour, les chrétiens adoptèrent pour leurs églises le plan des lieux de réunion couverts de l'Antiquité païenne et les basiliques adaptées aux besoins du culte chrétien devinrent les églises; toutefois leur décoration, où la mosaïque joua un grand rôle, prit une importance et un caractère nouveau. Mais après la chute de l'empire d'Occident, l'art s'enfonça dans une longue et profonde décadence; les conquérants barbares n'avaient pas les traditions de l'Antiquité, et s'ils en subirent naïvement l'influence, si un Théodoric et surtout un Charlemagne tentèrent d'en réunir les débris épars ou même d'en provoquer une résurrection, leurs efforts ne purent triompher de la force des choses; il ne restait plus de place pour l'idéal antique dans le monde tel qu'il était en train de se constituer sous l'action des ferments nouveaux que le christianisme et les invasions germaniques y avaient introduits. Lorsque l'empire fut chassé de sa capitale et obligé de transférer son siège en Orient, Constantin fonda à Constantinople et à Jérusalem des églises qui restèrent généralement conformes au type basilical. Mais bientôt, sollicité par les influences de l'Asie Mineure, l'art byzantin se transforma et, à l'époque de Justinien, il est constitué avec ses caractères définitifs. Mélange d'anciens éléments helléniques et d'éléments orientaux, conventionnel et somptueux, il déploie au service du dogme et du rite une magnificence incomparable. C'est aux VIe et VIIe siècles, à Sainte-Sophie de Constantinople et dans les mosaïques de Ravenne, qu'il est à son apogée. Il s'immobilisa bientôt dans un hiératisme rigide, dans des formes raides et mornes, des expressions stéréotypées; tout principe fécond de développement lui faisait défaut; mais la perfection de sa technique lui assurait la durée, devait l'imposer à l'imitation et durant tout le Moyen âge étendre son influence. Dans les arts industriels, les artistes byzantins furent les instituteurs de l'Europe; les miniaturistes en particulier prirent une importance considérable et continuèrent jusqu'au XIe siècle, dans l'iconographie byzantine, des traditions bien affaiblies mais incontestables de l'art antique. En Orient, l'action de l'art byzantin s'est étendue partout où a pénétré le christianisme grec; l'art russe s'est formé à son imitation, peu à peu mélangé d'influences asiatiques et persanes. De l'art byzantin à l'art arabe, les rapports furent aussi directs. Ce fut aux Byzantins et aux Persans, à des artistes de Constantinople et à des architectes sassanides que les califes s'adressèrent d'abord : la coupole sur plan carré, la colonne surmontée du chapiteau cubique et l'arcade se propagèrent d'un bout à l'autre du monde musulman. Mais sur ces données fondamentales, l'imagination des artistes arabes broda des variations infinies et fit fleurir l'ornementation la plus riche et la plus capricieuse, en même temps que, sous l'influence de la religion, elle en modifiait profondément le caractère. On peut dire qu'au Moyen âge, les deux grandes divisions de l'art sont, d'un côté, l'art musulman, de l'autre l'art chrétien, qui ont régné tous les deux sur des peuples différents. C'est du commencement du XIe siècle qu'on peut faire dater, en Europe, l'art chrétien proprement dit : il y eut alors comme un regain de vie nouvelle. « On eût dit que le monde, secouant ses vieux baillons, voulait partout revétir la robe blanche des églises » a écrit Raoul Glaber, dans un passage célèbre dont on a d'ailleurs singulièrement exagéré la portée en faveur des légendaires terreurs de l'an 1000. Le caractère essentiel de cette nouvelle période de l'histoire de l'art, c'est qu'il n'est plus national. Tous les peuples chrétiens adoptent sensiblement les mêmes formes; l'évolution qui transforme l'architecture occidentale relativement homogène; on relève sans doute des nuances d'école, les principes essentiels restent les mêmes partout. C'est que, dans le démembrement des anciens empires et dans le morcellement féodal de l'Europe, le christianisme a introduit et maintenu pendant plusieurs siècles une unité morale plus profonde et plus intime encore que l'ancienne unité politique de l'empire romain. Au régime des dieux domestiques et des divinités poliades avait succédé une religion dont le fondateur avait dit à ses disciples : « Allez et instruisez toutes les nations » et qui présentait à l'adoration de tous les humains un dieu unique, qui ne distinguait plus les peuples et voulait un culte universel. «Tout le genre humain, avait dit l'apôtre, est ordonné dans l'unité. » L'art reflète cette unité fondamentale. Ce n'est pas ici le lieu de dire comment l'introduction de la voûte détermina dans l'architecture la série des transformations d'où sortirent, au commencement du XIe siècle, l'église romane, à la fin du XIIe et au commencement du XIIIe, par l'introduction de la croisée d'ogives, la cathédrale gothique. Cette admirable floraison d'art ne se borna pas à l'architecture. La sculpture connu aussi un renouveau et elle atteignit, au XIIe et au XIIIe siècle, à un incomparable éclat; les sculptures des cathédrales de Chartres, de Paris, de Reims, d'Amiens, réalisent en des formes simples, vraies, d'un sentiment exquis, l'idéal le plus élevé. Ce n'était plus assurément celui de la beauté antique; c'était la pensée et la doctrine religieuses qu'il s'agissait d'exprimer sur les portails des églises, qu'on nommait « le livre des illettrés ». Toute l'épopée chrétienne, toute la légende dorée s'y déroulèrent en vastes compositions, en scènes mouvementées et dramatiques. La décoration des portails et des façades devint bientôt comme une vivante encyclopédie, reflet admirable de la foi et des aspirations d'une époque croyante qui rêva aussi l'universalité de la science. La sculpture ornementale ne resta pas en arrière; les champs et les bois voisins des chantiers fournirent aux artistes les plus charmants motifs de décoration naturelle; les miniatures et les vitraux, l'orfèvrerie, tous les arts industriels furent à l'unisson pour faire du Moyen âge une des grandes et originales époques de l'histoire de l'art. Pourtant, dès le XIVe siècle, on commence à surprendre des signes de décline. Les architectes gothiques, acharnés à la poursuite de l'effet et de la légèreté, entraînés par l'excès même de leur habileté, engagèrent « une sorte de défi avec la pesanteur et l'espace », ils connurent «-l'ivresse de l'épure » et l'art gothique, comme la philosophie scolastique, finit dans la subtilité. Le sentiment des belles proportions se perdit; l'abus de la légèreté amena au XVe siècle un amaigrissement général de la forme; l'art du Moyen âge était dès lors virtuellement condamné. (André Michel). | |