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Les
illuminations ont une origine religieuse : leur office fut primitivement
d'éclairer les sacrifices nocturnes;
et, par la suite, le feu, réputé symbole
de majesté, fut employé dans les fêtes
plutôt comme un instrument servant aux cérémonies
d'un culte que comme marque particulière de réjouissance.
Mais comme pour toutes choses, l'usage ne tarda pas à modifier cette
première origine et l'accessoire à devenir le principal.
Il est cependant aisé de retrouver encore des vestiges de ces anciennes
moeurs. C'est ainsi qu'Hérodote décrit
ces illuminations qui se pratiquaient en Egypte
:
«
Quand on s'est assemblé en la ville de Saïs pour y sacrifier
et y célébrer la fête, on allume de nuit, tout à
l'entour des maisons, des lampes qui sont remplies de sel et d'huile, dont
la mèche nage par-dessus et brûle toute la nuit. On appelle
cette fête la fête des lampes allumées. Les Egyptiens
qui ne se trouvent pas à cette assemblée ne laissent pas
de fêter cette nuit et d'allumer les lampes à l'entour de
leurs maisons ; et par ce moyen on n'en allume pas seulement dans Saïs,
mais généralement par toute l'Egypte. »
En Grèce
également, on relève pour les illuminations ce principe sacré,
qui établit qu'elles se produisaient principalement à l'occasion
des fêtes religieuses : à
la fête Lampas,
les Grecs, au témoignage d'Aristophane,
allumaient en l'honneur d'Athéna,
d'Héphaïstos
et de Prométhée
une quantité immense de lanternes, et l'appareil des Lampteria,
célébrées en l'honneur de Dionysos
après la vendange, consistait, au dire de Pausanias,
en une grande illumination nocturne. Les Orientaux et les Juifs
conservèrent ces traditions : même chez les autres peuples
ces derniers ne dérogèrent pas à leurs habitudes,
et Perse rapporte que les Pharisiens de Rome
au jour natal d'Hérode avaient coutume
de garnir leurs fenêtres de lampions,
à la flamme fumeuse, et de fleurs. Juste Lipse constate que
«
c'était un usage reçu chez les Romains, pour toute allégresse
publique ou privée, d'orner sa porte de laurier, de lampions [...]
ces lampions, attachés par des chaînettes, se balançaient
allumés aux portes et aux fenêtres des maisons ».
Ainsi Juvénal,
pour fêter le retour de Catulle, couronnera
sa porte de rameaux et de lanternes; ainsi Caligula,
pour fêter l'achèvement du pont qui reliait Baïes
à Pouzzoles, fit illuminer les montagnes avoisinantes et le golfe
: déguisé en cocher, il inaugura ce pont en le traversant,
et termina la fête en faisant précipiter
dans le golfe ceux qu'il avait invités à cette cérémonie.
Le christianisme
tenta de réagir contre le goût de la population pour les illuminations
: Tertullien conseille aux servantes de Dieu
de s'éloigner de ces pompes diaboliques qui se donnent aux fêtes
des rois, au commencement de l'an ou du mois et de prendre garde qu'en
sortant de leur porte laurée et illuminée, elles entrent
dans l'antichambre des débauches publiques; ailleurs il s'élève
contre l'habitude qu'ont les chrétiens d'illuminer, à l'instar
des païens, leurs chaumières et leurs portes.
En dépit de ces objurgations, de celles de Lactance
et de saint Grégoire de Nazianze,
les illuminations persévérèrent; et, composant avec
le mal, les papes établirent la fête de la Chandeleur
qui remplaça les illuminations des Lupercales
et des fêtes de Cérès (Les
Fêtes romaines).
Au Moyen âge,
on continua les traditions reçues, et les illuminations y eurent
un très vif éclat. Au XVe
siècle notamment, elles furent des plus brillantes : Auxerre
avait alors ses fameuses « retraites illuminées » (retraites
aux flambaux), sorte de carnaval flamboyant,
qui pourrait bien avoir fourni à Rabelais,
selon Lenient, l'idée de sa ville des Lanternes; dans son
Histoire de Charles VII, J.
Chartier signale ainsi une fête donnée en 1448 :
«
En quantité de lieux et diverses rues, plusieurs des bourgeois avoient
fait parer leurs maisons de draps et de luminaires, très richement
et à grands frais »;
Monstrelet
décrit de même les fêtes somptueuses
qui en 1498 furent données à Gand
pour l'entrée du duc de Bourgogne
:
«
Furent les rues tendues d'un côté et d'autre de drap noir,
gris et vermeil; et au-dessus desdicts draps, estoient torches 5 ou 600
sur chascun drap: ainsi somme es des torches, comprisse celles qui furent
devant les maisons, et sur les bateaux et dans la rivière de 15
à 16.000 torches. »
Les illuminations furent
bientôt, comme les feux d'artifice,
un complément des fêtes publiques, et il leur fut donné
un éclat que l'on ne saurait soupçonner. Elles furent surtout
prodiguées aux entrées des souverains dans les villes, aux
fêtes royales, aux célébrations de victoires, aux naissances
et mariages princiers, à tel point qu'en 1729 une satire
attribuait aux feux d'artifice et aux illuminations donnés à
l'occasion de la naissance du dauphin l'influenza qui alors grevait tout
le monde.
«
Car enfin, s'écrie l'auteur avec la joyeuse logique de Rabelais,
n'en est-il pas de ceux qui regardent un feu d'artifice, les yeux ouverts
et la bouche béante. comme de ceux qui écoutent un prédicateur
qu'ils admirent? Or tout le monde sçait qu'après qu'on a
écouté dans cette posture un prédicateur, dès
qu'il passe d'un point de son discours à l'autre, tout l'auditoire
à demi enrhumé se met à tousser, cracher et à
se moucher : marque évidente que cette attention et cette posture
sont des causes physiques de rhume et voilà ce qui se passe aux
feux d'artifice... Il est vraisemblable que c'est l'air qui nous a apporté
cette malheureuse influence qui nous enrhume. On y a brûlé
plusieurs millions de fusées volantes de toute grandeur, un nombre
innombrables de serpenteaux, de pétards, de saucisson, de pats à
feu, de gerbes, de soleils, etc. On y a tiré plus de 100.000 boëtes
et un nombre infini de coups de canon : et tout cela y a été
mêlé pendant quatre mois de feux de joie perpétuels
et surtout d'illuminations prodigieuses de lampions gras et huileux [...].
Vous avez eu le malheur de respirer cet air charbonoléonitrosoufré
et vous voilà tous enrhumés ! »
(Fernand
Engerand).
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