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Histoire des arts décoratifs
L'art gothique
Le style gothique
Ce n'est qu'au XIXe siècle que l'on a rendu justice au Moyen âge. La Renaissance fut le signal de l'anathème jeté sur le style roman et le style gothique c'est même à l'architecte Palladio que l'on attribue d'avoir donné le nom de gothique à l'architecture ogivale. Au XVIIe siècle tout le monde des écrivains et des cri tiques condamne en bloc tout ce qui a sépare l'art antique de sa résurrection au XVIe siècle. Molière, dans les vers qu'il consacra à la gloire du Val de Grâce, est l'in terprète du sentiment général lorsqu'il réprouve
... le fade goût des ornements gothiques, 
Ces monstres odieux des siècles ignorants
Que de la barbarie ont produits les torrents
Quand leur cours, inondant presque toute la terre,
Fit à la politesse une mortelle guerre
Et, de la grande Rome abattant les remparts.
Vint avec son empire étouffer les beaux-arts.
Gothique était synonyme de laid et Voltaire, au XVIIIe siècle, parlera de la bassesse gothique comme Boutard dans son Dictionnaire des arts du dessin, en 1838, protestera au nom de l'art classique contre la « lourde et grossière architecture des Goths». La parution de Notre-Dame de Paris, par Victor Hugo, fut le signal de la réhabilitation d'un art condamné. Les études se tournèrent enfin vers ces monuments dont les restaurations « ne respectaient même pas la noble vieillesse ». On fut unanime dans les louanges comme on l'avait été dans la réprobation : quelques voix isolées protestèrent encore et, parmi elles, on a le regret d'entendre celle de l'illustre historien Michelet qui, dans son Introduction à l'histoire de la Renaissance, raille cette « maladie du temps, la manie du gothique », et plus loin « les arcs-boutants, ces béquilles architecturales ». En 1846, l'Académie des beaux-arts jette une dernière excommunication par la voix de Raoul Rochette.

L'art gothique ou ogival est - comme son nom l'indique - caractérisé par l'ogive. L'arc en ogive est formé par la rencontre de deux arcs de cercle qui laissent entre leurs points de départ inférieurs une distance moins grande que le double de la hauteur de la pointe où ils se rencontrent. Quelle est l'origine de l'ogive? Deux théories sont en présence. L'une affirme l'origine orientale de cet art importé par les croisades. L'autre n'y voit que le résultat du chevauchement de deux séries d'arcades plein cintre, plaquées l'une sur l'autre.

Après une période romano-gothique de transition où l'art ogival se mêle insensiblement au style roman qu'il remplacera, se succèdent trois périodes distinctes dont chacune a ses caractéristiques. L'architecture dominant toute la décoration pendant le Moyen âge, il faut pour donner les caractéristiques de ces trois phases du style décoratif ogival, donner les caractéristiques de l'architecture à l'époque correspondante.

Outre la période de préparation que, l'on peut placer au XIIe siècle et où le plein-cintre est brisé de façon à rapprocher ses deux extrémités, on peut diviser l'art ogival on gothique en trois périodes :

1° Le style ogival primaire, au XIIIe siècle;
2° Le style ogival rayonnant, au XIVe siècle;
2° Le style flamboyant ou fleuri, au XVe siècle.
A ce dernier style succédera une période de transition, sorte de préface du triomphe de la Renaissance. C'est l'époque qui, en France, s'exprimera dans le style Louis XII.

Le style ogival primaire. 
On a donné à ce style le nom de gothique à lancette à cause de la forme particulière de l'arc dont il couronne ses baies (portes, fenêtres, etc.). C'est en effet la plus pointue des ogives et par la forme elle rappelle le fer de lance qui, par analogie, lui a donné son nom. Elle est comme la réaction contre la large ouverture demi-circulaire du plein-cintre roman. Les ouvertures romanes basses, écrasées, s'allongent et s'élèvent démesurément. L'impression est sévère et imposante. C'est parfois deux, parfois quatre fenêtres qui se juxtaposent, séparées par de minces colonnes et coiffant chaque paire d'ogives par des ogives plus grandes qui, elles-mêmes, s'inscrivent dans une ogive embrassante. Les arcades ainsi formées laissent entre les colonnettes des baies parfois aveugles, c'est-à-dire ne sont que des fenêtres simulées, des encadrements de fenêtres plaquées sur une surface non évidée. Parfois, c'est un simple décor à claire-voie, c'est-à-dire des ajours en découpures géométriques. Sous ces arcades et particulièrement dans l'orfèvrerie et l'ébénisterie, s'abritent de saints personnages, dont le corps maigre se devine à peine sous la raideur des draperies et dont toute l'expression (naïve et forte) est concentrée dans le visage aux grands yeux pensifs.

Les colonnes du style ogival primaire présentent un fût cylindrique : les chapiteaux, dans l'ornementation desquels commencent à intervenir les feuillages indigènes (lierre, vigne vierge, fraisier et feuille de chêne), ont abandonné la forme antique. Ils s'ornent le plus souvent de sortes de feuilles raides, à fortes nervures, sans découpures latérales, partant obliquement de la base et formant à leur extrémité une petite feuille
retroussée en boule. Sur les quatre fleurons ainsi formés repose l'abaque carré.
Le XIIIe siècle a été le signal d'une véritable renaissance de l'industrie grâce aux
efforts et aux encouragements de saint Louis. C'est sous ce règne que sont rassemblées, par le prévôt des marchands Étienne Boileau, les coutumes qui avaient force de lois dans les corporations. 

Ce n'est guère que d'après les miniatures que l'on peut, pour cette époque et la suivante, reconstituer l'ameublement. Le bois domine malgré l'importance qu'ont prise les tapisseries et les tissus dont l'origine orientale est notée par l'appellation de «  tapisseries sarsazinoises », « ouvrages de sarsazinois », etc. Parmi les meubles le bahut est le principal. Ce n'est guère qu'au XIVe siècle que la sculpture s'y développe. Jusque-là les surfaces sont le plus souvent laissées planes sans encadrements de saillies qui y forment des panneaux. Les ensembles sont le plus souvent rectangulaires, massifs. L'ornementation est appliquée et semble avoir peur d'évider les épaisseurs. La décoration consiste en peintures en incrustations à dessins géométriques, naïves et simples, en application de ferrures qui forment des enroulements peu découpés et le plus souvent circulaires. Les tapisseries prennent une grande importance : elles figurent dans les fêtes publiques, ornent l'extérieur des maisons lors des processions ou du passage des princes. Dans l'intérieur des châteaux, elles fournissent d'amples portières, et pendent le long des murs attachées à des crochets. Dans les bannières, les caparaçons, les tentes princières le costume, ce ne sont que draps brodés d'or et riches tissus qui le disputent en éclat à l'orfèvrerie et la joaillerie. Les rapports avec l'Orient par l'intermédiaire des villes commerçantes, de Venise surtout, font abonder en Occident les tapis d'origine musulmane. Le nom de « ouvrages sarrazinois » donné à toute cette classe de produits, témoigne de la place qu'ils occupaient à cette époque.

L'orfèvrerie, comme la sculpture en général, se ressentit de l'influence de Nicolas
de Pise qui meurt en 1270, après avoir laissé une école dont l'activité rayonnera sur
les arts en général.

L'orfèvrerie, plus que tous les arts décoratifs, est dominée par l'architecture. Les châsses sont de véritables édifices de dimensions réduites avec leur dessus en forme de toit avec crête courant d'un pignon à l'autre, avec leurs faces à arcades abritant des personnages dans les entrecolonnements.

Les émaux cloisonnés, qui avaient joui d'une grande vogue au XIIe siècle, voient leur décadence au XIIIe siècle qui est la date de l'apogée des émaux champlevés sur cuivre auxquels Limoges donne son nom.

La serrurerie (fer forgé) plaque ses découpures ouvragées sur le bois dans les peintures, etc. Les serrures, où le métal découpé laisse voir les marouflages d'étoffe ou de cuir rouge, affectent, elles aussi, des formes architecturales, avec personnages sous les arcades.

Les vitraux du XIIIe siècle disposent symétriquement de petits médaillons sur fonds
mosaïqués géométriques, le tout encadré d'une bordure à feuillages ou palmettes. La verrerie émaillée arabe est en plein éclat et les plus anciennes pièces conservées ne remontent probablement pas au delà du XIIIe siècle. La verrerie de Venise lutte avec la verrerie arabe. Les voyages des Polo lui ouvrent des débouchés jusque sur les marchés de l'Orient.

La mosaïque à cette époque s'illustre par la décoration de la basilique de Saint-Jean de Latran, par Torriti. Rome, Pise, Florence citent en outre les travaux de Tati, de Gaddo Gaddi, de Giotto et des Cosmati.

Le style ogival secondaire ou rayonnant.
Cette période du style gothique a reçu le nom d'ogival rayonnant en raison de la forme des roses. Ces dernières, résultat de l'extension du primitif oeil-de-boeuf roman, ressemblent à des roues : du centre partent de petites colonnes sur les chapiteaux desquelles s'appuie la retombée des ogives le plus souvent trifoliées (à trèfles) qui découpent et festonnent la bordure du cercle. Ces colonnes rayonnent du centre de la rose. Le XIVe siècle apporte dans la décoration et dans la forme des ogives des modifications caractéristiques. Celles-ci élargissent leur base en même temps que les fenêtres deviennent plus larges. On a donné à cette ogive le nom d'ogive équilatérale parce que en menant les trois lignes qui joignent le sommet et les deux extrémités de la base on a trois lignes égales et l'on forme un triangle équilatéral. Les colonnes continuent à avoir des fûts cylindriques,. mais elles se rassemblent en faisceaux serrés et les abaques, qui jusque-là avaient conservé la forme quadrangulaire sur les chapiteaux, deviennent octogonaux, c'est-à-dire forment huit pans. Les arcs-boutants, qui ont succédé aux contreforts de l'époque romane, et qui au XIIIe siècle étaient surmontés de clochetons, se couronnent de petits clochers maigrelets, pointus, formant pignons au bas de leurs quatre pentes.

Au XIVe siècle, suivant Sauval, « on ne se servait ni de sièges, ni de placets, ni de sièges pliants, ces sortes de meubles si commodes n'ayant point encore été inventés. Dans la chambre du roi et dans celle de la reine, il n'y avait que des tréteaux, des. bancs, des faudesteuls ou fauteuils et, pour les rendre plus superbes, les sculpteurs en bois les chargeaient d'une confusion de bas-reliefs et de rondes bosses, les menuisiers les entouraient de lambris et les peintres les peignaient de rouge et de rosettes d'étain blanc ». 

La marqueterie des bois (bois noir et bois blanc), l'incrustation d'ivoire, créent la vogue de l'industrie italienne. Les tissus « à imaiges » font la célé brité de l'Artois et des Flandres. Les sujets profanes succèdent aux sujets religieux dans les sculptures d'ornementation. Les fabliaux fournissent de nombreux épisodes où l'allégorie tient une grande place.

L'ivoirerie qui produit des peignes et des miroirs à sujets amoureux est abandonnée pour le bois qui permet de plus grands développements de sculpture (triptyques, retables, etc.). L'orfèvrerie, surtout pour la vaisselle de table, produit des pièces compliquées à personnages (animaux, etc.) : l'esprit laïque l'envahit. On cite des orfèvres attachés au roi et aux grands seigneurs. Le mouvement créé par Jean de Pise s'accentue en Italie qui produit de nombreuses pièces d'orfèvrerie religieuse de grandes dimensions. L'émaillerie translucide remplace l'émaillerie cloisonnée. Les champlevés sur cuivre continuent à Limoges. La miniature laisse les fonds à ornements, géométriques pour des perspectives d'intérieurs ou de paysages. Les vitraux présentent de grands personnages isolés sur des fonds bleus ou rouges. De grandes hor loges à complications mécaniques se plaquent sur les façades.

Le style ogival flamboyant ou fleuri. 
Dans la première moitié du XVe siècle le style ogival subit des modifications caractérisques qui constituent le style ogival de la troisième période auquel on a donné le nom de style flamboyant et fleuri. Il est dit flamboyant à cause des formes ondulées, comme des flammes, qu'affectent les nervures multipliées qui se contournent dans les tympans des baies, dans les découpures de roses, dans les ajours des crêtes, des galeries. Ces ondulations ont fait dire du style de cette époque qu'il était le produit du cercle en mouvement. Le style flamboyant a été appelé style fleuri en raison de l'extraordinaire richesse et de la place considérable de son ornementation de feuillages. C'est toujours la flore indigène qui en fournit les éléments et, parmi les plantes et les feuilles, celles que choisit de préférence la sculpture du bois ou le travail du fer sont les feuillages les plus découpés, les plus contournés : les choux frisés, les choux épineux, les chicorées, les chardons, se contorsionnent en crochets sur les nervures, les arêtes et les rampants. Au sommet des pinacles s'élance une sorte d'appendice aigu qui porte en son milieu une espèce de bouquet à feuilles gondolées et se termine par un fleuron qui est un motif décoratif emprunté au règne végétal. Cette ornementation fournie donne aux oeuvres de la troisième période du style gothique une expression d'incroyable richesse.

L'arc ogival se modifie, il est ou surhaussé ou surbaissé (comme dans l'arc dit Tudor), parfois ce n'est plus qu'une ogive dont on aurait coupé la pointe, ogive à laquelle on a donné le nom d'ogive tronquée.

La colonne, qui durant les trois périodes gothiques avait conservé la forme cylindrique, se métamorphose en nervures, en sorte de moulures, qui suivent dans leur ascension la fantaisie des contours des baies qu'elles encadrent. Ces nervures ne sont pas cylindriques : elles fournissent une section à laquelle on a donné le nom de section en soufflet et présentant sur un côté un prolongement, une arête terminée par un petit ruban plat ou listel. Ces nervures à leur base forment comme des faisceaux de petites colonnettes plantées chacune sur un socle indépendant, socles qui s'appuient sur un socle polygonal commun où ils laissent entre eux des sortes de pentes appelées glacis.

C'est à la troisième période du style gothique qu'appartiennent la plupart des oeuvres que nous possédons de l'art ogival du Moyen âge. On voit déjà apparaître les ornemanistes ou, pour mieux dire, les modèles dessinés que l'on possède ne remontent pas au delà du XVe siècle. Israël de Mecken, Martin Schongauer sont des noms à citer. 

Le XVe siècle a laissé de nombreux meubles. L'ébénisterie sculpte de véritables dentelles de bois. Les stalles, les chaires sont couronnées, de dais où la forme architecturale prédomine : ces meubles ressemblent aux niches où, sur, les façades d'églises se pressent les statues des saints personnages. C'est dans la seconde moitié du XVe siècle seulement que les figures apparaîtront dans l'ornementation des panneaux. Les colorations chimiques du bois fournissent une nouvelle ressource à la marqueterie qui, en Italie, peut citer une véritable école de marqueteurs. Les retables polychromes jouissent d'une grande vogue en Allemagne. La céramique émaillée de Lucca della Robbia crée un art nouveau. L'orfèvrerie cite Ghiberti, Ghirlandajo. L'émaillerie champlevée a cédé la place à l'émaillerie translucide et l'émaillerie peinte en est à sa première période. Les vitraux produisent beaucoup de grisailles. La mosaïque commence à déchoir de sa simplicité et de sa majesté primitives. L'Italie a de nombreux centres de céramique parmi lesquels Pesaro, Urbino, etc. La réputation de Venise pour la verrerie règne incontestée sur l'Occident.

Il est difficile d'établir dans l'art gothique des divisions qui ne reposent pas uniquement sur la distinction des décorations caractéristiques empruntées à l'architecture et presque toutes dérivées des métamorphoses de l'ogive. Il est à remarquer que les modifications de cette dernière ne se succèdent pas dans une continuité de tendances. Dans la période de transition, à laquelle on peut donner le nom de romano-gothique, l'ogive n'est qu'un changement insensible apporté à l'arc plein-cintre roman. Par une réaction violente, l'ogive de la première période (XIIIe siècle) affecte une forme aiguë et étroite qu'elle élargira dès le XIVe siècle : il ne faudrait donc pas croire qu'à mesure qu'on s'avance dans le développement de l'art gothique, l'ogive s'éloigne du plein-cintre roman. (Paul Rouaix).

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Dictionnaire Architecture, arts plastiques et arts divers
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