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L'architecture de la Renaissance
Dès le XVe siècle, un mouvement nouveau s'était manifesté en Italie. Ce mouvement, qui allait avoir sa répercussion en France, en Espagne, en Angleterre, en Allemagne, en Suisse, a pris le nom de Renaissance. Avec la Renaissance, l'architecture civile, très négligée durant les siècles précédents, va marcher de pair avec l'architecture religieuse.

La Renaissance se manifesta d'abord dans le décor des édifices bien plus que dans leur plan ou leur construction, mais les Grecs de Constantinople, émigrés en Italie vers le milieu du XVe siècle, exercèrent une pression réelle sur les architectes demeurés fidèles au style roman et au style gothique. La découverte des livres de Vitruve acheva la révolution. L'Antiquité eut toutes les préférences, et ce mouvement curieux consista, somme toute, en un retour subit vers l'art de l'Antiquité, au mépris des tendances modernes, qui avaient trouvé leur expression dans des oeuvres très personnelles. 

Bien des archéologues ont prétendu que cette dénomination de renaissance appliquée au style architectural de la fin du XVe siècle n'était pas logique, et l'architecte A. Berty s'est élevé avec beaucoup de violence et d'emportement contre cette dénomination. Son article, ou plutôt sa boutade est assez curieuse pour être consignée ici :

Renaissance, dit cet auteur (Dictionnaire de l'architecture du Moyen âge), expression malencontreuse, consacrée maintenant, mais parfaitement fausse, surtout par rapport à l'architecture, et dont on se sert pour désigner l'époque où l'art chrétien a été abandonné et remplacé par des pastiches de l'art antique. - Le mot renaissance, appliqué aux changements survenus dans les goûts artistiques vers la fin du XVe siècle, n'est rien moins qu'une absurdité et une injustice. En effet, pour qu'il y ait renaissance, il faut qu'il y ait mort : peut-on donc soutenir, sans être aveugle ou de mauvaise foi, que l'art était mort et qu'il n'existait que de misérables maçons, lorsque les Robert de Luzarche, les Jean de Chelles, les Robert de Coucy, les Erwin de Steinbach élevaient ces monuments sublimes qu'on appelle les cathédrales d'Amiens, de Paris, de Reims, de Strasbourg? Quant à nous, il nous semble que si l'art architectural a été nul en France, c'est lorsqu'il a produit ces maçonneries informes qu'on a osé décorer du beau nom d'églises, et dont les Petits-Pères et Saint-Thomas d'Aquin sont de dignes spécimens.
Chateaubriand, dans ses Études historiques, n'est pas beaucoup plus tendre que
Berty pour cette belle architecture de la Renaissance qui a fourni dans toutes les branches de l'art, une pléiade d'artistes d'une très grande valeur, lesquels artistes ont créé des chefs-d'oeuvre incontestables. Quoi qu'il en soit, voici comment s'exprime sur l'art architectural de la Renaissance  le vicomte de Chateaubriand; il n'est pas possible de donner une note plus fausse :
Aux monuments de notre religion et de nos moeurs, dit cet auteur, nous avons substitué, par une déplorable affectation de l'architecture bâtarde romaine, des monuments qui ne sont ni en harmonie avec notre ciel ni appropriés à nos besoins; froide et servile copie, laquelle a porté le mensonge dans nos arts, comme le calque de la littérature latine a détruit dans notre littérature l'originalité du génie franc. Ce n'est pas ainsi qu'imitait le Moyen âge; les esprits de ce temps-là admiraient aussi les Grecs et les Romains; ils re cherchaient et étudiaient leurs ouvrages; mais au lieu de s'en laisser dominer, ils les maîtrisaient les façonnaient à leur génie, les rendaient français et ajoutaient à leur beauté par cette métamorphose pleine de création et d'indépendance.
Nous le répétons, il est difficile de passer plus à côté de la vérité, et les auteurs que nous venons de citer - ainsi que toute une théorie d'auteurs arrimés à l'idée que seule la religion (chrétienne) peut inspirer un art digne de ce nom - ayant exprimé les mêmes idées, ont sans doute oublié qu'à la chute de l'empire romain, et plus tard, pendant une partie du Moyen âge, l'humanité était si enfoncée dans l'obscurantisme, et les arts, les sciences et les lettres étaient tombés dans un tel abandon, dans une telle décadence, qu'on aurait pu supposer que les diverses branches de l'intelligence humaine que nous venons d'énumérer étaient mortes et ne refleuriraient pas de longtemps.
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Vicence : loggia del Capitanio.
La Loggia del Capitanio, à Vicence (1571). C'est une des belles
oeuvres de Palladio, remarquable par les colonnades enserrant les deux 
étages, la largeur des ouvertures, le ressaut des balcons et des 
corniches, la puissance et la richesse de l'ensemble.

Certes, on nous cite quelques artistes du Moyen âge qui avaient une grande valeur; mais que sont ces quelques noms à côté des nombreux artistes et des nombreux littérateurs de la Renaissance? Nous ne voulons pas amoindrir, en quoi que ce soit, les belles productions du Moyen âge; mais on ne peut comparer la période gothique à la magnifique période de la Renaissance. Ce que la première époque a produit n'aurait pas amené au savoir, au bien-être, au goût recherché et à l'émancipation que l'on observera à partir du début du XIXe siècle et qui n'a plus cessé depuis. Plus juste est assurément l'opinion de Ramée, quand il dit (Histoire de l'architecture)  :

Si la renaissance a eu de profondes racines et ses origines dans le plus fort du Moyen âge, l'imperfection des éléments constitutifs de tout genre de celui-ci le condamnait à la décadence et à la mort. 
Et plus loin, il ajoute :
La Renaissance fut une grande et belle époque de l'histoire de la société occidentale. Elle a continué la destruction du Moyen âge, commencée depuis longtemps; elle a ouvert une ère nouvelle, une ère d'émancipation intellectuelle, de droit et de justice, qui eut la plus heureuse influence sur le progrès de la civilisation européenne. Elle a tiré la raison humaine du long et funeste engourdissement où l'avaient ensevelie l'ignorance et la barbarie des dix siècles qui l'avaient précédée. Cette ignorance et cette barbarie, résultats de l'esprit de la routine d'un mauvais orientalisme, avec Rome antique pour intermédiaire, avaient enveloppé la presque totalité de l'Europe d'un voile de ténèbres; les esprits s'étaient déshabitués de la réflexion, la pensée n'existait plus, la vérité était une lettre morte, les hommes des machines inertes, sans initiative. La Renaissance est venue, et c'est avec le secours de la science antique, surtout de la science grecque, qu'elle a émancipé l'esprit humain des rêves poétiques, sentimentaux et mystiques, des abstractions vides et purement verbales, enfantés par l'ignorance [...], rêves et abstractions devenus funestes à l'ordre temporel, à la liberté et aux moeurs, par conséquent à l'ordre, à la paix et au bonheur de l'Occident. Après un assoupissement de mille ans, la Renaissance sonna le réveil de la raison, lui rappela les prérogatives qui lui appartenaient et reconstitua les bases de son autorité.

Venise : la bibliothèque de la Piazzetta.
La bibliothèque de la Piazzetta, à Venise, oeuvre de Sansovino
C'est Sansovino qui réforma l'art vénitien en donnant plus de sobriété à 
l'ornementation au profit des grandes lignes architecturales.

La renaissance architecturale en Italie.
Tel est le véritable rôle qu'a joué cette grande époque dans la civilisation moderne; ainsi donc ce n'est pas seulement dans les lettres et les sciences qu'il y eut Renaissance, mais aussi dans le domaine de l'art en général et de l'architecture en particulier. Au début de la période, c'est-à-dire pendant le XVe siècle, la Renaissance fut moins une imitation réelle des principes de l'art de bâtir de l'Antiquité qu'une contrefaçon, une sorte de placage surperficiel de l'art antique (en effet, toute transition de style nécessite une ébauche, un tâtonnement), mais qui ne fut pas de longue durée, puisque les créateurs, les pères de la Renaissance, se nomment Michelozzi, Brunelleschi, Ammanati, L.-B. Alberti, Benedetto da Majano, Bernardo Roselino, Bramante, Michel-Ange Buonarotti, San-Gallo, Peruzzi, Giacomo della Porta, Vignole, Fontana, Georgio Vasari, Alessi, Rocco Lurago et d'autres encore.
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Florence : cour intérieure du palazzo Vecchio.
La cour intérieure (cortile) du Palazzo Vecchio, à Florence. A 
l'intérieur de la rude forteresse du Moyen âge, Michellozzi  (1391- 1472)
inaugure l'art de la Renaissance avec ses fines colonnes, ses murs 
légers, son impression de grâce et de lumière.

Du reste, la Renaissance en Italie comprend deux périodes distinctes : celle qui précède le XVIe siècle, qui s'étend de 1425 environ à 1500; la seconde, qui va de 1500 à 1580 environ. Des exemples de ces ouvrages sont donnés par le palais d'Annibal Thiène à Vicence, construit de 1553 à 1556 par Palladio, et par la cour du palais Massimi alle Colonne à Rome, construit par Balthazar Peruzzi, qui toutefois ne vit pas son oeuvre terminée car elle ne le fut qu'en 1538, et sa mort date de 1536.

C'est surtout dans la Toscane, à Florence, que naît, se développe et grandit l'architecture de la Renaissance sous le gouvernement des Médicis, lesquels exercèrent une si grande influence sur les lettres, les sciences et les arts, qu'on nomma cette époque le siècle des Médicis. C'est sous Cosme de Médicis, fils de Jean de Médicis, que s'élèvent dans toute la Toscane les beaux monuments de cette époque, dont ceux qui subsistent encore font aujourd'hui notre admiration. A Florence, Cosme se fait construire vers 1430, par Michellozzi, le palais Ricardi; le même architecte commence l'église du couvent Saint-Marc, et vers 1450 il restaure le palais Vecchio, dont la cour intérieure avec ses colonnes si richement ornementées fait partie de son oeuvre.
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Cinq ans auparavant, Brunelleschi avait commencé l'église Saint-Laurent. L.Pitti érige avec Brunelleschi, vers 1445, le monument encore dénommé palais Pitti, que B. Ammanati est chargé de terminer en 1566 ou 1568; la chapelle des Pazzi, située dans le cloître de Santa-Croce; est également l'oeuvre du même architecte. En 1460, L.-B. Alberti construit aussi à Florence le palais Rucellai; en 1488, Benedetto da Majano élève le palais Strozzi; en 1490, Giuliano di San-Gallo, le palais Gondi. L'élan était donné; non-seulement la Toscane, mais encore toute l'Italie, se couvrent de palais et de monuments en style florentin, dénommé le cinque-cento ou le style du XVe siècle.
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Rome : villa du Belvédère.
La grande cascade de la Villa Aldobrandini, près de Rome. Cette
villa, dite le Belvédère, fut bâtie par Giacomo della Porta, disciple de
Michel-Ange, pour le cardinal Aldobrandini, neveu de Clément VIII.

Vers 1450 ou 1452, L.-B. Alberti commence l'église de Saint-François de Rimini. Pierre Lombard, vers 1480, élève à Venise le porche de la petite église des Miracles. On retrouve le style de la renaissance classique au portail de l'église de Saint-Marc; à Milan, à la coupole Sainte-Marie des Grâces; à Rome, dans les façades du palais Giraud, dans celle du palais de la Cancellerie, à la cour et à la tribune du Belvédère au Vatican. Dans tous les édifices que nous venons de mentionner ou du moins dans bien des parties de ces édifices, le style classique domine, nous venons de le dire; mais plus tard l'imagination des artistes travaille, la verve s'excite, et le classique est fort arrangé, et bien souvent d'une façon qui n'est pas très heureuse. San-Gallo, Michel-Ange et Carlo Maderno, dans la construction de Saint-Pierre, délaissent les dessins de Bramante et créent une renaissance à eux. Et si le palais Farnèse, de San-Gallo, est très remarquable, l'étage supérieur de la cour, ajouté par Michel-Ange, de même que la porte Pie, du même artiste, sont loin de mériter des éloges; leur style s'écarte de l'antique, mais il est fort bizarre. 
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Peu avant la fin du XVe siècle, le cinque-cento, dans certaines parties de l'Italie, en France, en Allemagne et en Angleterre, avait déjà passé par de singulières transformations; il se trouvait mêlé au romano-byzantin et à l'ogival, car ce ne fut que graduellement qu'on arriva à créer un style original qui n'emprunta rien aux styles qui l'avaient précédé. Ainsi, dans beaucoup de monuments dits gothiques du XVeet même, mais plus rarement, du commencement du XVIe siècle, nous voyons des cartouches, des médaillons, des arabesques, des rinceaux de feuillages, en un mot, toute une ornementation, imités des monuments de l'ancienne Rome; il n'est pas rare de voir aussi un arc ogival dans un plein cintre portant sur des pilastres ou des colonnes antiques : par exemple, à l'église de Saint-François à Rimini, dont nous venons, de parler, nous voyons à l'intérieur plusieurs rangs de pilastres antiques qui servent de supports à des arcades ogivales, décorées elles-mêmes de feuillages et de moulures antiques. 

La diffusion hors d'Italie de l'architecture de la Renaissance.
A Ancône, un monument un peu antérieur à l'église de Rimini, le portique du palais du Gouvernement, nous montre également des arcades ogivales qui reposent sur des colonnes d'ordre composite. Au grand hôpital de Milan, les fenêtres de forme ogivale sont décorées de rinceaux et d'arabesques. Si de l'Italie nous passons en France, en Espagne, dans les Pays-Bas, en Angleterre et en Allemagne, nous trouvons les mêmes singularités, les mêmes anomalies, pourrions-nous dire. Il n'y a rien de surprenant dans ce fait, car les transitions architectoniques s'opèrent de même dans les autres pays d'Europe, et puisque l'Italie, l'initiatrice de la Renaissance, avait, passé par les transformations que nous venons de dire, il n'est pas étonnant que les autres pays qui avaient appris d'elle le principal opérassent de même pour les détails secondaires. 
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Château de Valençay.
Château de Valençay (Indre). Il fut construit sous François Ier pour 
la famille d'Etampes, sur les plans de Philibert Delorme.

Les premières nations qui adoptèrent le style nouveau furent la France, l'Espagne, puis l'Allemagne et l'Angleterre.

En France.
Les premiers monuments français dans lesquels le style Renaissance fit son apparition datent de Louis XII; c'est le cardinal d'Amboise qui les fit construire : c'est une partie du château de Blois (l'aile orientale), le château de Gaillon, les hôtels de ville d'Orléans et de Beaugency, l'hôtel Cujas et l'hôtel des frères Lallemand à Bourges. Sous François ler, le même style progresse; les plus beaux spécimens de l'architecture de cette époque sont Fontainebleau et Chambord. Enfin, sous Henri II, l'architecture de la Renaissance atteint à son apogée avec le Louvre, le château d'Anet, la grande galerie, dite de Henri II, à Fontainebleau, et quelques autres édifices. On peut voir un bénitier en pierre qui se trouve dans l'église de Bercy, à Paris, bénitier et qui est un monument remarquable de la Renaissance française.

En Espagne.
En Espagne, la Renaissance fait son apparition dès le XVe siècle, mais c'est bien le pays de l'Europe où elle est le plus mêlée à d'autres styles : en effet, dans certains monuments on peut voir ce style mêlé à l'arabe, au gothique et au mauresque. Au début, on le nomme style plateresque (de plata = orfèvrerie) à cause de sa ressemblance avec l'orfèvrerie, qui est très surchargée d'ornementation. Un des promoteurs de ce style a été Alonso Berruguete. Dans ce style sont construits, à Valladolid, le collège Saint-Grégoire; à Sarragosse, le monastère d'Engracia ; à Tolède, l'hôpital Santa Cruz; à Salamanque, le grand collège et le palais archiépiscopal; à Cordoue, le cloître de la cathédrale; à Séville, le palais de l'archevêché, etc.
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Tolède : Porte de l'Hôpital Santa Cruz.
Porte de l'Hôpital Santa Cruz, à Tolède. La façade fut
construite et décorée de 1504 à 1516 sous la direction de
Enrique de Egaz, né en Espagne mais flamand d'origine. Les
 réminiscences de l'Antiquité s'y mêlent à l'art du Moyen âge.

Aux Pays-Bas.
Aux Pays-Bas, l'architecture de la Renaissance ressemble beaucoup à son origine à celle de la France; plus tard, elle se rapproche de la renaissance allemande, au style employé au château d'Heidelberg.

En Angleterre.
En Angleterre, l'architecture de la Renaissance ne fait son apparition que sous le règne d'Édouard VI, c'est-à-dire au milieu du XVIe siècle, et encore à cette époque les Anglais ne firent que des édifices entièrement classiques, comme le palais de Somerset-House, par exemple; ce n'est guère qu'au commencement du XVIIe siècle que parut à Oxford un style original de la Renaissance, mais ce style n'a absolument rien produit de remarquable en Angleterre, c'est un mélange d'antique et de Tudor.

En Allemagne.
En Allemagne, la Renaissance ne pénétra que fort tard; elle ne paraît que dans la seconde moitié du XVIe siècle. Les oeuvres les plus importantes dans ce style sont le château d'Heidelberg, construit de 1556 à 1559; l'hôtel de ville de Leipzig, le château de Stuttgard, la façade de l'hôtel de ville de Cologne, le vieux château de Munich, le Deutschherrenhaus d'Andernach, la halle au drap de Brunswick, une partie de l'hôtel de ville de Brême; enfin différentes villes, telles que Dantzig (auj. Gdansk, en Pologne), Nuremberg, Cologne, Hanovre, Minden, possèdent des maisons dans ce style, mais en général la Renaissance allemande est lourde et surchargée d'ornements auxquels il a été reproché un manque de goût.

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