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L'ambition

Ambition  (du latin ambire = briguer), désir d'avancement et de supériorité, passion qui nous pousse à étendre la sphère de notre pouvoir. Au point de vue de la philosophie, l'ambition est une des manifestations de l'amour de soi. Elle ne naîtrait jamais, si notre force pouvait toujours se développer librement, parce que nous jouirions de notre pouvoir sans privation aucune, et, par conséquent, sans désir. Mais l'opposition d'autres forces nous arrête perpétuellement; de là résulte en nous un désir véhément de briser les obstacles, désir qui n'est autre que l'ambition. Soutenir que cette passion est une révolte de notre supposée nature contre les décrets de la providence, qui ne nous permettrait pas de sortir de la condition où nous sommes et de franchir les barrières dont nous nous sentons environnés, ce serait vouloir, pour la nature humaine, dont l'activité est toute l'existence, une résignation et une inertie impossibles : on aboutirait d'ailleurs à cette conséquence morale, que l'inertie est impeccable, et que toute vertu, tout mérite, par cela seul qu'il est un acte, est blâmable. Il est incontestable, au contraire, que des épreuves sont proposées à notre courage et à notre persévérance, et que l'ambition est un effort légitime de notre nature : l'étouffer, ce serait rejeter sa tâche et s'abdiquer soi-même, ce serait détruire le principe de tout progrès humain. Le caractère moral de l'ambition dépend du but qu'elle poursuit et des moyens qu'elle emploie. La distinction qu'on doit faire ici est si réelle, que, même dans le langage ordinaire, on dit une noble, une généreuse ambition. Telle ambition passe pour force d'esprit et de vertu, telle autre pour vice et crime. Bacon disait :
"Il y a trois sortes d'ambition : la première, c'est de gouverner un peuple et d'en faire l'instrument de ses desseins; la seconde, c'est d'élever son pays et de lui assurer la suprématie sur tous les autres; la troisième, c'est d'élever l'humanité tout entière, en augmentant le trésor de ses connaissances." 
L'ambition est condamnable quand elle emploie la ruse, la bassesse ou la violence pour atteindre, au détriment d'autrui, l'objet qu'elle convoite. L'ambitieux, dans l'acception mauvaise de ce mot, est nécessairement égoïste; il ne veut du pouvoir que pour lui seul, il n'est préoccupé que de sa propre élévation, et il sacrifie à sa passion son caractère, son repos, et ceux même de ses semblables qui lui ont servi d'instruments. L'ambition est l'ennemie de notre indépendance, car, selon la remarque de La Bruyère, "l'esclave n'a qu'un maître, l'ambitieux en a autant qu'il y a de gens utiles à sa fortune." Comme les autres passions, elle promet le bonheur et ne le donne jamais :
Que vous vous tourmentez mortels ambitieux, 
Désespérés et furieux, 
Ennemis du repos, ennemis de vous-mêmesl
(La Fontaine, Daphné.)
Les Romains, qui avaient élevé  un temple à l'Ambition, la représentaient avec des ailes et les pieds nus : image ingénieuse de la hauteur de ses visées, et de la misère que presque toujours elle recueille. Rien de plus saisissant que ce tableau des tortures de l'ambitieux, tracé par le moraliste : 
"Ses désirs croissent avec sa fortune; tout ce qui est plus élevé que lui le fait paraître petit à ses yeux; il est moins flatté de laisser tant d'hommes derrière lui, que rongé d'en avoir encore qui le précédent; il ne croit rien avoir s'il n'a tout; son âme est toujours avide et altérée, et il ne jouit de rien, si ce n'est de ses malheurs et de ses inquiétudes. Ce n'est pas tout. De l'ambition naissent les jalousies dévorantes; et cette passion, si basse et si lâche, est purtant le vice et le malheur des grands. Jaloux de la réputation d'autrui, la gloire qui ne leur appartient pas est pour eux comme une tache qui les flétrit et qui les déshonore : Jaloux des grâces qui tombent à côté d'eux, il semble qu'on leur arrache celles qui se répandent sur les autres. Jaloux de la faveur, on est digne de leur haine et de leur mépris, dès qu'on l'est de l'amitié et de la faveur du maître. Jaloux même des succès glorieux à l'État, la joie publique est souvent pour eux un chagrin domestique, un deuil secret. Enfin, cette injuste passion tourne tout en amertume, et on trouve le secret de n'être jamais heureux, soit par ses propres maux, soit par les biens qui arrivent aux autres." 
L'éloquence et la poésie se sont beaucoup occupées de l'ambition. Bossuet dans l'oraison funèbre, en a montré le vide et les déceptions; et, dans l'histoire, il l'a représentée comme un des instruments les plus efficaces de la providence. Massillon a composé les amples et éloquentes dissertations de son Petit Carême pour prévenir cette passion et la détruire des le germe dans le coeur d'un roi enfant, dont elle ne devait pas être le défaut. La Bruyère a dirigé contre elle les traits d'une satire un peu pénible, surtout quand il l'attaque dans la personne de Guillaume III; et Montesquieu, dans le Dialogue de Sylla et d'Eucrate, colore les souvenirs sanglants d'une ambition trop célèbre, en lui attribuant des vues et une portée qui n'ont existé sans doute que dans la brillante imagination de l'écrivain. Les poètes aiment à peindre l'ambition; car elle est, après l'amour, l'un des ressorts les plus puissants du drame, et le fond même de la tragédie historique.
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L'ambitieux

« Quelle idée vous formez-vous d'un ambitieux préoccupé du désir de se faire grand? Si je vous disais que c'est un homme ennemi par profession de tous les autres hommes, j'entends de tous ceux avec qui il peut avoir quelque rapport d'intérêt; un homme à qui la prospérité d'autrui est un supplice; qui ne peut voir le mérite, en quelque sujet qu'il se rencontre, sans le haïr et sans le combattre; qui n'a ni foi ni sincérité, toujours prêt, dans la concurrence, à trahir l'un, à supplanter l'autre, à décrier celui-ci, à perdre celui-là pour peu qu'il espère d'en profiter; qui de sa grandeur prétendue et de sa fortune se fait une divinité à laquelle il n'y a ni amitié, ni reconnaissance, ni considération, ni devoir qu'il ne sacrifie; ne manquant pas de tours ni de déguisements spécieux pour le faire même honnêtement selon le monde, en un mot qui n'aime personne, et que personne ne peut aimer : si je vous le figurais de la sorte, ne diriez-vous pas que c'est un monstre dans la société, dont je vous aurais fait la peinture, et cependant, pour peu que vous fassiez de réflexion sur ce qui se passe tous les jours au milieu de vous, n'avouerez-vous pas que ce sont là les véritables traits de l'ambition, tandis qu'elle est encore aspirante et dans la poursuite d'une fin qu'elle se propose? Oui, pour soutenir cette passion ou plutôt pour la satisfaire, nous y joignons la malignité, l'iniquité, l'infidélité; de nos proches mêmes et de nos amis, nous nous faisons des rivaux, et ensuite des ennemis secrets; par des perfidies cachées, nous traversons leurs desseins pour faire réussir les nôtres; nous usurpons, par des violences autorisées du seul crédit, ce qui leur serait dû légitimement, nous envisageons la disgrâce et la ruine d'autrui comme un avantage pour nous, et par de mauvais offices nous y travaillons en effet; pour cela nous remuons tous les ressorts d'une malheureuse politique, dissimulant ce qui est, supposant ce qui n'est pas, exagérant le mal, diminuant le bien, et, au défaut de tout le reste, ayant recours au mensonge et à la calomnie pour anéantir, s'il est possible, ceux qui, même sans le vouloir, sont des obstacles à notre, ambition. En même temps que nous en usons ainsi à l'égard des autres, pour empêcher qu'ils ne s'élèvent au-dessus de nous, il nous paraît insupportable que les autres aient seulement la moindre pensée de s'opposer aux vues que nous avons de prendre l'ascendant sur eux; pour peu qu'ils le fassent, nous concevons contre eux des ressentiments mortels et des haines irréconciliables : car tout cela arrive, chrétiens, et il me faudrait des discours entiers pour vous représenter tout ce que fait l'ambition, et tous les stratagèmes dont elle se sert au préjudice de la charité et de l'union fraternelle pour parvenir à ses fins. »
 

(Bourdaloue, Sermons).

César a inspiré tour à tour Lucain, Shakespeare, Corneille et Voltaire. Virgile n'a pas peint l'ambition, endormie sous Auguste dans la lassitude des guerres civiles; il n'a fait d'Énée qu'un instrument. de la volonté des dieux. Mais Racine a trouvé, dans son génie comme dans l'histoire, les traits dont il a peint l'ambition, presque victorieuse de l'amour paternel chez Agamemnon; défendant, à force d'énergie et d'adresse, le pouvoir à demi ruiné d'Agrippine; luttant contre Dieu lui-même, avec la hauteur impie, mais imposante, d'Athalie. Ambitieux d'une autre sorte, Acomat personnifie le génie des ministres qui veulent faire des souverains et partager avec eux; Mathan et Narcisse, la basse méchanceté des favoris qui veulent parvenir à tout prix. Les grands maîtres tragiques ont excellé dans ces conceptions vigoureuses. Coriolan, César, Richard III, comptent parmi les chefs-d'oeuvre de Shakespeare. 

Corneille, aussi sublime que le poète anglais, et peut-être plus profond, a exprimé dans Auguste la lassitude et les dégoûts de l'ambition; dans Pompée, les capitulations et les subtilités où elle engage la conscience; dans le roi d'Égypte et ses conseillers, les lâches irrésolutions et la méchanceté cynique où elle tombe avec les âmes vicieuses. L'admiration des siècles a consacré ces fortes peintures d'une passion capable de toutes les bassesses et de toutes les grandeurs; car on l'a vu même se maîtriser et s'arrêter sur la pente de l'aveuglement et de l'ivresse, pour se dire à elle-même : 

"Tu n'iras pas plus loin. " 
(B. / A. D). 
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