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Vedânta.
- Nom du Darsana (système classique et
orthodoxe) le plus répandu en Inde
(La
philosophie indienne). Le mot signifie « fin du Veda »,
et a peut-être aussi d'autres sens. Cette philosophie se présente
en tout cas comme s'appuyant essentiellement sur l'autorité du Véda,
et comme étant l'exclusive systématisation des doctrines
ésotériques, souvent vagues et contradictoires des Upanishads.
Elle veut former la partie « rationnelle » de la science brahmanique,
par opposition à la partie rituelliste. Elle y est d'ailleurs tout
à fait fondée, et représente non seulement le courant
le plus important de la philosophie, mais encore un des faits dominants
de la pensée hindoue depuis la plus haute antiquité. On peut-assez
approximativement caractériser cette doctrine en disant que c'est
celle du «-panthéisme
idéaliste-». Mais les méthodes
logiques sont trop différentes, chez les Hindous, de ce qu'elles
furent en Grèce,
pour que cette désignation ait la valeur d'une classification exacte.
En tout cas, dès les plus anciennes Upanishads,
l'identité du moi (âtman) individuel
et du moi mondial (âtman), leur indistinction parfaite a été
proclamée. Et elle reste encore un article de foi pour l'Hindou
qui réfléchit de nos jours. Tot tvam asi : tu es
cela, dit-on, en désignant le monde puis l'interlocuteur.
Le Vedânta ayant ce caractère,
il nous est difficile de donner ici, de son histoire, un aperçu
suffisamment complet. Il semble que c'est sous l'action d'une école
tout entière qu'il s'est constitué à l'aide d'éléments
presque tout entiers empruntés aux Upanishads.
Le plus ancien texte que l'on traite maintenant comme révélé,
est appelé Brahma-Sâtras de Bâdarâyana.
Il n'est pas possible d'admettre que celui-ci en soit l'auteur, vu qu'il
y est cité nommément, en même temps que d'autres auteurs.
Il est, de plus impossible d'assigner même une date à la rédaction
que nous possédons. Tout ce que nous pouvons dire, c'est qu'elle
est bien antérieure au fameux commentaire de Çankara,
qui vécut au VIIIe ou au IXe
siècle au plus tard. Celui-ci est le représentant, le fondateur
peut-être du panthéisme absolu,
de l'école non dualiste (advaita).
Antérieurement à lui, il semble en effet que le Vedânta
n'était pas encore purgé de toute contradiction. C'est par
une interprétation un peu forcée que Çankara fait
rentrer dans un système cohérent certaines affirmations plutôt
dualistes du Sûtra qu'il commente. Il a d'ailleurs existé
avant Çankara, et il existe encore de nos jours une autre école
du Vedânta, celle de Râmanuja qui reconnaît la réalité
de l'âme individuelle et la personnalité du Brahman,
tout en admettant leur identité fondamentale. C'est une école
de la «-non dualité relative-».
Or, elle semble sur bien des points représenter la doctrine du Sûtra
et des Upanishads. Quoi qu'il en soit,
c'est sous la forme que lui a donnée Çankara que le Vedânta
est devenu vraiment populaire dans l'Inde,
au point d'être actuellement l'école philosophique la plus
répandue.
« Tout ce qui est, selon le Vedânta,
est en réalité un. » Il n'y a qu'un seul être,
le brahman. De plus, le brahman n'est pas un être pensant personnel,
mais c'est l'intelligence, la pensée elle-même. Et c'est ce
brahman qui est à la fois cause matérielle
et cause efficiente de tout l'ensemble des choses. Il n'y a rien en dehors
de lui. Le monde extérieur n'existe pas substantiellement. Il est
le produit de l'illusion (Mâyâ),
autrement dit de l'ignorance (Avidyâ) universelle, qui conditionne
le brahman absolu, dont elle est une puissance.
On ne peut dire de cette ignorance ni qu'elle est un être ni qu'elle
est un non-être. En tout cas, c'est en s'entourant, grâce à
elle, des conditionnements successifs que le brahman produit tout l'ensemble
des phénomènes qui constitue
l'univers. Tel un magicien par son pouvoir suscite des illusions infinies,
tel le brahman suscite tous les êtres, purs
phénomènes dus à l'ignorance, depuis le brahman inférieur,
ou Dieu créateur personnel, jusqu'aux corps
les plus grossiers, en passant par l'âme individuelle.
Le seul but de l'humain est donc la connaissance
du brahman, et l'absorption en lui. Ce qui est à vrai dire la même
chose que la suppression de l'ignorance et de l'erreur.
C'est là le salut : l'individu qui connaît
le brahman a supprimé en soi le monde et le désir du monde;
« la connaissance est la délivrance ». Si le sage continue
à vivre, il ne vit plus que d'une vie sans intérêt.
Désormais il est détaché du cercle infini
des naissances et des morts (Métempsycose).
Et, à la fois, il s'abîme dans un « Nirvâna
» parfait, comme le dit une seule fois Çankara,
et comme le répète après lui le Vedânta moderne.
Dans ce système, la théorie
de l'âme individuelle, la cosmologie
et la physique n'ont qu'un intérêt
très secondaire. Les auteurs se contentent de montrer comment le
brahman,
qui est la pensée même, se matérialise progressivement
sans changer de nature (car la cause n'est pas
différente de l'effet), en s'enveloppant
simplement des ténèbres toujours plus épaisses de
l'erreur.
Dans les derniers siècles, le Vedânta
est devenu de plus en plus radical, plus moniste.
En même temps, chose curieuse, le Vedânta est devenu éclectique.
Déjà les théories de Çankara
se ressentent de l'influence du bouddhisme
que ce philosophe est réputé avoir définitivement
confondu. Mais, il y a plus, le Vedânta Sâra de Sadânanda
(XVIe ou XVIIe
siècle), l'un des livres les plus populaires de l'Inde
moderne, nous montre des traces indéniables de l'influence des autres
systèmes, en particulier du Sânkhya
et du Yôga. (Marcel
Mauss). |
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