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Toland

John Toland (baptisé Junius Janus) est un philosophe anglais, né en 1670, mort à Putney le 11 mars 1722. Son nom domine l'histoire du déisme en Angleterre ; il n'est pas, dans le développement de la libre pensée, d'écrivain qui ait au même degré déchaîné les colères des orthodoxies. La critique même des modernes n'a pu renoncer aux façons de dire méprisantes dont les contemporains se montrèrent si prodigues à son sujet. C'est ainsi qu'un philosophe historien aussi sage et judicieux que Leslie Stephen parle de lui, dans son Histoire de la pensée anglaise au XVIIIe siècle, en ces termes d'une malveillance passionnée : 
« fils illégitime d'un prêtre Irlandais, disait-on sans doute par pure malice, il se convertit à seize ans au protestantisme et fut soutenu par certains dissenters à Glasgow, à Leyde et à Oxford. Il récompensa leur générosité en s'acquérant un savoir énorme, puis en leur faisant éclater en plein visage le Christianisme non mystérieux ». 
Ingratitude et mauvaise foi, ces deux crimes ont d'ailleurs toujours été reprochés aux téméraires qui se sont attaqués aux doctrines reçues. Toland, plus que nul autre, aura connu cette double et classique calomnie. Et cependant ses accusateurs auraient dû réfléchir que ce polémiste tant maudit n'avait certes pas été guidé par la considération de ses intérêts temporels, car sa vie s'écoula dans la gêne, les dettes, les persécutions, les fuites continuelles sur le continent, la précaire recherche d'abris contre le zèle des intolérants.

L'ouvrage retentissant qui fut l'origine de ce scandale prolongé, le Christianisme non mystérieux, avait été terminé par Toland à Oxford, en 1695. Il parut en 1696 et souleva une tempête immédiate. Nombre de théologiens entrèrent en lice pour le réfuter. On ne manqua pas, selon la manie des controversistes du temps, de le proclamer convaincu de socinianisme. Eu Irlande, notamment, il fut anathématisé du haut de la chaire. Peter Browne, dans une lettre véhémente, le dénonce comme le chef d'une nouvelle secte et comme se posant en rival de Mahomet. Les pouvoirs publics, à leur tour, s'émurent. Le grand jury de Middlesex déféra son livre devant la Chambre des communes et cette dernière vota (9 septembre 1697) qu'il serait brillé par le bourreau et son auteur poursuivi. Toland prit la fuite; ce qui provoqua de la part de je ne sais quel bienveillant prédicateur cette féroce plaisanterie :

« Il faut féliciter le Parlement d'avoir rendu le royaume trop chaud pour cet écrivain »
Au reste, Toland ne s'obstina pas. Il s'efforça de son mieux à désavouer dans la suite ce dangereux écrit. C'est ainsi que dans son Vindicius Liberius, il assurera avoir supprimé après la seconde édition le livre incriminé, il alléguera à son excuse «-l'indiscrétion de la jeunesse » et il proclamera la pleine conformité de ses croyances avec l'enseignement de l'Eglise établie. Ces soumissions et rétractations furent en pure perte. L'Eglise ne pardonna pas. S'il eut la consolation de rencontrer sur sa route de nobles protecteurs, tels que lord Shaftesbury et la reine de Prusse, Sophie-Charlotte, à qui furent dédiées ses Lettres à Serena, il mena une vie tourmentée, misérable, et se vit, à maintes reprises, au bord de l'indigence. Sa plume ne se reposait guère : mais tous ses écrits et pamphlets, d'avance suspects et anathématisés (la liste serait longue) et parmi lesquels nous signalerons seulement son Art of restoring (1714)  et son Pantheisticon (1720), ont tous été relégués dans l'oubli par son premier Traité de libre-penseur. Il mourut à Putney, quelques jours après s'être composé cette épitaphe : 
Ipse vero aeternum est resurrecturus at idem futurus Tolandus nunquam. 
Ce semble une profession de foi panthéistique.

Toland, à vrai dire, n'avait pas ouvert la voie au déisme. Il eut un précurseur illustre, Locke, qui, avec une extrême prudence, avait, dans son livre : Rationalité du christianisme, affirmé le devoir imposé à l'humain de ne donner son adhésion qu'à des propositions pleinement intelligibles. Le rôle du christianisme avait été, soutenait-il, de réveiller dans l'âme des peuples les grandes vérités endormies, d'arracher l'humanité à ses divertissements pour lui faire entendre, par l'appel violent et sonore du miracle, la voix de la raison. Son dessein fut de rationaliser le surnaturel, dessein éminemment dogmatique, bien qu'hostile aux prétentions du mysticisme

Toland est, en matière de foi, un sceptique. Locke avait disserté avec le parti pris de rendre manifeste l'accord de la révélation et de l'entendement. Chez Toland, à toute ligne, se trahit la pensée qu'un pareil accord est illusoire ou tout au moins si problématique que le plus sage est de réserver notre assentiment. Mais entre ces deux termes : foi, raison, entend-il maintenir la balance égale? En aucune manière. Il ne concevrait pas que ce fût sur les dictées de la raison que pût porter le doute. Reste donc que ce soit sur les objets de la foi religieuse. D'une argumentation pressante, que Leslie Stephen a remarquablement résumée, se déduisent les thèses suivantes dont l'importance exégétique était grande : 1° la raison interdit de croire à aucune proposition, quelle qu'en soit l'origine, dès qu'elle implique contradiction; 2° la raison interdit d'admettre aucune des assertions historiques de l'Ecriture, sans preuves rationnelles et sans une évidente consistance; 3° la raison interdit d'admettre aucune proposition énonçant des choses inconcevables. 

« Quelqu'un, demande-t-il avec humour, pourrait-il, à bon droit, se féliciter de son savoir, qui, ayant l'infaillible assurance que quelque chose appelé Blictri existe dans la nature, en même temps ignorerait ce que serait ce Blictri ? ». 
Cela revenait à éliminer de la dogmatique religieuse cet élément, le mystère, que les théologiens tiennent comme pièce essentielle. Et surtout la pensée sous-entendue de l'auteur est qu'à cette triple pierre de touche le christianisme ne saurait résister. Cette conclusion, sans doute, Toland ne l'a pas énoncée. Ou plutôt il avance expressément le contraire. Les contemporains ne s'y trompèrent pas. Ils perçurent bien vite que ce mot de christianisme recouvrait une équivoque; que ce qui était sans mystère (not mysterious), ce n'était pas le christianisme historique, le christianisme des Ecritures, c'était celui de Toland, celui que la raison commune réussit à édifier, bref la religion des philosophes. 

Le scepticisme de notre auteur est donc limité et critique. Oui, reconnaît-il, notre savoir est relatif. Mais relativité n'est pas synonyme de néant ou d'erreur. De Dieu nous ne pouvons faire une idée adéquate, il n'empêche que sur Dieu, comme sur l'âme, nous pouvons formuler des propositions intelligibles et consistantes, tout aussi bien que le soleil et le corps humain. Dès lors nous pouvons conclure nous-mêmes que le christianisme sans mystère, préconisé par Toland, n'est autre que la croyance au Dieu de la raison, c.-à-d. la doctrine que le mot de déisme a précisément désignée. (Georges Lyon).

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