|
Timon, le
disciple et l'ami de Pyrrhon, non moins célèbre
comme poète que comme philosophe, naquit à Phlionte, dans
le Péloponnèse, vers le
milieu du IIIe siècle avant l'ère
chrétienne. il exerça d'abord la profession de danseur de
théâtre, puis, se sentant entraîné par un goût
irrésistible vers la philosophie, il fréquenta à Mégare
l'école de Stilpon, et se rendit
ensuite à Elis, près de Pyrrhon, dont le caractère
autant que la doctrine avait excité son admiration. Ainsi qu'un
grand nombre de Sceptiques, il joignit à l'étude de la philosophie
celle de la médecine; mais n'y trouvant pas une ressource suffisante,
il alla enseigner la philosophie et l'art oratoire à Chalcédoine,
en Asie Mineure. Après y avoir fait fortune, il visita l'Égypte,
où régnait Ptolémée Philadelphe, s'arrêta
quelque temps en Macédoine, à la cour d'Antigone Gonatas,et
finit par se fixer à Athènes, où il mourut dans un
âge très avancé.
On lui attribuait jusqu'à trente
comédies et soixante tragédies, des drames satiriques, un
poème en vers élégiaques, intitulé les Images
; un traité en prose Sur les sens; un autre Contre les physiciens,
c'està-dire les philosophes spéculatifs; un autre adressé
à Python, et portant ce nom, où il racontait ses entretiens
avec Pyrrhon, qu'il avait rencontré sur la route de Delphes; une
composition ayant pour titre Le Repas funèbre d'Arcésilas,
ou simplement le Repas, où il paraissait revenir, sans doute en
faveur de son Scepticisme, sur les railleries dont il avait poursuivi pendant
sa vie le fondateur de la nouvelle Académie. Mais, de tous les ouvrages
de Timon, il n'y en a pas qui ait acquis autant de célébrité
et qui nous ait laissé autant de traces que les Silles, d'où
il a reçu le surnom de Sillographe. C'était une satire en
vers hexamètres dirigée contre tous les philosophes, excepté
Pyrrhon et Xénophane. Les plus mal traités étaient
Socrate, Platon et Epicure. L'ouvrage commençait par ces mots :
« Venez ici, venez, imposteurs raisonneurs, » et se divisait
en trois livres. Dans le premier, Xénophane paraît avoir eu
seul la parole; dans le second et le troisième, l'auteur supposait
un dialogue entre Xénophane et lui.
La doctrine de Timon ne diffère
pas de celle de Pyrrhon, dont il n'était, selon Sextus Empiricus,
que le simple interprète. Voici cependant ce que les écrivains
de l'Antiquité lui attribuent personnellement. Le seul but de la
philosophie est de nous conduire au bonheur, de nous rendre heureux autant
que notre nature le permet. Quiconque veut vivre heureux, doit se proposer
ces trois questions : 1° Quelle est la nature des choses? 2° Comment
devons-nous nous comporter à leur égard? 3° Quelle sera
la conséquence qui résultera pour nous de cette manière
d'être? La première de ces questions est insoluble; car nous
ne pouvons pas savoir ce que les choses sont en elles-mêmes. La science
suppose la démonstration, et toute démonstration part d'une
hypothèse, d'un axiome qu'on ne démontre pas. Les choses
ne sont pour nous que ce qu'elles nous paraissent être : c'est donc
uniquement sur les apparences qu'il faut prononcer, et non sur la nature
même des choses.
"Ainsi,
disait Timon, j'accorderai bien que telle chose me paraît douce,
mais je ne dirai pas qu'elle l'est en effet."
Il attaque particulièrement, avec les
arguments de l'école de Mégare et des philosophes d'Elée,
la certitude que nous croyons avoir de l'existence du mouvement. La solution
de cette première question renferme celle de la seconde; car si
nous sommes condamnés à une ignorance irrémédiable
quant à la nature des choses, il faut nous imposer la règle
de ne rien affirmer et de ne rien nier d'une manière absolue; il
faut nous abstenir de toute assertion et n'exprimer autre chose que l'état
de notre âme, c'est-à-dire ce qui nous paraît être.
Enfin de la solution de la seconde question
découle celle de la troisième. En nous abstenant de prendre
parti pour ou contre les différentes opinions qui agitent les humains,
en regardant comme de vaines apparences tout ce qui frappe nos sens et
notre esprit, nous arrivons à regarder avec une profonde indifférence
les biens comme les maux de cette vie, à ne pas nous enivrer des
uns ni nous affliger des autres, et à conserver toujours cette sérénité
d'âme, qui est le vrai bonheur.
Sans être infidèle à
ses propres principes, Timon pouvait admettre, selon le témoignage
de Sextus (Adv. Mathem., lib. XI, c. xx), qu'il y a quelque chose de divin
et de bon qui existe éternellement et qui donne à notre vie
sa régularité; car, pour lui, ce n'était qu'une opinion
fondée, comme toutes les autres, sur l'apparence.
(F). |
|