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Claude Adhémar
André' Theuriet est un
écrivain français,
né à Marly-le-Roy (Yvelines)
le 8 octobre 1833 et mort à Bourg-la-Reine
(Hauts-de-Seine) le 23 avril 1907. D'une famille lorraine, il fit ses études
à Bar-le-Duc, où son père
occupait l'emploi de receveur de l'enregistrement, et entra en 1853 comme
surnuméraire dans le même service, dont il a successivement
franchi les divers échelons avant de prendre sa retraite, en 1886,
avec le grade de chef de bureau. Il débuta en 1857 par quelques
poésies intitulées In memoriam,
insérées par la Revue des Deux Mondes qui accueillit
d'autres essais en vers et en prose. Les uns et les autres ont formé
depuis de nombreux volumes dont l'énumération complète
ne saurait trouver place ici, et dont il suffira de rappeler les principaux.
A la poésie appartiennent : le
Chemin des bois (1867, in-12); le Bleu et le Noir (1873, in-18);
les Nids (1879, in-fol.); Nos oiseaux (1886, in-4, illustré
par Giacomelli); la Ronde des saisons et des mois (1892, in-4, illustré
par H. Bennett).
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La chanson
du vannier
« Brins d'osier,
brins d'osier,
Courbez-vous assouplis
sous les doigts du vannier!
Brins d'osier, vous
serez le lit frêle où la mère
Berce un petit enfant
aux sons d'un vieux couplet;
L'enfant, la lèvre
encor toute blanche de lait,
S'endort en souriant
dans sa couche légère.
Brins d'osier, etc.
Vous serez le panier
plein de fraises vermeilles
Que les filles s'en
vont cueillir dans les taillis.
Elles rentrent le
soir, rieuses, au logis,
Et l'odeur des fruits
mûrs s'exhale des corbeilles.
Brins d'osier, etc.
Vous serez le grand
van où la fermière alerte
Fait bondir le froment
qu'ont battu les fléaux,
Tandis qu'à
ses côtés des bandes de moineaux
Se disputent les
grains dont la terre est couverte.
Brins d'osier, etc.
Lorsque s'empourpreront
les vignes à l'automne,
Lorsque les vendangeurs
descendront des coteaux,
Brins d'osier, vous
lierez les cercles des tonneaux
Où le vin
doux rougit les douves, et bouillonne.
Brins d'osier, etc.
Brins d'osier, vous
serez la cage où l'oiseau chante,
Et la nasse perfide
au milieu des roseaux,
Où la truite,
qui monte et file entre deux eaux,
S'enfonce et tout
à coup se débat, frémissante.
Brins d'osier, etc.
Et vous serez aussi,
brins d'osier, l'humble claie,
Où, quand
le vieux vannier tombe et meurt, on l'étend
Tout prêt
pour le cercueil. - Son convoi se répand,
Le soir, dans les
sentiers où verdit l'oseraie.
Brins d'osier, brins
d'osier,
Courbez-vous assouplis
sous les doigs du vannier. »
(A.
Theuriet, Le Chemin des bois).
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Parmi les recueils de nouvelles
et les romans de André Theuriet, nous,
nous contenterons de citer : Nouvelles intimes (1870; in-18); Sous
bois, impressions d'un forestier (1878, in-48); le Fils Maugars
(1879. in-16) dont le peintre Bastien-Lepage a passé pour avoir
fourni le type au romancier qui lui a consacré depuis une étude
spéciale (1885, in-18); la Maison des deux Barbeaux (1879,
in-18); Sauvageonne (1880, in-18); les Mauvais Ménages
(1892, in-18); le Journal de Tristan, impressions et souvenirs autobiographiques
(1883, in-18); Tante Aurélie (1884, in-18); Péché
mortel (1885, in-18); Bigarreau (1886, in-18); l'Affaire
Froideville, Moeurs d'employés (1887, in-18); Amour d'automne
(1888, in-12); l'Amoureux de la préfète (1889, in-18);
Charme dangereux (1891, in-18); Nos enfants, jeunes et vieilles
barbes (1892, in-18); la Chanoinesse (1893, in-18); Paternité
(1894, in-18); Cours meurtris (1896, in-18); Boisfleury (1897,
in-18); le Refuge (1898, in-18), etc.
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Vieux garçons
« Ils vivaient
automatiquement sans s'occuper de ce qui se passait autour d'eux ou au
dehors. Ils laissaient la direction du ménage à Catherinette,
ne voulant voir personne, se mettaient à table sans appétit,
mangeaient sans savoir ce qu'on leur servait, et ne prenaient plus goût
à rien. Hyacinthe errait çà et là comme un
corps qui a perdu son âme; Germain ne pensait plus à la chasse,
et ne mettait plus les pieds au bois.
Parfois seulement,
à la fine pointe du jour, ils se glissaient furtivement, chacun
de son côté, hors du logis. Ils filaient discrètement
par des ruelles détournées et étaient tout étonnés
de se retrouver au détour d'une allée du cimetière.
Ils restaient là une bonne partie de la matinée, sans se
dire trois paroles, tout occupés à jardiner autour de la
fosse de la tante Lénette. Les pluies d'avril avaient déjà
tassé la terre; ils y avaient fait planter des fleurs et ils les
arrosaient silencieusement.
Mais quand ce lourd
engourdissement se fut peu à peu dissipé et qu'ils rentrèrent
dans la vie consciente et active, alors ils commencèrent à
sentir combien la défunte leur manquait. Une attaque de paralysie,
les privant tout d'un coup de leurs yeux et de leurs jambes, les eût
rendus moins impuissants et désorientés que cette brusque
mort de Mlle Lénette.
Habitués à
se reposer sur la tante pour toutes les choses du ménage, ils n'entendaient
rien au gouvernement d'une maison, et les moindres détails domestiques
prenaient pour eux l'importance d'une affaire d'État. Qu'il s'agît
de commander le menu d'un dîner ou de renouveler leur garde-robe,
ils se regardaient tous les deux avec des yeux ahuris et finissaient par
s'en remettre aveuglément à la décision de Catherinette.
Or celle-ci, qui-avait
toujours été un instrument passif entre les mains de Mlle
Lénette, manquait absolument d'imagination et d'initiative. Les
deux Barbeaux dînaient mal : au milieu de l'abondance de toutes choses,
ils étaient privés de ces gâteries et de ces petits
soins que la sollicitude de la tante leur prodiguait, et que l'habitude
leur avait rendus nécessaires comme le pain et le sel.
Ils s'embrouillaient
dans ces trousseaux de clefs que Mll1e Lénette maniait avec tant
de dextérité. Au fond de ces profondes armoires où
la tante rangeait le linge avec un ordre méthodique dont elle avait
emporté le secret, les deux infortunés ne savaient rien trouver.
Ils passaient des heures à chercher un mouchoir de poche; puis,
de guerre lasse, après avoir bouleversé tous les rayons,
ils s'asseyaient découragés en face des piles de linge effrondrées,
et murmuraient d'un ton lamentable :
« Ah! si la
tante était là! »
(A.
Theuriet, La Maison des deux Barbeaux).
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Quelques-unes des nouvelles de Theuriet,
telles que l'Abbé Daniel, les OEillets de Kerlaz, Rose,
Lis, etc., ont fait l'objet de réimpressions luxueuses ornées
de gravures sur bois et d'eaux-fortes.
Il a donné en 1871, au théâtre
de l'Odéon, un drame en un acte et en vers dont Sarah Bernhardt
fut l'un des interprètes, Jean-Marie, resté au répertoire
et tiré de deux de ses romans, la Maison des deux Barbeaux
et Raymonde, deux comédies
qui n'ont pas eu, en 1885 et en 1887, au même théâtre,
le succès de sa première tentative. Elu membre de l'Académie
française, ou il occupa le fauteuil d'Alexandre
Dumas fils, Theuriet a prononcé, le 9 décembre 1897;
le discours d'usage auquel Paul Bourget a répondu.
(Maurice Tourneux). |
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